Davantage d’informations confirment que le déploiement
russe visait autant à éviter un plan américain d’imposition d’une zone
d’exclusion aérienne sur la Syrie – provoquant un changement de régime à la libyenne – qu’à
vaincre l’État islamique.
La réaction outrancière de l’OTAN à une violation
mineure de l’espace aérien turc par un avion russe révèle le point crucial du
déploiement militaire russe.
L’Occident a perdu le contrôle du ciel de la Syrie.
Quand j’ai discuté initialement de la composition des
avions russes en Syrie j’ai dit que les quatre avions de chasse SU30 devaient
fournir la couverture aérienne de la force de frappe.
J’ai aussi pensé que les six SU34s n’étaient pas
vraiment nécessaires, et qu’ils étaient là pour être testés dans un environnement
de combat.
J’avais raison pour les SU30 ; je me suis trompé
sur les SU34.
J’ai négligé le fait que tout en étant un redoutable
bombardier de combat et d’attaque au sol, le SU34 est aussi un excellent
combattant aérien. En cela, il diffère fondamentalement du SU24, qu’il
remplace.
Le total combiné des dix SU30 et SU34 représente pour
les Russes un groupe de défense aérienne fantastique. Alors que le SU34 n’est
pas un combattant aussi puissant que le SU30 ultra maniable, il est supérieur
aux F16 qui composent le gros de l’armée de l’air turque, et est du niveau des
F15 et F16 de l’armée de l’air israélienne.
Ceci est important parce que, comme le montre
l’incident à la frontière turque, le groupe d’attaque russe mène des frappes
aériennes dans les zones proches des frontières turques et israéliennes, là où
l’armée de l’air syrienne n’avait pas encore osé aller par peur d’intervention
des forces aériennes turques et israéliennes.
Ceci comprend des frappes sur Raqqa – la capitale de
facto de l’État islamique – et Idlib, toutes deux à faible distance de la
frontière turque.
La présence des SU30 et SU34 signifie que – à la
différence des Syriens – les Russes peuvent effectuer ces frappes sans craindre
d’interférence avec l’armée de l’air turque.
Cela signifie que, pour la première fois dans la
guerre syrienne, il n’y a aucun endroit de la Syrie, où l’État islamique ou des
milices islamiques peuvent se dissimuler aux frappes aériennes.
Cela change radicalement le tableau militaire. C’est
en partie parce que l’armée de l’air syrienne avait peur d’opérer près de la
frontière turque que l’armée syrienne a été chassée de lieux comme Raqqa et
Idlib, et pourquoi elle a été sur la défensive dans le nord de la Syrie, et
dans les territoires nord et ouest d’Alep, qui sont facilement accessibles aux
avions F16 turcs opérant à partir de bases intérieures turques.
Certains rapports suggèrent que la présence de
l’aviation russe a même encouragé les avions syriens à entrer à nouveau dans
cet espace aérien.
Il y a des indications que des F16 turcs volant durant
le week-end près de la frontière syrienne ont été suivis (ou
« affichés ») pendant 6 minutes par le radar d’un combattant MiG29.
Le groupe d’attaque russe ne comprend pas de MiG29. Si
cet incident a réellement eu lieu le MiG29 a dû être un avion syrien.
Les dix SU30s et SU34s ne sont qu’une partie de la
force de défense aérienne que les Russes ont placée en Syrie.
La base aérienne de Lattaquié est défendue contre les
attaques aériennes par des systèmes de défense aérienne Pantsir.
Le Pantsir est un système mobile de défense aérienne à
courte portée, combinant des canons antiaériens de 30 mm à courte portée et des
missiles antiaériens. C’est l’équipement standard pour la défense des bases
aériennes, et son déploiement n’a pas plus d’importance que cela.
Beaucoup plus important, et changeant la donne, est le
déploiement du croiseur russe lance-missiles Moskva au large de la côte
syrienne.
Le Moskva a des radars de défense aérienne extrêmement
puissants, et est équipé de puissants missiles anti-aériens longue portée basés
sur le système S300.
Il n’y a aucune preuve que les Russes aient déployé
des missiles S300 en Syrie elle-même. Cependant, la présence du Moskva au large
des côtes syriennes leur donne essentiellement la même aptitude.
On pense que les missiles S300 du Moskva ont une
portée de 90-150 km. Bien qu’apparemment pas l’une des versions plus
sophistiquées des S300 – qui devraient plutôt être considérés comme une famille
de missiles – les S300 portés par le Moskva sont néanmoins des armes
puissantes, fournissant une formidable capacité de défense aérienne.
La raison de la présence de ces systèmes de défense
aérienne – les avions SU30 et SU34 et le Moskva avec ses missiles S300 – est
maintenant claire.
L’article paru dans le Financial Times que je joins
ci-dessous confirme ce que beaucoup avaient déjà soupçonné : les
États-Unis étaient sur le point de déclarer une zone d’exclusion aérienne sur
la Syrie.
Quoique la cible présumée ait été l’État islamique,
étant donné que l’État islamique n’a pas de force aérienne, la cible réelle
était clairement le gouvernement syrien.
Il semble qu’un scénario semblable à celui utilisé en
Libye en 2011 était prévu : la déclaration d’une zone d’exclusion
aérienne, suivie d’une campagne prolongée de bombardement contre l’armée
syrienne destinée à donner la victoire à l’opposition syrienne soutenue par les
USA. Le but déclaré de la zone d’exclusion aérienne – lutter contre l’État
islamique – était simplement une couverture.
Cela explique le déploiement russe.
Les Russes ont évidemment découvert le plan américain
et se sont précipités pour mettre à exécution leur propre déploiement, afin de
le prévenir.
Qu’ils aient été à même de le faire bien que n’ayant –
contrairement aux États-Unis – aucune base aérienne dans la région est
remarquable, et est une preuve supplémentaire de la capacité des Russes,
montrée à maintes reprises, d’agir avec une rapidité foudroyante, prenant les
États-Unis à contre-pied. Les occasions précédentes où cela s’est produit
furent la guerre de 2008 en Géorgie et l’opération de Crimée en 2014.
Que les Russes aient découvert le plan américain nous
montre aussi le haut niveau de qualité de leurs services de renseignements.
L’article paru dans le Financial Times montre l’ampleur
de la consternation à Washington, avec l’admission à contrecœur – malgré les
demandes hystériques d’action par les faucons de guerre – que le plan pour une
zone d’exclusion aérienne « est désormais impossible à adopter ».
Voyez ce commentaire que le Financial Times attribue
au chef militaire de l’OTAN, le général Breedlove :
« Le commandant militaire suprême de l’Otan en
Europe, le général américain Phillip Breedlove a averti la semaine dernière que
l’alliance était » inquiète d’une autre bulle A2/AD en cours de création
dans la Méditerranée orientale. » A2/AD signifie anti-accès, interdiction
de zone ».
En d’autres termes, les Russes ont réussi à interdire
aux États-Unis l’accès du ciel de la Syrie, contrecarrant leur plan pour une
zone d’exclusion aérienne, et pour une campagne de bombardement forçant le
renversement du gouvernement syrien.
Le Financial Times cite des sources qui décrivent le
déploiement russe en Syrie comme un « désastre », montrant la
consternation éprouvée par les États-Unis et les dirigeants occidentaux.
Le déploiement russe en Syrie a considérablement
modifié la situation géopolitique.
Il montre que 25 ans après la chute de l’URSS, la
superpuissance russe est de retour.
Daniel Fielding | 6 octobre 2015
http://arretsurinfo.ch/comment-la-russie-a-pris-note-du-plan-pour-une-zone-dexclusion-aerienne-en-syrie/
Voici l’article traduit publié dans le Financial
Times :
Le bombardement par la Russie des rebelles anti-régime
en Syrie a été décrit comme un désastre pour les efforts de la coalition menée
par les USA pour détruire Isis, le groupe militant islamiste, mais le vrai défi
du Kremlin à Washington est dans les cieux au-dessus du pays déchiré par la
guerre.
Parallèlement au modeste contingent, basé à Lattaquié,
de deux douzaines d’avions Su-24 Fencer et Su-25 Frogfoot – avions conçus pour
frapper des cibles terrestres – Moscou a déployé des atouts qui rendent la
perspective d’une zone d’exclusion aérienne exécutée par les États-Unis ou ses
alliés au dessus de la Syrie impossible à mettre en œuvre.
Il y a seulement quelques semaines, après des mois de
diplomatie, les officiels étaient proches d’un accord sur l’application de
zones de sécurité aériennes pour mettre fin aux bombardements de civils dans le
nord et le sud de la Syrie par le régime d’Assad, selon des diplomates et des
responsables militaires de la coalition menée par les USA.
L’accord était fondé sur des plans jordaniens et turcs
présentés plus tôt cette année.
Beaucoup d’officiels pensent qu’un mouvement imminent
d’accélération de l’activité de la coalition en Syrie a précipité la soudaine
intervention du Kremlin à la fin du mois dernier.
« La raison ultime de ce qui arrive est l’intérêt
renouvelé pour la Syrie et la nécessité là-bas d’une sorte de solution
politique – quelque chose que nous avons pensé pouvoir réaliser en appliquant
des zones d’exclusion aérienne, des zones de sécurité », a déclaré un haut
diplomate européen .
Mais tout espoir de coordination militaire avec la
Russie pour atteindre cet objectif, même à la suite de son déploiement
perturbateur, s’est rapidement éteint.
Le commandant militaire suprême de l’Otan en Europe,
le général américain Phillip Breedlove a averti la semaine dernière que
l’alliance était » inquiète d’une autre bulle A2/AD en cours de création
dans la Méditerranée orientale ». A2/AD signifie anti-accès, interdiction
de zone.
Les craintes du Général Breedlove se sont réalisées
ces derniers jours quand le petit déploiement russe de quatre avions
« flanker » Su-30 – avion très manœuvrable conçu pour abattre les
autres avions – , qui se trouvent à la base aérienne Bassel al-Assad de
Lattaquié a été élargi par un arsenal beaucoup plus conséquent.
Le ministère russe de la Défense a annoncé vendredi le
déploiement de son croiseur lance-missiles Moskva à Lattaquié. Le Moskva est
armé d’un complément de 64 S-300 missiles navire-air, la plus puissante arme
anti-aérienne de la Russie.
Le déploiement des S-300 – ou d’autres systèmes
pareillement sophistiqués, également connus comme « Sams à trois
chiffres » – a longtemps été l’une des plus grandes craintes du Pentagone
au Moyen-Orient. Le système S-300, qui a une portée de 150 km, est capable
d’abattre tous les avions furtifs, sauf les plus sophistiqués. Cela signifie
que la plupart des missions effectuées par les alliés de la coalition de
Washington – la Jordanie utilise, par exemple, les avions F-16 – sont
aujourd’hui très vulnérables. Même le déploiement des Tornados et Typhoons du
Royaume-Uni à la base de la Royal Air Force de Akrotiri, à Chypre, est menacé
par les missiles.
« Les forces russes maintenant en place rendent
parfaitement évident que tout type de zone d’exclusion aérienne sur le modèle
libyen imposé par les États-Unis et leurs alliés est désormais impossible, à
moins que la coalition ne soit en fait prête à abattre des avions
russes, » dit Justin Bronk, analyste de recherche au Royal United Services
Institute.
« Les Russes ne jouent pas à la désescalade – ils
disent simplement : « laissez nous le champ libre ». Les
opérations de la coalition en Syrie seront beaucoup plus complexes du point de
vue de la planification des missions et du point de vue de l’évaluation des
risques ».
Même les missions de surveillance au-dessus la Syrie
par des avions américains et de la coalition seront compliquées. Un officier de
l’armée de l’air de l’Otan a déclaré que l’organisation s’attend à voir
apparaître le genre de « tactiques de la guerre froide » et politique
de la corde raide que la Russie a récemment utilisées dans les pays baltes. Les
pilotes devront s’attendre à voir de puissants systèmes de radar russes
« allumer » leur avion en démonstrations de force, a-t-il dit.
Prévenir la création de zones d’exclusion aérienne en
Syrie par la coalition menée par les USA est important pour l’influence de
Moscou sur les événements dans le pays. Avec l’emprise territoriale du régime
d’Assad devenant fragile ces derniers mois, l’imposition supplémentaire par la
coalition américaine d’une zone d’exclusion aérienne aurait pu imposer des
négociations menant à une perte d’influence de la Russie. Maintenant tout
processus diplomatique ou politique qui aura lieu se fera aux conditions de
Moscou.
« Les actions militaires de la Russie servent à
des fins politiques, il en existe plusieurs, » dit Alex Kokcharov,
analyste chez IHS Russie Janes, service de conseils de défense.
Pour M. Poutine, les États-Unis et l’Otan, les
« zones d’exclusion aérienne » ont aussi une résonance
supplémentaire.
« Poutine a été profondément touché par le
renversement de Kadhafi en Libye, » note M. Kokcharov. « Il y a
une motivation personnelle à cela. »
Pour les planificateurs militaires russes, les zones
d’exclusion aérienne – vues d’Occident comme une mesure de clémence humanitaire
– sont souvent considérées comme des outils de changement de régime.
Article original :How Russia Checked the US
Plan for a No Fly Zone in Syria
Source: Comité Valmy