Après Nabeul [1] , voici donc une autre pépinière de djihado-sionistes, made in Tunisia. La "première ville sainte" (i.e. la première ville créée par les conquérants arabes) du Maghreb est une pépinière pour djihadistes. Des cités aux universités, les réseaux recrutent. Le djihad à 150 kilomètres de Tunis.
Les réseaux pullulent, entre mosquées
clandestines et foyers étudiants insalubres. Une zone de guerre,
difficile de définir autrement ce quartier. La cité El Menchia, qui
borde la route qui mène de Kairouan à Tunis, compte 48 000 habitants. 48.000 « déchets de la société » selon l'expression d'un de ses habitants.
Ni routes défoncées ni nids de poule : l'infrastructure urbaine se
résume à de la terre fracassée par le temps. De rares taxis s'y
aventurent. Un pick-up antédiluvien s'arrête. Le conducteur montre la
décharge où les enfants fouillent et lâche : « Ici, on fume le cannabis
le soir. » Et repart. En plein ramadan, sous un soleil de feu, les
habitants se font rares. Les ruelles désertées ne se rempliront que pour
la prière du vendredi. Des salafistes se dirigent vers une petite
mosquée, coincée entre de courtes maisonnées. Ce lieu de culte suscite
la crainte. Il est, selon la terminologie du ministre des Affaires
religieuses, « hors contrôle ».
Les prêches sont enflammés, violents
L'environnement assure à l'imam une certaine
sécurité. La police intervient peu. En mars 2014, le porte-parole
d'Ansar al-Charia, désormais en prison, officiait comme imam. Lorsque la
police décida de le déloger de la mosquée où il prêchait, les
affrontements culminèrent jusqu'à l'attaque des postes de police.
Cocktails molotov, routes coupées au moyen de pneus enflammés, jets de
pierre… Quelques arrestations suivirent. L'imam emprisonné, le quartier
demeure un foyer de salafistes radicaux, phénomène entretenu par une
misère endémique. Nizar a vingt-deux ans. Il est père de deux enfants.
Son premier est mort à l'âge de deux mois. Mais la mosquée dite hors
contrôle, tenue par les radicaux, a refusé son garçon. « Ils m'ont dit
que je ne faisais pas mes prières, que je n'étais pas un bon musulman »,
explique ce jeune homme au physique sec. Il vit juste à côté de ce lieu
de culte transformé en lieu de haine. Survient une voiture de la police
qui arrive à vive allure. Se gare devant Nizar. Fusil mitrailleur à la
main, un des policiers confisque pièces d'identité et passeport. « Une
formalité », dit-il. Puis de tancer les Tunisiens : « Ce n'est pas
patriote de parler de pauvreté et de salafisme aux journalistes. »
L'époque Ben Ali évoquée
En arrière-plan, les enfants récupèrent des
bouteilles en plastique dans la décharge improvisée. Et il évoque
l'époque Ben Ali, synonyme de prospérité et d'ordre. « C'est mon avis »,
répond-il à une question sur la légalité de ses propos. Sitôt la
formalité effectuée, la voiture repart. L'épicerie voisine s'amuse : «
On n'avait pas vu la police depuis plusieurs semaines… » Dans ce
quartier abandonné par l'État, la drogue et l'alcool circulent à ciel
ouvert. « On n'a que ça pour s'évader », confie un groupe de jeunes
adultes. La contrebande casse les prix des stupéfiants. Le cannabis
n'est pas cher, la bière Celtia se vend un dinar. Lorsqu'on évoque
Daech, la conversation est naturelle. « S'ils me donnent de l'argent
pour les aider, aucun problème », dit un père de famille. Deux femmes,
mère et fille, s'avouent « effrayées » par la situation. « À partir de
19 heures, on ne sort plus. » À quelque trois cents mètres, la route
menant à Tunis est comme une frontière pour certains. Sur les bas-côtés,
on vend des tabouna, ce pain rond, des sandwiches. Une femme confie sa
grande pauvreté. Pourquoi avoir cinq enfants ? « C'est comme ça… »
Absence de contraception et fatalité. Aucun n'est scolarisé. Elle n'en
voit pas l'utilité.
La faculté, incubateur pour extrémistes
La faculté de langues et des sciences
humaines accueille cinq mille étudiants. En cette période d'examens, les
lieux sont vides. L'heure est aux corrections des copies. Le doyen ne
mâche pas ses mots. « Quand j'ai pris mes fonctions début 2014, la
situation était catastrophique. » Il ne dit pas cela pour justifier d'un
beau bilan. En 2015, les extrêmes peuplent ce lieu où l'on étudie les
langues et les sciences humaines. Ce professeur d'arabe a été contacté
par ses pairs du Conseil scientifique début 2014. « Venez sauver
l'Université », lui demande-t-on. Deux jours plus tard, Abdelkrim
Laâbidi prend possession de son bureau. « En janvier, certains cycles
n'avaient pas commencé… » Outre l'absence d'eau dans l'internat des
jeunes filles, deux restaurants universitaires médiévaux, une plomberie
en ruines, l'homme écope des extrêmes. « À gauche et à droite »,
précise-t-il. Les jeunes des régions intérieures – de Sidi Bouzid à
Kasserine – viennent à Kairouan pour étudier. « 70% des nos étudiants
sont pauvres, certains ne mangent qu'un jour sur deux », explique le
doyen. Une aubaine pour les recruteurs au djihad. « J'ai décidé de
parler avec tous », dit-il, « afin de désamorcer la situation ». L'homme
de sciences déplore que les facultés de sciences humaines du pays
« soient devenues des foyers d'intolérance ». Et de citer « la faculté
de médecine de Tunis où l'on enseigne les Lumières, maintenant
phagocytée par les intégristes de tous bords» . Cet infiltration de
l'enseignement supérieur par les fous d'Allah s'explique par la
situation géographique de Kairouan. Les régions marginalisées depuis des
décennies y envoient leurs enfants étudier. À cela s'ajoute
l'effondrement de l'éducation sous Ben Ali et la complète absence de
repères. Parmi les élèves de cette fac, un cas très spécifique. Le
porte-parole d'Ansar al-Charia, mouvement dirigé par Abou Lyadh depuis
la Libye, apprend la philosophie par correspondance depuis sa cellule
tunisoise, à la prison de la Monarguia. Un hôte absent et encombrant. Le
jour des examens, le doyen a dû accompagner la voiture qui apportait le
sujet de philo au porte-parole à la prison de la Monarguia. Un
excellent élève par ailleurs…
« Le djihad, ce n'est plus en Irak, c'est en Tunisie ! »
L'imam salafiste de la mosquée de Bir Msiken
a paraît-il modéré son discours en raison de la présence
journalistique. Devant une assemblée de petits agriculteurs, de
travailleurs journaliers, d'enfants de quatre-cinq ans, Miraoui, 28 ans,
prêche en ce vendredi. Il fustige pêle-mêle « le gouvernement, les
ministres, les propriétaires de bars qui veulent la fermeture des
mosquées, Israël… » Il insiste : « Nous sommes des gens de paix » avant
de dire que « le vrai djihad, ce n'est pas en Irak mais en Tunisie ». Au
passage, il cingle « la presse de la honte », « la ministre de la Femme
qui est la véritable terroriste »… Prêche modéré, paraît-il. Quelques
habitants confirment que « chaque vendredi, des appels à la haine
sortent de cette mosquée ». Alentour, deux autres lieux hors contrôle
sévissent en toute quiétude. De nombreux minarets sont en cours de
construction à Kairouan et dans le reste de gouvernorat. L'origine du
financement ? « Les dons des habitants… » D'autres évoquent des
associations très généreuses. Vu la pauvreté ambiante, difficile de
croire que les subsides des journaliers suffisent. Après la prière, les
fidèles retournent au travail par ce jour brûlant. Deux garçons, pas
même six ans, rentrent seuls dans la cahute qui vend de l'essence de
contrebande sur le bord de la route. « C'est la future génération qu'ils
veulent fabriquer », dit un passant à voix basse.
Fermer les mosquées hors contrôle...
Après l'attentat de Sousse, 38 morts à
l'hôtel Riu Imperial Mahraba, puis l'entrée en vigueur de l'état
d'urgence, le gouvernement a annoncé vouloir fermer les mosquées hors
contrôle. Plus facile à dire qu'à exécuter. Un policier confie qu'il ne
suffit pas de « remplacer l'imam pour que les discours djihadistes
cessent ». À propos du ministre des Affaires religieuses, Othman Battikh
tient un discours à mi-voix. L'ancien mufti de la République sous Ben
Ali a son bureau dans un charmant palais beylical situé à une centaine
de mètres de la Kasbah, le Matignon tunisien. Sous l'ombrelle
rafraîchissante de la climatisation, il confie qu'il faut expliquer
« aux jeunes que dans le cadre de la loi ils ne doivent pas être
extrémistes ». Sa stratégie ? « Mettre en place des discours modérés
dans les mosquées et dans les écoles ». Pour l'heure, en vertu de l'état
d'urgence qui court jusqu'au 4 octobre, c'est le ministère de
l'Intérieur qui gère les dossiers. Et tape. Quotidiennement, des
communiqués égrènent des descentes, des arrestations (plus de 96.000
depuis le début de l'année), des cellules démantelées. « En guerre
contre le terrorisme », selon l'expression utilisée au sommet de l'État,
la Tunisie tente de faire face à l'expansion djihadiste dans un
contexte régional périlleux. L'Algérie connaît un retour du terrorisme
et la Libye est politiquement divisée, meurtrie par les affrontements
entre factions. À Kairouan, un imam estime que « la force ne suffira
pas, il faut restaurer l'éducation avant tout ». Cité El Menchia, on
n'attend rien de l'État. Et on prendra l'argent d'où il vient. Pas par
conviction. Pour bouffer.