Il n'aura pas fallu attendre longtemps pour que les "services",
qui s'empressaient hier encore d'annoncer un problème technique, fassent
volte-face et rejettent sur l'Iran la responsabilité du crash du Boeing
ukrainien 737. Iran qui n'aurait rien trouvé de mieux que d'abattre sur son
aéroport un Boeing avec 167 passagers ... dont 82 Iraniens. Puisque l'heure des
suppositions est arrivée, avez-vous entendu parler du feu qui s'est déclaré
dans un moteur d'un Boeing 737, cette fois à l'aéroport de Tel-Aviv, lui aussi
dans la nuit 8 janvier ? En dehors de l'Iran, les problèmes systémiques des
Boeing commencent à soulever des questions ... Mais pourquoi ne pas faire d'une
pierre deux coups : écarter les soupçons d'une entreprise qui ne se remet
toujours pas de la crise du Boeing 737 Max et ressouder des Occidentaux frileux
autour des États-Unis contre l'Iran ?
Ces mêmes services de renseignements qui annonçaient
un problème technique (voir notre texte d'hier) se
dirigent 24 heures plus tard toutes voiles dehors vers la piste du missile
iranien. L'ordre d'arrivée n'est pas anodin : tout d'abord Trump
envisage la possibilité d'une "erreur tragique" de tir, puis Trudeau
docilement prend le relai et affirme que les services de renseignements
canadiens (après avoir possédé des informations mettant en jeu des problèmes
techniques) ont maintenant des informations (certainement meilleures) mettant
en jeu un missile iranien tiré
depuis un système russe de
lance-missile SA-15 Gauntlet (on y arrive ...) - mais par erreur (ouf, toujours
pas besoin de faire la guerre), et Johnson (BoJo)
entre dans la danse lui aussi. Enfin, pour "prouver" cela, le New York Times remplit
sa fonction de tribunal médiatique (indépendant - de la justice) et publie un
article avec une vidéo amateur "vérifiée" par eux, censée montrer un
missile percutant cet avion ukrainien. A la fin de l'article, cet honorable
journal fait un parallèle avec le crash du Boeing dans le Donbass, juste après
avoir précisé que la Russie avait vendu à l'Iran le système de tir de missiles
(c'est pour ceux qui ne comprennent pas rapidement). Le prochain pas semble
assez évident.
L'intérêt de cette version, reprise en boucle par les médias alignés, est
pour le clan atlantiste de revenir sur un terrain balisé et de s'écarter des
risques d'un conflit armé interétatique classique. L'on va enfin pouvoir
s'invectiver tranquillement par médias interposés, prendre des sanctions, bref
la politique continue son chemin avec les condamnations par la presse, les
"enquêtes" médiatiques fondées sur les déclarations des services de
renseignements (c'est quand même plus sûr que la justice), sans jamais rien
avoir de concret.
L'Iran dément, parle d'une guerre psychologique et appelle ces pays à
participer à une véritable enquête. Mais à quoi bon une enquête
professionnelle, dans les règles de l'art, qui prend objectivement du temps,
quand les médias, soutenant les politiques, peuvent diffuser les comptes-rendus
fournis par les services de renseignements de leur pays ? Par ailleurs,
l'agence Reuters qui avait diffusé
l'info sur les problèmes techniques a nettoyé sa publication pour la replacer
par l'attaque iranienne. Tout est propre, le palimpseste tourne.
Quoique ici aussi, sur le fond, des questions se posent ... En 24 h, ces
mêmes services de renseignements sont passés du "on a des informations
prouvant un problème technique" à "on a des informations
prouvant un tir de missile de l'Iran". Sont-ils incompétents ou leur
mission est-elle d'appuyer les thèses nécessaires en fonction du moment ? Bref,
quelle crédibilité ?
Au-delà du jeu géopolitique, ce retournement assez primaire peut aussi
s'expliquer assez banalement par l'impérieuse
nécessité de sauver l'entreprise Boeing, dont la réputation est déjà mise à mal
après le scandale du 737 Max, retiré et pas prêt de revenir sur le
marché. Pour info, puisque les médias occidentaux se taisent, dans la nuit du 8
janvier, sur l'aéroport de Tel Aviv, un
autre Boeing 737 a pris feu, mais au sol, ce qui a permis d'éviter la
catastrophe. Voir la vidéo sur Twitter :
Beaucoup de suppositions peuvent être faites, des plus fantaisistes
(espérons) consistant à rappeler que cela tombe très bien pour les Démocrates à
l'heure de l'impeachment de Trump qui ne se passe pas aussi facilement que
souhaité. Ou encore peut-on soulever la question de la fiabilité des avions à
l'heure du tout numérique et existe-t-il une possibilité d'y porter atteinte à
distance ? Aux suppositions plus classiques, dans la catégorie à qui profite le crime : n'est-ce pas là un excellent
moyen (cynique) de pousser les pays satellites à soutenir un peu plus
activement les États-Unis sur ce terrain ? En même temps, vu le nombre
d'Iraniens à bord d'un avion appartenant à un pays contrôlé par les Américains,
ne serait-ce pas un signal
envoyé aux pays arabes qui regardent un peu trop vers la Russie ces derniers
temps : soit avec nous et pourquoi pas dans un OTAN élargi comme le
propose Trump justement à ce moment-là, soit ... à vos risques et périls.
Bref, supposition pour supposition, elles sont nombreuses et ne se
réduisent pas à cette vision très confortable de la responsabilité iranienne
ayant utilisé un lance-missiles russe (ne l'oubliez pas, il va ressortir
celui-là). Avec un peu d'imagination, l'on peut encore en trouver beaucoup. Il
serait donc intéressant qu'une véritable enquête ait lieu, mais l'expérience de
ces dernières années a montré l'impossibilité aujourd'hui d'arriver à un
résultat concluant. En attendant, l'Iran a convié les différents pays concernés
à prendre part à l'enquête, les Etats-Unis et le Canada ont accepté,
l'Afghanistan, la Suède et l'Ukraine ont demandé à y participer. Quant à la
France, elle pourrait également être concernée, puisqu'elle fait partie des
pays où sont construits les moteurs.
Mais n'ayons aucun doute, les grandes annonces politiques n'attendront pas
la fin de l'enquête. Elles ont déjà désigné le responsable avant même que
celle-ci ait commencé. C'est quand même moins risqué.
Publié par Karine Bechet-Golovko vendredi 10
janvier 2020
Mise à jour du 11/01
trois jours après l’écrasement de l'avion d'Ukrainian Airlines: l'Iran a présenté ses excuses samedi pour avoir abattu le Boeing 737 par «erreur», tout en pointant la responsabilité de l'«aventurisme américain» dans ce drame ayant fait 176 morts.
Mise à jour du 11/01
trois jours après l’écrasement de l'avion d'Ukrainian Airlines: l'Iran a présenté ses excuses samedi pour avoir abattu le Boeing 737 par «erreur», tout en pointant la responsabilité de l'«aventurisme américain» dans ce drame ayant fait 176 morts.
Vérifiez vos informations avant la publication. L'Iran déclare lui-même qu'il est responsable de cette tragique méprise.
RépondreSupprimerl'auteure a écrit son article le 10/01 comme indiqué, mais cela ne change rien à son analyse.
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