dimanche 10 janvier 2016

Les dessous du dangereux conflit Arabie-Iran

Pour fêter la nouvelle année, la Sinistre Arabie a décapité une cinquantaine d'opposants, dont un éminent religieux chiite, Nimr al-Nimr. Quelques heures plus tard, des manifestants iraniens ont mis le feu à l'ambassade saoudienne à Téhéran. Le gouvernement saoudien, qui se prétend le gardien de l'islam sunnite, a immédiatement rompu ses relations diplomatiques avec l'Iran, république islamique chiite. Les Émirats croupions du Golfe Persique ont suivi leur parrain saoudien. L'Occident n'a pas moufté, car, dès qu'il s'agit de pétrole et de pétrodollars,  les droits de l'homme et autres balivernes démocratiques passent à la trappe.
Pour expliquer ce qui se passe au Moyen-Orient, il ne suffit pas de se référer aux différends entre l'islam sunnite et chiite, qui datent d’il y a 1.383 ans.
Il est utile de s'arrêter un peu sur les différences qui séparent sunnites (environ 80% des  musulmans dans le monde) et chiites (environ 15%). À la mort du prophète Mahomet, en 632, les musulmans se divisent autour de sa succession. La majorité des croyants, les sunnites, se sont rangés derrière Abou Bakr, compagnon de Mahomet. Les autres, les chiites, suivent Ali, le gendre et compagnon du prophète. 
·        Pour les sunnites, le chef de la communauté musulmane est le calife, un homme "élu" par la communauté des fidèles et seulement doté de compétences politiques. Les chiites accordent davantage d'importance à leurs dirigeants religieux: ils considèrent que les imams sont des guides qui ont accès au sens caché du message divin.
·        Les sunnites prennent exemple sur la "sunna" (gestes et paroles du prophète) et développent l’idée que le croyant doit rester fidèle à la loi immuable, ce qui laisse moins de place à l’interprétation. Pour les chiites en revanche, le Coran est une œuvre humaine, ils accordent plus d'importance à la liberté individuelle.
·        Selon les sunnites, le cycle de la prophétie est clos, tandis que les chiites attendent et préparent l'arrivée sur terre du "douzième imam". "Cette attente, qui implique souvent chez les chiites un rejet de l'ordre actuel et la préparation de l'arrivée du Mahdi, est un facteur de déstabilisation", écrit L'Internaute.
Mais dans la mesure où, à notre avis, la crise actuelle a peu à voir avec la religion, il est important de savoir qui contrôle aujourd’hui, et qui va contrôler demain, les gisements de pétrole et de gaz de la région.
Beaucoup d’articles ont déjà abordé les conflits concernant les tracés des futurs gazoducs et oléoducs de la région, dont le nœud gordien est la Syrie. Nous n’abordons pas ce sujet ici.
Un autre aspect, encore plus important, peut expliquer la persistance des conflits au Moyen-Orient. La carte ci-dessous, créée par M. Izady, professeur de cartographe des écoles des opérations spéciales US Air Force, y apporte un éclairage fascinant.

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La carte ci-dessus montre les populations religieuses au Moyen-Orient et les réserves prouvées de pétrole et de gaz. 
- Les espaces verts sombres sont à majorité chiite; 
- Les espaces vert clair sont majoritairement sunnites; 
- Les espaces en violet sont principalement wahhabites / salafistes, la branche la plus réactionnaire du sunnisme, celle de L’État Islamique, d’Al-Qaïda, et de tous les rois et émirs de la région.
- Les zones noires et rouges représentent, respectivement, les gisements de pétrole et de gaz.
Cette carte montre une forte corrélation entre la répartition religieuse de la région et la décomposition anaérobie du plancton : presque tous les combustibles fossiles du Golfe Persique sont situés dans les zones chiites. Cela est vrai même en Arabie saoudite sunnite, où les principaux champs de pétrole sont dans la Province de l'Est, qui a une population à majorité chiite. En conséquence, l'une des peurs paniques des rois fainéants saoudiens est qu'un jour les chiites saoudiens fassent sécession, et, avec leur pétrole,  s’allient à l'Iran chiite. Le cheikh Nimr avait lui-même déclaré en 2009 que les chiites saoudiens appelleraient à la sécession si le gouvernement saoudien continue à les traiter comme des sous-hommes, c’est pour cela qu’il a été décapité.
Cette crainte n'a fait que croître depuis  l’invasion américaine de l'Irak en 2003, qui a eu pour conséquence néfaste pour les Saoudiens, d’ôter le pouvoir à la minorité sunnite du régime de Saddam Hussein. Le pouvoir est maintenant aux mains de la majorité chiite pro-iranienne.

Comme le démontre la carte de façon frappante, la quasi-totalité de la richesse pétrolière saoudienne est situé dans une petite enclave de son territoire, dont les occupants sont à majorité chiite. (Nimr, par exemple, a vécu dans Awamiyya, au cœur de la région de l'Arabie du pétrole juste au nord-ouest de Bahreïn.). 
Si cette enclave de l'Est de l'Arabie saoudite venait à se détacher, il ne resterait plus aux vieillards et cacochymes que sont les émirs saoudiens, pour se consoler, que du colorant pour leur barbe et du viagra pour « honorer » leurs innombrables esclaves sexuelles.
L'exécution de Nimr peut donc être expliquée, en partie, par le désespoir des Saoudiens de ne pouvoir éradiquer les velléités séparatistes des chiites du pays.
Le même désespoir explique pourquoi l'Arabie saoudite a écrasé dans l’œuf la version bahreïnie du printemps arabe en 2011.
Bien sûr, il est trop simple de dire que tout ce qui se passe entre les Saoudiens et les Iraniens peut être expliqué par le contrôle de l'énergie fossile. Le dédain, voire la haine pour les chiites semblent faire partie de l'ADN du wahhabisme saoudien, la version la plus sectaire et la plus belligérante de l'Islam. En 1802, 136 ans avant la découverte du pétrole en Arabie Saoudite, les prédécesseurs idéologiques de L’État saoudien avaient commis les mêmes exactions que commettent aujourd'hui leurs amis et protégés, les mercenaires de l’État Islamique. Kerbala, la ville sainte des chiites, située en Irak, a été pillée et détruite. Les assaillants ont massacré des milliers d'innocents et pillé la tombe de Hussein fils d'Ali et petit fils du prophète Mahomet, l'une des figures les plus importantes de l'islam chiite.
Sans les combustibles fossiles, cependant, ce sectarisme envers les chiites serait aujourd'hui probablement moins violent et agressif. Et il serait certainement moins bien financé. 

Winston Churchill avait déclaré, à propos du pétrole d'Iran - que le Royaume-Uni pillait alors sans vergogne - que c'était "un cadeau féerique ( aux Britanniques) qui va au-delà nos meilleurs rêves."
Churchill avait raison, mais ne savait pas que ce genre de trésors de fées cache souvent une terrible malédiction. Tant que le gaz et le pétrole aiguiseront les appétits insatiables de l'Occident, cette malédiction continuera à s'abattre sur le Moyen-Orient. Et cela continuera jusqu'à l'épuisement des énergies fossiles et humaines.

Hannibal GENSERIC