Tous ceux qui n’ont été anesthésiés, naguère ni par la propagande
anti-irakienne ni, aujourd’hui, par la propagande anti-serbe, et qui
s’interrogent sur la cohérence de la politique étrangère des États-Unis,
écrasant tour à tour, à coup de bombes et d’embargos, un pays souverain
majoritairement sunnite, et un pays majoritairement slave-othodoxe,
seront passionnés par le livre d’Alexandre Del Valle, Islamisme et États-Unis : une alliance contre l’Europe, que les éditeurs de l’Age d’Homme,
après celui du Général Gallois "Le soleil d’Allah aveugle l’Occident",
s’honorent de publier.
George Bush, apôtre du Nouvel Ordre Mondial, avait affirmé qu’ « il
n’existait pas de substitut au leadership américain ». L’Amérique se
veut unique superpuissance mondiale, puissance prosélyte, militairement
et politiquement présente dans la vielle Europe, ce qui suppose un
ennemi. Le communisme soviétique l’avait été, et son implosion ne doit
pas grand chose à l’Amérique, ni à l’Europe. Lucide, Alexandre Del Valle
remarque : « Ennemi réel, le communisme n’en était pas moins fort utile
pour Washington, qui empêcha le général Patton d’en finir avec la
menace soviétique. Le « péril rouge », devait en effet rester bien
vivant, afin de servir « d’épouventail-ennemi » justifiant l’hégémonie
protectrice américaine dans le monde ».L’alliance objective avec l’islamisme
À
l’heure où les chocs de civilisation ont remplacé la guerre froide,
l’islamisme est pour les États-Unis le nouvel ennemi utile, « allié » à
eux, en quelque sorte, contre l’Europe. Pragmatiques et opportunistes,
ils ont vu dans le mouvement islamique une « lame de fond », et ont
choisi de jouer la carte musulmane pour mieux contrôler les artères de
l’or noir. Cet allié dangereux qu’est l’islamisme, ils l’avaient
pressenti bien avant l’implosion du communisme. Depuis la fin des années
1970, les États-Unis ont soutenu les extrémistes islamistes, des frères
musulmans syriens aux islamistes bosniaques et albanais, des talibans à
la gamaa islamyya égyptienne, et ont choyé les Wahhabites, a la tête de
la monarchie pro-américaine d’Arabie Saoudite qui finance la
quasi-totalité des réseaux islamistes dans le monde. Ils ont joué les
apprentis sorciers, et les mouvements fondamentalistes qu’ils croyaient
manipuler se sont parfois retournés contre le « grand Satan » comme le
11 septembre 2001 à New York.
En revanche, les États-Unis ont
abandonné ou écrasé les pays musulmans susceptibles d’acquérir une
puissance politique et une relative autonomie. L’exemple de Carter
abandonnant le Chah, alors que l’Iran était en train de devenir maître
de son pétrole et pouvait se vanter du haut niveau de ses universités,
pour favoriser l’obscurantisme de Khomeyni, l’exemple de Bush, Clinton
puis Bush fils, écrasant l’Irak sous les orwelliennes « frappes
chirurgicales », alors que l’invasion du Koweït avait été encouragée par
la CIA, sont significatifs. « L’Irak, affirme Alexandre Del Valle, est
l’exact antithèse politique de la stratégie confessionnelle
pro-islamique des Etats-Unis. »
Car le monde musulman doit rester
pour l’Amérique un monde riche en pétrole, exploitable à volonté, mais
pauvre en matière grise et maintenue dans une totale situation de
dépendance technologique ; un marché d’un milliard de consommateurs
incapables d’autonomie politico-militaire et économique. Le carcan
coranique est favorable à l’indigence intellectuelle comme en témoigne
la fatwa promulguée voici quatre ans par la suprême autorité religieuse
d’Arabie saoudite : « La terre est plate ; celui qui déclare qu’elle est
sphérique est un athée méritant punition. »
Mais le nationalisme irakien était une tentative d’aggiornamento de l’islam. Comme le Chah d’Iran se référait à la dynastie des Achéménides, Saddam Husseïn se montrait fier du passé préislamique babylonien et chaldéen de l’Irak. Se réconcilier avec leur identité antique est aussi, pour les musulmans, retrouver une civilisation méditerranéenne commune et des passerelles entre les civilisations européenne et orientale. C’est pourquoi les islamistes veulent supprimer toute trace d’identité préislamique et, en Égypte par exemple, considèrent la visite des vestiges pharaoniques comme un acte d’impiété, ce qui est sans doute une des clés du terrorisme non éradiqué dirigé contre les touristes.
Mais le nationalisme irakien était une tentative d’aggiornamento de l’islam. Comme le Chah d’Iran se référait à la dynastie des Achéménides, Saddam Husseïn se montrait fier du passé préislamique babylonien et chaldéen de l’Irak. Se réconcilier avec leur identité antique est aussi, pour les musulmans, retrouver une civilisation méditerranéenne commune et des passerelles entre les civilisations européenne et orientale. C’est pourquoi les islamistes veulent supprimer toute trace d’identité préislamique et, en Égypte par exemple, considèrent la visite des vestiges pharaoniques comme un acte d’impiété, ce qui est sans doute une des clés du terrorisme non éradiqué dirigé contre les touristes.
Le grand échiquier
Dans
son livre « Le grand échiquier, l’Amérique et le reste du monde »,
publié en 1997, Brzezinski, ancien conseiller de Carter, et très écouté
dans l’Amérique de Clinton, révélait avec une franchise cynique les
raisons profondes de la stratégie islamique des États-Unis. Selon lui,
l’enjeu principal pour les États-Unis est l’Eurasie, vaste ensemble qui
va de l’Europe de l’Ouest à la Chine via l’Asie centrale : « Du point de
vue américain, la Russie paraît vouée à devenir le problème
Les États-Unis manifestent de plus en plus d’intérêts pour le développement des
ressources de la région et cherchent à empêcher la Russie d’avoir la
suprématie. » La politique américaine doit donc, viser à la fois
l’affaiblissement de la Russie et l’absence d’autonomie militaire de
l’Europe. D’où l’élargissement de l’OTAN aux pays d’Europe centrale et
orientale, afin de pérenniser la présence américaine, alors que la
formule de défense européenne capable de contrer l’hégémonie américaine
sur le vieux continent passerait par « un axe anti-hégémonique
Paris-Berlin-Moscou. » Les États-Unis s’emploient donc à le casser en
jouant systématiquement Berlin et Sarajevo contre Paris et Moscou. Ainsi
s’explique la politique américaine en ex-Yougoslavie, qui prolonge à la
fois la stratégie de Tito visant à affaiblir les Serbes, et celle de
l’Allemagne : « Grande victoire diplomatique pour l’Allemagne »,
déclarait l’ancien chancelier Kohl, à propos de la dislocation de la
Yougoslavie.
Politique accompagnée d’une bataille médiatique qui
diabolise et angélise, où les champions des droits de l’homme à
géométrie variable, chérissant des bourreaux privilégiés et ignorant les
victimes inintéressantes, branchent et débranchent à volonté les prises
de consciences universelles et homologuent les épurations ethniques.
De l’alliance objective à l’alliance subjective
Le
général Gallois et Alexandre Del Valle, lorsqu’ils fondent leur analyse
de l’alliance objective de l’islamisme et des Etats-Unis sur un
foisonnement de faits et de déclarations des maîtres penseurs
américains, emportent l’adhésion du lecteur. Mais la part la plus originale d’Alexandre Del Valle est son étude
de leur alliance subjective.
Entre d’une part, le puritanisme
américain, le fondamentalisme des droits de l’homme, le désir d’édifier «
le village mondial » anglophone sur les ruines des cultures et des
souverainetés nationales, et d’autre part la oumma islamique,
conquérante, édifiée sur l’éradication des cultures plurimillénaires qui
l’ont précédée, il y a connivences et affinités, même si elles sont
inconscientes.
Islamisme et puritanisme protestant sont issus l’un et l’autre de sectes judéo-chrétiennes hétérodoxes et choisissent entre « l’étroitesse ritualise » et la « transgression jouissive des interdits », quand ils ne les conjuguent pas. Tous deux prétendent conquérir le monde au nom d’une « idéologie ultra monothéiste » et du « Verbe divin non pas incarné mais calligraphié » ; tous deux s’affirment contre l’Europe. Bill Clinton, le 15 Mars 1995, a donné tout son poids à cette alliance subjective : « Les valeurs traditionnelles de l’islam sont en harmonie avec les idéaux des meilleurs de l’Occident. » Et les attentats du 11 Septembre 2001 ne démentent pas cette idée, Georges W. Bush ayant bien pris soin de prévenir de l’amalgame entre terrorisme, Islam et islamisme.
Islamisme et puritanisme protestant sont issus l’un et l’autre de sectes judéo-chrétiennes hétérodoxes et choisissent entre « l’étroitesse ritualise » et la « transgression jouissive des interdits », quand ils ne les conjuguent pas. Tous deux prétendent conquérir le monde au nom d’une « idéologie ultra monothéiste » et du « Verbe divin non pas incarné mais calligraphié » ; tous deux s’affirment contre l’Europe. Bill Clinton, le 15 Mars 1995, a donné tout son poids à cette alliance subjective : « Les valeurs traditionnelles de l’islam sont en harmonie avec les idéaux des meilleurs de l’Occident. » Et les attentats du 11 Septembre 2001 ne démentent pas cette idée, Georges W. Bush ayant bien pris soin de prévenir de l’amalgame entre terrorisme, Islam et islamisme.
À cela s’ajoute, en Amérique, la conscience d’être le
nouveau monde révolté contre ses propres racines, le désir de déraciner
la veille Europe sur le modèle du déracinement américain. L’ambassadeur
Richard Holbrook affirmait : « Nous sommes une puissance européenne.
L’histoire de ce siècle démontre que lorsque nous nous désengageons,
l’Europe verse dans une instabilité qui nous oblige à retourner. »
L’Amérique deviendrait alors l’Europe puissante, à laquelle la veille
Europe déclinante serait inféodée.
Polémia
20/01/2003
Islamisme et États-Unis : une alliance contre l’Europe, Alexandre Del Valle, L’âge d’homme, 1997.