mardi 25 août 2015

Comment la Russie s’est réveillée : souvenez-vous de l’Ossétie du Sud



Préambule
Il est aujourd’hui très instructif de lire cet article du Saker original, publié avant même la fin des combats. Alors que cette guerre (7 août – 16 août 2008) marque le point historique à partir duquel la Russie a refusé de reculer, cet article est l’une des premières analyses qui ont expliqué ce grand retournement. À l’heure de la guerre en Ukraine et au Moyen-Orient, de la guerre économique, de la propagande anti-russe la plus effrénée, cet article très complet permet de remettre notre actualité en perspective.

Les événements d’Ossétie du Sud, imprévus et tragiques, ont laissé la plupart des experts occidentaux sans voix. Pendant qu’une majorité d’entre eux se réfugiait sur la solution routinière de donner tort à la Russie pour tout, d’autres, notamment à gauche, ont semblé hésiter sur ce qu’il fallait penser de cette guerre, beaucoup se sont éclipsés.

Contrairement à la blogosphère de gauche et à la presse libre et indépendante, les médias officiels ont aussitôt compris que cette guerre était l’occasion de prouver leur loyauté à leurs maîtres politiques et financiers. Tandis que CNN ne cessait tendre un micro à Saakachvili, 24 /24 et 7/7, les autres médias américains et européens reprenaient les argumentaires américains sur les causes et les effets de ce conflit. Cette approche purement idéologique d’une crise en plein déroulement aboutit à aveugler pratiquement tout le monde sur la vraie signification de ce qui était en train de se passer.

Deux discours pour remettre les pendules à l’heure

Le premier signe qu’il se passait quelque chose de radicalement nouveau aurait pu être trouvé dans le ton, sinon dans les mots, de l’allocution télévisée du Président Medvedev aux Russes, le jour où les Géorgiens attaquèrent. Bien que ces mots aient été choisis avec soin, et son explication brève, on aurait pu sentir quelque chose de nouveau dans le comportement de ce technocrate très policé, voire effacé. On aurait pu clairement sentir la rage et une colère profonde chez Medvedev.
Le second discours, encore plus surprenant, qui révélait le fond de la pensée des Russes, fut le discours prononcé par l’ambassadeur russe aux Nations unies, Vitali Chourkine. Sa déclaration ne fut pas écrite, elle fut spontanée. Chourkine, tout à fait calme, était clairement furieux, écœuré et très déterminé. Abandonnant le langage de l’ONU, toujours calibré et diplomatique (comprenez : ambigu), Chourkine a foncé dans le tas – seul un russophone qui écouterait l’enregistrement du discours peut apprécier pleinement la force de ces mots.
Une réalité cruciale est devenue évidente ce soir-là. Les Russes étaient vraiment sortis de leurs gonds, et ils allaient passer à l’action.
Pendant que Chourkine prononçait son discours, la blogosphère russe a littéralement explosé, avec des centaines d’articles exprimant la même colère et la même résolution.
Mais pourquoi les Russes sont-ils aussi furieux? Pourquoi se sentent-ils autant en colère après la mort de 10 ou 12 soldats des forces de maintien de la paix, plutôt qu’après la mort de tant de soldats russes en Tchétchénie? Pourquoi la Russie, qui a laissé partir l’Ukraine – l’origine de la nation russe – sans tirer un seul coup de feu, pourquoi donc la Russie était-elle si furieuse au sujet de cette invasion de l’Ossétie du Sud par les Géorgiens?
La réponse, bien sûr, c’est que ce n’est pas l’Ossétie du Sud qui est en jeu – c’est la Russie elle-même.

Qu’en est-il vraiment de la Russie du XXIe siècle ?

La Russie, telle qu’elle est aujourd’hui, n’est pas la continuation de la défunte Union soviétique, et encore moins la continuation de la Russie orthodoxe d’avant 1917, celle des princes et des Tsars. N’écoutez surtout pas les gens qui font de telles références : ces dernières ne servent qu’à masquer leur ignorance. Ce sont de jolis clichés pour de mauvaises analyses.
La Russie post-1991 est essentiellement un nouveau phénomène qui est sorti, après un accouchement difficile, des cendres de l’Union soviétique après une décennie et plus de chaos et d’effondrement. Pour résumer, après la dissolution de l’Union soviétique par ses élites (il n’y a jamais eu d’effondrement du communisme) et la division du gâteau soviétique en petites portions, la Russie s’est trouvée dans la main de dirigeants impitoyables et totalement corrompus. L’époque d’Eltsine marque le point le plus bas de toute l’histoire de la nation russe ; même la Seconde Guerre mondiale n’a pas provoqué autant de chaos et de destructions en Russie que 9 ans de démocratie. Il n’a fallu que très peu de temps pour que l’ancienne superpuissance soviétique soit réduite à l’état de pays failli. Deux forces alliées très proches ont été essentielles dans ce processus, l’une à l’intérieur, les oligarques, et l’autre à l’extérieur : les États-Unis.

La Grande Trahison

Est-ce que vous vous souvenez des années 1985-1990? Comment l’Occident avait promis à Gorbatchev que si l’Union Soviétique retirait ses troupes de l’Europe de l’Est, l’Otan ne s’étendrait pas? Comment on a dit aux Russes que s’ils laissaient libres les autres Républiques de l’Union soviétique, l’Occident les aiderait économiquement et politiquement? Vous ne vous en souvenez sans doute pas, c’est une vieille histoire maintenant, quelque chose que les gens, à l’Ouest, doivent oublier. Ce serait faux d’en conclure que les Russes, au contraire, ont ruminé ce qui s’est passé pendant ces années et tous les mensonges qu’on leur a dit. En fait, non, pour la plupart. Ce qui les inquiétait, c’est ce qui a suivi la fin de l’Union soviétique.
Pensez-y. Non seulement l’Otan s’est étendue jusqu’à inclure pratiquement toute l’Europe de l’Est [et même les pays baltes, d’anciennes républiques soviétiques, NdT] (quelqu’un peut me dire quelles circonstances pourraient justifier le maintien de cette alliance?), mais en plus et en toute illégalité, l’Ouest a attaqué et démembré le seul pays encore ami de la Russie : la Yougoslavie. Les politiciens américains aiment à dire qu’ils envoient des messages et que le bombardement des enclaves serbes en Croatie et en Bosnie, suivi par le bombardement du Kosovo, de la Serbie et du Montenegro par l’Otan a envoyé un message à la Russie : « Dégagez – allez vous faire… ». Le message a été reçu 5 sur 5.
Ensuite, il y a eu la guerre en Tchétchénie, au cours de laquelle l’Occident a soutenu becs et ongles des gens qu’on peut juste qualifier de wahhabites assoiffés de sang et complètement dingues. Oh, bien sûr, le 11 septembre a entraîné un virage à 180 degrés de cette politique, mais ce fut trop peu, trop tard.
Et ensuite, il y a eu la longue liste des agressions de cette politique écœurante de l’Occident : les radars et les missiles en Europe de l’Est, toute ces affaires rocambolesques des meurtres de Politkovskaia et de Litvinenko, qui auraient été tués par le KGB, les pleurnicheries au sujet des élections «pas si démocratiques que ça» en Russie (n’importe qui en Russie sait que ni Poutine ni Medvedev n’ont eu besoin de truquer les élections), l’approbation de la farce électorale en Géorgie, le refus systématique de négocier quoi que ce soit avec la Russie (on appelle cela, en langage officiel, fermeté, ou unilatéralisme), et enfin, le meilleur pour la fin : le soutien obscène aux fameux oligarques (qui a financé les campagnes de propagande au sujet de Politkovskaia et de Litvinenko, à votre avis?).
Les oligarques pourraient, au mieux, être comparés à ces sangsues mercenaires qui, avec l’appui toujours réitéré de l’Occident, ont tenté de saigner la Russie de toutes ses ressources. Et, il faut le reconnaître, ils ont fait du bon boulot. Les conseillers politiques américains ont envahi Moscou et ont apporté toute l’aide et l’expertise nécessaire pour que ces oligarques (beaucoup d’entre eux étant juifs) pillent la Russie le plus vite possible. Très peu de gens le comprirent à l’époque : il restait une force qui laissait faire tout cela, plutôt cyniquement… et qui attendait son heure pour riposter.

Le Pouvoir Caché – les gens de Poutine

Pendant que le pouvoir officiel, en Union soviétique, résidait au sein du Conseil de Sécurité du Politburo, le vrai pouvoir, le pouvoir profond était tenu par le Comité central de l’Union soviétique. Peu de gens ont compris, même aujourd’hui, que le KGB, prétendument tout-puissant, n’avait pas de droits, pas même celui d’enquêter sur un membre du Comité central. D’où cette situation paradoxale : tandis que l’élite intellectuelle de l’Union soviétique était concentrée dans les rangs du KBG, sans aucun doute, le vrai pouvoir politique était dans les mains du Comité central. Et ce décalage a contribué à la prétendue stagnation des années Brejnev.
Pendant que l’Union soviétique se défaisait, en 1991, le KGB est entré en clandestinité, faisant profil bas pendant que les passions politiques du moment, et notamment cette haine du KGB pour son oppression du peuple russe, occupaient le devant de la scène. De nombreux officiers du KGB ont quitté l’Agence (comme on surnommait le KGB en interne), ont rejoint la mafia russe et sont devenus des businessmen. Quelques-uns ont pris leur retraite et d’autres, très habilement, se sont lancés dans une carrière politique sous l’étiquette patriotes ou démocrates (ou les deux). Mais un groupe de jeunes officiers ont réussi à se regrouper et à se réorganiser, loin des regards.
Ce groupe, installé à Leningrad, comprit que le KGB, et tout ce qu’il représentait, n’avait plus aucun moyen de rallier les foules, sauf si la situation en Russie sombrait dans le chaos et le désespoir. Ces officiers, pour la plupart issus du Premier Directorat (PGU) – le renseignement extérieur plutôt que la sécurité intérieure – comprirent très bien les intentions de l’Ouest, et ils savaient qui avait mis les oligarques au pouvoir après 1991. Alors, contrairement à leurs malheureux collègues du KBG affaires intérieures, ces officiers attendirent le bon moment pour lancer leur manœuvre. Et ce moment arriva en 2000, quand ils convainquirent les oligarques un peu trop sûrs d’eux-mêmes de soutenir Poutine, un bureaucrate falot et sans aucun charisme, comme candidat de compromis qui ne menacerait personne. La manœuvre réussit et sans tirer un seul coup de feu les hommes du KGB reprirent les rênes du pouvoir. Ils s’attachèrent immédiatement à purger la société de tous les oligarques qui ne se soumettraient pas à leur loi : plusieurs furent emprisonnés (Khodorkovski), d’autres s’enfuirent (Berezovski), et quelques uns furent tués (Doudaiev et compagnie).
Les Seigneurs impériaux de l’Ouest prirent très vite la mesure du problème, mais ils ne pouvaient rien faire. Doubleyou Bush avait perdu la Russie. Les Britanniques, furieux d’avoir vu la totalité de leur réseau en Russie se faire tranquillement démanteler, se rabattirent sur une propagande plutôt futile au sujet des «meurtres du KGB». Et comme on s’en doute, cela n’intéressa personne, et en impressionna encore moins, en Russie. Par contre, les États-Unis décidèrent d’augmenter, en y allant à fond cette fois-ci, leur campagne internationale pour isoler et affaiblir la Russie. Plus récemment en France, dirigée maintenant par les néocons Sarkozy et Kouchner [l’article a été écrit en 2008, mais cela a-t-il changé depuis? NdT], se joignit aussi au chœur anti-russe, mais ils n’eurent pas plus de succès que les Britanniques.
Il faut absolument comprendre que les gens du KGB qui avaient réussi à chasser les oligarques du pouvoir avaient bien vu, dès le premier jour, que les oligarques étaient des agents de l’Ouest. Il faut comprendre aussi que ces officiers n’avaient strictement aucune illusion sur l’Occident, son rôle, ses méthodes et ses objectifs. Pour eux, l’Ouest avait apporté la preuve, au-delà de tout doute possible, que le vieux KGB soviétique avait bien raison quand il qualifiait l’Occident «d’ennemi numéro un» : les oligarques n’étaient pas anti-soviétiques – ils étaient anti-russes.
Mais il y a autre chose qu’il faut garder à l’esprit : c’est vrai, ce n’est pas faux de parler de l’importance du KGB (et en particulier du PGU) dans cette bataille, mais ce serait réducteur de tout ramener à une organisation. En plusieurs occasions, le GRU, service de renseignement militaire, moins connu que le KGB, mais tout aussi sophistiqué et puissant, a conclu une alliance avec les gens de Poutine et ces deux organisations, autrefois plutôt rivales, travaillent désormais ensemble pour un but commun. Les gens de Poutine (et là je me réfère à Poutine, non comme dirigeant, mais seulement comme symbole, comme figure de proue) sont réellement composés d’un mélange entre les jeunes générations d’officiers du renseignement russe venant de différents services, qui unissent leurs efforts avec des personnalités-clés des complexes militaro-industriels et pétrochimiques. Ils représentent un changement de génération, bien plus que de simples intérêts corporatistes. Et c’est une évidence à rappeler, ils sont immensément populaires en Russie. Et comment pourrait-il en être autrement, quand on sait que les gens de Poutine ont réussi rien moins qu’un miracle durant ces huit courtes années, de 2000 à 2008.
Enfin, ne vous inquiétez quand même pas trop pour ce sigle, KGB, qui peut sonner de façon sinistre. Rappelez-vous : ce n’est plus le KGB de vos parents, ce n’est plus celui de Staline, du Goulag ni des dissidents (qui furent traités seulement par le 5e directorat du KGB). Voyez-le plutôt comme une élite assez militarisée réunissant des anciens diplômés des meilleures universités, et laissez donc Hillary et McCain cracher leurs bêtises sur «la froideur très KGB du regard d’acier de Poutine».
Mais malgré tous ces aspects inquiétants, et il y en a, ces nouveaux dirigeants russes ont réussi à faire renaître la Russie comme au temps de sa splendeur, et maintenant ils sont aux commandes.

Le juste retour des choses

C’est amusant, en tous cas pour moi, d’entendre les Américains menacer maintenant la Russie de dommages à long terme dans leur relation. Réfléchissez : y a-t-il encore une seule chose, un seul dommage, que les Américains auraient pu infliger à la Russie et qu’ils n’aient pas encore fait? Sauf une guerre nucléaire. Un cinglé à l’Heritage Foundation suggère maintenant que l’Occident empêche la Russie d’organiser les Jeux Olympiques [rappel, l’article date de 2008, NdT]. Sans rire! Une option un peu plus réaliste serait de mettre en place des sanctions économiques, sauf que cette idée oublie deux simples faits : d’abord, la Russie n’a vraiment pas besoin de l’Ouest, et ensuite, c’est oublier que le reste du monde n’a absolument aucun intérêt à couper les ponts avec la Russie.
Ayant déjà perdu leurs guerres en Afghanistan et en Irak, ayant à peine de quoi soutenir un conflit avec l’Iran, les États-Unis pensent néanmoins s’en prendre à la Russie. L’Union européenne, et la bouffonnerie de ses dirigeants ne peut le cacher, est totalement dépendante du gaz russe et n’a plus aucun moyen militaire pour intervenir dans le conflit. Pire, n’importe quelle crise dans une région riche en hydrocarbure (comme le Caucase) ne fait qu’enrichir la Russie et appauvrir l’Ouest. Le billet vert est en chute libre et l’économie américaine en récession. Vous souvenez-vous de cette expression, «tigre de papier»?
Dans leur folie impériale, semble-t-il sans remède, les Seigneurs de l’Empire à Washington pensent qu’ils peuvent menacer la Russie d’un refroidissement de leurs relations, alors qu’en réalité c’est la Russie qui pourrait menacer ainsi l’Ouest. Mais les Russes ne vont pas le faire ; il y a une règle de base, dans la position solide tenue par les Russes, qui dit que vous ne devez jamais menacer, jamais promettre, seulement passer à l’action. C’est exactement ce qui vient de se produire en Ossétie.

Le conflit ossète : la première bataille d’une guerre beaucoup plus large

La Russie et les États-Unis sont en guerre, et ils le sont depuis 1991 – c’est le sale petit secret que les dirigeants de l’Empire tentent de préserver, et que la plupart des Russes ont percé à jour. Le conflit en Ossétie voit pour la première fois la Russie riposter, et pas seulement sur les pantins américains à Tbilissi, ni sur les forces armées géorgiennes entraînées par des instructeurs américains et israéliens, mais sur l’Empire lui-même. A son tour, la Russie envoie un message à l’Ouest : «Désormais, nous riposterons!»
La première réponse de l’Ouest à l’attitude russe est facile à deviner : les États-Unis vont en faire encore plus dans leur propagande anti-russe, l’Otan va se déclarer prête à accueillir l’Ukraine et peut-être aussi la Géorgie, et les politiciens occidentaux vont expliquer solennellement que leurs budgets militaires ont besoin d’être revus à la hausse pour faire face à la menace russe sur nos alliés et nos amis.
Est-ce que cela va faire reculer la Russie? Pas du tout.
Comme on l’a dit plus haut, la Russie a peu à craindre de l’Ouest sur le front économique. Et encore moins sur le front militaire. Comment est-ce possible?
Bien sûr, les États-Unis dépensent plus pour leur Défense (traduisez : leurs moyens d’agression) que le reste du monde, mais cela s’explique par l’ambition américaine de dominer le monde. La Russie, par contre, n’a nullement cette ambition. Tout au plus, la Russie veut être capable de mener une guerre à sa frontière et maintenir sa dissuasion nucléaire face aux États-Unis. Finalement, un objectif peu coûteux et plutôt facile à atteindre, pour lequel la Russie ne devrait sans doute pas avoir à se saigner aux quatre veines. Les États-Unis ne peuvent pas s’aligner sur une telle approche, parce que s’ils renonçaient à dominer le monde, ils s’effondreraient immédiatement sur le plan économique, et ils deviendraient un pays normal, comme tous les autres. Ce qui veut dire qu’ils ne pourraient plus s’en prendre à la Russie. Et donc les États-Unis sont pris dans une situation perdant-perdant : ils ne peuvent menacer la Russie et atteindre la domination mondiale, mais ils ne peuvent pas non plus abandonner le projet de domination mondiale et être capables, malgré tout, de menacer la Russie.
Là est le paradoxe : la Russie peut se permettre une course aux armements avec les États-Unis, justement parce que les États-Unis s’endettent déjà jusqu’au cou pour financer leurs forces armées obèses, excessivement chères et peu efficaces.

Alors, pourquoi les Russes sont-ils tellement en colère ?

Les Russes (aussi bien les gens du Kremlin que la population) sont furieux envers les Occidentaux parce qu’ils ont (bien) compris que l’Ouest les déteste et qu’il leur fait la guerre, unilatéralement, depuis 1991. Ils sont en colère à cause des deux poids-deux mesures et de l’hypocrisie occidentale, tellement énormes qu’on a du mal à les comprendre vraiment. Par exemple, c’est ahurissant d’entendre l’ambassadeur américain au Conseil de Sécurité des Nations unies accuser la Russie d’actions disproportionnées en Géorgie, alors que les États-Unis ont trouvé légitime de bombarder toutes les cibles, toutes les régions en Serbie et au Monténégro pendant la guerre du Kosovo. Vingt ans de messages «on vous déteste», de la part de l’Ouest, ne sont pas tombés dans les oreilles des sourds en Russie, et maintenant les sentiments sont semblables de part et d’autre.
Aujourd’hui, les Russes détestent autant, je pense, les Occidentaux qu’ils ont haï les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Et cette colère se nourrit de la certitude que la Russie est attaquée par un adversaire sournois, qu’on ne peut pas raisonner et avec lequel le seul langage possible est celui de la force. Ceux parmi vous qui ont regardé récemment les films à la télévision russe peuvent confirmer qu’ils sont envahis d’histoires sur la Seconde Guerre mondiale et les conditions que le peuple russe a dû accepter, avec des sacrifices terribles pour vaincre ; il y en a qui appelleront cela de la propagande, et c’est en partie vrai, mais c’est aussi l’expression de l’état d’esprit populaire, d’une façon de penser qui dit que vous devez vous battre pour survivre.
Cette agression inqualifiable sur les soldats de la paix russes, menée par le pantin géorgien de Washington et doublée par l’hypocrisie incroyable des médias occidentaux et des politiciens, tous ayant pris le parti de l’agresseur, a été le coup de trop pour la Russie. Cette affaire, qui semblait sans grande importance, surtout quand on regarde les chiffres («quoi de neuf?») a fini par devenir une date historique : désormais, on voit la Russie réagir face – pour reprendre une expression bien connue chez les néocons – à la menace existentielle de l’Empire occidental. Cela prendra du temps à l’Ouest pour comprendre ce qui s’est réellement passé et le plus obtus des experts et des politiciens restera probablement sur son discours habituel de vierge effarouchée, mais les historiens comprendront sans doute que, en ce mois d’août 2008, la Russie s’est décidée à riposter aux agressions de l’Empire pour la première fois.
 Le 12 août 2008
Source : The Saker