« Ni Est ni Ouest, seulement la république islamique. » La devise qui tenait lieu de définition de la politique étrangère de l'Iran depuis la révolution de 1979, appartient désormais au passé. On pourrait lui substituer : ni Amérique ni Europe, mais la Chine. H. G.
L’été fut chaud, prodigue en incendies dévastateurs de nos forêts,
mais aussi en foyers savamment entretenus pour de futurs brasiers.L’officialisation tonitruante, le 15 septembre à la Maison Blanche,
de l’alliance tactique conclue par Israël avec les Émirats arabes unis
(EAU) et Bahreïn pourrait bien, le Gotha mondial n’étant pas à une
indécence près, valoir à Donald Trump un Nobel de la Paix… Mais ce n’est
pas le plus important. Car cet accord n’est pas un accord de paix.
Il
traduit la consolidation d’axes d’hostilité et de concurrence
économico-militaro-idéologiques. Il s’inscrit dans un contexte hautement
inflammable conjuguant l’affaiblissement aggravé de l’Europe sous les
coups de boutoir turcs impunis en Méditerranée orientale, la poursuite
des opérations en Syrie et en Libye, la déstabilisation du Liban et le
chantage américain exercé sur Paris pour que la France boive le calice
de la servitude jusqu’à la lie, et laisse tomber le pays du Cèdre en
déniant au Hezbollah son rôle d’interlocuteur incontournable (que cela
nous plaise ou non) dans l’équilibre politique libanais. Une façon
efficace de nous décrédibiliser définitivement au Levant et de nous
condamner à ne plus y servir à rien. Car, si le Hezbollah reste le
rempart des communautés chrétiennes locales face à une emprise sunnite
croissante, il est surtout, aux yeux de Washington, le prolongement de
la capacité de nuisance Iranienne dans toute la région. Il s’agit donc
de tarir son influence locale et régionale en s’attaquant aux avoirs
économiques de certains leaders économiques du Hezbollah, et de
démontrer que le Liban est un « État failli ».
Derrière cette tragédie humaine et économique, c’est donc bien
évidemment l’Iran qui est la cible ultime de Washington et de Tel-Aviv,
et c’est avant tout le JCPOA (Accord sur le nucléaire iranien) qui a été
le catalyseur de la conclusion de l’accord du 15 septembre. Le Liban,
comme la Syrie, la Libye, l’Irak ou le Yémen, ne sont que des espaces de
manœuvre pour atteindre « l’effet final recherché » par les stratèges états-uniens : affaiblir politiquement et financièrement le régime des
Mollahs, pour le désolidariser de la population, couper les ressorts de
la résilience patriotique, déstabiliser l’équilibre interne entre
courants réformateur et conservateur, pousser le régime à la
radicalisation puis à la faute. Et avoir enfin un prétexte pour frapper.
Les salves de sanctions, les manœuvres au sein du Conseil de sécurité,
les déclarations menaçantes du secrétaire d’État américain Pompeo et son
intimidation ouverte de tous ceux, entreprises et pouvoirs européens,
qui oseraient encore « travailler ou commercer avec l’Iran » ne laissent
aucun doute sur sa détermination à poursuivre la diabolisation tous
azimuts de la République islamique pour la pousser à la faute. Au point
d’avoir fait du sanguinaire prince héritier saoudien MBS un parangon de
démocratie et de modernité dans un assourdissant silence occidental et
notamment français. Nous sommes dans une telle schizophrénie stratégique
et diplomatique que l’on n’est plus même capables de réfléchir, moins
encore de réagir. C’est l’histoire de la paille et de la poutre. Seul le
Qatar, et Moscou avec prudence, semblent encore se ranger du côté de
Téhéran sur qui pleuvent les sanctions unilatérales américaines (le 17
septembre contre 47 individus et entités iraniens pour détruire la
capacité de nuisance cyber du régime) et désormais onusiennes, après la
tragique activation le 20 septembre du mécanisme retors de « Snap Back »
(piège destiné à en finir avec ce multilatéralisme récalcitrant et à
neutraliser les droits de véto russe et chinois notamment sur la
question de l’embargo sur les livraisons d’armes à Téhéran) qui vient de
permettre la réimposition automatique de toutes les sanctions
multilatérales contre l’Iran. La Russie grogne, la France, l’Allemagne
et la Grande Bretagne se désolent. Mais il est trop tard. Notre
impuissance consentie et finalement notre indifférence sont manifestes.
Vive donc l’unilatéralisme brutal !
Mais il y a un os dans ce brouet insipide qui sent le soufre et la poudre : l’Iran n’est pas, n’est plus seul. Il y a certes l’axe tactique d’Astana, qui le lie à Moscou et Ankara en Syrie et a empêché depuis 2015 le démembrement du pays et à son abandon aux milices islamistes sous label Daech ou Al-Qaïda avec notre complaisante et suicidaire bénédiction. En Libye, le jeu est plus complexe et l’alignement aléatoire. Washington y laisse bon gré mal gré agir Ankara contre l’Égypte, la Grèce, Chypre et même contre certains intérêts israéliens dans le gazoduc East-Med, car la Turquie joue ici utilement contre l’influence russe et gêne la convergence du « format d’Astana ». Mais, si Erdogan fait merveille en tant que nouveau proxy américain en Syrie et contre l’Allemagne grâce au chantage migratoire – qui fragilise la chancelière Merkel et fait espérer aux néocons qu’elle renoncera à l’achèvement de Nord Stream 2 – Washington ne parvient pas à contrôler tout à fait les ambitions néo-ottomanes de cet éminent membre de l’Otan qu’on laisse sans états d’âme menacer Paris en haute mer ou Berlin, mais qui s’appuie aussi sur la munificence qatarie pour s’opposer à Ryad et à la bascule actuelle des EAU et de Bahreïn sous contrôle américano-saoudo-israélien.
Las ! L’Iran a désormais un nouvel « ami » officiel, un protecteur discret mais redoutable, infiniment plus gênant pour Washington que Moscou : Pékin ! La Chine en effet, engagée dans un jeu planétaire de consolidation de ses zones d’influence, de captation de nouvelles clientèles et de marchés, mais aussi de sécurisation de ses approvisionnements notamment énergétiques, vient de pousser un pion cardinal en volant au secours de la République islamique au moment où celle-ci se préparait à essuyer un désaveu au Conseil de sécurité de l’ONU de la part des Européens. Car le multilatéralisme est en miettes, la loi de la jungle plus implacable que jamais et le nombre de grands animaux type « mâles dominants » augmente dangereusement…
Pékin a donc saisi l’occasion de la curée américaine sur Téhéran pour lancer une contre-offensive redoutable à la manœuvre américaine, plus puissante qu’un droit de véto…. en offrant à Téhéran (l’accord en cours de négociations a opportunément « fuité » en juillet ) 400 milliards de dollars d’aide et d’investissements (infrastructures, télécommunications et transports) assortis de la présence de militaires chinois sur le territoire iranien pour encadrer les projets financés par Pékin, contre une fourniture de pétrole à prix réduit pour les 25 prochaines années… et un droit de préemption sur les opportunités liées aux projets pétroliers iraniens. Cet accord, véritable « Game changer », n’a quasiment pas fait l’objet d’analyse ni de commentaire…
Ses implications sont pourtant cardinales : à partir de maintenant, toute provocation militaire américaine orchestrée pour plonger le régime iranien dans une riposte qui lui serait fatale reviendra à défier directement Pékin… En attaquant Téhéran, Washington attaquera désormais Pékin et son fournisseur de pétrole pour 25 ans à prix doux. Pékin qui se paie d’ailleurs aussi le luxe de mener parallèlement des recherches avec Riyad pour l’exploitation d’uranium dans le sous-sol saoudien…. Manifeste intrusion sur les plates-bandes américaines et prolégomènes d’un équilibre stratégique renouvelé.
Ainsi, il est en train de se passer quelque chose de très important au plan du rapport de force planétaire et des jeux d’alliances. Les grandes manœuvres vont bien au-delà du seul Moyen-Orient qui comme le reste du globe, est réduit au statut de terrain de jeu pour le pugilat cardinal qui oppose désormais, dans une « guerre hors limites » assumée, Washington à Pékin.
Dans ce contexte, notre incapacité à désobéir et surtout à définir enfin les lignes simples d’une politique étrangère indépendante et cohérente, nous coupe les ailes, sape notre crédibilité résiduelle et nous rend parfaitement incapables de protéger les « cibles » américaines qui ne sont pourtant pas les nôtres et ne servent en rien nos intérêts nationaux, qu’ils soient économiques ou stratégiques. Il faut sortir, et très vite, de cet aveuglement.
Par Caroline Galactéros, Présidente de Geopragma
Téhéran et Pékin , c'est "je t'aime moi non plus" .
RépondreSupprimerUne Chine hyper-laïque peut-elle vraiment faire bon ménage
avec un Iran hyper-religieux ?
Bien sûr ! Il s'agit ici d'enjeux stratégiques importants pour les deux pays, et pas culturels.
SupprimerLes 2 idéologies sont bien au-delà du simple "culturel" .
SupprimerCulturellement et Confucius-ment il n'y a pas grandes différences entre ces nations, effectivement, dans un premier "grand" temps c'est plutôt stratégique
RépondreSupprimer??? Quel rapport entre Confucius et Mahomet ???
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