Tare professionnelle, les journalistes sont trop modestes. Ce qui
compte pour eux ce n’est rien d’autre que le combat pour que la vérité
aboutisse, et arrive à temps pour le « 20 heures ». Ainsi la presse a trop peu
évoqué le palmarès du dernier Prix Bayeux, des récompenses attribuées aux «
correspondants de guerre ». Un vocable désuet qui désignait jadis des
journalistes qui tuaient le temps sur les champs de bataille. Je ne comprends
pas la pudeur de mes confrères ? Pourtant cette année le jury s’est
distingué en récompensant, sans hésiter, un compagnon de route du Djihad
mondial. Un choix qui aurait mérité plus de lignes, plus de mots.
L’heureux confrère, primé pour un reportage signé en commun avec
Clarissa Ward de CNN, porte le nom de Bilal Abdul Kareem.
Bilal Abdul Kareem |
Et ce n’est pas
n’importe qui. Né en 1970 à New York, Bilal se rêve d’abord acteur. Plutôt que l’écran,
il crève la faim. Dans sa pérégrination, en 1997, il déménage à Brooklyn, par
hasard près d’une mosquée, et c’est la révélation. Bilal devient un fou de
Dieu. Tant même que certains lui accordent le titre d’imam…
Il passe ses jours et ses nuits entre le Coran et la grammaire
arabe. L’envie de mieux vivre sa vocation le pousse à s’installer au Soudan, à
Khartoum, ville bénite où le Congrès Islamique Mondial a son rond de serviette.
Un peu mieux nourri de religion, Bilal part alors pour l’Égypte. A force
de pratiquer le Tafsir, c’est-à-dire l’exégèse du Livre, il poursuit son chemin
vers la sainteté. D’une sacristie l’autre, le voilà en contact avec les
gardiens des Lieux saints. Une télé saoudienne lui propose un job, il va sans
dire dans une chaine très halal qui vit au rythme de la prière. Hélas, sans
doute sur un désaccord de doctrine, notre confrère quitte la télé et part au
Rwanda pour y tourner un documentaire. Le maniement de la vidéo ne fait pas
oublier les voies du Seigneur au converti. Le 5 novembre 2009 quand, à
l’intérieur du camp de Fort Hodd au Texas, l’officier Nidal Malick Hasan
flingue 13 de ses propres collègues, le vidéaste Bilal -par le biais du
site « Révolution Islamique »- poste une auto interview signée AIM Films.
Le contenu est simple : il approuve la tuerie texane. Pour Bilal le geste de
Hasan est « un acte de guerre et non une action terroriste ou criminelle ».
Dans la foulée de son aspiration à un Djihad mondialisé, il soutient les
rebelles tchétchènes au point que son nom est cité lors d’un procès lié à un
marché d’armes. En 2012 la guerre en Syrie arrive à temps puisque Bilal
se sent pousser, à lui seul, les ailes d’une brigade internationale. Il
s’installe sur le champ de bataille, et assez vite à Alep. Inutile de se laisser
pousser la barbe, il l’a longue depuis des mois.
Là sa maison devient une rédaction tenue par un seul
homme-orchestre, notre courageux confrère photographie, écrit, blogue, filme.
Bilal a la chance d’être le
seul « correspondant » accrédité, supporté par les djihadistes, il a le
monopole. Médusé par cet homme protée, le monde des médias occidentaux
lui passe parfois commande. Avoir des nouvelles fraîches de ces rebelles –coupeurs
de têtes et cannibales forcément modérés – est une chose utile.
En novembre 2015, après les massacres de Paris, en tant que phare de
la pensée islamique, Bilal rend son jugement : « Je ne condamne les crimes
de Paris que si l’on condamne les crimes commis par les tueurs français contre
des musulmans innocents ». Un propos venu du front, assez cohérent, mais
peu fait pour enthousiasmer les rescapés du Bataclan ou les actionnaires de
CNN. Et c’est ainsi
que le Prix Bayeux a été décerné à un compagnon de route de tous les
salafistes, sauf ceux de Daech. Amnesty
International, l’organisation humanitaire qui patronnait ce «
Deuxième Prix catégorie TV », doit être enchantée d’avoir porté des lauriers au
front de ce magnifique filleul.
Décidément l’automne est la période de grande forme pour notre
« correspondant de guerre »… Ne voilà-t-il pas, il y a un an, que Bilal
Abdul Kareem, sur Facebook relié en forum, répond à 29 questions posées par le
web planétaire. Nous nageons là en pleine onction, les mots sont ponctués de
références au Coran et au Prophète. De la rude pensée de Bilal, j’ai extrait le
bonus qui va suivre.
Nous attaquons par une spéculation sur la composition du futur
gouvernement de la Syrie, celui qui sera mis en place par les rebelles qui
prendront Damas. Le lauréat du Prix Bayeux répond : « Le danger serait
alors l’installation d’un nouveau pouvoir qui ne représenterait pas toutes les
forces islamiques ». Pas une syllabe pour les mécréants qui, nous
dit-on, se battent pour l’avènement d’une démocratie sans Allah. A propos du
comportement du groupe Ahrar Asham -une chapelle composée de barbares dont les
chefs sont issus d’Al-Qaïda- notre confrère constate que ses frères-là « ont fait couler plus de sang que
ce que l’on peut imaginer ». Mais que, sans eux la Révolution « ne serait pas où elle en est.
Sans eux elle serait morte ». Bilal Abdul Kareem, le collaborateur
de CNN, apprécie vraiment ces sympathiques guerriers qui forment « un groupe
très influent qui a fait beaucoup pour le peuple syrien ».
A la question posée sur ceux qu’il considère comme de « vrais
moudjahidin », Bilal répond : « Tous les groupes islamiques sauf ISIS
(Daech) ont plus de vertus que de torts. Je ne peux en distinguer un seul
».
A un internaute qui s’étonne de ce que les rebelles de Jaish al
islam exposent sur les places publiques des familles enfermées dans des cages,
le compréhensif confrère répond : « Je ne suis pas d’accord avec eux mais je sais pourquoi ils
ont fait ça. Les bombardements d’Assad et de la Russie transformant leurs
familles en pudding, ils utilisent comme boucliers humains ceux qu’ils
considèrent comme des supporters du régime. Je n’approuve pas mais je
comprends. » Vous avez noté je « n’approuve pas ».
Et Al-Nosra, autre succursale d’Al-Qaïda n’est pas absente dans le
cœur de Abdul Kareem : « Quand ils réussissent, c’est l’ensemble des
factions rebelles qui réussit ».
L’avenir ? Bilal le voit en vert : « Le Syrie est un pays
musulman qui doit être gouverné par des musulmans. Ici la démocratie est une
notion étrangère qui ne peut fonctionner. »… Pourtant, à la place de
Bachar, Hollande, Obama et Cameron nous ont promis la mise en place d’hommes
libres et démocrates… Au terme de la Révolution,
ce sera donc Allah. Allah, et la charia, bien sûr. Une
sainte charia qui n’est pas l’horreur décrite par les Croisés d’Occident.
Mais « qui est d’abord
le moyen de faire adhérer toute la Oumma, le monde islamique, au futur régime
de Damas. Oui les rebelles adoptent et adopteront la charia dès qu’ils auront
repris toute la Syrie ».
Sur l’organisation des groupes islamistes, notre
journaliste-généralissime s’exprime en guerrier. C’est normal. Il se réjouit de
la création d’un comité militaire commun sous l’enseigne de Jaysh Al Fateh, un
parapluie qui n’accueille que des unités ayant prêté allégeance à Al-Qaïda « c’est beaucoup plus efficace ». Comment
les Syriens vivent-ils l’action et la présence de ces groupes armés ?
Très bien : « Les Syriens qui vivent avec Ahrar (milice sponsorisée par
l’Arabie et le Qatar) supportent Ahrar, les autres, s’ils sont dans un secteur
pris en main par Al-Nosra (Al-Qaïda), se comportent de la même façon ».
Ainsi, selon le pigiste de CNN, vivre la guerre à Alep, sous la douce et clairvoyante férule des
salafistes, c’est un temps de bonheur.
Œcuménique, amis de tout barbu, Abdul Kareem a quand même sa
préférence. A lui. C’est Al- Nosra, donc le groupe vassal d’Al-Qaïda. Pour
Abdul Kareem ces gens sont, si l’on peut dire, des types au poil. « Il
gouverne de larges zones de Syrie… Pour différentes raisons il y a des gens qui
n’aiment pas Al-Nosra, mais la réalité est que cette organisation est une part
importante dans le conflit et qu’elle a rendu un grand service au peuple syrien
». Dommage que Ben Laden ne soit plus là pour lire un entretien aussi
revigorant.
« Correspondant de guerre », à contre temps, essentiellement quand
les canons grondent moins, le vénéré Jean-Claude Guillebaud, prince de la
conscience bonne, président du jury de Bayeux versus 2016, a donc eu la main
heureuse en distinguant un journaliste qui est un modèle : engagement total,
courage, abnégation, publication sur supports multiples, notes de frais
ridicules. Finalement ce dont rêve Bolloré (et autres) pour « I Télé ».
Le « correspondant de guerre »
Bilal interviewant le chef jihadiste saoudien opérant en Syrie, Shaykh Abdullah al-Muhaisany |
Source : http://www.afrique-asie.fr/component/content/article/75-a-la-une/10579-la-france-remet-un-prix-de-journalisme-a-un-supporter-d-al-qaida