Ils sont si
nombreux à l’écrire qu’on s’en voudrait, pour cette fois dans tous les cas, de
ne pas céder au charme très suspect du règne
de la quantité ; Guénon ne nous en voudra pas car c’est
vraiment, de notre part, très exceptionnel. Nous parlons bien entendu de
l’assassinat de l’ambassadeur de Russie en Turquie, – terre d’élection, on le
sait, puisque terre d’expérimentation, depuis fort longtemps, des cellules
apparentées à Gladio
et berceaux expérimental et originel de l’emploi de l’expression Deep State.
Ces
symboles anecdotiques purement gratuits pour un raisonnement rationnel
finissent par influencer
la recherche de la vérité-de-situation
tant celle-ci vous sollicite dans le sens qu’on explore ici.
Encore une
anecdote... Lorsqu’une chroniqueuse aussi innocente que Kathleen Parker,
– du Washington Post/CIA
et d’un anti-trumpisme élégamment hystérique, – salue
la victoire au Collège Électoral du président Trump de ce souhait si
également élégant “bienvenu en Enfer” (“Welcome
to Hell”), elle désigne l’enfer sous la forme de cette terrible
journée du 20 décembre avec ces trois attaques terroristes qui figureraient
bien dans son esprit comme quelque chose de pire encore que l’amorce d’une
Guerre Mondiale (on a égaré le numéro d’ordre : Troisième ? Quatrième ?
Nième ? — ces jeunes gens ont encore tant à apprendre de la cruauté de
l’histoire).. Mais, nuance, alors qu’elle ne dit rien de particulier à propos
des deux autres attaques, elle précise à propos d’Ankara « In Ankara, a Turkish police
officer assassinated Russia’s ambassador to Turkey, shouting, “Don’t forget
Aleppo” », – et alors l’on a bien compris, nous qui avons
l’esprit vif. L’ambassadeur russe assassiné, c’est bien fait, il a payé pour
l’horreur sans précédent ni équivalent pour les massacres innommables et
archi-russes d’Alep. Miss Parker n’est pas la seule dans le monde
progressiste-sociétal de Washington à écrire de la sorte qui se réjouirait
presque de la mort de l’ambassadeur, dans le genre Mission Accomplished, car ainsi
fonctionnent sur le même rythme déterministe-narrativiste
les neurones des zombies-Système, – point final, verdict prononcé et pensée
interrompue.
Point final
pour l’anecdote, mais pas pour la logique des explications type-false flag qui
claquent comme autant de fausses bannières au vent des commentaires après
l’assassinat de l’ambassadeur Andrei Karlov. Ils sont nombreux à écrire dans ce
sens sans s’en dissimuler à la manière de la courageuse Kathleen Parker,
c’est-à-dire en se mouillant et en écrivant droitement les
choses : oui, l’assassinat de l’ambassadeur russe, ce serait bien le genre
d’une de ces opérations subtiles de certaines “forces obscures”... Un
officiel turc emploie l’expression, comme on le voit un peu plus loin.
• Quelques
officiels russes, prompts à embrayer, se sont aussitôt manifestés sans
s’attarder à mâcher
leurs mots : pour eux, l’affaire a été menée par les diverses
officines subversives du bloc-BAO qui compensent l’intelligence par le nombre
... « “It
was a planned action. Everyone knew that he was going to attend this photo
exhibition,” said Frantz Klintsevich, a Kremlin senior senator. “It can
be ISIS, or the Kurdish army which tries to hurt Erdogan.” “But maybe – and it
is highly likely – that representatives of foreign NATO secrets services are
behind it.” [...] Vladimir Zhirinovsky,
head of the nationalist Liberal Democratic Party of Russia, declared it likely
the killing was “a false flag operation by the West.” Russian MP, Alexey
Pushkov, voiced similar sentiments, calling the shooting “a result of political
and media hysteria around Aleppo sown by the enemies of Russia.” »
• Tandis que
le président du Parlement turc Ismail Kahraman évoque ces fameuses “forces
obscures”, – alors qu’on sait que Daesh
n’est pas du tout une “force obscure”, – pour expliquer
l’attaque qui a eu lieu contre l’ambassadeur de Russie (« I wish that relations between
the two countries will not be harmed after the attack which, I think, has been
conducted by dark
forces »), un ancien général turc, Nejt Eslen, interviewé
par Spoutnik, explique
que l’attaque avait pour but de torpiller l’axe Moscou-Ankara-Téhéran (une
réunion de ces trois pays qui se rassemble pour garantir des conditions de
cessez-le-feu à Alep et trouver une solution au conflit syrien, avait lieu le
lendemain de l’attentat) ; il s’agit de cet axe nouveau-venu dont
on s’aperçoit brusquement qu’il en est fait très grand cas :
« Certaines forces en Occident
considèrent la Russie, personnifiée par Vladimir Poutine, et la Turquie, avec
Recep Tayyip Erdogan à sa tête, comme leurs cibles principales. L’Union
européenne emploie des sanctions contre la Russie. Le secrétaire américain à la
Défense cite Daech et la Russie à titre de principales menaces. La situation de
la Turquie est aussi très compliquée. Dans ce contexte, à la lumière des
événements en Syrie, la Turquie, la Russie et l'Iran ont décidé de tenir une
rencontre tripartite afin d'élaborer une résolution politique de la crise
syrienne. L'Occident ne peut l'accepter... [...] À côté de ces deux pôles de
force que forment les États-Unis et la Chine, un troisième pôle va apparaître
dans le monde, ce que la structure occidentale ne veut admettre en aucun cas. Et c’est justement de ce point
de vue que je considère la tragédie d’hier. »
• Pépé
Escobar, lui, voit plus large comme à son habitude. Il repousse immédiatement
l’absurde parallèle Sarajevo-1914/Ankara-2016, – car l’assassinat de
l’ambassadeur n’a rien à voir avec le déclenchement de la Troisième, Quatrième
ou Nième Guerre mondiale ; mais tout à voir, semble-t-il au travers de
telle ou telle ligne renvoyant à l’assassinat de l’ambassadeur, aux mêmes
“forces obscures” du bloc-BAO. Là encore, il est question de l’axe
Moscou-Ankara-Téhéran, auquel Pépé ajoute ici ou là la Chine, mais sans trop
insister, et surtout pour nous dire que l’alliance du bloc-BAO est si furieuse
de ce développement qu’il y a et qu’il y aura nécessairement du “ressentment” de la
part du bloc, en d’autres mots “qu’il y aura du sang” (« There will be blood »),
et celui de l’ambassadeur Karlov vient aussitôt à l’esprit. (A noter que Pépé,
dans ce texte du
20 décembre sur RT, rappelle que l’assassin, Mevlut Mert Altintas, avait
été suspendu de son poste de la police nationale turque pour ses liens
suspectés avec les réseaux Gülen qu’on a coutume d’associer avec diverses
organisations du bloc-BAO, avant d’être réintégré en novembre.)
« ...On
the bilateral front, Moscow and Ankara are now working close together on
counter-terrorism. Turkey’s defense minister was invited to Russia for anti-air
defense system negotiations. Bilateral trade is booming again, including the
creation of a joint investment fund. On the all-important energy front, Turkish
Stream, despite the Obama administration’s obsession about its derailment,
became the subject of state law in Ankara earlier this month. Atlanticists are appalled
that Moscow, Ankara and Tehran are now fully engaged in designing a post-Battle
of Aleppo Syrian future, to the graphic exclusion of the NATO-GCC combo.
» It’s
under this context that the recent alleged capture of a bunch of NATO-GCC
operatives – deployed under the US-led-from-behind “coalition” - by Syrian
Special Forces in Aleppo must be interpreted. [...]
It was President Putin who all but established a de
facto Russia-Iran-Turkey
axis dealing with facts on the Syrian ground – in parallel to the rhetoric-heavy, zero-solution UN
charade going on in Geneva. Moscow diplomatically emphasizes that the work of
the axis complement Geneva. In fact, it’s the only reality-based work. And it’s
supposed to sign and seal definitive parameters on the ground before Donald
Trump enters the White House. In a nutshell; the five-year (and running)
NATO-GCC combo’s multi-billion dollar regime change project in Syria all but
miserably failed. Wily Erdogan seems to have learned his realpolitik lesson. On
the Atlanticist front nevertheless, that opens myriad avenues to channel
geopolitical resentment. [...]
» For
all that to happen, Erdogan has concluded Ankara must be on board the
Russia-China-Iran long-term strategy to pacify and rebuild Syria and make it a
key hub as well of the New Silk Roads. Between that and an “alliance” of
fleeting interests with Qatar, Saudi Arabia, and the US, it’s certainly a
no-brainer.
» But
make no mistake. There will be blood. »
Il est donc
remarquable de constater avec quel ensemble l’interprétation false flag est
acceptée par tant de monde ; d’ailleurs, est-ce bien un false flag ?
On sait bien que Daesh,
c’est le bloc-BAO et personne d’autre, aussi s’agit-il de la même boutique. Mais on sera tenté tout de même d’accepter
la version directe bloc-BAO (CIA/OTAN), parce que la stupidité de l’acte est
suffisamment sophistiquée pour qu’on y souscrive. L’idée
serait donc que l’assassinat de l’ambassadeur, bien plus que d’être une
vengeance pour les massacres uniquement russes d’Alep (autre false flag), est
une tentative de torpiller l’“axe Moscou-Ankara-Téhéran” en rétablissant une
tension furieuse entre Moscou et Ankara.
Cette subtile
manœuvre est basée sur l’analyse psychologique d’un Poutine-dictateur, brute
épaisse, ne connaissant que le langage de la force, et dont on attendait par
conséquent qu’il tirât aussitôt une salve de missiles Kalibr sur Ankara,
dès qu’il aurait été informé de l’assassinat – bref, une sorte de Brennan
(directeur de la CIA) russifié. Or, Poutine est le contraire de tout cela,
il ne cesse de le montrer depuis quatre ans pour la séquence en cours ;
évidemment, si les pitres-bouffes de la CIA et de l’OTAN se fient à leur
déterminisme-narrativiste pour en juger du comportement de Poutine, ils
aboutissent effectivement à cette opération... En retour, ils
obtiennent le contraire : l’assassinat a plutôt rapproché les Turcs et les
Russes, notamment parce qu’Erdogan ne cesse de mesurer combien
la fréquentation du bloc-BAO est chose dangereuse, non seulement pour
l’équilibre de son pays, mais pour lui-même, y compris pour sa sécurité
personnelle. Quant aux Russes et pour le vrai, et selon leur comportement
habituel, ils savent où est leur intérêt et la perte d’un ambassadeur, fût-il
homme estimable, ne saurait déclencher une vendetta aveugle du type qu’elle
provoque en général en face ; par contre, cette terrible
circonstance est utilisée avec efficacité pour accentuer l’appel à la lutte
commune contre le terrorisme, chose qui est primordiale pour eux.
Oui bien sûr,
tout cela ; mais non finalement, il y a mieux... Il y a encore plus
intéressant et c’est, au travers des diverses déclarations, l’apparition de cette idée
conceptualisée d’un “axe Moscou-Ankara-Téhéran”.
Si l’attentat a eu un résultat remarquable, c’est bien celui d’officialiser ce
concept, de le
faire entrer de plain-pied dans l’univers de la communication, – et l’on sait
que cette sorte d’opération revient à donner l’essentiel de sa substance à un
événement. Ainsi l’association ponctuelle des trois pays pour
la résolution du problème syrien, association dictée par les événements même si
les intérêts divergent, prend une nouvelle allure, presque structurelle et
conceptuelle. Il est remarquable que le témoin turc qui est interrogé
différencie ce nouvel “axe” des USA mais
aussi de la Chine (« Dans
ce contexte, à la lumière des événements en Syrie, la Turquie, la Russie et
l'Iran ont décidé de tenir une rencontre tripartite afin d'élaborer une
résolution politique de la crise syrienne... [...] À côté de ces deux pôles de
force que forment les États-Unis et la Chine, un troisième pôle va apparaître
dans le monde... », – nous avons volontairement supprimé
toutes les allusions à l’antagonisme du bloc-BAO, qui est évident certes, pour
mieux mettre en évidence cette idée d’un nouveau “pôle”). Bien entendu, c’est
de l’intérêt du Turc de parler ainsi, mais
n’est-il pas en train d’énoncer la possibilité très forte désormais d’une
nouvelle vérité-de-situation ?
(Au reste, Pépé Escobar, pourtant grand partisan de l’alliance Russie-Chine,
décrit effectivement cet axe entre la Russie, la Turquie et l’Iran, même s’il
le relie, mais d’une façon assez secondaire, à certaines entreprises
chinoises.)
Alors que les
USA, avec Trump, pourraient devenir beaucoup moins dangereux et beaucoup plus
coopératifs pour la Russie, l’alliance
de la Russie avec la Chine pourrait par enchaînement logique automatique
devenir moins impérative. D’autre part, la retenue de la Chine dans
les affaires fondamentales du Moyen-Orient (Syrie), sinon son abstention malgré
de nombreuses annonces d’intervention qui ne se sont jamais concrétisées,
peuvent aussi bien avoir encore plus refroidi le sentiment de l’urgence de
l’alliance chinoise chez les Russes, d’autant plus que leur engagement en Syrie
est devenu un point capital de leur politique depuis septembre 2015. De ce point de vue, l’arrivée de Trump ouvre largement le jeu pour la
Russie et lui permet d’envisager de nouvelles formules, en réaffirmant une
autonomie nouvelle, et même allant jusqu’à prendre des risques
calculés en raffermissant ses liens avec un personnage aussi fantasque
qu’Erdogan, – mais lui-même, de son côté, de moins en moins à l’aise dans la
manipulation des divers terrorismes, donc de plus en plus poussé à une attitude
raisonnable de proximité de la Russie... Qui plus est, l’“axe” nouveau, s’il permet effectivement
une stabilisation en Syrie, aura l’effet de donner une certaine couverture,
disons une certaine vertu internationale à l’Iran, intégré dans un nouveau bloc
essentiel au Moyen-Orient, face à ceux qui, dans l’équipe Trump, montrent une
grande agressivité à son encontre.
Il est
remarquable d’observer combien la situation s’est modifiée depuis la “coup de
Kiev” de février 2014, qui était censé “isoler” la Russie, – narrative pour les
bas-de-gamme, – et dans tous les cas de l’enfermer dans une alliance
fondamentale avec la Chine. Manifestement
ce n’est plus le cas. Pour les amateurs de rangement on
pourrait dire que le monde devient “multipolaire” mais le terme serait bien
trop rigoureux … La multipolarité dans une telle dynamique et à une telle
rapidité, et dans une confusion si considérable où les alliances et les blocs
deviennent fluides et en constants mouvements, devrait plutôt s’apprécier comme un ajustement constant
des relations internationales au tourbillon crisique qu’est devenue la
situation générale, et dans cette sorte de bouleversement la
Russie se montre d’une capacité d’adaptation inégalable dans la mesure où elle se tient
appuyée sur la solidité de ses principes. Tout cela se déroule
sous les yeux vides de la structure moisie et quasiment en cours de
désintégration du bloc-BAO, avec ses propres termites intérieures de type-Trump
pour accélérer la chose. (Il
est vrai, hommage du cul-de-jatte à l’hémiplégique, que la grande préoccupation
secrète de la diplomatie de l’UE aujourd’hui est de déterminer si et comment
elle va prendre contact officieusement, – on n’en est pas encore au stade
officiel, – avec l’équipe Trump. On
ne sait pas encore, à Bruxelles, si “ces gens-là” sont fréquentables,
aussi faudrait-il les informer que “ces gens-là” vont diriger les États-Unis
d’Amérique à partir du 20 janvier 2017.)
Mis en ligne
le 21 décembre 2016
http://www.dedefensa.org/article/ankara-le-false-flag-flotte-irresistiblement
VOIR AUSSI :
- La CIA et Obama impliqués dans l'assassinat du diplomate russe
- Assassinat d'un ambassadeur russe : à qui profite le crime ?