L'OTAN dénonce une escalade de la Russie et l'accuse de ne
pas bombarder des positions de Daech mais de l'armée syrienne libre.
Peut-on mesurer l'implication réelle de la Russie ?
Il faudrait revenir en amont. Le président Obama avait dit en janvier
«je n'ai pas de stratégie». Il n'en a pas parce qu'il n'arrive pas, et
les Occidentaux avec lui, à éclaircir la situation et à poser les bonnes
questions.
Et Poutine a répondu clairement : il s'agit de combattre l'islamisme
parce qu'il se répand au Moyen-Orient via l'État islamique et d'autres
groupes ; au Maghreb et en Afrique ; en Asie centrale et dans les
franges sud de la Russie voire en Chine. Donc Poutine a répondu à cette
question à laquelle l'Occident à des difficultés à répondre car tout
s'imbrique. On sait très bien dès le départ que des groupes islamistes
sont soutenus par des alliés de l'Occident comme la Turquie ou les pays
du Golfe, ce qui pose un problème.
La 2e question qu'on se pose en stratégie :
qu'est ce qui unit ou
peut diviser mon ennemi ? En apparence, certains disent que les
islamistes sont déjà divisés : Al Nostra, Daech, etc. Ce qu'il faut se
poser comme question c'est aussi qu'est-ce qui les unit ? Et c'est
l'idéologie islamiste qui est la plus forte et qui a été valorisée par
l'État islamique.
Si l'on se rappelle, Al Qaïda c'était «je suis contre l'Occident à
coup d'attentats». L'État islamique c'est «je construis une entité
islamique dans laquelle je vais appeler ensuite tous les musulmans.»
La stratégie d'Abou Bakr al-Baghdadi, le calife, est simple. Il l'a
énoncée à Mossoul dans la grande mosquée en 2014 : unifier le monde
islamique dans un califat ; et conquérir Rome c'est-à-dire le monde
occidental. Il veut restaurer le califat dans le territoire mythique
d'el-Cham qui correspond à l'Irak et à la Syrie – ce qu'il a fait en
partie – avec deux capitales alternatives Bagdad et Damas…
Il faut avoir tout cela à l'esprit pour déterminer le centre de
gravité de l'État islamique qui est Damas. Si les islamistes conquièrent
Damas, il y aura une onde de choc mondiale. Damas serait, militairement
parlant, impossible à reprendre car il faudrait y aller par des combats
terrestres. Or il y a 4 millions d'habitants au sein desquels se
fondraient des islamistes…
Quels objectifs pour Poutine ?
Je pense que Poutine veut certes protéger Assad, les mers chaudes et
son influence au Moyen-Orient, mais il veut surtout donner un coup
d'arrêt à l'islamisme qui mite le sud de la Russie, avant que la chute
de Damas ne renforce le calife al-Baghdadi et permette à tous les
groupes islamistes de rejoindre l'État islamique.
Face à la stratégie claire de Poutine, quelle peut être la position de l'Occident, de l'OTAN et de la France en particulier ?
On a du mal à voir parce que tous ces pays n'arrivent pas à se poser
les bonnes questions et ne répondent toujours pas à la fameuse question
de Foch de quoi s'agit-il ? En 2013, on se
demandait s'il fallait punir Bachar pour l'utilisation d'armes
chimiques, mais ce n'est pas une vision politique. Les avions russes ont
fait récemment une brève incursion dans l'espace aérien turc et l'OTAN
fait une réunion pour discuter de ça… De mon point de vue, ce n'est pas
sérieux.
Poutine a réussi à mettre en place un système de coordination entre
les gouvernements irakien, iranien et syrien. Il a mis en place une
tactique qui coordonne une attaque au sol de l'armée syrienne et des
frappes aériennes, chose que n'a jamais pu faire l'OTAN. D'une part
parce que les Kurdes ne veulent pas sortir de leurs frontières
naturelles et d'autre part parce que l'armée irakienne sunnite défaite à
Mossoul est incapable d'agir. Aujourd'hui, les Kurdes se demandent si
finalement il ne vaudrait pas mieux travailler avec la Russie, car c'est
le seul pays qui a une vision claire.
C'est la première fois que des troupes russes et américaines sont sur le même théâtre d'opération. Est-ce un risque ? Certains évoquent une 3e guerre mondiale.
Quand on évoque la 3e guerre mondiale on imagine que les États-Unis
vont se battre contre la Russie et vice-versa. C'est de la folie. Il
faut que l'OTAN et les États-Unis conservent leurs nerfs. Je crois que
derrière tout cela, il y a quand même des discussions. Les États-Unis
ont envie de discuter avec la Russie qui finalement fait le job qu'on
leur demandait de faire depuis longtemps…
Il faut que tout le monde garde son calme. Si l'objectif est de vaincre l'islamisme, il faut utiliser les moyens et les alliés ad hoc.