Aux
dernières nouvelles, la Russie a lancé un ultimatum passif aux États-Unis sur la
Syrie.
Les tensions
entre la Russie et les États-Unis ont atteint un niveau sans précédent. Je suis
totalement d’accord avec les participants à l’émission CrossTalk, la situation est même pire et plus
dangereuse que pendant la crise des missiles cubains. Les deux camps se dirigent maintenant vers ce qu’on appelle
un Plan B qui, pour le dire simplement, représente au mieux « pas
de négociations » et, au pire, « une guerre entre la Russie et les
États-Unis ».
L’essentiel à comprendre dans la
position russe, dans d’autres conflits récents avec les États-Unis, est que la Russie
est toujours beaucoup plus faible qu’eux et qu’elle ne veut par conséquent
pas la guerre. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle ne s’y prépare pas
activement. En réalité, elle le fait intensément et activement. Tout cela signifie que
si un conflit éclatait, la Russie essaierait, autant qu’elle le peut, de le
maintenir aussi limité que possible.
Théoriquement, les niveaux possibles
de confrontation sont, en gros, les suivants :
- Une impasse militaire du genre Berlin 1961. On pourrait dire que c’est déjà en cours en ce moment, quoique à distance et de manière moins visible.
- Un incident militaire unique, comme ce qui est s’est passé récemment lorsque la Turquie a abattu un SU-24 russe et que la Russie a choisi de ne pas riposter.
- Une série d’affrontements localisés semblables à ce qui se passe actuellement entre l’Inde et le Pakistan.
- Un conflit limité au théâtre de guerre syrien (disons comme une guerre entre le Royaume-Uni et l’Argentine à propos des îles Malouines).
- Une confrontation régionale ou mondiale entre les États-Unis et la Russie.
- Une guerre thermonucléaire totale entre les États-Unis et la Russie.
Pendant mes années d’études en
stratégie militaire, j’ai participé à de nombreux exercices d’escalade et de
désescalade, et je peux attester que s’il est très facile de trouver des
scénarios d’escalade, j’attends encore de voir un scénario de désescalade
crédible. Ce qui est possible, cependant, c’est l’«escalade horizontale» ou «escalade
asymétrique», dans laquelle un camp choisit de ne pas faire monter les enchères
ou de pratiquer directement l’escalade, mais choisit plutôt une autre cible de
représailles, pas nécessairement plus utile, seulement différente, mais de même
niveau d’importance conceptuelle (aux États-Unis, Joshua M. Epstein et Spencer D. Bakich ont fait la plus grande partie
du travail novateur à ce sujet).
La principale raison pour laquelle
nous pouvons nous attendre à ce que le Kremlin tente de trouver des options
asymétriques pour répondre à une attaque des États-Unis est que dans le
contexte syrien, la Russie est désespérément sous-armée par rapport aux
États-Unis/OTAN, du moins quantitativement. La solution logique pour les Russes
est d’utiliser leur avantage qualitatif ou de chercher des «cibles
horizontales» comme options possibles pour des représailles. Cette semaine,
quelque chose de très intéressant et de très inhabituel s’est produit : le
major-général Igor Konachenkov, le chef de la Direction du service de presse et
d’information du ministère de la Défense de la Fédération de Russie, a
ouvertement mentionné l’une de ces options. Voici ce qu’il a dit :
«En ce qui concerne les menaces de
Kirby [porte-parole du Département d’État] sur de possibles pertes d’avions
russes et le renvoi de soldats russes en Russie dans des sacs mortuaires, je
voudrais dire que nous savons exactement où et comment de nombreux «spécialistes
non officiels» opèrent en Syrie et dans la province d’Alep, et nous savons
qu’ils sont impliqués dans la planification opérationnelle et supervisent les
interventions des militants. Bien sûr, on peut continuer à insister sur le fait
qu’ils sont impliqués sans succès dans la tentative de séparer les terroristes d’al-Nosra
des forces de l’«opposition». Mais si quelqu’un tente de mettre ces menaces à
exécution, il n’est pas du tout certain que ces militants auront le temps de se
sortir de là.»
Sympathique, non ? Konachenkov
semble menacer les «militants», mais il est sûr de mentionner qu’il y a
beaucoup de «spécialistes non officiels» parmi ceux-ci et que la Russie
sait exactement où ils sont et combien il y en a. Bien sûr, officiellement
Obama a déclaré qu’il y a quelques centaines de conseillers spéciaux en Syrie.
Une source russe bien informée suggère qu’il y a plus de 5 000 conseillers
étrangers auprès des Takfiris, y compris environ 4 000 Américains. Je
suppose que la vérité est quelque part entre ces deux chiffres.
Donc la menace russe est
simple : vous nous attaquez et nous attaquerons les forces étasuniennes en
Syrie. Bien sûr, la Russie niera farouchement viser les militaires américains
et insistera pour dire que l’attaque n’était dirigée que contre des
terroristes, mais les deux camps comprendront ce qui se passe ici. Fait
intéressant, la semaine dernière, l’agence de presse iranienne Fars a rapporté
qu’une telle attaque russe avait déjà eu lieu :
30 agents israéliens du renseignement extérieur tués
dans une attaque de missile Kalibr russe à Alep :
«Les navires de guerre russes ont tiré trois missiles
Kalibr sur la salle des opérations de coordination d’officiers étrangers dans
la région de Dar Ezza dans la partie ouest d’Alep, près de la montagne Sam’an,
tuant 30 officiers israéliens et étrangers», a annoncé le service en arabe de
l’agence de presse russe Spoutnik, citant une source du champ de bataille
d’Alep qui l’a dit mercredi. La salle des opérations était située dans la
partie occidentale de la province d’Alep au milieu de la haute montagne Sam’an
et d’anciennes grottes. La région est profondément insérée dans une chaîne
montagneuse. Plusieurs officiers américains, turcs, saoudiens, qataris et britanniques
ont aussi été tués en même temps que les officiers israéliens. Les officiers
étrangers qui ont été tués dans la salle des opérations d’Alep dirigeaient les
attaques des terroristes à Alep et Idlib.»
Que cela se soit vraiment passé ou
que les Russes diffusent de telles histoires pour indiquer que cela pourrait
arriver, le fait reste que les forces étasuniennes en Syrie pourraient devenir
une cible évidente pour une riposte russe, par missile de croisière, bombes
traditionnelles ou opération directe par les forces spéciales russes. Les
États-Unis ont aussi plusieurs installations militaires secrètes en Syrie, y
compris au moins un aérodrome avec des avions à rotors basculants à mission
multiple V-22.
Un autre développement intéressant a
été l’information rapportée par Fox News selon laquelle les Russes déploient
des S-300V (c’est-à-dire des systèmes anti-missiles et anti-aériens SA-23
Gladiator) en Syrie. Lisez cet excellent article pour une analyse détaillée des
capacités de ce système anti-missile. Je le résumerai en disant que les S-300V
peuvent contrer des missiles balistiques, des missiles de croisière, des
avions radar à très basse altitude (furtifs) et des avions AWACS. C’est un
système de défense aérienne au niveau d’une armée ou d’un corps
d’armée, tout à fait capable de défendre la plus grande partie de l’espace
aérien syrien, mais aussi d’atteindre la Turquie, Chypre, la Méditerranée
orientale et le Liban. Les radars puissants de ce système pourraient non
seulement détecter et accrocher des avions américains (y compris furtifs)
à longue distance, mais ils pourraient aussi fournir une aide énorme aux
quelques avions de combat russes assurant la supériorité aérienne en leur
fournissant une image claire du ciel et de l’aviation ennemie en utilisant des
liaisons cryptées. Enfin, la doctrine aérienne étasunienne est extrêmement
dépendante de l’usage des avions AWACS pour guider et soutenir les combattants
américains. Les S-300V contraindront les AWACS des USA/OTAN à opérer à des
distances très inconfortables. Entre les radars à longue portée des Sukhoi
russes, les radars sur les croiseurs russes au large de la côte syrienne et les
radars des S-300 et S-300V au sol, les Russes auront une bien meilleure
vision de la situation que leurs homologues américains.
Il semble que les Russes s’efforcent
de compenser leur infériorité numérique en déployant des systèmes haut de gamme
pour lesquels les États-Unis n’ont pas de véritable équivalent ni de bonnes
contre-mesures.
Il y a essentiellement deux
possibilités de dissuasion : le déni, lorsque vous empêchez votre ennemi
de frapper ses cibles, et la riposte, lorsque vous rendez les coûts d’une
attaque ennemie inacceptables pour lui. Les Russes semblent suivre les deux
pistes à la fois. Nous pouvons donc résumer l’approche russe de la manière
suivante :
- Retarder autant que possible une confrontation en gagnant du temps.
- Tenter de maintenir toute confrontation au niveau d’escalade le plus bas possible.
- Si possible, répliquer avec des escalades asymétriques/horizontales.
- Plutôt que de l’«emporter» contre les USA/OTAN, rendre les coûts de l’attaque trop élevés.
- Essayer de faire pression sur les «alliés» des États-Unis dans le but de créer des tensions au sein de l’Empire.
- Essayer de paralyser les États-Unis au niveau politique en rendant les coûts d’une attaque politiquement trop onéreux.
- Essayer de créer progressivement les conditions sur le terrain (Alep) qui rendent futile une attaque des États-Unis.
Pour ceux qui ont grandi avec les
films de Hollywood et qui continuent à regarder la télévision, ce genre de
stratégie ne suscitera que frustration et condamnation. Il y a des millions de
stratèges en chambre qui sont sûrs qu’ils pourraient faire un bien meilleur
travail que Poutine pour contrer l’Empire US. Ces gens nous ont dit depuis des
années maintenant que Poutine a «vendu» les Syriens (et les Novorusses) et que
les Russes devraient faire ceci ou cela pour vaincre l’Empire
anglosioniste. La bonne nouvelle est qu’aucun de ces stratèges en chambre n’est
au Kremlin et que les Russes s’en sont tenus à leur stratégie ces dernières
années, un jour après l’autre, même lorsqu’ils étaient critiqués par ceux
qui veulent des solutions rapides et «faciles». Mais la principale bonne
nouvelle est que la stratégie russe fonctionne. Non seulement l’Ukraine occupée
par les nazis est en train de s’effondrer, mais les États-Unis sont
fondamentalement à court d’options en Syrie (voir cette excellente analyse de mon ami Alexander Mercouris
dans The Duran).
La seule étape logique qui reste
pour les États-Unis en Syrie est d’accepter les conditions de la Russie ou
de s’en aller. Le problème est que je ne suis pas convaincu que les néocons,
qui dirigent la Maison Blanche, le Congrès et les médias dominants américains,
soient «rationnels». C’est pourquoi les Russes ont recouru à tant de tactiques
dilatoires et pourquoi ils ont agi avec une aussi grande prudence : ils
affrontent des idéologues professionnels incompétents qui ne se conforment tout
simplement pas aux règles non écrites, mais claires, qui président à des relations
internationales civilisées. C’est ce qui rend la crise actuelle encore beaucoup
plus grave que la crise des missiles cubains : une superpuissance est
clairement devenue folle.
Les Américains sont-ils assez fous
pour risquer une Troisième Guerre mondiale à cause d’Alep ?
Peut-être que oui, peut-être que
non. Mais qu’en est-il si nous reformulons les questions et demandons…
Les Américains sont-ils assez fous
pour risquer une Troisième Guerre mondiale afin de maintenir leur statut de «nation
indispensable dans le monde», de «dirigeant du ‘monde libre’», de «Cité
sur la colline» et tout le reste de leur non-sens impérialiste ?
Là, je suggérerais que oui, ils en
sont potentiellement capables.
Après tout, les néocons ont raison
lorsqu’ils ont le sentiment que si la Russie se met à défier ouvertement les
États-Unis et à les vaincre en Syrie, personne ne prendra plus jamais les
anglosionistes au sérieux [dans leur posture exceptionnaliste, NdT].
Que croyez-vous que pensent les
néocons lorsqu’ils voient le président des Philippines qualifier publiquement
Obama de «fils de pute» et puis dit à l’Union européenne
d’«aller se faire foutre» ?
Bien sûr, les néocons peuvent encore
trouver un certain réconfort dans la soumission abjecte des élites politiques
européennes, mais ils savent que l’inscription est sur le mur 1 et que leur Empire tombe rapidement en
ruines, non seulement en Syrie, en Ukraine ou en Asie mais même aux États-Unis.
Le plus grand danger ici est que les néocons puissent tenter de rassembler la
nation autour de son drapeau, soit en mettant en scène une nouvelle action sous
fausse bannière soit en déclenchant une véritable crise internationale.
En ce moment précis, tout ce que
nous pouvons faire est d’attendre en espérant qu’il y ait suffisamment de
résistance au sein du gouvernement pour empêcher une attaque des États-Unis sur
la Syrie avant que la nouvelle administration entre en fonction. Et tandis que
je ne suis pas un partisan de Trump, je serais d’accord que Hillary et sa
méchante cabale de néocons russophobes est si mauvaise que Trump me donne
quelque espoir, du moins par rapport à Hillary.
Donc si Trump l’emporte, la
stratégie de la Russie sera fondamentalement justifiée. Une fois que Trump est
à la Maison Blanche, il y a au moins la possibilité d’une redéfinition complète
des relations entre les États-Unis et la Russie, qui commenceraient évidemment
par une désescalade en Syrie. Alors qu’Obama/Hillary refusent catégoriquement
de se débarrasser de Daesh (par là, je veux dire al-Nosra, al-Qaïda et toutes
leurs diverses dénominations), Trump semble déterminé à les combattre
sérieusement, même si cela signifie qu’Assad reste au pouvoir. Il y a très
certainement une base pour un dialogue ici. Si Hillary gagne, alors les Russes
devront faire un choix absolument crucial : quelle est
l’importance de la Syrie dans le contexte de leur objectif de rendre à nouveau
la Russie souveraine et faire tomber l’Empire anglosioniste ? Une autre
manière de formuler la même question est : «La Russie préférerait-elle une
confrontation avec l’Empire en Syrie ou en Ukraine ?»
Une façon d’évaluer l’état d’esprit
en Russie est d’examiner le langage d’une loi récente proposée par le président
Poutine et adoptée par la Douma et relative à l’Accord entre la Russie et les États-Unis sur la gestion et
l’élimination du Plutonium (PMDA dans son sigle anglais), qui, de
nouveau, a vu les États-Unis échouer encore une fois à remplir leurs
obligations, et que la Russie a maintenant suspendu. Ce qui est intéressant est
le langage choisi par les Russes pour énumérer les conditions auxquelles ils recommenceraient à
participer à cet accord et, fondamentalement, seraient d’accord
pour reprendre tout type de négociations sur l’armement :
- Une réduction de l’infrastructure militaire et du nombre de troupes américaines stationnées sur le territoire des États membres de l’OTAN qui ont rejoint l’alliance après le 1er septembre 2000, aux niveaux où ils étaient au moment où l’accord original est entré en vigueur.
- L’abandon de la politique hostile des États-Unis à l’égard de la Russie, ce qui exigerait l’abolition de la Loi Magnitsky de 2012 et des conditions de la Loi sur le soutien à la liberté de l’Ukraine de 2014, qui étaient dirigées contre la Russie.
- L’abolition de toutes les sanctions imposées par les États-Unis sur certains ressortissants de la Fédération de Russie, individus et entités légales russes.
- La compensation de tous les dommages subis par la Russie en raison de l’imposition de sanctions.
- Les États-Unis sont aussi tenus de soumettre un plan clair pour l’élimination irréversible du plutonium couvert par le PMDA.
Non, les Russes ne délirent pas. Ils
savent très bien que les États-Unis n’accepteront jamais de telles conditions.
Donc de quoi s’agit-il réellement ? C’est une façon diplomatique mais sans
ambiguïté de leur dire exactement la même chose que le président philippin
Duterte (et Victoria Nuland) a dit à l’Union européenne.
Les Américains devraient commencer à
faire attention.
The Saker
Article original paru sur The Unz Review
Traduit par Diane, vérifié par jj
pour le Saker francophone
- « L’inscription sur le mur », un idiotisme, est un présage de destin douloureux ou de malheur. Il est tiré du Livre de Daniel où un écrit surnaturel prédit la chute de Babylone. La version anglaise « The writing on the wall » est très utilisée dans la littérature. Wikipédia
Les États-Unis rappellent qu’ils ne veulent pas s’interdire la première frappe nucléaire
Le
Secrétaire à la Défense Ash Carter s’adresse aux troupes sur la base
Kirtland de l’Air Force, au Nouveau Mexique, le 27 septembre 2016.
(Image : Département de la Défense des États-Unis)
Military.com, le 27 septembre 2016, par Richard Sisk
Le Secrétaire à la Défense Ashton Carter a déclaré mardi que la doctrine de dissuasion nucléaire, qui permet la possibilité d’une « frappe préventive » avant une attaque ennemie, restera à la base de la doctrine américaine, en dépit de l’introduction de nouvelles générations d’armes nucléaires.« C’est notre doctrine actuelle et nous n’avons pas la moindre intention de la changer, » a dit Carter aux aviateurs lors d’une session de questions-réponses sur la base aérienne de Kirtland, au Nouveau Mexique.
Carter répondait à une question à propos de nations telles que la Corée du Nord et la Russie qui exhibent leur arsenal nucléaire pour bousculer, intimider et voir si les États-Unis donneraient suite.
« Ce n’est pas la méthode américaine de brandir ses armes, pas la méthode américaine d’intimider, a précisé Carter. Aussi loin que je puisse me souvenir, les dirigeants américains se sont toujours conduits avec un immense respect vis-à-vis de l’effrayant pouvoir destructeur de ces armes. »
OB : il ne ment pas, notez, vu qu’il est né en 1954…
Oups! Une guerre mondiale…
Par Dmitry Orlov – Le 11 octobre 2016 – Source Club Orlov
Depuis la semaine dernière, je reçois des flux réguliers de courriels exigeant de savoir si une guerre nucléaire totale est sur le point d’éclater entre les États-Unis et la Russie. Je regarde la situation se développer plus ou moins attentivement, et j’ai offert mon avis, brièvement, un par un, au grand soulagement de quelques personnes. Je vais maintenant essayer de répandre la joie plus largement. En bref, d’une part, un anéantissement nucléaire tous azimuts reste très peu probable, à moins d’un accident. Mais, d’autre part, un tel accident n’est pas impossible, parce que quand on en vient à la politique étrangère américaine, Oups ! semble être le terme opérationnel.
L’une des raisons d’être joyeux, c’est que tout plan d’attaque contre la Russie est appelé à s’embourber dans la bureaucratie. Les plans de bataille sont développés par des militaires du rang au sein de l’establishment militaire américain. Ils doivent être approuvés et transmis dans la chaîne de commandement par des personnes de rang supérieur et enfin signés par les dirigeants du Pentagone et leurs complices politiques civils. Ces élites et les politiciens peuvent être délirants, mégalomaniaques et, par inadvertance, suicidaires, mais les militaires du rang qui développent les plans de bataille sont rarement suicidaires. Si un plan particulier n’a aucune chance imaginable de victoire, mais qu’il est tout à fait susceptible de les conduire eux, leurs familles et leurs amis, à être vaporisés dans une explosion nucléaire, il est peu probable qu’ils le recommandent.
Une autre raison d’être joyeux, c’est que la Russie a soigneusement limité les options du Pentagone. Un plan qui, dans l’imagination populaire, pourrait conduire à une guerre tous azimuts avec la Russie serait l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne sur la Syrie. Beaucoup de gens passent à coté du fait qu’il est impossible d’imposer une zone d’exclusion aérienne sur un pays ayant un système de défense aérienne suffisamment puissant, comme la Syrie. Dans un premier temps, le système de défense aérien devrait être neutralisé, et la campagne aérienne pour le faire serait très coûteuse et pourrait entraîner des pertes massives d’équipement et de personnel. Mais les Russes ont rendu cette étape nettement plus difficile en introduisant leur système S-300. C’est un système autonome, mobile, auto-tracté qui peut détruire des objets dans le ciel sur une grande partie de la Syrie, mais aussi au dessus de la Turquie. Il est très difficile de le suivre à la trace, car il peut utiliser des tactiques de «frapper et disparaître», lancer une attaque et se dégager loin dans une direction aléatoire sur un terrain accidenté.
La dernière sur la liste des raisons pour lesquelles la guerre avec la Russie reste peu probable, est qu’il n’y a pas beaucoup de raisons de la commencer, en supposant que les États-Unis se comportent de façon rationnelle. Actuellement, la plus grande raison pour commencer une guerre est que l’armée syrienne est en train de gagner le conflit à Alep. Une fois qu’Alep sera de retour dans les mains du gouvernement et que les djihadistes soutenus par les Américains seront en fuite, la guerre civile syrienne sera en grande partie terminée, et la reconstruction pourra commencer. Ce résultat semble de plus en plus inévitable, et le plan américain de voir un drapeau noir flottant sur Damas est en ruine. Maintenant, étant donné que les Américains sont mauvais perdants, cette ligne de pensée n’est pas certaine, et comme les mauvais perdants peuvent parfois faire des choses aléatoires et auto-destructrices, ce développement peut entraîner une folle aventure pour sauver leur mission de cinq ans pour renverser Assad. Oui, il existe des preuves que les Américains sont des mauvais perdants : il suffit de regarder l’embargo commercial d’un demi-siècle qu’ils ont maintenu contre Cuba. Mais ces raisins verts sont en train de les amener à prendre un retard suicidaire.
La raison la plus commune qui laisse penser aux gens que la guerre avec la Russie est probable, voire inévitable, se résume à l’expression «hystérie anti-russe». En effet, si vous prenez la peine de prêter attention à la presse grand public aux États-Unis (ce que je fais rarement), vous pouvez remarquer que les bruits hystériques commencent à dominer l’odeur habituelle de la désinformation. Mais pour moi, il semble que l’hystérie anti-russe est un effet de bord de l’hystérie anti-Trump. La presse officielle est toute derrière Clinton, vous voyez, et la stratégie de Clinton, aussi pathétique qu’elle soit, est de prétendre que Trump court pour Poutine, de sorte que la stratégie consiste à diaboliser Poutine, en espérant que cette diabolisation déteindra aussi sur Trump. Cela ne fonctionne pas ; les récents sondages d’opinion aux États-Unis montrent que Poutine est plus populaire que Clinton et Trump. Ceci souligne parfaitement le problème réel aux États-Unis : dans les mots immortels de l’inimitable Vladimir Jirinovski, leader du Parti libéral-démocrate de Russie, Clinton n’est même pas qualifiée pour gérer un établissement de bains publics, tandis que Trump a encore moins d’expérience de leadership national qu’elle. D’autre part, l’expérience de leadership national de Clinton a été, comme Trump le dirait, «une catastrophe». Trump pourrait donc faire beaucoup mieux que Clinton, en déléguant toutes les responsabilités présidentielles à un buisson particulièrement bien taillé de la roseraie de la Maison Blanche.
Pour résumer, les raisons pour lesquelles la guerre avec la Russie est peu probable sont :
- Les experts militaires des États-Unis ne sont pas suicidaires.
- Il n’y a pas de stratégie militaire qu’ils puissent poursuivre.
- Il n’y a aucune raison impérieuse pour les États-Unis d’aller en guerre contre la Russie.
- La Russie n’est pas l’ennemi ; c’est Alzheimer qui l’est.
Rembobinons un court instant notre mémoire. Les Américains ont contrecarré avec succès les efforts soviétiques en Afghanistan, en armant et en formant des extrémistes musulmans (à l’époque appelés moudjahidines ou combattants de la liberté). C’est le seul exemple où le «terrorisme par procuration» américain a bien fonctionné. Inventé pour cette occasion par Zbigniew Brzezinski et Jimmy Carter, c’était un plan pour détruire l’Afghanistan afin de le sauver, et effectivement l’opération a été un succès, mais seulement dans la mesure où l’Afghanistan a été détruit. Depuis lors, cette tactique a échoué à chaque fois à tous les niveaux, mais cela n’a pas empêché les Américains de continuer à essayer de l’utiliser.
Ils l’ont essayé en Tchétchénie, en finançant et en armant les séparatistes tchétchènes, mais la Russie a prévalu, et la Tchétchénie est maintenant une région paisible de la Fédération de Russie. Et, bien sûr, ils ont essayé en Syrie depuis ces cinq dernières années, avec des résultats tout aussi médiocres. Si la Syrie suit le modèle tchétchène, dans une autre décennie, elle sera une république laïque unifiée, avec des élections libres et démocratiques, reconstruite avec l’aide russe et chinoise et Alep peut espérer un horizon brillant pour rivaliser avec Grozny, reconstruite en Tchétchénie. Pendant ce temps, les Américains continueront sans doute d’essayer d’utiliser le «terrorisme par procuration» ailleurs.
On pourrait penser qu’après leur échec à soutenir les «combattants de la liberté» en Tchétchénie, les stratèges américains auraient intériorisé une leçon simple : le «terrorisme par procuration» ne fonctionne pas. Mais ils ne semblent presque jamais apprendre de leurs erreurs. Au lieu de cela, ils ont constamment doublé le niveau d’échec de cette tactique défaillante. Tout en utilisant des terroristes pour contrecarrer les Soviétiques en Afghanistan, ils ont créé accidentellement les talibans ; puis ils ont envahi l’Afghanistan et se sont battus contre ces talibans pendant les 15 dernières années, avec de moins en moins de succès au fil du temps.
Comme le «terrorisme par procuration» a échoué en tant que stratégie de lutte contre leurs ennemis, les Américains ont décidé de l’utiliser contre eux-mêmes à la place. Le 9/11, une attaque terroriste prétendument commise par les gens qu’ils avaient formés et équipés en Afghanistan, rebaptisés «al-Qaïda», les a incités à attaquer l’Irak. Il n’y avait pas de terroristes en Irak à l’époque, mais les Américains ont rapidement remédié à ce problème. D’abord, ils ont dissout l’armée irakienne, enfermé plusieurs de ses officiers supérieurs, et ont tenté de former une nouvelle armée irakienne, qu’ils ont fortuitement appelée NIC, pour «New Iraqi Corps», parfaitement inconscients que «nic» veut dire «fuck» dans l’argot local. Pendant ce temps, les officiers irakiens qu’ils ont emprisonnés ont eu amplement l’occasion, tout en pourrissant dans leur geôle, de créer des réseaux et de se creuser les méninges. Après leur libération, ils ont fondé ISIS, qui a ensuite mis le grappin sur une grande partie de l’Irak, puis sur la Syrie… Je pourrais continuer et débiter des listes de détails sur les aventures de l’Amérique dans le terrorisme sans fin ; le fait est que tout cela n’est qu’une guirlande d’erreurs, et le terme pour qualifier ce fonctionnement semble être «Oups !».
Les Américains sont maintenant sans leadership national (ni Obama, ni Clinton, ni Trump ne sont qualifiés), sans un plan (un Plan B pour la Syrie, c’est pas de plan du tout), et soigneusement contenus et contrecarrés par d’autres nations, qui se rendent compte que même dans leur sénescence et leur décrépitude, les États-Unis restent dangereux. En réponse, les États-Unis vont sans aucun doute continuer à provoquer des méfaits mineurs dans le monde entier, en continuant à essayer de faire usage du «terrorisme par procuration», tout en se blessant et en prétendant que tout cela, c’est la faute des terroristes afin d’être en mesure de jouer régulièrement les victimes. Ces efforts sont susceptibles d’être aussi autodestructeurs que les précédents, mais certains d’entre eux peuvent accidentellement leur échapper des mains et déclencher un conflit plus large.
Donc je me sens assez confiant pour conclure que la plus grande cause possible restante pour une grande guerre entre les États-Unis et la Russie est encore un autre «Oups !» américain. Cependant, les diplomates russes, leurs experts en politique étrangère et leurs militaires sont des professionnels, et sont décidés à prévenir un tel accident. Ils restent impliqués dans les négociations avec la partie américaine sur plusieurs niveaux, en gardant les voies de communication ouvertes. Bien que certaines personnes aient la fausse impression que les USA ont, en quelque sorte, rompu les relations diplomatiques avec la Russie, ce qui est en fait arrivé, c’est que les États-Unis ont suspendu les négociations bilatérales avec la Russie sur la Syrie, tandis que les efforts multilatéraux se poursuivent.
Mais les Américains ne devraient pas se méprendre sur le fait que les Russes restent indéfiniment accommodants. Récemment, les Russes ont mis les Américains sur le bûcher après leur bombardement «accidentel» des troupes syriennes à Deir-ez-Zor, clairement coordonné avec ISIS, qui a lancé une attaque immédiatement après le raid aérien. Cet incident, qui était une violation flagrante de l’accord de cessez-le feu, a incité les Russes à étiqueter les Américains avec un mot russe particulièrement blessant : «недоговороспособные» − incapables d’honorer un accord. Certains observateurs pensaient que le fiasco de Deir-ez-Zor signalait que l’administration Obama ne contrôlait plus le Pentagone, qui court maintenant comme un poulet sans tête autour de la basse-cour. Cette impression a été renforcée lorsque les Américains, ou leurs mandataires terroristes, ont bombardé un convoi humanitaire et ont tenté d’en rejeter la faute sur les Russes.
Les Russes ont également annulé un accord, le seul traité de réduction des armes qu’Obama a réussi à négocier au cours de ses huit ans de mandat pour se débarrasser de l’excès de plutonium, en raison de l’échec américain à en brûler leur part dans un réacteur à neutrons rapides qu’ils avaient convenu de construire à cet effet à Savannah River en Géorgie. Les surgénérateurs sont difficiles à concevoir, et la plupart des nations nucléaires ont échoué à en construire et à les exploiter. Ils n’ont aucun sens économique et, comme les réacteurs basés sur la fusion, ils resteront à jamais une «source d’énergie du futur». Pourtant, les Américains ont signé un engagement pour en construire et en exploiter un.
Les Américains ont accepté leur punition avec à peine un gémissement entendu dans la presse nationale, probablement trop occupée à être hystérique. Peut-être que ce sont des moyens inefficaces de les insulter. Pourtant, je préfère prendre cela comme un signe d’espoir que le patient reste au moins un peu rationnel.
En ce qui concerne le méchant problème médical de l’hystérie anti-russe… Je suis sûr que certains psychologues et psychiatres russes hautement qualifiés seront là pour aider aussi.
Dmitry Orlov