Un an après les élections : BCE enfonce la Tunisie et redresse Ennahdha. Nida et Béji Caïd Essebsi furent élus pour une raison très précise : remettre debout un pays saccagé par Ennahdha. Un an après, le constat est plus qu’amer : le pays et le parti sont par terre, Ennahdha est plus debout que jamais. Comment en est-on arrivé là?
En 2014, militants et responsables de Nida affichaient fièrement le
programme socio-politique du parti, rédigé par des légions de
spécialistes. Pourtant, cette fierté légitime a fait place au triomphe
des contrebandiers, à l’impunité des mafieux, des terroristes et des
corrompus et à l’absence totale de réformes ou de relance.
La raison ?
Au lieu de nommer à la tête du gouvernement un homme à poigne ayant
assez de personnalité, d’entregent et d’intelligence, Béji Caïd Essebsi,
à la surprise de tout le monde et encore plus de son propre parti, a
nommé un homme sans vision ni idées ni charisme, un exécutant qui
affiche publiquement sa « bonne conscience » alors qu’il n’a même pas
été capable de combattre les poubelles ni les moustiques, sans parler de
la maffia, du terrorisme, ou encoredu chômage et de la crise.
Où est passé le programme ? Où sont passés les grands projets ? Habib
Essid n’a pas eu la capacité de les aborder, tout simplement. Un chef à
l’image de son administration aux procédures ridicules et à mille
lieues d’une conscience nationale. Un homme à peine apte à faire des «
visites surprises », une vieille habitude portée aux nues par Zine El
Abidine Ben Ali, que plus personne n’ose moquer aujourd’hui, tellement
le pays s’est enlisé dans la fange depuis son départ.
Quand on demande le pourquoi, on nous répond : « Béji Caïd Essebsi a
voulu nommer un exécutant pour pouvoir diriger ». Sauf que rien n’a été
ordonné à l’exécutant. La Présidence a augmenté ses effectifs, mais
abandonné tout son pouvoir, même sa direction des Grands Projets, jugée
dictatoriale. Même les conseillers du président se comptent sur les
doigts de deux mains. Bref, il y a donc un exécutant sans plan à
exécuter, et c’est exactement ce qui se passe.
Alors qui gère le pays?
Le pays n’est pas gouverné, encore moins géré. Il y a une «
organisation » qui fait la pluie et le beau temps. Elle est composée de :
– politiciens véreux issus des deux grandes formations politiques,
– d’ « hommes d’affaires » ayant sucé les banques nationales, véritables
colonne vertébrale de l’économie du pays. L’Etat veut aujourd’hui
amender ces affairistes, les prenant pour des entrepreneurs car il
croit, dans son extrême naïveté, que ce sont ces profiteurs qui vont
sauver l’économie.
– de patrons de médias, qui « font l’événement » selon leurs intérêts et ceux de leurs bailleurs de fonds,
– de hauts cadres pourris de la police, de la douane, de la Justice et des prisons,
– de chefs de milices libyennes et de groupes terroristes tunisiens,
– d’agents de Renseignement d’ambassades étrangères.
Cette organisation mafieuse s’est assurée l’impunité parce qu’elle est
intervenue à tous les niveaux, depuis 2012, dans l’envoi des jihadistes
en Syrie et dans le trafic de l’argent sale et des armes. Les liens qui
se sont noués et qui ont produit des fortunes énormes sont très forts et
ils ont même joui, à un certain moment, de la protection de puissances
étrangères profondément impliquées dans le terrorisme en Syrie.
Aujourd’hui, c’est cette même nébuleuse qui prépare le retour des
milliers de terroristes obligés de quitter la Syrie à cause des
bombardements russes et que les monarchies pétrolières veulent éloigner
de leur territoire.
Avec l’arrivée du nouveau pouvoir, en 2015, pourquoi le système est-il resté en place?
Le système s’est enraciné dans l’Administration avec, principalement,
les nouvelles recrues d’Ennahdha, placées dans tous les ministères pour
protéger son Etat dans l’Etat. Exemples :
– Banque Centrale (empêcher les contrôles des mouvements financiers et protéger les corrompus),
– Justice (libérer les protégés du réseau capturés par des policiers non soumis)
– Police (éloigner les capacités, protéger les réseaux),
– Douane (protéger les trafics),
– Agriculture (gardes forestiers dans les zones frontalières pour
protéger les terroristes) etc. plus de 150.000 fonctionnaires ont été
placés par Ennahdha pour assurer sa main mise sur le pays.
Ennahdha est-elle souveraine sur ce système? Non.
Les réseaux que nous venons de voir, impliqués dans toutes les
affaires (terrorisme, grèves, trafics, assassinats politiques) ont
cependant une obligation : aider Ennahdha à exécuter la stratégie qui se
décide au-dessus d’elle, par des services secrets occidentaux et
orientaux (CIA, Qatar, Turquie, etc…) et dont l’objectif est très clair :
renforcer les islamistes de Libye, de Tunisie, d’Algérie et d’Egypte et
défendre la politique étrangère des Frères Musulmans qui, un cran au
dessus, sert celle de l’Otan. En effet, dans cette ambiance de nouvelle
Guerre Froide, très dangereuse pour l’équilibre existant, l’Otan veut
absolument détacher l’Algérie de ses liens avec la Russie (d’où les
problèmes actuels qui secouent la superstructure algérienne), et aussi
empêcher tout rapprochement sérieux entre la Russie et la Tunisie, d’où
le sabotage systématique de toutes les initiatives tuniso-russes.
C’est ainsi qu’en Tunisie, cette mafia ne trouve devant elle aucune
résistance. Le chef du gouvernement Habib Essid ne fait rien pour la
contenir, au contraire, il a été plusieurs fois averti par de hauts
cadres administratifs honnêtes et nationalistes, mais il a refusé
d’intervenir. La vérité est que ces problèmes le dépassent. Il n’est pas
conscient d’être, constitutionnellement, le chef du gouvernement. Il va
même, pour les plus simples décisions, demander l’accord d’Ennahdha à
laquelle il a abandonné, entre autres départements, la Justice et la
Diplomatie tunisienne ,avec, en prime, l’immobilisme total du ministre
des Affaires Etrangères qui, carrément, parle du retour des terroristes.
Le rôle de Béji Caïd Essebsi dans tout ça?
Lui aussi a fait allégeance à l’Otan. Non seulement à cause de
l’intégration, récente de la Tunisie comme « allié non membre de l’Otan
», mais surtout à cause de son rôle en 2011, en tant que Chef du
Gouvernement, dans l’attaque contre la Libye. Béji Caïd Essebsi est donc
le plus mal placé, aujourd’hui, pour s’élever contre les amis de ses
amis, contre l’Etat dans l’Etat mis en place par Ennahdha.
Pourtant, le retournement de situation est aujourd’hui légitime, car si,
à l’époque, la Tunisie défendait sa propre survie en épousant les
intérêts de l’Otan, aujourd’hui, elle fait le contraire car elle se
positionne en fournisseur de terroristes qui risquent, d’un jour à
l’autre, de la jeter dans le chaos.
C’est pour cette raison que tout le monde, après les élections, espérait
un changement diplomatique avec un rétablissement complet des rapports
avec la Syrie et une alliance offensive avec la Russie. Béji Caïd
Essebsi avait la possibilité politique et diplomatique de renier une
alliance qu’il avait conclue pour défendre la Tunisie mais qui est
devenue négative pour le pays.
Mais, comme nous l’avons vu, c’est le contraire qui a été fait, la
Tunisie s’est encore plus rapprochée d’un Otan qui instrumentalise nos
terroristes et elle a rejeté toutes les invitations de la Russie alors
que cette dernière triomphe diplomatiquement dans le sens des intérêts
vitaux de la Tunisie.
Voilà donc le bilan d’une année au pouvoir de Nida et du Président Béji
Caïd Essebsi. L’échec absolu du chef du Gouvernement Habib Essid et de
ses ministres, non seulement dans la gestion de l’Etat, mais aussi sur
les gros dossiers que l’on vient de citer et qui touchent à l’honneur,
la souveraineté et l’intégrité de la Tunisie.
Mais il serait injuste de blâmer, sur ces dossiers, un Habib Essid qui
ne les maîtrise pas et qui sont de la compétence du Président de la
République, véritable chef de la diplomatie et de la sécurité du pays,
et qui laisse ces deux domaines vitaux aux mains d’une mafia, alors que
l’écrasante majorité des Tunisiens, au fait de toutes ces histoires, ne
cesse d’exiger de la poigne dans la défense du pays.
Existe-t-il pour autant des solutions ?
Oui. Nommer un Chef du Gouvernement apte à tenir son rôle, le choisir
sur la base d’un projet général de remise sur pied du pays intégrant,
en premier lieu, un ministre de l’Intérieur, un ministre des Affaires
Etrangères et un ministre de la Défense possédant non seulement une
conscience nationale mais aussi une vision de leur mission.
Enfin, un ministre de l’économie qui a des objectifs précis, non des
objectifs de rigueur, mais de développement. Notons que le département
de l’économie, le plus important dans les circonstances actuelles, est
toujours vacant.
Béji Caïd Essebsi aura-t-il la conscience politique nécessaire pour
reconnaître son échec et la nécessité de repartir d’un bon pied ?
Telle est la question.
Abdelaziz Belkhoja
Tunis le 22/10/2015
Abdelaziz Belkhodja: Lettre ouverte aux Tunisiens responsables