Dans
les tranchées du Donbass une poignée de Français sont venus sauver
l’honneur de la France. Ils viennent de Bretagne, du Massif Central, du
Sud de la France, de Corse et d’ailleurs. C’est en compagnie d’Erwan
Castel et de ces hommes que je viens de passer deux jours hallucinants.
Dire comme il fut difficile de les atteindre est une gageure, mais le
passé est loin et c’est avec entrain que je me levais dimanche matin aux
aurores pour rejoindre l’unité de reconnaissance internationale qui est
postée au Sud de Donetsk quelque part sur la ligne de front. Ces hommes
ont refusé la propagande officielle, ils ont refusé de vendre leur âme
et celle de la France en venant ici soutenir les populations du Donbass.
Ils ont à peine vingt ans ou passé la cinquantaine, leurs opinions
politiques sont très diverses mais une seule foi les habite, c’est celle
de l’esprit de l’escadrille Normandie-Niémen. Alors que notre
gouvernement supporte honteusement un gouvernement illégal en Ukraine
qui massacre des populations civiles, ceux-là n’ont pas dérogé aux
traditions françaises.
Théophile-Malo de la Tour d’Auvergne-Corret, le Premier Grenadier de France,
nous pourrions sans doute faire le parallèle avec Erwan. Les deux
hommes d’ailleurs sont nés en Bretagne. Mais Erwan qui est en passe de
devenir une légende vivante n’est pas seul. Autour de lui se pressent
Nico, un vétéran du militantisme libertaire qui est venu « pour
aider les populations du Donbass, pas pour des raisons politiques. Je
viens aussi par devoir car je suis d’origine russe blanche, un de mes
ancêtres était Ataman de Cosaques et a combattu avec Denikine dans le
Sud de l’Ukraine et en Crimée ». Plus loin se trouve un personnage
attachant. C’est le boute en train de la section, Tonio, le sourire
constamment vissé aux lèvres : « moi aussi je suis venu aider les
gens dans le Donbass. Au départ comme infirmier et puis ensuite comme
soldat. A l’orée de la cinquantaine, j’ai regardé derrière moi, derrière
mon épaule et je me suis dit que jusqu’à présent je n’avais fait que
travailler et payer des impôts en étant d’ailleurs emmerdé par notre
gouvernement. Alors c’est dans un esprit sans retour que je suis parti.
J’ai pris ma voiture, en plein hiver. Je me souviens que c’était le 2
janvier dernier et j’ai tenté de traverser l’Europe et l’Ukraine en
forçant la ligne de front pour arriver au milieu des insurgés… C’était
un peu fou, j’ai tourné en rond, arrivant jusqu’à Marioupol puis en
remontant jusqu’au Nord jusqu’aux environs de Donetsk. J’ai erré
jusqu’aux portes de la Crimée et puis finalement j’ai vendu la voiture
sur place et je suis retourné… en France pour revenir par la Russie en
partie en stop en passant par Volgograd et Rostov ». L’homme me raconte son voyage incroyable, un mois d’errance de Paris à Donetsk !
Renaud
est le petit dernier, il a 23 ans. Voilà seulement un mois qu’il se
trouve dans le Donbass, il vient juste d’être incorporé « J’ai
arrêté au niveau du collège mes études et puis ensuite je suis entré
dans la Gendarmerie où j’ai servi pendant cinq ans. Par la suite de
petits boulots en petits boulots je me suis trouvé bien déçu de la
France qui m’entourait. C’est ma mère qui m’a amené à m’intéresser au
Donbass ! Ensemble nous avons compris qu’il se passait quelque chose de
grave en Ukraine. Je ne pouvais pas rester sans rien faire, comment je
me serais regardé dans un miroir après ? ». D’autres hommes
composent la section, il y a un autre Français qui pour des raisons
politiques n’a pas souhaité se découvrir : « des répressions nous
attendent en France, nous sommes considérés comme des terroristes et
pour ma part j’ai l’intention de rentrer chez moi après la guerre
». Un Belge est également là, la trentaine, des convictions et une
sérieuse culture qui rapproche l’homme de son érudit de chef de section :
Erwan. L’homme est égal à lui-même, plus je le fréquente, ainsi que les
autres combattants européens, plus je respecte ce puits d’érudition :
histoire, littérature, ethnographie, géopolitique, culture militaire,
traditions et chants populaires, l’approche d’un tel homme est un
enseignement à lui tout seul. Le bonhomme est bavard mais il sait
écouter et sa longue expérience de l’Afrique et de la forêt amazonienne
lui a inculqué en plus de valeurs humanistes, une profondeur de pensée
et une capacité d’analyse qui feront mentir tous « les idiots » qui
s’imaginent que l’Armée est un repaire d’imbéciles. La rencontre d’Erwan
est une réponse cinglante à ceux qui auraient la faiblesse de tomber
dans les stéréotypes réducteurs de cerveaux.
« Il y a 13
nationalités dans l’unité, 9 seulement si l’on prend en compte l’unique
réalité « républicaine et jacobine » des frontières ». Insurgés du
Donbass, volontaires russes, espagnols, un Allemand, un Irlandais, un
Uruguayen assemblés à nos Français et Belges font un mélange détonnant.
Malgré la barrière des langues, les uns et les autres s’arrangent, qui
parle l’anglais, qui parle l’espagnol, les descendants de russes blancs
font aussi le relai avec la langue russe et Alexandre un Russe, ancien
de la Légion Etrangère est aussi là pour faire la soudure avec les
russophones. Les expériences sont multiples, certains ont fait plusieurs
guerres déjà, d’autres ont combattu depuis l’été dernier dans le
Donbass. C’est le cas d’Ivan, vétéran de toutes les batailles, il sort
d’une école de cadets de Russie : « Quand cela a commencé en Ukraine
j’ai demandé à mon chef de partir et j’ai reçu comme réponse un rapport
et une sévère punition. Je suis orphelin, je n’avais rien à perdre,
alors je suis parti quand même malgré les risques pour moi en Russie
après la guerre, je suis considéré comme un déserteur, mais comment ne
pas aller défendre mes frères slaves massacrés par les nazis et les
bandéristes ukrainiens ? Une armée russe ? [L’homme éclate de rire] Si
elle avait été là nous leur aurions botté le train en trois semaines
jusqu’à Lvov et les autres courraient encore jusque sur les bords de
l’Atlantique ! ». La moyenne d’âge est plutôt jeune, mais à
l’entraînement, il est clair qu’ils ont un fort potentiel. Leur dotation
en armement est plus forte que dans le reste de l’Armée républicaine : «
Nous avons un rôle de reconnaissance, nous avons effectué deux
missions d’infiltrations dans les lignes ennemies, reconnaissance
défensive, nous n’avions pas l’ordre d’ouvrir le feu mais surtout de
repérer des positions très camouflées des Ukrainiens, ils préparent une
offensive c’est mon sentiment, de toute façon Porochenko ne pourra
maintenir au front une aussi importante armée, il n’a pas le choix, ou
lancer l’attaque ou passer l’éponge… » nous indique Erwan.
Je
repars le lendemain après une nuit passée en leur compagnie directement
sur le front avec des souvenirs plein la tête. L’expérience aura été
enrichissante, j’aurais aimé rester plus longtemps aussi le capitaine Ouragan à ma demande de revenir bientôt me répond : « Quand tu veux !
». A part l’impossibilité de filmer ou photographier certains visages,
dont les familles en Ukraine seraient en danger, ou pour des raisons de
futures répressions politiques dans leurs propres pays, j’aurais eu
l’autorisation de filmer ce que je voulais. Une liberté qui une fois
encore me prouve que non seulement je peux faire mon travail, mais que
ces gens m’ont donné toute leur confiance. Combien de fois furent-ils
trahis par des journalistes occidentaux par le passé ? Le mal est si
grand qu’il me faut souvent longuement expliquer pourquoi je suis là et
qui je suis. Le journaliste occidental n’est pas une plaie seulement en
France… Pour ma part, je reviens avec une belle série de photos et un
reportage vidéo à venir… alors à bientôt, un seul article ne pourrait
suffire à parler des hommes qui sont venus sauver l’honneur de la
France… dans le Donbass.
Laurent Brayard, 6 October 2015
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