Le rapport de la Cour des comptes relatif à la campagne
présidentielle dit long et pas assez. Comme dans celui des législatives,
les juges de la Cour des comptes ont préféré taire les noms des
candidats sulfureux ayant commis des infractions, parfois très graves.
Si la transparence totale, tant requise et réclamée par les candidats
eux-mêmes, n’est pas encore de mise et dans la culture des juges de la
Cour des comptes, il n’en demeure pas moins que ce que ces mêmes juges
ont révélé mérite déjà que l’on s’arrête dessus et que le parquet se
saisisse le plus rapidement possible des dossiers scandaleux de
candidats dont les discours ne parlent que d’intégrité et d’honnêteté.
Cette fois, vous ne verrez pas le CPR ou Attayar vous dire « Hell
eddoussi » (ouvrez le dossier) ou « houa yesreq wenti tkhaless » (lui,
il vole et toi tu paies). Les champions de Tunisie en discours pompeux
d’intégrité se taisent et se terrent dans le silence total après la
publication du rapport de la Cour des comptes relatif à la campagne
présidentielle de 2014.
Quand l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) a
publié son rapport dans lequel elle a épinglé plusieurs candidats,
Adnène Mansar a répliqué que l’ISIE n’est pas neutre et que son rapport est politisé.
On doute fort que M. Mansar oserait la même réplique avec la Cour des
comptes dont le rapport est tellement neutre qu’il frise l’insipidité et
tellement apolitique qu’il tait des noms impliqués dans de très graves
faits.
Le fait le plus grave cité par le rapport de la Cour des comptes est
indéniablement le million de dinars obtenu par ce candidat à la
présidentielle par deux pays, via l’ambassade de ce pays à Tunis et une
instance de coopération technique. Un pays étranger qui s’immisce dans
les affaires intérieures d’un pays en finançant un candidat à la
présidentielle devrait relever, ni plus ni moins, de la sécurité de
l’Etat. Et le châtiment prévu, dans un pareil cas et dans n’importe quel
pays souverain, est la peine capitale. En Tunisie, on tait le nom des
deux pays et on tait le nom du candidat qui a bénéficié de leur
financement.
« Hell eddoussi », aurait crié le CPR en d’autres circonstances, si
le suspect était un adversaire politique. Étrangement, c’est le silence
total du côté de Imed Daïmi. A propos de Daïmi, qu’est-il advenu de son
frère Abdelmonem qui présidait une association qui se faisait financer
par l’argent public tunisien, mais également de l’argent public qatari ?
La Cour des comptes a également signalé le cas d’un candidat qui a
obtenu des financements étrangers de l’ordre de 4,6 millions de dinars.
La justice a été saisie dans cette affaire.
Du rapport de 50 pages de la Cour des comptes, on relève plusieurs
autres scandales plus ou moins graves touchant les candidats. Pour les
faits les moins graves impliquant des petites sommes de quelques
milliers ou quelques dizaines de milliers de dinars, on peut citer
pêle-mêle, l’avocat Samir Abdelli ou le bâtonnier Abderrazak Kilani qui
ont obtenu des financements de personnes morales.
Moncef Marzouki, chantre de la transparence s’il en est, est épinglé
pour avoir obtenu 11 dons de 1010 dinars chacun sans signature du
donateur et sans même le nom du donateur pour 8 d’entre eux.
Autres noms de candidats ayant été épinglés pour des faits minimes,
Abdelkadder Labbaoui et Hamma Hammami ou encore Safi Saïd qui n’a pas pu
justifier la provenance de 29.000 dinars inscrits dans la rubrique «
ressources propres ».
Pour d’autres candidats, la Cour des comptes a relevé des différences
entre l’actif et le passif et les retraits du compte courant bancaire
et les montants réels dans la caisse, d’où l’on peut conclure que les
candidats ont bénéficié de dons non déclarés. Les cas cités sont Larbi
Nasra (342.000 dinars qui n’a pas comptabilisé ses propres ressources)
et Salem Chaïbi qui n’a pas déclaré 96.000 dinars. « Une simple erreur
dans la balance », a justifié ce candidat.
Des différences de montants ont également été constatés en comparant
le solde total et le solde détaillé des comptes de la juge Kalthoum
Kennou (28.000 dinars) et Hamma Hammami (900 dinars).
Le compte courant de Moncef Marzouki n’a pas atteint 80.000 dinars,
d’après la Cour des comptes, ce qui pousse à croire qu’il y également
des différences entre les montants réels et les montants déclarés. Le
même est épinglé pour les montants maxima des financements privés,
puisqu’il a dépassé les limites autorisées par la loi et a invoqué une
erreur de calcul de ces limites.
Pour les faits plus graves, la Cour relève les dépenses en argent
liquide strictement interdites dès lors que le montant de la dépense
dépasse 500 dinars. Le législateur a mis cette barre de 500 dinars pour
éviter tout type de transaction louche assimilable à du blanchiment
d’argent. Dans les pays développés, on interdit d’ailleurs les montants
élevés de transactions en liquide dépassant les 500 euros, même pour les
simples citoyens. Tout doit passer par des opérations laissant des
traces comme des cartes bancaires ou des chèques.
En Tunisie, on n’en est pas là et, encore une fois, ce sont les
donneurs de leçon en matière de transparence et d’intégrité qui se font
épingler. Alors que le montant maximal de la dépense en liquide est de
500 dinars, la Cour des comptes a relevé que Moncef Marzouki a atteint
130.394 dinars de dépenses en liquides non autorisées. L’ancien
président de la République est en tête de liste très loin devant Hamma
Hammami (40.785 dinars), Yassine Chennoufi (32.483 dinars), Abdelkader
Labbaoui (30.033 dinars), Safi Saïd (26.632 dinars), Abderrazak Kilani
(24.770 dinars), Kalthoum Kennou (13.576 dinars), Mustapha Kamel Nabli
(13.022 dinars), et Noureddine Hached (9610 dinars).
Plusieurs de ces candidats et bien d’autres ont été épinglés pour ne
pas avoir présenté de factures justifiant de leurs dépenses ou pour ne
pas avoir déclaré des dépenses bien réelles. On a invoqué les omissions
pour certains cas et on a relevé, dans d’autres cas, que les prestations
en question ont été offertes par les fans du candidat sans qu’il n’en
informe le bureau officiel de la campagne.
Si la Cour des comptes a pu auditer les comptes de ces candidats et
relever les infractions commises et les abus, elle relève dans la foulée
qu’il y a eu six candidats qui n’ont carrément pas présenté leurs
bilans. Ils encourent des amendes atteignant 25 fois le plafond de
dépenses fixé par la loi. Les six candidats cités par la Cour sont
Mohamed Frikha, Ahmed Néjib Chebbi, Mohamed Hamdi, Mokhtar Mejri,
Abderraouf Ayadi et Mondher Zenaïdi.
La Cour des comptes ne relève pas que des scandales d’ordre
financier, mais également d’infractions au code électoral en matière de
communication. Il y en a plusieurs pour les candidats au premier tour,
mais pour le second tour, elle relève un seul cas d’infraction, celui
d’un candidat qui a donné une interview à un média étranger. La cour
relève que l’ISIE lui a envoyé un avertissement et a saisi le procureur
de la République. Curieusement, on n’a pas entendu d’une instruction
ouverte par le procureur à l’encontre de l’un des deux candidats au
deuxième tour de la présidentielle. La Cour des comptes n’a pas donné le
nom du candidat en question, mais elle a précisé que celui-ci a donné
deux interviews à deux journaux étrangers les 8 et 9 décembre 2014.
En revenant aux archives, nous trouvons effectivement des interviews
(les 6 et le 8 précisément et non les 8 et les 9), mais celles-ci ne
touchent pas l’un des deux candidats, mais les deux candidats ! Moncef
Marzouki a donné des interviews les 6 et le 8 à Mediapart et Le Courrier
de l’Atlas (France), alors que Béji Caïd Essebsi en a donné au Soir
(Belgique). Curieusement, la Cour des comptes ne parle que d’un candidat
!
En résumé de son rapport, la Cour établit plusieurs recommandations
pour faire face à ce type d’abus lors des prochaines élections.
Si ceci est indéniablement constructif, ce serait également bien de
saisir la justice pour les anciens abus, commis par les candidats.
Notamment ceux qui refusent tout pardon avant réconciliation. Les
Tunisiens verront bien leurs réactions, et les réactions de leurs
proches et leurs fans, quand ils seront eux-mêmes sur le banc des
accusés pour des faits nettement plus graves que le vol de deniers
publics ou de corruption, puisqu’il s’agit, ni plus ni moins,
d’intelligence avec des pays étrangers.
Raouf Ben Hédi
http://www.businessnews.com.tn/
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