Les forces spéciales américaines opèrent secrètement dans près de la moitié de l’Afrique, révèle un nouveau rapport, alors que l’armée US ne cesse de brandir la menace de la Chine et de la Russie
Les forces d’opérations spéciales des États-Unis (SOF) —y compris les Navy SEAL, les Bérets verts de l’armée et les Raiders du corps des Marines— sont les soldats les plus entraînés de l’armée américaine, spécialisés dans la [prétendue] lutte contre le terrorisme, la contre-insurrection et les raids de combat à « action directe », entre autres missions. Leurs opérations sont entourées de secret.
Bien que les commandos américains opèrent sur le continent africain avec l’accord des gouvernements hôtes, les citoyens des pays concernés sont rarement informés de l’étendue des activités américaines —et n’ont pas leur mot à dire sur la manière dont les Américains opèrent dans leur pays, ni même sur les raisons de leur présence. Même les informations de base, comme le lieu et l’étendue des déploiements des troupes d’élite américaines et les combats clandestins des commandos américains sur le continent, ne sont pour la plupart pas rapportées à travers l’Afrique.
Empreinte des forces spéciales américaines en Afrique
Mais une enquête Mail & Guardian peut, pour la première fois, révéler les pays où opérateurs spéciaux américains ont été actifs sur le continent africain, et offrir des détails exclusifs sur des missions discrètes qui ont été largement tenues secrètes.
En 2019, les forces d’opérations spéciales américaines étaient [officiellement] déployées dans 22 pays africains : Algérie, Botswana, Burkina Faso, Cameroun, Cap-Vert, Tchad, Côte d’Ivoire, Djibouti, Égypte, Éthiopie, Ghana, Kenya, Libye, Madagascar, Mali, Mauritanie , Niger, Nigeria, Sénégal, Somalie, Tanzanie et Tunisie.
Cela représente une part importante de l’activité mondiale des forces d’opérations spéciales américaines : plus de 14% des commandos américains déployés à l’étranger en 2019 ont été envoyés en Afrique, le pourcentage le plus élevé de toutes les régions du monde à l’exception du Moyen-Orient.
Ces chiffres proviennent d’informations fournies au Mail & Guardian (M&G) par le Commandement des Opérations Spéciales et le Commandement Africain (AFRICOM) de l’armée américaine.
Un entretien avec Donald Bolduc, Général de brigade à la retraite et chef du Commandement des opérations spéciales en Afrique (SOCAFRICA) jusqu’en 2017, a permis de mieux comprendre ces opérations. Il a déclaré qu’en 2017, les forces d’opérations spéciales américaines avaient participé à des combats dans 13 pays africains. Les troupes américaines les plus élitistes ont continué d’être actives dans 10 de ces pays —Burkina Faso, Cameroun, Tchad, Kenya, Libye, Mali, Mauritanie, Niger, Somalie et Tunisie— l’année dernière.
L’empreinte militaire des États-Unis en Afrique est considérable. Des rapports antérieurs ont révélé l’existence d’une série de bases militaires à travers le continent. Les documents de planification AFRICOM 2019 autrefois secrets montrent qu’il y avait 29 bases situées dans 15 pays ou territoires différents, avec les concentrations les plus élevées au Sahel et dans la corne de l’Afrique.
Les activités des opérateurs spéciaux américains sont encore plus secrètes. Leur présence dans les pays africains est rarement reconnue publiquement, que ce soit par les États-Unis ou par les pays hôtes ; les citoyens ne sont pas informés de la présence ou de l’action de ces troupes d’élite sur leur territoire.
L’armée américaine ne sait pas exactement ce que ses forces d’élite font dans chaque pays, mais des opérateurs spéciaux ont depuis longtemps mené des missions allant des raids commando de capture ou de mise à mort aux missions d’entraînement.
Le M&G s’est entretenu avec un large éventail de sources pour combler les vides, notamment des officiers militaires et des diplomates américains, des opérateurs spéciaux américains actifs et retraités, des gouvernements africains et des sources militaires, des bénéficiaires de la formation militaire américaine en Afrique et des témoins civils. Ce qui en ressort est une image globale des activités des forces spéciales américaines en Afrique.
Certaines opérations sont menées sous les auspices des soi-disant programmes de la Section 127e, du nom d’une autorité budgétaire qui permet aux forces d’opérations spéciales américaines d’utiliser des unités militaires locales comme substituts dans les missions de lutte contre le terrorisme. Pour des raisons de sécurité, le Special Operations Command ne publiera pas d’informations sur les programmes de la Section 127e, a déclaré le porte-parole Ken McGraw.
Cependant, le M&G a confirmé que ces dernières années, les États-Unis ont mené au moins huit programmes au titre de la Section 127e en Afrique, la plupart en Somalie. Ces activités en Somalie ont été menées sous les noms de code Exile Hunter, Kodiak Hunter, Mongoose Hunter, Paladin Hunter et Ultimate Hunter, et impliquaient des commandos américains entraînant et équipant des troupes d’Éthiopie, du Kenya, de Somalie et d’Ouganda dans le cadre de la lutte contre le groupe militant al-Shabab.
Actuellement, les États-Unis mènent deux programmes 127e en Somalie, selon un responsable d’AFRICOM.
Le nombre de missions terrestres effectuées par les commandos américains en Somalie n’a jamais été révélé auparavant, mais les documents de l’US Air Force obtenus par le M&G et corroborés par Bolduc indiquent l’ampleur de ces efforts. Les documents, du 449e Groupe expéditionnaire aérien basé au Camp Lemonnier à Djibouti montrent que les États-Unis et les pays partenaires ont mené plus de 200 missions terrestres contre al-Shabab entre juin 2017 et juin 2018.
Ce nombre n’est pas une anomalie. « C’est à peu près la moyenne, chaque année, pour le temps que j’y étais aussi », a déclaré Bolduc, qui a dirigé le Commandement des opérations spéciales en Afrique d’avril 2015 à juin 2017.
Le Commandement de l’Afrique caractérise les missions avec des forces partenaires comme des missions « de conseil, d’assistance et d’accompagnement » ou « AAA » (Advise, Assist and Accompany), mais ces opérations peuvent être indiscernables du combat. Au cours d’une mission AAA en 2017, par exemple, le Navy SEAL Kyle Milliken, un premier maître de 38 ans, a été tué, et deux autres Américains ont été blessés lors d’un raid sur un camp d’al-Shabab à environ 65 km à l’ouest de Mogadiscio, la capitale de la Somalie.
AFRICOM ne divulgue pas le nombre de missions de conseil, d’assistance et d’accompagnement par pays, mais dans un mail adressé au M&G, le commandement africain a reconnu 70 de ces missions en Afrique de l’Est en 2018, 46 en 2019 et 7 en 2020 début juin.
Parmi les autres efforts axés sur les opérations spéciales qui étaient toujours actifs dans la région en février 2020 figure « Oblique Pillar », une opération qui fournit un soutien par hélicoptère sous contrat privé aux Navy SEAL et aux unités de l’armée nationale somalienne qu’ils conseillent ; « Octave Anchor », une opération psychologique furtive axée sur la Somalie ; et « Rainmaker », un effort de renseignement électromagnétique hautement classifié.
L’Afrique du Nord-Ouest est un autre théâtre majeur des opérations spéciales américaines. Une grande partie du monde, par exemple, a pris connaissance des opérations militaires américaines en Afrique en octobre 2017, après que Daech a tendu une embuscade aux troupes américaines près de Tongo Tongo au Niger, tuant quatre soldats américains dont deux étaient des Bérets verts. Ces troupes appartenaient à l’équipe opérationnelle Détachement-Alpha 3212, une unité de 11 hommes travaillant avec une force nigérienne sous l’égide de l’opération Juniper Shield.
Juniper Shield est le principal effort de lutte contre le terrorisme des États-Unis en Afrique du Nord-Ouest, impliquant 11 pays : Algérie, Burkina Faso, Cameroun, Tchad, Mali, Mauritanie, Maroc, Niger, Nigéria, Sénégal et Tunisie. Sous Juniper Shield, les forces d’opérations spéciales américaines entraînent, conseillent, assistent et accompagnent depuis longtemps les forces partenaires locales menant des missions visant des groupes terroristes, y compris al-Qaïda et ses affiliés, Boko Haram et Daech. L’effort, selon les documents AFRICOM, était en cours depuis février.
*Source : Le Cri des Peuples
Version originale : Mail & Guardian (Afrique du Sud), le 11 août 2020
Traduction : lecridespeuples.fr
Cette enquête a été réalisée en partenariat avec le Pulitzer Center.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Les commentaires hors sujet, ou comportant des attaques personnelles ou des insultes seront supprimés. Les auteurs des écrits publiés en sont les seuls responsables. Leur contenu n'engage pas la responsabilité de ce blog ou de Hannibal Genséric.