Palmyre
est retombée entre les mains de l’État islamique. Le coup porté, comme
le reconnaît à l'unanimité la presse russe, est particulièrement dur en
terme d'image. Certainement plus que militairement. Après le concert de
la paix, après les discussions sur la reconstruction de la cité antique.
Effaçant immédiatement, dans les esprits, la victoire d'Alep. Palmyre
rappelle une réalité presque violente sous cet éclairage: on ne fait pas de grande parade avant la fin de la guerre.
Mais comment "Palmyre" fut possible?
Alors
que pendant le week end, l'aviation russe aide efficacement l'armée
syrienne à repousser l'attaque d'environ 500 terroristes de Daesh contre
Palmyre,
ceux-ci changent de stratégie et se replient vers les quartiers habités
et les zones historiques, que l'aviation ne peut pas pilonner. Par
ailleurs, de très importants renforts, environ 5000 personnes, se
regroupent sur différents fronts et reprennent simultanément l'attaque
des hauteurs stratégiques, des routes d'accès et finalement de la ville
elle-même. L'armée syrienne, devant l'avancée des groupes terroristes,
évacue 80% de la population, les réserves d'armes et les moyens
militaires stockés en vue de l'attaque de Deir ez-Zor et Rakka. Hier
soir, les forces syriennes reconnaissent avoir laissé la ville aux mains
de l'Etat islamique.
D'où viennent ces 5000 terroristes sortis du désert?
Ils
viennent de différents points géographiques, qui ont pour point commun
d'être soi-disant dans les zones de combat de la coalition américaine.
Ils viennent de Deir ez-Zor et Rakka, où la coalition américaine a
décidé depuis une semaine environ de lever le pied, avec l'effet
attendu. Ils viennent également d'Irak, où l'on a vu environ 5000
combattants envoyé vers la Syrie. Rappelons que l'aviation américaine
a, évidemment par erreur, bombardé l'armée irakienne qui combat
justement à Mossul, faisant 90 morts et une centaine de blessés. Les
terroristes ont pu être très efficacement exfiltrés. Le Plan B, réalisé
en urgence suite à la libération d'Alep, a fonctionné à merveille.
Comment ont-ils pu tranquillement traverser le désert?
Pourtant, ce plan n' a pu fonctionné que suite à une série d'erreurs, comme le souligne la presse russe . Ainsi, se pose la question du renseignement:
qui était responsable du renseignement militaire? Parce que faire
traverser le désert, où il est difficile de se cacher des satellites ou
des drones, avec armes et bagages, blindés et autres véhicules et
artillerie lourde, sans se faire remarquer, pose la question non plus de
l'efficacité du renseignement militaire dans la zone, mais de son
existence même.
Et
de remarquer que le plus dangereux est quand une certaine euphorie
gagne les troupes, lorsque l'on ne veut plus voir certains faits,
lorsqu'on les interprète comme l'on aimerait et non comme il se doit. Il est dangereux de célébrer la victoire avant terme.
Palmyre
est un symbole. Un symbole qui est tombé. Il y aura certainement encore
une bataille pour la ville, il est même possible qu'elle soit reprise
et à nouveau libérée, mais l'image ne sera pas rétablie, elle est tombée
avec la ville. Il n'y a victoire qu'une seule fois, c'est pourquoi il est souhaitable qu'elle soit la dernière bataille.
Quelle est cette stratégie "post-moderne"?
La réaction de l'ancien chef d'état major des forces armées russes (2004-2008), le général Yuri Baluevsky, est très révélatrice de la rupture stratégique des guerres dites "post-modernes":
"C'est encore un coup porté au prestige, notamment à notre prestige. Que les combattants n'allaient pas arrêter le combat, c'était évident. Mais ce que nous faisons, nous, aujourd'hui, j'avoue que, comme militaire, j'ai du mal à comprendre, ces pauses humanitaires par exemple ..."
En
effet, je ne me souviens pas de corridors humanitaires lors de la
Seconde guerre mondiale, lors de la guerre du Vietnam, lors de la guerre
l'Algérie ... de corridors par lesquels les gentils ennemis pouvaient sortir, être amnistiés, s'ils laissaient leurs armes. Voire, pouvaient sortir avec leurs armes.
Comme
l'expérience le montre, ils ne se "dissolvent" pas d'eux-mêmes,
naturellement, dans le paysage, ils se regroupent, reprennent les armes
et repartent évidemment au combat.
Le mythe de la fin des guerres "traditionnelles"
Ces "corridors" et autres amnisties viennent du mythe selon lequel, ces
guerres ne sont pas des guerres "traditionnelles", car elles ne se
déroulent pas entre armées régulières d'états souverains, mais entres
des "civils qui ont pris les armes" et des soldats. Donc, les armées régulières n'ont pas le droit de guerroyer de la même manière que contre d'autres soldats.
On
ne tue pas l'ennemi, on négocie. On ne fait pas de prisonniers, on
ouvre des corridors humanitaires. Puisqu'il s'agit simplement de
"civils", certes armés jusqu'aux dents, mais de "civils", certes qui
savent se servir de lance-missils, de l'artillerie lourde, mais des
"civils". Le mythe de David contre Goliath, même si nous sommes très
loins du lance-pierre.
Il
faut donc parlementer avec ces civils, qui doivent, une fois revenus à
la raison, rentrer pacifiquement dans la vie civile et s'occuper de leur
famille et de leur jardin.
Sauf
que ces "civils" sont des combattants entraînés par des professionnels
et que beaucoup d'entre eux ne sont pas syriens. Que ces combattants
sont dans une logique terroriste qui en fait justement des "combattants"
et non d'innocents civils. Les innoncents civils, eux, sont pris en
otage par ces groupes extrémistes pour se protéger de l'armée.
Le mythe des guerres "propres"
Pourtant,
l'Occident a détourné les yeux de ces simples réalités, car il préfère
se voiler la face avec le mythe des guerres propres. Des guerres
technologiques, faites du ciel, avec des drones et des jeux vidéos à
quelques milliers de km des opérations, des guerres déshumanisées menées
par un Occident qui ne veut plus se salir les mains.
Après
les horreurs de la Seconde guerre mondiale (sans même parler du
génocide, l'on n'oubliera pas les milliers de villes et villages brûlés,
des populations massacrées), après les bombes atomiques lancée presque
gratuitement par les Etats Unis sur le Japon, après le Napalm dans la
guerre du Vietnam et toutes le exactions contre les populations civiles,
après les tueries de la guerre d'Algérie, l'on veut des guerre propre,
l'on ne veut plus de guerre. Car une guerre, c'est sale. Par essence. A
la guerre on tue.
Les
populations ont besoin de se sentir lavées, propres, totalement
désinfectées de ces époques "barbares", faites de sang et de chair. Mais
comme les pouvoirs ne peuvent survivre sans guerres, ils vendent des
"guerres propres" à des populations délavées prêtent à ingurgiter pour
avoir l'esprit tranquille.
Ce mythe n'est possible qu'avec un contrôle total de l'information qui:
- conditionne l'opinion publique à accepter les "erreurs" de tirs comme des erreurs regrettables, mais ne remettant pas en cause le bien-fondé de l'action menée et justifiée par leur société,
- bloque toute possibilité d'une transparence de l'information sur ce qui se passe réellement sur le terrain.
Le
problème de la Russie est qu'elle a fait le choix des guerres
"post-modernes" avec corridors et pauses humanitaires, tout en menant
une véritable guerre contre les terroristes sur le terrain, sans pour
autant maîtriser l'espace médiatique, jouant réellement la carte de la
transparence. Par là-même, elle a eu Palmyre et l'urgence de revoir sa
stratégie. Vue la réaction de la presse, le message est passé.