vendredi 9 octobre 2015

La France à la recherche de son ancien mandat colonial en Syrie


La décision de la Russie d’utiliser sa force aérienne en Syrie était une étape nécessaire, essentielle pour maintenir l’équilibre des forces en Méditerranée orientale. Il n’y a aucune solution de rechange: les intérêts géopolitiques de la Russie dictent de bloquer l’Etat islamique et l’avance d’autres groupes terroristes vers la côte méditerranéenne. Il n’est pas question ici de messianisme, bien qu’historiquement Saint-Pétersbourg, et plus tard Moscou, ont toujours été sensibles aux signaux provenant du Moyen-Orient. Dans le même temps, l’Occident est en train de ressortir des archive, des cartes qui remontent au mandat français en Syrie et au Liban (1923 à 1946). Cela signifie que non seulement la frontière entre la Syrie et le Liban est remise en question, mais la frontière turque également.
 Carte de la Syrie (mandat français)
La Syrie sous mandat français 1920



Washington, Londres, Paris et Tel Aviv ont totalement contrôlé la crise syrienne – jusqu’au 14 Juillet 2015. Après la signature de l’accord avec l’Iran à Vienne, Téhéran est alors passé sur le devant de la scène dans le grand jeu de l’approvisionnement en gaz, et de l’intensification de l’activité militaire à la frontière libano-syrienne. Paris et Tel-Aviv ont vu ce geste comme un défi et ont effectué une série de frappes aériennes sur la Syrie à la fin Septembre. Lorsque l’ancien président français Valéry Giscard d’Estaing s’était exprimé à ce sujet, il parlait dans l’esprit des guerres coloniales du 19ème siècle, exhortant l’ONU à envoyer en République Arabe Syrienne des forces dirigées par un général français, transformant le président Assad en chef virtuel, dignitaire qui pourrait être débarqué en cas de besoin pour consacrer la restauration de Paris dans son mandat. Cela représente un progrès rapide. La figure historique du général Henri Gouraud saute à l’esprit, qui en 1920 a battu le roi Fayçal I d’Irak (un membre de la dynastie hachémite) à la bataille de Maysalun, capturant ainsi Damas. Gouraud était tellement impitoyable dans sa conquête du royaume arabe de la Syrie que, en 1921, il réussit à se tailler, à partir de ce vaste territoire, l’État de Damas, l’État d’Alep, l’Etat Alaouite (connu sous le Sandjak de Lattaquié), Jabal al-druze (l’État druze), le Sandjak d’Alexandrette (Iskenderun aujourd’hui et la province de Hatay dans le sud de la Turquie), et également le Grand Liban (1920). Ces unifications ont duré sous différentes formes jusqu’en 1946, quand Paris a retiré ses troupes sous la pression des nationalistes arabes.
Proclamation de l’Etat du Grand Liban, Gouraud avec le Grand Mufti de Beyrouth Sheikh Mustafa Naja, et à sa droite, le Patriarche Maronite Elias Peter Hoayek, le 1 septembre 1920.
Proclamation de l’État du Grand Liban, Gouraud avec
le Grand Mufti de Beyrouth Sheikh Mustafa Naja,
et à sa droite, le Patriarche Maronite Elias Peter Hoayek,
le 1 septembre 1920.
D’un point de vue géographique, les Français opèrent aujourd’hui dans leur sphère d’influence, qui a été formée à la suite de la conférence de San Remo en 1920. Pour cette raison, l’armée de l’air française a lancé des attaques (le 27 septembre) sur la ville riche en pétrole de Deir ez-Zor, située dans le Nord-Est du pays, où en 1921 ils avaient mis en place une garnison militaire, qui a été incorporée dans une Syrie unifiée en 1946. L’empire colonial français, qui a été enterré en 1962 sous les décombres de l’insurrection en Algérie, n’a pas seulement survécu dans les esprits de l’élite politique, mais il montre aussi sa détermination à se réincarner.
Le paradoxe est que Assad, un alaouite, ne demande pas l’assistance militaire de Paris, qui, dans l’esprit des Syriens est un symbole du colonialisme européen pur et dur, mais celle de Moscou. L’Union Soviétique s’est effondrée en 1991, mais les gens du Moyen-Orient ont des souvenirs positifs de la présence soviétique dans la région. En ce sens, les frappes aériennes menées par l’armée de l’air russe sur les positions de Jabhat al-Nusra et Daesh marquent absolument les contours de nouveau cadre postcolonial pour le Moyen-Orient, qui a été créé non pas par la diplomatie secrète, mais à travers la volonté de Damas et Moscou. Cela a provoqué l’indignation d’une France orgueilleuse. Pourtant, tout est fait d’une manière tout à fait légale : les actions de Moscou sont soutenues par un accord bilatéral (avec Damas) de traité d’amitié et d’assistance mutuelle. François Hollande ne peut pas cacher son ressentiment, et il accuse maintenant Assad de massacres. Et ce n’est pas une rhétorique vide. Paris essaie de prétendre que cette question relève de la compétence de la Résolution 2005 sur la Responsabilité de Protéger (R2P), qui oblige le Conseil de Sécurité des Nations Unies à utiliser la force contre les régimes qui permettent le « nettoyage ethnique », le « génocide », ou les « massacres de masse ». Les Français n’ont pas perdu espoir. Après tout, le « truc » avait fonctionné avec le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi.
L’influence plus forte de la Russie au Moyen-Orient est un fait qui a déjà été reconnu par les États-Unis et la Grande-Bretagne. Le Premier ministre David Cameron, qui maintenait une position intransigeante concernant l’emprise de Bachar al-Assad sur le pouvoir, dit maintenant que le leader syrien pourrait jouer un rôle dans un « gouvernement de transition », même si en public, il continue à le menacer d’un tribunal international, en travaillant en synchronisation avec Hollande. The Guardian a cité Cameron disant que « Jusqu’à présent, le problème a été que la Russie et l’Iran n’ont pas été en mesure d’envisager un futur état Syrien sans Assad ».
Les Israéliens sont en colère, surtout après ces paroles de Poutine: « Nous respectons les intérêts d’Israël liées à la guerre civile syrienne. Mais nous sommes préoccupés par ses attaques contre la Syrie ». Langage diplomatique qui signifie en clair : ceci est un avertissement. Le Ministre de la Défense Moshe Ya’alon a répliqué, « Israël ne coordonne pas ses opérations en Syrie avec la Russie ». Il estime que la frontière entre l’Etat juif et la République Arabe Syrienne est la prérogative exclusive de Tel-Aviv. Le Kremlin ne conteste pas cette position, qui découle de la vision israélienne des frontières futures du Moyen-Orient (y compris Jabal al-druze). Le problème est ailleurs. Sans aide extérieure, Israël pourrait-il être prêt à survivre à un tremblement de terre politique dans le monde musulman?
Sarkis Tsaturyan
historien russe d’origine arménienne et analyste de politique internationale. Il enseigne à l’Université de l’amitié des peuples Moscou.

Titre original : France: seeking old mandate in Syria - Traduction : Avic – Réseau International - Source en russe: Regnum
Source en français : http://www.france-irak-actualite.com/

Commentaire

Du colonialisme au sionisme :  continuité idéologique du parti socialiste

« Il appartient au gouvernement israélien de prendre toutes les mesures pour protéger sa population face aux menaces ». C’est par ces mots que le président socialiste François Hollande annonce son soutien au gouvernement israélien trois jours après le début de l’attaque militaire contre Gaza qui a déjà fait des milliers de morts et de blessés, sans compter toute l'infrastructure détruite à 100%.

Beaucoup ont été à juste titre scandalisés, d’autres également nombreux ont été naïvement surpris. Une simple lecture de l’histoire du socialisme français suffit pourtant à saisir que la continuité idéologique du parti socialiste est sans faille sur cette question : le soutien au sionisme aujourd’hui plonge ses racines dans le colonialisme qui a marqué toute l’histoire du socialisme français.

François Hollande est le continuateur  du colonialisme de Guy Mollet

Guy Mollet reste dans l’histoire celui qui demande les pouvoirs spéciaux en Algérie et les obtient par 455 voix, c’est-à-dire la quasi-unanimité, y compris les voix des députés communistes. Ces pouvoirs déclenchent ce qu’André Philip a dénommé le « crime de pacification  » c’est-à-dire la légalisation, en Algérie,  de la répression, de la torture et d’une guerre à grande échelle contre les civils au prétexte de lutter contre les « terroristes ».
En 1956, nous en sommes encore à la vieille thèse de la mission civilisatrice. Le colonisé, l’indigène, l’arabe, le musulman, etc., est perçu comme porteur de féodalité et de barbarie et il revient au colonisateur de l’éduquer et d’évaluer sa capacité à vivre libre.
Rappelons aussi ce que disait à l’époque François Mitterrand, autre figure idéologique du parti socialiste français. Alors ministre de l’intérieur, il déclara coup sur coup :
« En Algérie, la seule négociation, c’est la guerre » (5 novembre) ;
« L’Algérie, c’est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d’autre autorité que la sienne » (7 novembre)

Par ailleurs, le soutien socialiste au sionisme est tout simplement la continuité idéologique du colonialisme socialiste. C’est d’ailleurs la même raison qui conduit les socialistes au culturalisme intégrationniste en ce qui concerne les immigrés et leurs enfants français. Pour eux aussi, l’approche n’est pas celle du traitement égalitaire mais celle de l’intégration et de la civilisation.
En 1956 comme en 1967 et comme aujourd’hui, le sionisme stratégique socialiste justifie l’idée d’une guerre préventive basée sur le droit de légitime défense d’Israël. François Hollande justifie les bombardements en Syrie comme le droit à une guerre préventive contre le terrorisme, sauf que ses bombes ne sont pas larguées sur les terroristes takfiristes, mais elles visent les infrastructures syriennes : routes, ponts, puits de pétrole et de gaz, etc. Avec, bien sûr, quelques dégâts collatéraux : des centaines de victimes civiles.
L’héritage sioniste n’est pas seulement ancien mais aussi ancré dans l’identité colonialiste du socialisme français, elle-même issue de la conviction d’une supériorité culturelle des civilisations européennes sur les autres.
Source : http://www.michelcollon.info/Du-colonialisme-au-sionisme.html