Le zéro est une notion mathématique abstraite
purement humaine et absolument pas innée. Et pourtant, les abeilles en
comprendraient le concept, comme l’a constaté Aurore Avarguès-Weber,
chercheuse au Centre de recherches sur la cognition animale de Toulouse.
Cette spécialiste en science cognitive a montré que les butineuses savent compter jusqu’à 5. Mais savent-elles comparer des quantités et les comparer face …à rien ?
Il semble que les abeilles
comprennent que le vide est inférieur à un, et lui assignent même une
valeur numérique...
Une équipe d chercheurs a mis au pointun dispositif de jeu qui leur a permis de comprendre que le zéro représentait bien une valeur numérique pour les abeilles.
Les abeilles reconnaissent les panneaux vides comme inférieur au panneau contenant un seul cercle. RMIT University |
Non seulement les abeilles savent compter, mais elles comprennent aussi le concept du zéro. C'est la conclusion d'une étude menée par Scarlett Howard, de l'Institut royal de technologie de Melbourne, publiéele 7 juin dans Science. La scientifique a soumis ces insectes à un exercice de comparaison numérique. Difficile d'imaginer de si petits animaux se prêter à de tel exercice, et pourtant... «Les abeilles sont des animaux très joueurs et on peut facilement leur faire faire des exercices mathématiques qui impliquent une récompense», explique Aurore Avarguès-Weber, coauteur de l'étude et chercheuse au centre de recherches sur la cognition animale de l'Université de Toulouse. «On leur a tout simplement «demandé» si, pour elles, 0 était plus petit que 1.»
Le zéro n'est pourtant pas une notion évidente. Il était par exemple absent du système numérique romain. Plusieurs expériences ont montré que les jeunes enfants ne considèrent pas le zéro comme un nombre. «Chez l'enfant il y a plusieurs étapes pour comprendre le 0,» explique Arnaud Viarouge, chercheur en sciences cognitives et maître de conférences en psychologie du développement à l'Université Paris Descartes. «Il faut d'abord constater l'absence. Ensuite, il faut comprendre que cette absence représente une quantité. Et enfin, il faut assimiler cette quantité à un nombre avec un symbole défini. C'est le même cheminement que l'on retrouve de manière plus large dans l'histoire des mathématiques. Les abeilles semblent se situer un niveau comparable à la deuxième étape.»
Les abeilles comptent jusqu'à cinq
Le zéro n'est donc pas quelque chose d'inné chez l'homme. Le vide et l'absence ne sont pas naturellement associés à un concept mathématique. Mais comment peut-on prouver que c'est bien le cas chez les abeilles? «Premièrement, parce qu'on sait depuis une dizaine d'années qu'elles savent compter jusqu'à 5», explique Aurore Avarguès-Weber. «Les abeilles sont des insectes dotés de capacités mémorielles très fortes. L'observation nous a montré qu'elles savent quelles fleurs doivent être butinées le matin, quelles fleurs doivent être butinées le soir. Elles enregistrent et mémorisent toutes ces informations.» Les abeilles ont deux façons d'apprendre: par l'expérience, elles mémorisent leurs erreurs ; et par l'interaction, les abeilles communiquent via leur danse et se transmettent des connaissances.
Ces capacités mémorielles s'accompagnent-elles de compétences mathématiques? C'est la question posée par une première équipe de chercheurs qui ont imaginé, en 2009, un stratagème assez simple. Ils ont montré aux abeilles une carte avec plusieurs symboles identiques (des carrés, des triangles ou des ronds) dessinés dessus. Ils ont ensuite placé l'insecte dans un parcours en Y. Les abeilles pouvaient se diriger vers deux cartes. La première contenait le même nombre de symboles, mais d'un type différent (des ronds à la place des carrés par exemple). La deuxième contenait les mêmes symboles, mais pas le même nombre (quatre ronds au lieu de trois par exemple). Les abeilles devaient choisir la carte contenant le bon nombre de symboles (et pas celle contenant les symboles identiques en nombres différents) pour être récompensées avec un liquide sucré, incolore et inodore. Presque aucune abeille ne s'est trompée. Preuve qu'elles ont bien compté le nombre de symboles présents sur les cartes.
Trouver le bon dispositif
Une fois que l'on sait que les abeilles comptent, il ne reste plus qu'à trouver le bon dispositif pour savoir si elles considèrent le 0 comme une valeur numérique. «On a d'abord entraîné les abeilles avec des cartes contenant entre 5 et 3 symboles,» explique Aurore Avarguès-Weber. «On a ensuite présenté aux abeilles des cartes contenant entre zéro et deux symboles. Pour récupérer les récompenses, les abeilles devaient toujours aller vers la carte contenant le moins de symboles. À la fin, elles devaient donc se diriger vers la carte vide. Ce qu'elles ont fait dans 80% des cas. Elles comprennent donc que le vide est inférieur à un et lui assignent une valeur numérique.» Et plus l'écart est grand entre deux cartes, moins elles se trompent.
Bien entendu, comme chez les humains, il y a les bons et les mauvais élèves. «C'est très intéressant de voir que certaines se prennent tout de suite au jeu. Elles prennent le temps de bien faire pour ne pas se tromper», rajoute Aurore Avarguès-Weber. «Ce sont des insectes sociaux. Chacun des individus est déjà intelligent, mais en groupe, ils sont plus forts.» Et pour le nombre négatif? Une abeille comprend-elle que -1 est plus petit que 0? «On essaye de réfléchir à un protocole pour leur poser la question, raconte la chercheuse de Toulouse. Mais les nombres négatifs sont très difficiles à matérialiser, donc on cherche encore.»
«Il y a des compétences proto-mathématiques qui semblent partagées par plusieurs espèces»
Cette démonstration fait-elle des abeilles des insectes plus intelligents que les hommes de l'Antiquité, les Romains par exemple? Au vu du nombre de neurones dont dispose une abeille, la réponse est bien entendu non. «Il y a des compétences proto-mathématiques [qui devancent les connaissances mathématiques, NDLR] qui semblent partagées par plusieurs espèces», explique Arnaud Viarouge. «Mais c'est différent des mathématiques formelles, celles que nous pratiquons avec les symboles numériques. Chez les très jeunes nourrissons, il y a déjà la compréhension de certaines notions numériques. C'est compliqué de comprendre comment ce type de compétence peut être partagé par des espèces éloignées. Peut-être s'agit-il d'un héritage du parcours évolutionnaire. D'un ancêtre commun qui a eu besoin de ses compétences proto-mathématiques pour survivre et l'a transmise à sa descendance.»
Le système de numération babylonien
L'histoire du zéro s'articule autour de l'histoire de la pensée car, plus que tout autre nombre, le zéro avait de lourdes conséquences philosophiques. En effet, le zéro signifie l'absence et le vide, ce qui était parfois difficilement acceptable dans certaines civilisations qui rejetaient aussi bien le néant que l'infini.
Les Grecs, peuple pourtant mathématicien, ont rejeté le zéro pour ces raisons. Ainsi, Euclide énonce : « Est unité ce selon quoi chacune des choses existantes est dite une ». En d'autres termes, est un ce qui existe. Le vide n'existant pas selon Aristote, le nommer est sans intérêt voire faux.
Ce sont les Babyloniens qui vont les premiers utiliser le zéro (vers le IIIe siècle après J.-C.), non pas comme un nombre ni même un chiffre, mais en tant que marqueur signifiant l'absence. Par exemple, si l'on voulait transposer le nombre 507 par écrit, on écrivait 5 7 ; il y avait cinq centaines, aucune dizaine et sept unités. Pour se rappeler cette absence et éviter un confusion avec le nombre 57, les scribes (et non les mathématiciens) inventèrent un marquage prenant la forme d'un double chevron pour signifier cette absence.
Fondamentalement, ce sont les savants indiens qui vont faire évoluer le zéro vers le sens que nous lui reconnaissons aujourd'hui, à savoir d'un nombre entier non naturel, pair, ni premier, ni positif, ni négatif. Dans la philosophie hindoue, le vide et l'infini sont dans l'essence même du cosmos, aussi le zéro va-t-il devenir un nombre à part entière. Il sera défini comme la soustraction d'un nombre par lui-même (x - x = 0). Le zéro est alors appelé sunya ce qui signifie le vide. Au XIIe siècle, le mathématicien indien Bhaskara parvient à établir que 1/0 = l'infini. Il démontre ainsi, la relation qui existe entre le vide et l'infini.
Au IXe siècle, les Arabes emprunteront aux Indiens le zéro, le mot sunya devenant sifr. Ce ne sera finalement qu'au XIIe siècle que le nombre arrivera en Occident, le mot devenant zefiro pour devenir zéro à la fin du XVe siècle.
Des pistes pour l'intelligence artificielle ?
Si les abeilles peuvent apprendre une telle compétence mathématique apparemment avancée qui n’existe même pas dans certaines cultures humaines anciennes, peut-être viennent ici s'ouvrir des portes vers la compréhension du mécanisme sous-jacent à la compréhension du concept de vide ?
Le pavage du plan le plus économique en cire !
Pour stocker leur miel, leurs œufs ou d'autres trucs, les abeilles doivent faire face à un problème de taille lorsqu'elles construisent leurs alvéoles : quelle forme utiliser ? Leur instinct répond à leur place : les alvéoles en forme d'hexagone sont ce qu'il y a de plus malin, puisque c'est le pavage régulier le plus économique en terme de périmètre qui existe (et donc, pour une abeille, celui qui économise au plus la cire).
Le théorème du nid d'abeille pose donc la question du pavage du plan par des tuiles égales ayant le plus petit périmètre possible (pour une aire donnée). Si on se limite aux tuiles en forme de polygones réguliers, on trouve 3 tuiles possibles : les tuiles carrées, triangulaires ou hexagonale. Quelques calculs suffisent à montrer que la tuile hexagonale est le meilleur choix.
Mais pourquoi devrait-on à tout prix utiliser des tuiles régulières. On peut parfaitement paver le plan avec des tuiles en forme de parallélogramme, par exemple ! Il y a alors une infinité de tuiles possibles, ce qui complique considérablement les choses. Le problème est très ancien (on le retrouve dans les traités mathématiques antiques), et a été considéré par beaucoup comme l'un des plus grands problèmes de la géométrie. Après plusieurs siècles de travail, le CQFD final de la démonstration a été écrit en 1999, sous le bic de Thomas Hales (qui a aussi résolu la conjecture de Kepler).
VOIR AUSSI :
super article merci,
RépondreSupprimerlegerement différent des articles habituels ...
merci pour la totalité de votre travail ;)