La bataille qui se préparait suspendait non seulement Démétrius
et Ptolémée, mais aussi tous les autres princes, dans l'attente des
événements qui devaient en être la suite et qui étaient fort incertains.
Toutefois, chacun pensait que le succès ne se bornerait pas à rendre le
vainqueur maître de la Syrie, mais qu'il en ferait le plus puissant des
rois.
Ces paroles de Plutarque, narrant une bataille d'il y a 23 siècles,
pourraient être écrites aujourd'hui tant l'humanité, les pays et les
peuples reproduisent à l'infini les mêmes schémas. Si les généraux
d'Alexandre ont laissé la place à Poutine, Obama, Xi, Erdogan ou
Rouhani, la Syrie demeure la pierre angulaire. L'histoire à la remorque
de la géographie et de la stratégie en quelque sorte...
Et il s'en passe des choses passionnantes sur cette pierre angulaire !
La grande, l'étonnante nouvelle du jour est la probable participation
chinoise aux frappes russes. D'après Debka,
site israélien proche du Mossad et généralement très bien informé,
Pékin a fait savoir à Moscou que ses chasseurs-bombardiers J15, à bord
du porte-avion Liaoning actuellement au large des côtes syriennes, se
joindraient bientôt aux Sukhoïs. Internationalisation de la coalition
russe, donc sa légitimation (beaucoup plus difficile pour les officines
occidentales de faire du Xi-bashing que du Poutine-bashing). Voilà qui va donner des sueurs glacées aux Euro-atlantiques...
Comme si ça ne suffisait pas, Bagdad aurait formellement proposé aux
Russes d'utiliser la base d'Habbaniyah pour leur campagne aérienne
contre l'EI et autres djihadistes. Là où cela devient franchement
pittoresque, c'est que les Russes partageraient cette base avec... les
Américains ! Le lieu est en effet également utilisé par les forces
états-uniennes pour leurs opérations. Je ne sais pas si le facétieux
premier ministre irakien mesure l'ironie de la chose mais cela risque de
faire grincer quelques dents parmi les pilotes de l'US Air Force.
Moscou n'a pas encore donné sa réponse et doit actuellement peser le
pour et le contre.
- Avantage : une enclave militaire en Irak, au cœur du Moyen-Orient,
après celles de Tartous et Lattaquié en Syrie ; aucun dirigeant russe
n'aurait pu rêver pareille occasion. En passant, une nouvelle gifle aux
Américains, la signification étant à peu près celle-ci : vous avez été incapables d'assurer la défense de l'Irak, faites-nous place maintenant. Le message risque de se répercuter longtemps dans les chancelleries moyen-orientales...
- Inconvénient : l'intervention russe prendrait une tout autre
ampleur et coûterait beaucoup plus cher. Vladimirovitch a déjà un peu de
mal à convaincre l'opinion publique russe, majoritairement hostile, de la nécessité d'intervenir en Syrie, alors l'Irak...
On attend la réponse du Kremlin avec impatience, mais une chose est sûre : c'est un possible game changer supplémentaire au Moyen-Orient, qui en compte déjà beaucoup ces derniers jours.
Est-ce donc un hasard si le bourrage de crâne reprend de plus belle dans la presse aux ordres
(chut, ne tirons pas sur une ambulance) occidentale ? Les
propagandistes ne sont certes pas à une contradiction près. Les journaux
nous expliquaient la semaine dernière que les Etats-Unis n'avaient
réussi à former que quelques rebelles syriens modérés et arrêtaient par
conséquent leur programme qui tournait au fiasco. Et là, soudain, les
mêmes journaux nous affirment sans rire que les Russes ont retrouvé en
24 h, pour les bombarder, ces fameux groupes de "rebelles modérés" que
tout le monde cherchait depuis des années... Pitoyable de bêtise.
Dans le flot de désinformation, quelques lumières tout de même, par exemple dans la presse espagnole ou israélienne.
Ces analyses des différents groupes syriens montrent bien que les
"rebelles modérés" sont à peu près inexistants. Désormais, la Syrie est
grosso modo divisée en quatre, le reste n'étant que quantité négligeable
:
- le régime Assad
- les Kurdes au nord
- l'Etat Islamique
- Al Nosra seule ou Al Nosra + autres mouvances djihadistes au sein de l'Armée de la conquête (rappelons qu'Al Nosra est tout simplement Al Qaeda en Syrie, organisation sur laquelle pleurent à chaude larme les Occidentaux en ce moment)
L'article du Jérusalem Post est également intéressant à un
autre titre, car il confirme ce que plusieurs observateurs (dont votre
serviteur) avançaient, à savoir la collusion entre Israël et Al Qaeda
sur les hauteurs du Golan.
Les Russes, eux, n'ont cure de cette guéguerre de l'information ; ils
laissent aux Américains les gesticulations médiatiques pour se
concentrer sur le réel. Leurs bombardements sur l'Etat Islamique sont
suffisamment sérieux pour que le calife autoproclamé, Al Bagdadi, annule
la prière du vendredi dans sa capitale Raqqa, ce qui n'était
curieusement jamais arrivé en un an de frappinettes de la coalition
occidentale.
Les avions russes ont également multiplié les frappes sur Al Qaeda,
notamment près de la frontière turque. C'est intéressant car, après
avoir vu plusieurs de ses avions être abattus par la DCA turque, la
chasse syrienne n'osait plus s'aventurer aussi haut, laissant les
djihadistes faire à peu près ce qu'ils voulaient dans la province
d'Idlib. Les bombardiers russes sont escortés par des S-30 pour bien
s'assurer qu'aucune tentation stupide ne passe par la tête d'Erdogan qui
semble avoir reçu le message 5/5.
Apparemment, les premiers effets
des bombardements se font déjà sentir si l'on en croit le commandement
militaire russe, pourtant peu habitué au lyrisme triomphaliste : "Des
militants quittent les zones sous leur contrôle. Selon nos
renseignements, il y a une certaine panique et des désertions dans leurs
rangs".
Tout semble donc se passer comme sur des roulettes et, si tant est
qu'il le décide, Poutine a peut-être déjà la solution pour l'éventuelle
intervention terrestre qui fait si peur à son opinion publique. Le
leader de la Tchétchénie, Ramzan Kadyrov a demandé
à Vladimirovitch de lui permettre d'aller avec ses forces spéciales
combattre l'Etat Islamique sur son terrain. Ce ne sont pas des paroles
en l'air ; cela fait des années que Kadyrov veut en découdre avec les
wahhabites et autres djihadistes, responsables de la mort de son père.
L'on se souvient de son discours assez hallucinant fin décembre 2014 devant 10.000 rudes guerriers tchétchènes :
Nous allons prouver au monde que nous, Tchétchènes, sommes
l'infanterie de Vladimir Poutine. Nous sommes prêts à défendre la Russie
et accomplir n'importe quelle mission de combat. L'ennemi de la Russie,
nous le confronterons où qu'il soit, y compris dans la propre tanière.
Vive notre grande patrie la Russie ! Vive notre leader national,
Vladimir Poutine ! Allah Akbar !
Une intervention tchétchène au sol contre l'EI serait assez populaire
en Tchétchénie même et passerait sans doute mieux dans le reste de
l'opinion russe. Toutefois, il serait intéressant de voir comment
s'entendront Iraniens, Tchétchènes et Hezbollah... Nous n'en sommes pas
encore là : place pour l'instant aux avions chinois.