La libération par l’armée syrienne des quartiers
d’Alep-Est encore aux mains des djihadistes a donné lieu dans la presse
française à une étrange inversion des faits, un « négationnisme en temps
réel » destiné à supplanter la réalité par une narration falsifiée qui
entre dans le cadre de la campagne de propagande initiée dés le début du
conflit syrien par les puissances occidentales et visant un changement de
régime.
Avant d’aborder les aberrations de la couverture
médiatique de la libération d’Alep il faut replacer cette dernière dans son
contexte. Alors que les médias – suivant en cela la narrative de l’exécutif
français – ont pris fait et cause pour les « rebelles assiégés »
à Alep-Est par «le régime », il est essentiel de spécifier ce
que sont en réalité ces prétendues « forces d’opposition »
qui agissent à Alep et dans le reste de la Syrie.
Il n’est aujourd’hui plus à démontrer que les forces
« d’opposition » en Syrie sont composées de divers groupes
djihadistes affiliés au Front al-Nosra. Concernant les quartiers Est de la
ville ils étaient tenus très majoritairement par le Front al-Nosra,
filiale d’Al-Qaïda en Syrie. Cette réalité est aujourd’hui largement
documentée, y compris par la télévision
publique française; j’ai déjà consacré plusieurs articles à ce
sujet. Un responsable d’Al-Nosra à Alep a par ailleurs confirmé la collaboration opérationnelle du groupe terroriste avec la
coalition internationale.
Concernant la situation humanitaire désastreuse dans
la partie de la ville aux mains des djihadistes, les témoignages des habitants
libérés par les forces gouvernementales confirment l’instrumentalisation de la
population par les groupes armés. La situation humanitaire a ainsi constitué
pour ces groupes un moyen de chantage privilégié lorsque la situation militaire
a tourné à leur désavantage suite à l’intervention militaire russe en 2015. Ils
ont tout d’abord empêché le passage des convois à destination des zones
occupées, tout en imputant la dégradation de la situation des civils
à Alep-Est aux forces gouvernementales et russes; relayés en cela par leurs soutiens
occidentaux. Ils ont ensuite organisé le trafic de l’aide humanitaire.
Le correspondant militaire Kamel Saker, cité par l’agence russe Sputnik, a ainsi
constaté, après avoir pu accéder à plusieurs quartiers libérés, que les
djihadistes exerçaient de fait un monopole sur la vente des denrées provenant
de l’aide humanitaire, pratiquant des prix 20 fois supérieurs à la normale :
« Ils (les djihadistes) ont proposé eux-mêmes de
gérer l’aide que le gouvernement syrien livrait et maintenant il s’avère que
les gens n’ont rien reçu et que les combattants en ont tiré profit au détriment
des citoyens ».
Pourtant, la libération des quartiers d’Alep-Est, et
de la population utilisée par les terroristes comme bouclier humain, a donné
lieu à une couverture orwellienne de la part des médias français, dont les
grands titres, dans une inversion totalement surréaliste, font l’apologie du
Front al-Nosra.
Le 13 décembre, le journal Le Monde, titre ainsi :
« A Alep, l’écrasement de la rébellion
syrienne »
Pour Le Monde, les terroristes d’Al-Nosra sont
ainsi des « rebelles » qui auront « résisté près de
quatre ans et demi ». Les messages des terroristes, rebaptisés « combattants anti-Assad»
sont relayés dans l’article du Monde; la tonalité est désespérée, la
libération de la ville des djihadistes et de leurs soutiens, étant vécue comme
une catastrophe. C’est donc bien le point de vue de ces
terroristes présentés comme de simples « assiégés » que
privilégie Le Monde. Les témoignages poignants de blessés, de
victimes de bombardements, se succèdent. L’article réussit à créer un réel
sentiment d’empathie en faveur des factions terroristes. Du journalisme
résolument « engagé ».
Cette ligne éditoriale visant à transformer les
terroristes et leurs sympathisants en victimes ou en « assiégés »
des troupes gouvernementales, va être reprise par l’ensemble des médias
français. Il s’agit de créer un sentiment de proximité et d’empathie pour les
« victimes du régime » et de susciter l’indignation contre
l’armée syrienne et son allié russe.
Pour le journal Le Parisien, la libération d’Alep se transforme
ainsi en :
« Une politique de la terre brûlée
inacceptable »
Pour RFI, la libération de la ville devient une
« agonie » :
« A la Une : Alep, agonie en direct »
L’hebdomadaire Le Point délivre directement le point de vue des
djihadistes, sans toutefois en informer ses lecteurs :
« Tout le monde a peur à Alep, de nouveau dans
l’enfer de la guerre »
Pour le journal Libération, la libération de la ville est
carrément une « ignominie » :
« A Alep, une ignominie à laquelle on assiste en
direct »
Le Monde, encore lui, voit dans la défaite des
terroristes qu’il soutient depuis le début du conflit, une tragédie :
« La tragédie d’Alep, le résultat de beaucoup de
lâcheté et d’indifférence »
« Réuni en urgence à la demande de la France, le
Conseil de sécurité de l’ONU a pris acte de l’accord prévoyant l’évacuation
rapide des insurgés de la ville. »
Il s’agit pour le journal, reprenant les propos du
représentant français à l’ONU, de sauver les terroristes soutenus par Paris, et
peut-être leurs conseillers militaires occidentaux ?
Mais pour la machine médiatique, condamner la
libération d’Alep et pleurer les terroristes au nom des principes humanitaires
ne suffit pas, l’emballement pousse toujours plus loin dans la surenchère et
l’apologie et tourne à l’injonction émotive : tous les lecteurs doivent
partager l’indignation.
L’injonction émotive
L’émotion fabriquée par la couverture médiatique a
ainsi débouché sur de multiples manifestations de soutien aux « victimes
d’Alep », elles-mêmes abondamment couvertes par… les mêmes médias qui
les ont suscitées.
Le Figaro : « Paris: manifestation
de soutien aux victimes d’Alep »
Le Parisien : « EN IMAGES. Des
rassemblements dans le monde en soutien à Alep »
L’Express : « La Tour Eiffel
éteinte en signe de soutien à Alep »
France TV : « Alep : plusieurs
centaines de personnes rassemblées à Paris »
RFI : « [En images]
Mobilisations à travers le monde en soutien à Alep »
Cette hyper-couverture médiatique en faveur de la
partie d’Alep tenue par les terroristes, qui ignore la réalité de la
population qu’ils maintenaient en otage, tranche avec le silence entourant
la bataille de Mossoul qui met actuellement aux prises, sur un schéma
strictement identique, l’armée irakienne appuyée par la coalition occidentale
et les factions liées à l’État Islamique retranchées dans la ville.
Comme dans toute campagne d’intoxication massive basée
sur le réflexe émotif et l’injonction à s’indigner, la véritable nature du
« travail » journalistique se dévoile cependant ici ou là, notamment
dans la traque des dissidents et des réfractaires.
Le Nouvel Observateur, jamais en retard lorsqu’il
s’agit de dénoncer les déviances à la bien-pensance
« humanitaire », titre ainsi :
Alep : le silence gênant de François Fillon
« Le candidat Les Républicains, qui n’a jamais
caché sa proximité avec Vladimir Poutine, n’a pas dit un mot de la situation
dramatique dans la ville syrienne. »
Cette injonction à la condamnation, qui rend du coup
le silence suspect, suit en cela la logique totalitaire mise en œuvre après les
attentats contre Charlie Hebdo en imposant à la population française une
« pensée réflexe » au nom de la liberté d’expression, alors-même que
le gouvernement mettait en place de nouveaux outils de censure et de
surveillance de masse, et que les réfractaires à la nouvelle pensée unique
étaient systématiquement ostracisés ou inculpés, notamment sous le chef
d’inculpation d’apologie du terrorisme, et les médias indépendants accusés
d’encourager la sédition en véhiculant et propageant les « théories du
complot », « l’antisémitisme », voire la peste noire…
Ainsi, pour le journal Le Monde :
« La chute d’Alep, c’est la victoire de la
propagande complotiste »
« A l’heure où le régime d’Assad et son allié
russe sont en train de liquider l’opposition syrienne, c’est un récit des
événements falsifié qui est en train de l’emporter, estime l’historienne Marie
Peltier. »
Non, ne riez pas, c’est bien le journal ayant falsifié
la réalité au sujet de la guerre en Syrie et des « groupes
rebelles », qui, par la voix d’une porte-plume, accuse ici les médias
non-alignés qui n’ont cessé de démasquer ses impostures. Toute remise en cause
de la réalité falsifiée depuis 2011 par ce journal est ainsi assimilée
préventivement par Le Monde, dans une inversion accusatoire,
à la propagande et au mensonge, et ce, sans aucune considération pour les faits
réels ; ce qui offre l’avantage de pouvoir les passer sous silence…
Le même procédé d’inversion de la réalité et de
l’accusation est à l’œuvre concernant la « campagne d’adieux » des
« habitants d’Alep » abondamment relayée par les médias. Ces
« adieux » sont présentés ainsi par le journal Ouest France :
« En Syrie, sous les bombes, des habitants
d’Alep-Est lancent une sorte « d’ultime appel à l’aide ». Des vidéos
et messages affluent sur les réseaux sociaux.
Ils s’appellent Bana, Lina, Abdulkai… Désespérés,
souvent à bout, les Syriens d’Alep-Est attendent désespérément que le monde s’intéresse
à leur sort. Depuis deux jours, ces civils, journalistes ou activistes font
leurs adieux sur Twitter, Périscope, Facebook… »
Les messages et vidéos, provenant de sources
proches des terroristes ont pourtant été relayées telles quelles,
sans aucune vérification, par les principaux médias traditionnels et
présentés comme reflétant le point de vue de la population vivant à Alep.
Leurs dires tranchent avec les scènes de joie des civils libérés par
l’armée syrienne, joie relayée uniquement par les médias russes, censurés par
les médias occidentaux qui les assimilent à de la propagande.
Il est pourtant évident que la reconquête d’Alep par
l’armée régulière syrienne a été une libération, au sens propre comme au
figuré, pour les populations civiles prises en otage depuis plusieurs années
par les groupes terroristes.
Alors que, suite à l’élection de Donald Trump, les
médias occidentaux ont relayé les attaques de l’exécutif américain contre les
« Fake News » provenant des réseaux sociaux et ont appelé les
géants du web Google et Facebook à couper la publicité des médias relayant ou
produisant des « fausses informations », la libération d’Alep a été
l’occasion pour ces mêmes médias d’utiliser massivement des comptes sur les
réseaux sociaux comme sources primaires d’information. Ces comptes, dont
l’origine est difficilement vérifiable, appartiennent selon toute vraisemblance
à des activistes proches des groupes salafistes dont ils relayent la
propagande.
Il s’agit par exemple d’Abdulkafi Alhamdo, présenté
par le journal Ouest France comme « enseignant » et
« reporter » à Alep, et qui affirme dans une vidéo postée sur
Twitter et partagée plus de 100 000 fois :
« Nous savons que nous avons été libres. Nous ne
voulions rien d’autre que la liberté. Ce monde ne veut pas de la liberté.
J’espère que vous vous souviendrez de nous. »
Mais de quelle liberté peut parler cet
« enseignant » quand une partie de la population d’Alep-Est
était otage d’Al-Nosra, dont le projet a toujours été de créer un califat
salafiste ?
La diffusion par les médias d’une masse
informations en provenance d’ONG et de clips fournis par des activistes proches
des djihadistes, pose une fois de plus le problème de la qualité du travail
journalistique, notamment leur absence de vérification des sources; et
plus globalement de la couverture médiatique favorable à ces groupes armés
depuis le début de la guerre.
Le parti-pris systématique en faveur des groupes
djihadistes et du front Al-Nosra s’est traduit par un blackout de l’information
concernant les exactions des groupes « rebelles » et une
falsification de leur véritable nature.
L’aveuglement, la russophobie des élites
journalistiques, leur asservissement aux élites politiques – qui peuvent faire
et défaire les carrières et les rédactions – ont abouti à une véritable
catastrophe déontologique, une monstruosité que le journal l’Express résumait ainsi malgré lui et qui fera
office de conclusion : « Alep, tombeau de nos principes »
Guillaume Borel | 15 décembre
2016
Guillaume Borel est un analyste
politique. Il est l’auteur de l’ouvrage Le travail, histoire d’une idéologie – Éditions
Utopia: 2015. Il s’intéresse à la géopolitique, aux questions de
macro-économie, de propagande et de manipulations médiatiques.
Source : Le Nouvel Obs, 14/12/16Ou comment la France a éteint la Tour Eiffel le jour où les derniers Djihadistes ont été chassés d’Alep… Bien sûr “en soutien” des habitants d’Alep – Alep-Est j’imagine, vu que rien n’a été fait pour les milliers de morts civils d’Alep-Ouest…Je propose d’ailleurs, de nouveau, que la loi retire à la mairie la responsabilité de modifier l’apparence du symbole de la France à sa convenance ou pour son agenda politique. Cela devrait résulter d’un vote du Parlement (donc être rare).
C’est Anne Hidalgo qui a annoncé ce soutien, symbolique, à la ville d’Alep en proie aux violences.
La Tour Eiffel sera éteinte mercredi face à la “situation
insupportable” vécue par ses habitants de la ville syrienne, annonce ce
matin la maire de Paris.
La tour emblème de Paris sera éteinte à partir de 20 heures, indique
un communiqué. “Cette mesure symbolique, sur un monument observé dans le
monde entier, vise à interpeller une nouvelle fois la communauté
internationale sur l’urgence à agir”, indique la maire de Paris.
Source : Le Nouvel Obs, 14/12/16============================================