Seymour Hersch: Commercer avec l’ennemi

Le gouvernement ukrainien, dirigé par Volodymyr Zelensky, a utilisé les fonds des contribuables américains pour payer cher le carburant diesel indispensable pour maintenir l'armée ukrainienne en mouvement dans sa guerre contre la Russie. On ne sait pas combien le gouvernement Zelensky paie par gallon pour le carburant, mais le Pentagone payait jusqu'à 400 dollars par gallon pour transporter de l'essence d'un port du Pakistan vers l’Afghanistan, pendant la guerre américaine qui a duré des décennies.
Ce qui est également moins connu, c'est que Zelensky achète le carburant à la Russie, le pays avec lequel Kiev et Washington sont en guerre.

Il s'avère aussi que le président ukrainien et de nombreux membres de son entourage ont, au passage, mis dans leurs poches des millions de dollars destinés au paiement du carburant diesel. Des analystes de la CIA ont estimé les fonds détournés à au moins 400 millions de dollars en 2022; un autre expert a estimé que le niveau de corruption à Kiev est comparable à celui de la guerre en Afghanistan, "bien qu'aucun rapport d'audit professionnel ne sortira de l'Ukraine".

"Zelensky achète du diesel à prix réduit aux Russes", m'a dit un responsable du renseignement américain bien informé. « Et qui paie le gaz et le pétrole ? C’est Nous. Poutine et ses oligarques y gagnent des millions ».

De nombreux ministères du gouvernement à Kiev ont littéralement «concouru», m'a-t-on dit, pour créer des sociétés écrans pour des contrats d'exportation d'armes et de munitions détournées avec des marchands d'armes privés du monde entier, qui   offrent des pots-de-vin. Beaucoup de ces entreprises se trouvent en Pologne et en Tchéquie, d'autres existent dans le Golfe Persique et en Israël. "Je ne serais pas surpris d'apprendre qu'il y en a d'autres dans des endroits comme les îles Caïmans et Panama, et qu'il y a beaucoup d'Américains impliqués", m'a dit un expert américain du commerce international.

La question de la corruption a été directement soulevée avec Zelensky lors d'une réunion en janvier dernier à Kiev avec le directeur de la CIA, William Burns. Son message au président ukrainien, m'a dit un responsable du renseignement ayant une connaissance directe de la réunion, était tiré d'un film de gangsters des années 1950. Les généraux supérieurs et les responsables gouvernementaux à Kiev étaient furieux contre ce qu'ils considéraient comme la cupidité de Zelensky, a déclaré Burns au président ukrainien, car "il prenait une plus grande part de l'argent écrémé que ce qui allait aux généraux".

Burns a également présenté à Zelensky une liste de trente-cinq généraux et hauts fonctionnaires dont la corruption était connue de la CIA et d'autres membres du gouvernement américain. Zelensky a répondu à la pression américaine dix jours plus tard en limogeant publiquement dix des responsables les plus ostentatoires de la liste et en ne faisant rien d'autre. "Les dix dont il s'est débarrassé se vantaient effrontément de l'argent qu'ils avaient - en faisant le tour de Kiev dans leur nouvelle Mercedes", m'a dit le responsable du renseignement.

La réponse timide de Zelensky et le manque d'intérêt de la Maison Blanche ont été considérés, a ajouté le responsable du renseignement, comme un autre signe d'un manque de leadership qui conduit à une "rupture totale" de la confiance entre la Maison Blanche et certains éléments de la communauté du renseignement. Un autre problème qui divise, m'a-t-on dit à plusieurs reprises dans mes récents reportages, est l'idéologie véhémente et le manque de compétence politique dont font preuve le secrétaire d'État, Tony Blinken, et le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan. Le président et ses deux principaux conseillers en politique étrangère "vivent dans des mondes différents" de ceux des diplomates expérimentés et des officiers militaires et de renseignement affectés à la Maison Blanche. «Ils n'ont ni expérience, ni jugement, ni intégrité morale. Ils racontent des mensonges, inventent des histoires. Le déni diplomatique est autre chose », a déclaré le responsable du renseignement. "Cela doit être dit et su."

Un éminent diplomate américain à la retraite qui s'oppose vigoureusement à la politique étrangère de Biden envers la Chine et la Russie a dépeint Blinken comme un peu plus qu'un "membre du Congrès survolté" et Sullivan comme "un directeur de campagne politique" qui se retrouve soudainement propulsé au centre de la diplomatie (d’un pays puissant) « sans empathie pour l'opposition. Ce sont des politiciens décents », a-t-il ajouté, « mais maintenant nous avons le monde politique et énergétique à l'envers. La Chine et l'Inde vendent maintenant de l'essence raffinée au monde occidental. C'est juste du business. »

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"Il y a une rupture totale entre les dirigeants de la Maison Blanche et la communauté du renseignement", a déclaré le responsable du renseignement. La rupture remonte à l'automne, lorsque, comme je l'ai signalé début février, Biden a ordonné la destruction secrète des pipelines Nord Stream dans la mer Baltique. "La destruction des pipelines Nord Stream n'a jamais été discutée, ni même connue à l'avance, par la communauté du Renseignement", a déclaré le responsable. « Et il n'y a pas de stratégie pour mettre fin à la guerre. Les États-Unis ont passé deux ans à planifier l'invasion de la Normandie pendant la Seconde Guerre mondiale. Qu'allons-nous faire si la Chine décide d'envahir Taïwan ? ” Le responsable a ajouté que le Conseil national du renseignement n'a pas encore ordonné d'estimation sur la défense de Taïwan contre la Chine, qui fournirait des conseils en matière de sécurité nationale et de politique au cas où cela se produirait. Il n'y a pas encore de raison, malgré les provocations politiques américaines répétées des démocrates et des républicains, a déclaré le responsable, de soupçonner que la Chine a l'intention d'envahir Taïwan. Elle a investi des milliards en construisant sa très ambitieuse initiative Ceinture et Route visant à relier l'Asie de l'Est à l'Europe et à investir dans les ports maritimes du monde entier. "Le fait est", m'a dit le responsable, "il n'y a plus de processus NIE (National Intelligence Estimate ) fonctionnel.

 “ Le problème, c'est Biden et ses principaux lieutenants – Blinken et Sullivan et leur cour d'adorateurs – qui considèrent ceux qui critiquent Zelensky comme étant pro-Poutine. Nous sommes contre le mal. L'Ukraine se battra jusqu'à ce qu'au dernier obus militaire. Et voici Biden qui dit à l'Amérique que nous allons nous battre aussi longtemps qu'il le faudra. ”

Le responsable a cité le déploiement peu connu et rarement discuté, autorisé par Biden, de deux brigades avec des milliers de soldats des meilleures unités de combat de l'armée américaine dans la région. Une brigade de la 82e division aéroportée s'est entraînée et exercée intensivement depuis sa base en Pologne à quelques kilomètres de la frontière ukrainienne. Elle a été renforcée à la fin de l'année dernière par une brigade de la 101e division aéroportée déployée en Roumanie. Les effectifs réels des deux brigades, lorsque les unités administratives et de soutien - avec les camions et les chauffeurs qui transportent le flux constant d'armes et de matériel militaire circulant par mer pour maintenir les unités prêtes au combat - pourraient totaliser plus de 20.000 personnes.

Les responsables du renseignement m'ont dit qu'"il n'y a aucune preuve qu'un haut fonctionnaire de la Maison Blanche sache vraiment ce qui se passe dans la 82e et la 101e. Sont-ils là dans le cadre d'un exercice de l'OTAN ou pour servir avec des unités de combat de l'OTAN si l'Occident décide d'engager contre des unités russes à l'intérieur de l'Ukraine ? Sont-ils là pour s'entraîner ou pour être un déclencheur ? Les règles d'engagement disent qu'ils ne peuvent pas attaquer les Russes à moins que nos garçons ne soient attaqués. ”

"Mais les juniors dirigent le spectacle ici", a ajouté le responsable. "Il n'y a pas de coordination du NSC et l'armée américaine se prépare à entrer en guerre. On ne sait pas si la Maison Blanche sait ce qui se passe. Le président est-il allé voir le peuple américain avec une émission informative sur ce qui se passe ? Les seuls briefings que la presse et le public reçoivent aujourd'hui proviennent des porte-parole de la Maison Blanche.

« Ce n'est pas seulement un mauvais leadership. Il n'y AUCUN leadership. Zéro." Le responsable a ajouté qu'une équipe de pilotes de combat ukrainiens est maintenant formée ici en Amérique pour piloter des avions de combat F-16 de fabrication américaine, dans le but, si nécessaire, de voler au combat contre les troupes russes et d'autres cibles à l'intérieur de l'Ukraine. Aucune décision concernant un tel déploiement n'a encore été prise.

Les déclarations les plus claires de la politique américaine ne sont pas venues de la Maison Blanche, mais du Pentagone. Le général d'armée Mark A. Milley, président de l'état-major interarmées, a déclaré le 15 mars dernier à propos de la guerre : “ La Russie reste isolée. Leurs stocks militaires s'épuisent rapidement. Leurs soldats sont des conscrits et des condamnés démoralisés, sans formation, sans motivation, et leur leadership leur fait défaut. Ayant déjà échoué dans ses objectifs stratégiques, la Russie s'appuie de plus en plus sur d'autres pays, comme l'Iran et la Corée du Nord. . . . Cette relation est construite sur les liens cruels de la répression de la liberté, de la subversion de la liberté et du maintien de leur tyrannie. . . . L'Ukraine reste forte. Les soldats ukrainiens sont . . . forts dans leurs unités de combat. Ils sont compétents et entraînés. Leurs chars, leurs véhicules de combat d'infanterie et leurs véhicules blindés ne feront que renforcer la ligne de front. ”

Cette déclaration prouve que Milley est aussi optimiste qu'idiot [1]. On m'a dit qu'il y a deux mois, les chefs d'état-major avaient ordonné aux membres de l'état-major – l'expression militaire est « chargé » – de rédiger un traité de fin de guerre à présenter aux Russes après leur défaite sur le champ de bataille ukrainien.

Si le pire devait arriver pour l'armée ukrainienne en sous-effectif et en sous-armement dans les prochains mois, les deux brigades américaines uniront-elles leurs forces aux troupes de l'OTAN et affronteront-elles l'armée russe à l'intérieur de l'Ukraine ? Est-ce le plan, ou l'espoir, du président américain ? Est-ce la conversation au coin du feu qu'il veut donner ? Si Biden décide de partager ses réflexions avec le peuple américain, il voudra peut-être expliquer ce que deux brigades de l'armée, entièrement dotées en personnel et approvisionnées, font si près de la zone de guerre.

NOTES

[1] Tucker Carlson de Fox News a qualifié l'officier le plus haut gradé de l'armée américaine, le général Mark Milley de "stupide" pour avoir déclaré qu'il lisait une variété d'auteurs et voulait comprendre la "rage blanche".
Carlson a ri avec mépris après avoir diffusé un clip de Milley s'exprimant devant une audience du House Armed Services Committee et expliquant son intérêt à étudier la rage blanche pour mieux comprendre l'émeute meurtrière au Capitole le 6 janvier.
"Ce n'est pas qu'un porc", a déclaré Carlson à propos de Milley, qui a été nommé à son poste par le président de l'époque, Donald Trump. "Il est stupide ."

Quant à Donald Trump, il a qualifié Mark Milley de "putain d'idiot", dans  un discours après le dîner devant un groupe conservateur dînant à Mar-a-Lago, et dans lequel il a qualifié les médias américains de "bâtards véreux" .

 

Trump a pris pour cible Milley, alors qu'il discutait avec lui du retrait chaotique de l'armée américaine d'Afghanistan, en disant: «Je n'oublierai jamais que Milley m'a dit:« Monsieur, monsieur. C'est moins cher de laisser l'équipement que de l'apporter. ""
Trump a dit qu'il a demandé:" Vous pensez qu'il est moins cher de le laisser là-bas pour que les talibans puissent l'avoir,  que de remplir   un demi-réservoir d'essence et de le faire voler au Pakistan ou le ramener dans notre pays ? » Et Milley de lui répondre: "Oui, monsieur, nous pensons que c'est moins cher, monsieur." Trump a dit, avec des éclats de rire de l’assistance, "C'est là que j'ai réalisé que c'était un putain d'idiot."

 

Hannibal Genséric