samedi 17 octobre 2015

Algérie. Massacre du 17 octobre 1961 à Paris. Le crime d’Etat d’une métropole coloniale

Mardi 17 octobre 1961. Paris. Au petit matin. Les hommes de Maurice Papon, préfet de police de Paris, se tiennent prêts, plus que jamais, à dégainer le flingue et la matraque. Ce jour là, les Algériens de métropole, pour la plupart concentrés dans les usines parisiennes s’apprêtent à manifester pour la première fois dans les rues de la capitale. Manifestation préparée en secret, contre le couvre-feu raciste décrété à l’encontre des nord-africains (Algériens, Marocains et Tunisiens). A l’appel du FLN, ils vont affronter, de manière massive et pacifique, les escadrons de la police française, pour revendiquer leur droit à l’indépendance de leur territoire national, l’Algérie encore maintenue sous domination coloniale française. Véritable massacre, dénié par l’histoire officielle, censuré au point d’être maintenu dans l’oubli durant de longues années, la répression de masse qui s’abat sur les manifestants ce jour-là est d’une rare violence.


La manifestation du 17 octobre 1961 est le pendant métropolitain de la guerre d’Algérie et l’expression de toute la violence de l’Etat français pour maintenir sa domination raciste et impérialiste. Son chef d’orchestre : Maurice Papon, ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde sous le gouvernement de Vichy, collaborationniste et organisateur de rafles de juifs. Il a été choisi pour l’occasion. Reconnu pour son « efficacité », on sait, au sein de l’appareil d’Etat, et au premier chef de Gaulle qui l’a nommé à son poste, qu’il ne fait pas dans la dentelle quand il s’agit d’exécuter les ordres.
Paris. Quais de la Seine. 1961

Depuis août 1961 déjà, la répression s’intensifiait à l’encontre des Algériens, et de quiconque, tunisien, portugais, marocain, italien, a la peau plus foncée et le cheveu brun et bouclé. Plus forts que jamais étaient les rafles, les chiens, les coups, les « ratonnades » comme les porteurs de matraques aiment à les appeler… Le FLN décide fin août de reprendre sa campagne d’attentats en métropole, abandonnée pourtant depuis plusieurs semaines à cause des négociations entre le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la République Algérienne (GPRA). Arrestations, contrôles arbitraires, descentes dans les lieux de vie des populations maghrébines et rafles n’ont jamais été aussi systématiques. Le fait que les flics ne fassent aucune différence entre Maghrébins, a forgé dans la douleur et la lutte à la base l'unité maghrébine. Algériens, Marocains et Tunisiens subiront le même sort en ce jour du 17 octobre 1961, qu'ils soient manifestants ou simples passants se trouvant par hasard sur le chemin d'une flicaille ultra raciste.  
L’offensive policière prend place dans les rues, les bus et le métro parisiens. 
Pour Papon, « pour un coup rendu, nous en porterons dix ». Le quartier de la Goutte d’Or dans le 18ème arrondissement est particulièrement visé. En septembre, les noyés. Chaque jour ou presque. Latia Younes, Salat Belkacem, Ouiche Mohammed, Mohammed Alhafnaouissi, et bien d’autres encore dont certains ne seront jamais identifiés. A partir du 2 octobre, un couvre-feu anti-arabe est installé : celui qui l’enfreint risque une mort certaine. C’est la stratégie de la tension qui est choisie par De Gaulle et son fidèle premier ministre, Michel Debré, partisan de l’Algérie française, qui compte ne rien perdre du rapport de force et profite de la répression pour maintenir au sein du territoire français la région du Sahara, zone qui révèlera par la suite ses richesses pétrolifères et gazières, sans compter les installations nucléaires françaises.

Dans ce contexte là, la résistance des Algériens de métropoles s’organise, mais avec un changement de stratégie. Face à la répression, il faut s’unir. Les Algériens, encadrés par le puissant appareil du FLN choisiront la manifestation et la démonstration de force par le nombre. Celle-ci vise l’opinion publique. Les consignes sont de ne céder à aucune provocation et à aucune violence. Trois itinéraires sont choisis et le mot s’est répandu parmi la population algérienne. Aux portes de Paris, aux stations Étoile, Opéra, Concorde, Grands Boulevards, les manifestants sont systématiquement matraqués jusqu’à ce qu’ils s’effondrent. Sur le boulevard Bonne-nouvelle, au pont de Neuilly, au Pont-Neuf d’Argenteuil et ailleurs, la police tire sur les manifestants. Sur le Pont saint Michel, des hommes sont jetés à la Seine.

Ce jour là, plus de 10.000 Algériens sont interpellés et internés au Palais des Sports, au Parc des expositions, au Stade de Coubertin, au centre d’Identification de Vincennes pendant près de 4 jours. Les autorités françaises qui s’en tiennent à la version d’un échange de tirs entre policiers et manifestants déplorent 3 morts. Pour le FLN, ils seraient plusieurs centaines à être décédés sous les coups de la police française aux ordres du criminel pro nazi Maurice Papon, pour avoir osé crier et revendiquer le droit à l’égalité, à l’auto-détermination et à la dignité.
Maghrébins arrêtés à Puteaux (région parisienne) le 17/10/1961

« Liberté, Égalité, Fraternité » répètent en boucle depuis ces sombres temps présidents et gouvernants, y compris ceux qui se satisfont encore aujourd’hui des « bienfaits du colonialisme ». Mais qui est encore dupe ? Nous n’oublierons jamais Malik Oussekine assassiné par les voltigeurs de Pasqua en 1985. En février 2005 la droite fit même passer à l’assemblée une loi insistant sur la nécessité de mettre en valeur « l’aspect positif de la colonisation » dans les livres d’histoire. Avec le temps, rien n’a changé. Aujourd’hui encore la justice donne toute l’impunité à ses policiers : elle a refusé il y a peu de reconnaitre la qualité de meurtre à la mort en 2005 de Zyed et Bouna, il y a 10 ans. Malgré les 54 ans qui nous séparent de ce véritable pogrom orchestré par l’Etat français à l’encontre de la population algérienne en métropole, il y a toujours des voix au sein de la classe politique pour contester la nature des faits. Ainsi, en 2012 où pour la première fois le massacre a été reconnu, quoique bien du bout des lèvres, par l’État français en la personne de François Hollande, les Gaino et Sarkozy refusaient « l’engrenage de la repentance ». Ce discours n’exprimait par seulement la crainte de voir les deniers publics aller à l’indemnisation des familles des victimes, mais surtout de voir s’affirmer le caractère raciste de la République française, aujourd’hui comme fauteuse d’oppression et de domination des autres peuples, comme en Syrie et en Afrique tout particulièrement, qu’elle continue de rançonner ou d’agresser militairement, quand ils ne sont pas gouvernés par des dictateurs à sa botte.

A l’heure de la chasse aux Roms et aux migrants, d’un racisme d’Etat dorénavant justifié par la « guerre au terrorisme », ce massacre doit être encore et toujours rappelé et condamné, et ce samedi 17 octobre 2015, l’occasion de se rassembler pour cela. A Paris, ce sera à 17h30 au Pont Saint-Michel.

Yano Lesagehttp://www.revolutionpermanente.fr/Massacre-du-17-octobre-1961-le-crime-d-Etat-d-une-metropole-coloniale

Combien de morts le 17 octobre 1961 ?

Deux morts, selon la version officielle
« Deux morts, 44 blessés graves, 7 500 Nord-Africains arrêtés », titre Le Figaro au lendemain de la manifestation, citant des chiffres de la préfecture de police.


1991 : 200 morts, selon Jean-Luc Einaudi

En 1991, l’historien Jean-Luc Einaudi publie « La Bataille de Paris, 17 octobre 1961 » (éd. Seuil), première enquête d’importance sur cette nuit tragique. Il évoque 200 morts liés à la violence policière, qu’il a recensés sur la base des archives du FLN et de témoignages français et algériens. Mais il ne précise pas très clairement sur quelle période ont eu lieu ces morts.

Plus tard, Einaudi complètera sa liste, estimant le nombre d’Algériens victimes de violences policières à 325, sur la période septembre-octobre 1961.



1997 : 40 à 50 morts, selon la commission Mandelkern


Jusqu’en 1997, le secret prévaut. Les archives sont fermées. Pendant le procès Papon, le ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement charge une commission, présidée par le conseiller d’Etat Dieudonné Mandelkern, d’examiner les documents de la police.


Après plusieurs semaines d’enquête, elle conclut qu’il y a eu « quelques dizaines » de morts cette nuit à Paris. La commission n’a été en mesure de ne dresser qu’une liste de sept noms, mais fait état de 25 morts algériens arrivés à l’institut médico-légal. En rendant son rapport, Mandelkern précise toutefois :


« Nous considérons qu’il faut plutôt majorer ce chiffre. On peut arriver jusqu’à 40, voire 50 victimes, sans doute pas plus. »


1998 : plus de 48 morts, selon la commission Geronimi
Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, crée une seconde commission d’enquête dirigée par le juge à la Cour de cassation Jean Geronimi. Elle est en mesure d’affirmer qu’au moins 48 personnes furent tuées les 17 et 18 octobre. Mais selon Géronimi :
« [Ce chiffre est] très vraisemblablement inférieur à la réalité, dans la mesure où l’on n’a pas la certitude que tous les corps immergés, particulièrement nombreux à cette époque, ont été retrouvés et dans la mesure, aussi, où des cadavres ont pu être transportés encore plus en aval de la Seine, jusque dans les ressorts d’Evreux, voire de Rouen, dont les archives conservées sont trop lacunaires pour être exploitées. »


1999 : 30 à 50 morts, selon l’historien Brunet
Un historien, Jean-Paul Brunet, professeur à l’ENS, est autorisé à se plonger en mai 1998 dans les archives. Il part du principe que les policiers ou ministres ont rapporté les faits, dans leurs rapports, avec sincérité. Il s’appuie beaucoup sur les archives de la police, peu sur celles du FLN.
Son estimation pour la nuit du 17 octobre : 30 à 50 morts.
« Au total, l’ordre d’idée qu’on peut retenir comme hypothèse provisoire varierait entre une trentaine –- chiffre qui nous semble le plus vraisemblable –- et une cinquantaine de morts, la probabilité diminuant à nos yeux à mesure que l’on monte entre les deux limites de la “fourchette”. »
Il critique alors vertement Einaudi et son évaluation de 200 Algériens tués. Mais le travail de Brunet est très contesté.


2006 : « bien plus » de 120 morts en deux mois, selon deux historiens anglais
Deux historiens britanniques, Jim House et Neil MacMaster, ont eu droit à un accès illimité aux archives de la préfecture de police, celles qui concernent la guerre d’Algérie occupant 200 cartons de documents.
Ils examinent chaque document et, prenant le contrepied de Brunet, constatent qu’un « processus systématique et presque général de falsification a bel et bien été mis en œuvre lors de la préparation des documents et des dossiers relatifs aux Algériens assassinés ». Autrement dit, Brunet est loin du compte avec sa trentaine de morts.
Les deux historiens refusent cependant de donner une estimation du nombre d’Algériens tués cette nuit-là. Ils s’agacent d’ailleurs de la bataille de chiffres franco-française :

« La recherche et le débat historique concernant les événements de 1961 feraient de grands progrès si l’on s’attachait à attribuer une échelle de temps précise à toute quantification du nombre de victimes. »


Ils analysent pour leur part la crise de 1961 « comme un cycle de deux mois connaissant son pic le plus visible dans la nuit du 17 octobre ».
Conclusion des deux auteurs, après avoir confronté toutes les sources :

« En septembre et octobre, bien plus de 120 Algériens furent assassinés par la police en région parisienne ; ce chiffre doit être comparé aux estimations de Linda Amiri (environ 130), du FLN (200) et d’Enaudi (200), qui ont été attribuées de façon erronée à la seule nuit du 17 octobre. »

Témoignage

La plupart des gens ignorent l’existence de ce massacre ; au mieux le confondent-ils avec celui du Métro Charonne, commis quelques mois plus tard (février 1962), et qui a fait 8 morts - avec, dans le rôle des assassins, les mêmes protagonistes.
Mais ce qui s’est passé le 17 octobre 1961 est différent par l’ampleur du massacre : les historiens les plus sérieux estiment que le nombre des victimes se situe entre deux et trois cents. Pour comprendre comment cela a pu arriver, il faut de se replacer avant le 17 octobre.
Quelques mois avant le drame, le FLN avait exporté le conflit algérien sur le sol français pour maintenir la pression sur la délégation française lors des négociations. Leurs opérations consistaient en l’assassinat de policiers connus pour leurs exactions sur des militants ou des sympathisants du FLN.
Face à cette "guerre ouverte", les policiers prirent les choses en main : dès le mois de septembre 1961, ils formèrent, en toute illégalité mais avec l’accord de leur préfet, Maurice Papon, des "escadrons de la mort" : les policiers allaient, le plus souvent à une dizaine, chercher des Maghrébins, les matraquaient et les jetaient dans la Seine. D’après la préfecture, malgré les plaintes déposées par les rescapés, ce n’étaient que des règlements de compte entre fractions rivales du FLN.
Manifestation pacifique contre répression sanglante
Dans ce contexte extrêmement tendu, Papon ne trouva rien de mieux à faire que d’imposer un couvre-feu aux seuls Algériens et Français d’Algérie. Face à cette mesure raciste, la Fédération française du FLN décide d’organiser, le 17 octobre 1961, une manifestation pacifique rassemblant, à différents endroits de Paris, non seulement des hommes, mais aussi des femmes et des enfants.
C’est une foule immense de gens en habits du dimanche qui arrive à Paris depuis les bidonvilles de la banlieue parisienne, pour protester pacifiquement. Les consignes étaient claires : pas d’armes. Mais ceux qui les attendent n’ont aucune intention pacifique, au contraire.
Dès la sortie du métro, à l’Étoile, sur les Grands Boulevards, les manifestants sont pris en charge par les forces de l’ordre : arrêtés, souvent matraqués, ils sont conduits dans des bus de la RATP réquisitionnés pour l’occasion, et conduits par des agents de la Régie.
Boulevard St. Michel, dans le Quartier Latin, les policiers mènent une vraie “guérilla” contre les manifestants. Ces derniers sont poursuivis jusque dans les ruelles du quartier Saint Séverin et les halls d’immeubles où ils sont matraqués, inlassablement, puis jetés dans la Seine. Les mêmes scènes se passent partout dans Paris et sa proche banlieue : matraquage jusqu’à la perte de connaissance, puis mise à l’eau. Si vous étiez quelque peu bronzé, vous y passiez : Roms, Maghrébins et autres "ratons" font partie de ce qu'on appelle pudiquement des "bavures" et que les gens du cru appellent "ratonnades".
Cet acharnement policier ne se cantonne pas à la manifestation elle-même ; elle se prolonge jusque dans la cour de sûreté de la Préfecture de Police de Paris et dans les camps d’internements improvisés : au Palais des Sports et au Parc des Expositions. Dans tous ces endroits, le scénario est immuable. Les cars de police et les autobus arrivent chargés de manifestants. A la sortie des véhicules, deux rangées de policiers attendent leurs victimes. Dès que les portes s’ouvrent, on pousse les manifestants à l’extérieur ; les policiers les frappent alors à la tête à l’aide de nerfs de bœufs, de planches cassées, de matraques. Ensuite, on les dépossède de toutes leurs affaires, de la montre au portefeuille en passant par les papiers d’identité. Emprisonnés, sans soins, ils sont frappés à loisir par les forces de l’ordre déchaînées. C'était aussi ça, la France. Ne l'oublions pas. Cela risque de se reproduire à n'importe quel moment.
Hannibal GENSERIC