mercredi 14 octobre 2015

La finale en Syrie. Bravo Mr Poutine !



La Russie ne veut pas faire la guerre à la Turquie, donc les généraux russes ont conçu un plan simple mais efficace pour la décourager d’entreprendre toute action qui pourrait conduire à un affrontement entre les deux pays.

La semaine dernière, des avions militaires russes ont pénétré deux fois l’espace aérien turc. Les deux incidents ont provoqué la consternation à Ankara et mis les dirigeants turcs en fureur. Dans les deux occasions, des officiels à Moscou se sont poliment excusés pour les incursions, affirmant qu’elles n’étaient pas intentionnelles (des erreurs de navigation) et qu’ils essaieraient d’éviter de telles intrusions à l’avenir.
Puis il y a eu un troisième incident, plus sérieux, qui n’était pas dû à une erreur. Il visait clairement à envoyer un message au président turc Recep Tayyip Erdogan.  Voici un bref résumé de ce qui s’est passé, à partir d’un article du World Socialist Web Site:
Les officiels ont annoncé un troisième incident lundi, lorsqu’un avion de chasse MiG-29 non identifié a verrouillé son radar pendant quatre minutes et demie sur huit F-16 turcs qui patrouillaient de leur côté de la frontière, se préparant apparemment à ouvrir le feu. (US, NATO step up threats to Russia over Syria, World Socialist Web Site)
Ce n’était pas une erreur. Le seul cas où un pilote de chasse adopte ces protocoles est lorsqu’il projette d’abattre un avion ennemi. C’était un message, et bien qu’il ait pu passer au-dessus de la tête des politiciens et des médias, je vous assure que tous les généraux du haut-commandement turc savent ce qu’il signifie. C’est un coup de semonce. Moscou indique qu’il y a un nouveau shérif en ville et que la Turquie devrait mieux se comporter sinon il y aura des problèmes. Il n’y aura aucune zone d’exclusion aérienne américano-turque sur le nord de la Syrie, il n’y aura pas d’attaques aériennes sur les sites syriens à partir du côté turc de la frontière, il n’y aura certainement pas d’invasion terrestre par des troupes turques en Syrie. Les Forces de défense aérienne russes contrôlent maintenant le ciel au-dessus de la Syrie et elles sont déterminées à défendre les frontières souveraines de la Syrie. Voilà le message. Un point c’est tout !
C’est un bon exemple de la manière dont la préemption peut effectivement prévenir des conflits plutôt que les commencer. En tirant un coup de semonce à la Turquie, Moscou a freiné le plan de Erdogan d’annexer une partie de la Syrie du Nord et de la déclarer zone de sécurité. La Turquie devra dorénavant abandonner ce plan, et réaliser que toute tentative de s’emparer d’un territoire syrien déclenchera une riposte russe immédiate et puissante. Vue sous cet angle, l’incursion de la Russie paraît une manière extrêmement efficace de prévenir une guerre plus vaste en transmettant simplement à de potentiels adversaires ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas faire. Dit simplement : Poutine a réécrit les règles du jeu en Syrie et Erdogan a dû s’y conformer ou sinon… Ci-dessous, davantage sur la Turquie, par Patrick Cockburn dans The Independent :
Une invasion turque de la Syrie, bien qu’elle reste une possibilité, serait aujourd’hui plus risquée avec l’aviation russe opérant dans des zones où la Turquie serait la plus susceptible de lancer une incursion.

Le danger pour les Turcs est qu’ils ont maintenant deux quasi-États kurdes, l’un en Syrie et l’autre en Irak, immédiatement au sud. Pire, l’État kurde syrien… est dirigé par le Parti de l’union démocratique (PYD dans son sigle anglais), qui est effectivement la branche syrienne du Parti des travailleurs kurdes (PKK), celui qui a combattu l’État turc depuis 1984. Toute insurrection lancée à l’avenir par le PKK dans les zones kurdes du sud-est de la Turquie sera renforcée par le fait que ce parti a de facto son propre État.

Il semble que la tentative de la Turquie, qui dure depuis quatre ans, de renverser le président Bachar al-Assad a échoué. On ne voit pas ce que le président Recep Tayyip Erdogan peut faire à ce propos, puisque le soutien de l’Otan est purement rhétorique à ce stade. Quant aux relations de la Turquie avec la Russie, M. Erdogan dit que toute attaque à ce pays est une attaque à l’Otan et que «si la Russie perd un ami tel que la Turquie, avec laquelle elle a coopéré sur de nombreuses questions, elle perdra beaucoup». Mais en Syrie, au moins, il semble que c’est la Turquie la perdante. (Russia in Syria: Russian Radar Locks on to Turkish Fighter Jets, The Unz Review)

Pauvre Erdogan. Il a lancé les dés et il a joué de malchance. Il se figurait qu’il pourrait étendre son Empire ottoman potentiel à la Syrie du Nord, et maintenant son rêve est en miettes. Doit-il envoyer ses avions en Syrie du Nord et affronter ouvertement l’armée de l’air russe ? Non, il n’est pas si téméraire. Il va rester de son côté de la frontière, taper du pied et se mettre en colère contre le méchant Poutine, mais au bout du compte, il ne fera rien.
Et Washington ne va rien faire non plus. Oui, Hillary et McCain ont appelé à une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Syrie, mais cela ne se fera pas. Poutine ne le permettra pas, le Conseil de sécurité non plus. D’ailleurs, sous quel prétexte, de toute façon ? Obama va-t-il réellement demander une zone d’exclusion aérienne sur la base du fait que Poutine tue des terroristes modérés en même temps que des terroristes extrémistes ? Ce n’est pas un argument très convaincant. En fait, même les Américains ont du mal à avaler celui-là. Si Obama veut quelque chose de Poutine, il devra s’asseoir à la table des négociations et discuter d’un accord. Jusqu’ici, il a refusé de le faire, parce qu’il continue à penser que le changement de régime est à sa portée. Il y a des signes de cela partout, comme dans cet article du journal turc Today’s Zaman intitulé İncirlik base to increase capacity by 2,250 to accommodate new personnel [La base d’Icirlik augmente sa capacité de 2 250 places pour accueillir du nouveau personnel] :
Une ville de tentes dans Incirlik a été reconstruite en maisons préfabriquées modernes, qui accueillera 2 250 membres du personnel militaire US, a rapporté l’agence de presse Doğan vendredi. Pendant la guerre du Golfe de 1991, une ville de tentes avait été installée pour accueillir du personnel militaire servant dans l’Operation Provide Comfort (OPC) [opération militaire des USA, du Royaume-Uni, de la France, de l’Australie, des Pays-Bas et de la Turquie visant à livrer de l’aide humanitaire aux réfugiés kurdes fuyant l’Irak, NdT] et avait été fermée à la fin de cette opération.

Le 20 août, le travail de transformation du site de la ville de tentes en une nouvelle zone appelée Patriot Town [Patrioteville] a commencé. Lorsque la construction sera achevée, la base de Incirlik sera celle qui aura la plus grande capacité parmi les bases états-uniennes en Europe. […]

L’augmentation de la capacité de la base d’Incirlik intervient au moment où la Russie a lancé la plus grande intervention au Moyen-Orient depuis des décennies. […] L’intervention de Moscou signifie que le conflit en Syrie s’est transformé, passant d’une guerre par procuration […] à un conflit international dans lequel les principales puissances mondiales […] sont directement impliquées dans le combat. ()
Cet article révèle les ambitions des États-Unis au Moyen-Orient. Comme les lecteurs peuvent parfaitement le voir, Washington fourbit ses armes pour une autre guerre, exactement comme il l’a fait en 1991. Et la guerre aérienne états-unienne sera lancée depuis Patriot Town à Incirlik, exactement comme nous l’avons prédit depuis juillet lorsque l’accord a été conclu. Ci-dessous, quelques éléments supplémentaires tirés d’un article de Hurriyet :
Le commandement central de l’armée de l’air US a commencé à déployer des hélicoptères de recherche et de sauvetage à la base aérienne de Diyarbakır, en Turquie du sud-est, dans le but d’aider à des opérations de récupération en Irak voisin et en Syrie, a-t-il annoncé. […]

Le Commandant suprême des forces alliées de l’Otan en Europe et le chef du Commandement des forces des États-Unis en Europe, le général Phillip Breedlove, a dit que cette mission serait temporaire.

a déclaré Breedlove. (US deploys recovery aircraft in Turkey’s southeast, Hurriyet)

Des hélicoptères états-uniens de recherche et de sauvetage à quelques kilomètres seulement de la frontière sud-est de la Turquie ?
Eh oui. Dit autrement, si un F-16, en train d’essayer d’imposer une zone d’exclusion aérienne illégale, est abattu quelque part au-dessus de la Syrie alors – presto – les hélicoptères de recherche et de sauvetage ne sont qu’à 20 minutes.
Comme c’est pratique.
Donc vous pouvez voir – même si Poutine a mis des bâtons dans les roues de ce projet – que l’équipe d’Obama continue à aller de l’avant avec son plan renverser Assad. Rien n’a changé, l’intervention russe rend seulement l’avenir plus incertain, ce qui explique pourquoi des stratèges géopolitiques frustrés, comme Zbigniew Brzezinski, ont commencé à apparaître dans les pages Opinions des journaux dominants, attaquant Poutine avec virulence pour avoir saboté leurs plans d’hégémonie régionale. Il vaut la peine de noter que Brzezinski est le parrain spirituel de l’extrémisme islamique, l’homme qui a compris comment les cinglés religieux pourraient être utilisés pour pousser à l’hystérie et faire avancer les objectifs géopolitiques des États-Unis dans le monde. Par conséquent, il est tout naturel que Brzezinski veuille offrir ses conseils maintenant, dans un effort désespéré pour éviter un héritage d’échec et de honte. Découvrez ce clip de Politico :
Les États-Unis devraient menacer la Russie de représailles si elle ne cesse pas d’attaquer les ressources états-uniennes en Syrie, a écrit l’ancien conseiller à la Sécurité nationale Zbigniew Brzezinski dans une chronique publiée dimanche dans le Financial Times, appelant à l’«audace stratégique», la crédibilité américaine au Moyen-Orient et la région elle-même étant en jeu. […] Et si la Russie continue à viser des cibles qui ne sont pas EI, les États-Unis pourraient riposter, a-t-il ajouté.


Les gens que Brzezinski désigne avec désinvolture comme des ressources américaines en Syrie sont des terroristes. Poutine ne distingue pas entre les terroristes modérés et les terroristes radicaux, les bons terroristes et les mauvais. C’est une plaisanterie. Ils sont tous du même tonneau et ils vont tous avoir le même sort. Tous doivent être extirpés, arrêtés ou tués. Fin de l’histoire.
En peaufinant le narratif de la guerre contre le terrorisme d’une manière qui soutient certains mais en condamne d’autres, l’administration Obama s’est acculée elle-même dans une impasse idéologique sans issue. Ce qu’ils font est mauvais et ce qu’ils savent est faux. Et c’est pourquoi il sera si difficile de faire la guerre. Dans une interview incontournable récente, Poutine a interpellé Obama sur ce point précis. Voici ce qu’il a dit :
Le président Obama mentionne fréquemment la menace d’ISIS. Eh bien, qui sur la terre les a armés ? Et qui a créé le climat politique qui a favorisé la situation actuelle ?  Qui a livré des armes à la région ? Ne savez-vous vraiment pas qui combat en Syrie ? Ce sont pour la plupart des mercenaires. Ils sont payés en argent. Les mercenaires travaillent pour le camp qui paie le plus. Nous savons même combien ils sont payés. Nous savons qu’ils combattent pendant un certain temps et puis ils voient que quelqu’un d’autre paie un peu plus, alors ils y vont. […]

Les États-Unis disent : «Nous devons soutenir l’opposition civilisée, démocratique, en Syrie.» Donc ils les soutiennent, les arment, et ensuite ils rejoignent ISIS. Est-ce impossible pour les États-Unis d’anticiper un peu?  Nous ne soutenons pas du tout cette sorte de politique. Nous pensons qu’elle est mauvaise.» (Putin explains who started ISIS, YouTube, 1:38 to 4:03)

Vous voyez ? Tout le monde sait ce qu’il se passe. Barack Obama ne va pas entamer une confrontation avec la Russie pour défendre un programme fondamentalement immoral de la CIA qui a mal tourné. Il fera toutefois ce que les États-Unis font toujours lorsqu’ils traitent avec un adversaire qui peut vraiment se défendre. Ils terrorisent, harcèlent, menacent, humilient, diabolisent, ridiculisent et brutalisent. Ils pourraient lancer une autre attaque sur le rouble ou truquer les prix du pétrole ou imposer davantage de sanctions économiques. Mais ils n’entreront pas en guerre avec la Russie, cela n’arrivera tout simplement pas.
Mais n’abandonnez pas encore tout espoir, après tout, il y a un côté positif à ce fiasco, et tous les joueurs principaux savent exactement ce que c’est.
Il s’appelle Genève. Genève est la finale.
Genève est la feuille de route soutenue par l’ONU pour mettre fin à la guerre en Syrie. Ses dispositions permettent «l’établissement d’un organe gouvernemental de transition», «la participation de tous les groupes […] à un dialogue national significatif» et «des élections multipartites libres et équitables».
Le traité est simple et ne suscite pas de controverses. Le seul point d’achoppement porte sur la question de savoir si Assad sera autorisé à participer au gouvernement de transition ou non.
Poutine dit oui. Obama dit non.
Poutine va gagner cette bataille. Finalement, l’administration cédera et retirera sa demande que Assad quitte ses fonctions. Le plan de changement de régime par le recours à des mercenaires djihadistes aura échoué, et Poutine aura rapproché le Moyen-Orient d’une paix durable et d’une sécurité véritable.
Voilà le point positif et c’est ainsi que la guerre en Syrie prendra fin.
Bravo, Poutine.
Par Mike Whitney –
Le 9 octobre 2015 – Source CounterPunch

Un coup de téléphone enflammé entre Erdogan et Poutine s’est terminé par des menaces mutuelles

le teigneux président turc a fait un appel de téléphone exceptionnel à son homologue russe pour discuter des derniers développements régionaux, notamment du conflit qui fait rage en Syrie.
Selon le Moscow Times, un quotidien russe (en anglais) de renom, le Président Recep Tayyip Erdoğan qui a intensifié sa rhétorique belliqueuse coutumière contre le gouvernement syrien de Bachar al-Assad, a déclaré à son homologue russe que la Turquie aurait atteint un seuil où elle ne peut rester indifférente envers le « carnage humain » dans le pays arabe déchiré par la guerre, mais à la surprise d’Erdogan, Poutine était furieux et, avec véhémence, a prévenu le Président de la Turquie de ne pas intervenir davantage dans les affaires intérieures syriennes, sinon la Russie était prête à empêcher la Turquie de déclencher une guerre catastrophique dans la région.
Le président turc, sidéré, a alors demandé à Poutine si ses remarques enflammées signifiaient une menace directe contre la Turquie et Poutine a répondu: « Monsieur le Président, vous pouvez tirer l’interprétation que vous souhaitez de mes propos. »
Le Président russe a également rappelé à Erdoğan le constat amer que ce sont les politiques erronées et belliqueuses de la Turquie vis à vis de la crise syrienne, qui ont coûté la vie à des dizaines de milliers de civils innocents et, plus loin, a exhorté le président turc de s’abstenir de soutenir les terroristes djihadistes pour lesquels il a mis en place des camps d’entraînement et des refuges sûrs à l’intérieur du territoire turc.
Dr İsmet Bayraktar, un éminent professeur d’université, spécialisé dans l’histoire politique et sociale de l’Empire Ottoman et de la Turquie moderne, croit que Erdogan, lors de son appel téléphonique, a tenté, en quelque sorte, de dissuader Poutine de continuer le soutien politique et militaire considérable de la Russie au président syrien assiégé, mais en vain, car il apparaît que Moscou ne peut pas trouver une alternative plus loyale et digne de confiance au régime d’Assad.
Les deux pays voisins de la mer Noire diffèrent radicalement pour ce qui concerne leur approche du conflit syrien. La Turquie n’aspire qu’à un changement de régime en Syrie, tandis que la Russie reste l’un des plus fervents partisans du régime de Bachar al-Assad.
Le 13 octobre 2015