Malgré leurs désastreuses guerres d’Irak, les
néo-cons dominent toujours le jeu de la politique intérieure et
extérieure dans les hautes sphères de Washington, où les décideurs
politiques continuent à travailler la main dans la main avec les think-tanks
faiseurs d’opinion, pour maintenir le monde dans un état de tension
maximale et continuer à diriger les flux d’argent en direction des
projets militaires, processus que personnifient Robert Kagan et Victoria
Nuland.
Robert et Victoria, les Thénardiers du War Business
Victoria, ici avec le superbe aryen Klitschko. |
Si les néoconservateurs obtiennent une
fois de plus ce qu’ils veulent, des troupes US au sol vont réoccuper
l’Irak, l’armée américaine fera tomber le gouvernement séculier de Syrie
(donnant ainsi un coup de pouce bien utile à la prise du pouvoir par Al-Qaïda et l’État Islamique) et le Congrès des États-Unis ne fera pas que
tuer dans l’œuf l’accord Iran-USA, il votera dans la foulée une augmentation massive des dépenses militaires.
Équivalant à vaporiser de l’essence de
briquet sur un barbecue en pleine activité, les néo-cons veulent aussi
une escalade militaire en Ukraine, pour y éradiquer par le feu les
Russes ethniques de l’ouest du pays, et ils rêvent évidemment de
propager l’incendie jusqu’à Moscou, dans le but d’éjecter le président
Vladimir Poutine du Kremlin. Autrement dit, de plus en plus d’incendies
de « changements de régimes » impériaux à l’étranger, en même temps que
s’éteignent les dernières braises de la République Américaine sur son
sol.
Le plus gros de cette « stratégie » est
incarné par un couple de gens de pouvoir de Washington : l’archi-néo-con
Robert Kagan, co-fondateur du Projet pour un Nouveau Siècle Américain
(« Project for a New American Century » ou PNAC) et un des tout
premiers instigateurs de la Guerre d’Irak, et sa femme, la
Sous-secrétaire d’État aux Affaires européennes Victoria Nuland, qui a
manigancé, en Ukraine, le coup d’état de l’année dernière, et a réussi
de la sorte à déclencher une affreuse guerre civile et à provoquer
l’affrontement de deux puissances nucléaires, les États-Unis et la
Russie.
Kagan, qui s’est fait les dents comme
spécialiste de la propagande en appuyant de toutes ses forces la
politique brutale de l’administration Reagan au Nicaragua dans les
années 1980, est maintenant agrégé principal de la Brookings Institution et chroniqueur attitré au Washington Post, pré-carré de la presse d’opinion néo-conservatrice.
Vendredi dernier [17 juillet, NdT], la chronique de Kagan
a mis au défi le Parti Républicain de faire autre chose que juste de
l’opposition à Barack Obama sur son accord avec l’Iran, il a réclamé
d’eux un engagement total envers les buts néo-conservateurs, à savoir
une escalade militaire au Moyen-Orient, une belligérance accrue envers
la Russie et la mise au rancart de toute discipline fiscale, à remplacer
par un transfert de dizaines de milliards de dollars supplémentaires
dans les poches profondes du Pentagone.
Kagan a aussi montré que la vision du
monde des néo-cons est toujours parole d’Évangile à Washington, en dépit
de leurs catastrophiques guerres d’Irak. Les fantasmes néo-cons sont
ressassés jusqu’à la nausée par les médias aux ordres, peu importe le
degré de leur délire.
Par exemple, dans son bon sens, on peut
aisément faire remonter l’État Islamique trancheur de têtes jusqu’à la
guerre d’Irak de George W. Bush, quand cet hyper-violent mouvement
sunnite fit ses débuts sous le nom d’Al-Qaïda en Irak en faisant
exploser les mosquées chi’ites et en déclenchant un bain de sang
sectaire. Il s’étendit ensuite à la Syrie, où ses militants sunnites
tentèrent de renverser un régime séculier dominé par des Alaouites, une
ramification des Chi’ites. Quoique ayant changé son nom en État
Islamique, le mouvement a poursuivi dans les violences qui sont sa
marque de fabrique.
Bien sûr, Kagan ne reconnaîtra pas la
responsabilité que lui et ses pareils portent dans ce phénomène
sanguinaire. Dans ses affabulations néo-cons, ce sont l’Iran et la Syrie
qui sont à l’origine de l’État Islamique, même si ce sont les
gouvernements de ces deux pays qui conduisent l’essentiel de la
résistance à l’État Islamique et à ses modèles d’Al-Qaïda qui, en Syrie,
soutiennent une organisation terroriste séparée : le Front al-Nosra.
Voici comment Kagan explique les choses aux grosses têtes de Washington :
« Ceux qui critiquent le récent accord
nucléaire entre l’Iran et les États-Unis ont tout à fait raison de faire
remarquer le défi qui va maintenant être posé par la République
islamique. C’est un état qui aspire à l’hégémonie dans une importante
partie du monde.
« Il est profondément engagé dans une
guerre régionale qui inclut la Syrie, l’Irak, le Liban, les États du
Golfe et les Territoires Palestiniens. Il finance le régime meurtrier
mais en déroute totale de Bachar al-Assad en Syrie et porte par
conséquent la principale responsabilité de la puissance croissante de
l’État Islamique et d’autres forces djihadistes radicales dans ce pays
et dans l’Irak voisin, où il accroît simultanément son influence en
enflammant la violence sectaire. »
Les vrais hégémoniques
Tout en déclamant contre « l’hégémonisme
iranien », Kagan en appelle à une intervention militaire du vrai
pouvoir hégémonique mondial : les États-Unis. Il veut que l’armée
américaine intervienne contre l’Iran, aux côtés des deux pouvoirs
régionaux les plus militairement dangereux : Israël et l’Arabie
Saoudite, dont l’armement combiné éclipse totalement celui de l’Iran et
comprend, dans le cas d’Israël, un arsenal nucléaire sophistiqué.
Mais la réalité n’a jamais eu grand-chose à voir avec l’idéologie néo-conservatrice. Kagan continue :
« Toute stratégie sérieuse dont le but
est de résister à l’hégémonie de l’Iran a aussi exigé d’affronter l’Iran
sur les différents champs de bataille du Moyen Orient. En Syrie, elle a
exigé une politique déterminée de destitution d’Assad par la
contrainte, utilisant l’US Air Force » pour protéger les civils et créer
une zone de sécurité pour les Syriens qui voulaient le combattre.
« En Irak, cette stratégie a exigé que
les forces américaines repoussent et détruisent les forces de l’État
Islamique, afin que nous ne soyons pas obligés de compter sur l’état
iranien pour le faire. Par-dessus tout, elle a exigé un beaucoup plus
grand engagement US dans la région et un coup d’arrêt au retrait perçu
et au retrait réel du pouvoir US.
« Et, par conséquent, elle a exigé un
renversement de la tendance à réduire les dépenses US en matière de
défense. Elle exige surtout que soit abolie la procédure de séquestration des dépenses militaires,
qui a rendu presque impossible à l’armée de même envisager de se
colleter avec ces défis, si elle avait été appelée à le faire. La
question est donc, pour les Républicains qui mettent en garde avec
raison contre le danger posé par l’Iran, qu’ont-ils fait pour permettre
aux États-Unis de commencer à avoir une stratégie capable d’affronter ce
danger ? »
Dans l’exhortation de Kagan à se lancer
dans plus de guerre et toujours plus de guerre, on constate une fois
encore le résultat de la faute qui a consisté à ne pas exiger que les
néo-cons rendent des comptes, après qu’ils aient eu poussé le pays dans
une guerre d’Irak illégale et catastrophique, par leurs mensonges
éhontés sur les armes de destruction massive et leurs rodomontades sur
cette guerre qui n’allait être qu’une promenade militaire.
Au lieu d’avoir à affronter la purge qui
aurait dû faire suite à la calamité irakienne, les néo-cons ont au
contraire consolidé leur pouvoir, se sont maintenus à leurs postes-clés
dans la politique étrangère US, se sont installés en maîtres dans des think-tanks influents
et sont restés les experts à gogos qui font la pluie et le beau temps
dans les médias dominants, c’est-à-dire l’opinion publique. Avoir eu
tort sur l’Irak est presque devenu une distinction honorifique dans le
monde cul par-dessus tête des hautes sphères de Washington.
Mais il nous faut déballer les pleins
camions d’hyperboles délirantes dont Kagan fait le commerce. Pour
commencer, qu’il soit bien clair que parler d’hégémonisme iranien est de
la pure démence. Cela, ce n’est rien d’autre que la rhétorique utilisée
par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou devant le Congrès
US le 3 mars avec son Iran prêt à « avaler les nations », devenue
depuis lors litanie officielle des néo-cons, qui ne savent pas que,
répéter une imbécilité jusqu’à l’infini, n’en fait pas une vérité.
Prenons par exemple le cas de l’Irak. Il
a un gouvernement chi’ite. Non parce que l’Iran l’a envahi, mais parce
que les États-Unis l’ont fait. Après avoir militairement renversé le
dictateur sunnite Saddam Hussein, les USA ont imposé un nouveau
gouvernement dominé par les Chi‘ites, qui a cherché à entretenir des
relations amicales avec ses coreligionnaires en Iran, ce qui est
compréhensible et ne représente en rien une agression de l’Iran. Par la
suite, après les victoires militaires dramatiques de l’État Islamique en
Irak l’été dernier, le gouvernement irakien s’est tourné vers son
voisin iranien pour lui demander une assistance militaire. Rien, encore
une fois, de surprenant.
Retour en Irak
Cependant, mise à part les hyperboles
délirantes de Kagan à propos de l’Iran, voyez ce qu’il « propose ». Il
veut le retour d’une force, d’occupation US importante en Irak, sans se
préoccuper le moins du monde des soldats qui sont soumis à une rotation
de plus en plus serrée de leurs missions en zones de guerre, où près de
4.500 sont morts en même temps que des centaines de milliers d’Irakiens.
Ayant poussé à la première guerre d’Irak sans avoir eu à en payer le
moindre prix, Kagan veut maintenant nous en imposer une deuxième.
Mais ce n’est pas encore assez. Kagan
veut que les troupes US interviennent pour renverser le gouvernement
séculier de la Syrie, même si les gagnants quasi certains d’une telle
entreprise seraient les extrémistes sunnites de l’État Islamique ou ceux
du Front al-Nosra d’Al-Qaïda. Inutile de dire qu’une victoire de cette
sorte conduirait à peu près sûrement au massacre total des Chrétiens,
des Alaouites, des Chi’ites et d’autres minorités. Arrivés à ce point,
on pourrait compter sur une pression énorme pour obtenir une occupation
totale de la Syrie aussi.
C’est peut-être pour cela que Kagan veut
jeter d’autres dizaines de milliards de dollars dans l’entonnoir vorace
du Complexe militaro-industriel, quoique le prix réel de cette nouvelle
guerre ait beaucoup plus de chances de se chiffrer en trillions de
dollars. Eh bien, ce n’est pas encore suffisant pour Kagan. Car il veut y
faire ajouter d’autres dépenses militaires pour affronter « un pouvoir
chinois grandissant, une Russie agressive et un Iran de plus en plus
hégémonique ».
Dans sa conclusion, Kagan se fait
sarcastique à l’égard des Républicains, qui se contentent de tenir des
propos musclés, mais ne « font » rien pour obtenir ce qu’ils veulent :
« Alors, oh oui, certainement, râlez sec sur l’accord Iran-US. Nous nous réjouissons d’avance d’écouter des heures durant vos interventions radiotélévisées et vos discours de campagne. Mais il nous sera difficile de prendre au sérieux les critiques des Républicains, à moins qu’ils se mettent à faire les choses qu’il est en leur pouvoir de faire pour commencer à relever ce défi.»
C’est vrai que Kagan est « juste un
idéologue » néo-con, même s’il dispose d’une plateforme importante d’où
lancer ses diatribes, mais sa femme, la Sous-secrétaire d’État Nuland,
partage ses vues en matière de politique étrangère et assure la
publication de beaucoup de ses articles. Ainsi qu’elle l’a déclaré l’an
dernier au New York Times : « Disons-le comme ça : rien ne sort de la maison que je ne trouve pas digne de ses talents. » [Voir ConsortiumNews.com – « Obama’s true Foreign Policy “Weakness” » ]
Mais Nuland est, par elle-même, une
force qui compte en politique étrangère, considérée par certains à
Washington comme l’étoile montante du Département d’État. En organisant
le « changement de régime » en Ukraine, par le renversement violent du
président démocratiquement élu Viktor Ianoukovitch en février 2014,
Nuland a gagné ses galons de néo-conservatrice confirmée. [La tentation
était grande d’écrire néo-conne. Nous y avons résisté. NdT.]
Nuland a même dépassé son mari, qui ne
peut être crédité « que » de la guerre d’Irak et du chaos qu’elle a
généré, puisqu’elle a réussi, en plus, à déclencher la Nouvelle Guerre
froide en attisant les hostilités entre les deux puissances nucléaires
que sont les USA et la Russie. Après tout, c’est bien là que va aller
l’argent digne de ce nom : à la modernisation de l’arsenal nucléaire et à
l’achat d’armements stratégiques haut de gamme.
Une affaire de famille
Il y a aussi un aspect « family business »
dans ces guerres et affrontements, puisque les Kagan servent
collectivement, non seulement à déclencher les conflits, mais à profiter
de la gratitude des entreprises militaires (qui rétrocèdent une part de
l’argent qu’elles touchent aux think tanks des Kagan).
Par exemple Frederick, le frère de Robert, travaille à l’American Enterprise Institute, qui bénéficie depuis longtemps des largesses du Complexe militaro- industriel, et sa femme, Kimberly, dirige son propre think-tank appelé l’Institute for the Study of War (ISW).
D’après les rapports annuels de l’ISW,
les principaux organismes qui ont soutenu financièrement sa fondation
sont surtout des fondations d’extrême-droite telles que la Fondation Smith-Richardson et la Fondation Lynde et Harry Bradley,
mais il a aussi été soutenu ensuite par une foule d’entreprises
(privées) en sécurité nationale, à commencer par les plus grandes, comme
Dyn Corp International, qui a fourni l’entraînement de la police afghane, et Palantir, une boîte qui fournit des technologies, boîte fondée avec le soutien financier d’une filiale capital-risque de la CIA, In-Q-Tel. Palantir a fourni les logiciels de l’espionnage militaire US en Afghanistan.
Depuis sa fondation en 2007, ISW s’est
surtout focalisé sur les guerres au Moyen Orient, particulièrement
celles d’Afganistan et d’Irak. Ce qui a impliqué sa coopération étroite
avec le général David Petraeus lorsqu’il commandait les forces US dans
ces deux pays. Cependant, récemment, l’ISW a commencé à publier des
rapports de plus en plus fréquents sur la guerre civile en Ukraine.
[Voir CopnsortiumNews.com : « Neocons Guided Petraeus on Aghan War ».]
Kimberly Kagan, ici avec David Petraeus |
Ainsi, pour comprendre l’influence
tenace des néo-cons – et du clan Kagan en particulier – il faut
connaître les corrélations financières entre le business des guerres proprement dites et le business de la vente des guerres. Quand les entreprises militaires sont florissantes, les think tanks qui se défoncent pour augmenter les tensions dans le monde se portent bien aussi.
Et… cela ne fait pas de mal d’avoir de
la famille et des amis au gouvernement, pour s’assurer que les
politiciens font bien leur part du boulot : donner une chance à la
guerre et un coup de pied aux fesses à la paix.
Robert Parry
journaliste d’investigation US , qui s’est rendu célèbre en divulguant et en suivant l’Irangate pour l’Associated Press et Newsweek dans les années 1980. Il a notamment révélé les opérations psychologiques de guerres de guérilla (manuel de la CIA fourni aux contras nicaraguayens) et le scandale du trafic de cocaïne organisé par la CIA et les contras en 1985.
journaliste d’investigation US , qui s’est rendu célèbre en divulguant et en suivant l’Irangate pour l’Associated Press et Newsweek dans les années 1980. Il a notamment révélé les opérations psychologiques de guerres de guérilla (manuel de la CIA fourni aux contras nicaraguayens) et le scandale du trafic de cocaïne organisé par la CIA et les contras en 1985.
Traduction : c.l. pour Les Grosses Orchades