Le
26 novembre dernier, le député et ancien juge antiterroriste Alain
Marsaud (LR) répondait aux questions des internautes. À cette occasion,
il m’avait indiqué qu’une enquête parlementaire susceptible d’exposer le
soutien du Front al-Nosra par l’État français en Syrie avait
été refusée par la majorité. D’après lui, ce refus visait à ne pas
embarrasser le gouvernement. Je l’ai donc sollicité afin d’obtenir des
précisions sur cette question épineuse, qui est occultée par les médias
français malgré d’autres accusations compromettantes formulées par des
experts et par différents parlementaires de l’opposition.
Selon le
député Marsaud, « il n’est pas sérieusement contesté qu’à un moment ou
un autre l’État français a facilité les actions d’al-Nosra qui,
je vous le rappelle, est une filiale d’al-Qaïda [en Syrie]. J’ai eu
l’occasion de montrer à l’Assemblée Nationale des photos de combattants
d’al-Nosra en possession de fusils d’assaut français. Il n’y
avait bien évidemment aucune volonté du gouvernement français de voir
mis en évidence une telle collaboration avec un groupe terroriste. Ainsi
fut rejetée toute idée d’enquête parlementaire. »
Je me suis donc
intéressé aux propositions d’enquêtes parlementaires sur ce sujet en
consultant le site l’Assemblée Nationale. La seule demande que j’ai pu
trouver est celle du député Jacques Bompard (LS), qui avait proposé une
commission d’enquête sur « le soutien de la France à la rébellion
syrienne » à la suite des attentats de Charlie Hebdo, de l’Hyper Cacher
et de Montrouge en janvier 2015. L’assistant parlementaire du député
Bompard m’a expliqué que cette enquête avait été refusée à deux
occasions par la majorité. Déclarant ne pas avoir été surpris par ces
refus, il a souligné que cette question dépasse les clivages partisans,
et qu’une telle démarche aurait dû être soutenue par les députés de
chaque parti politique. Il m’a également rappelé qu’une commission
d’enquête parlementaire, si elle est approuvée, dispose de moyens
d’investigation supérieurs à ceux de la Justice, dont la levée du
secret-défense. Il semble donc que, lorsque les politiques profondes de
l’Exécutif français sont mises en cause, la raison d’État l’emporte sur
la nécessaire transparence démocratique de nos institutions.
Hélas,
en novembre dernier, la France a été à nouveau frappée par des
jihadistes, et il s’avère que la majorité d’entre eux avaient combattu
en Syrie. De ce fait, j’ai demandé à Alain Marsaud s’il lui semblait
cohérent que le gouvernement français soutienne clandestinement al-Qaïda
contre Bachar el-Assad tout en affirmant être en guerre contre Dae’ch.
D’après le député, « nous assistons à une recomposition de la ligne de
conduite de la diplomatie française, qui comprend aujourd’hui qu’elle
s’est fourvoyée dans sa politique syrienne. À la suite des attentats du
13-Novembre, nous recherchons des alliés, ceux-ci se montrent exigeants
et ne peuvent accepter aucune compromission avec tel ou tel groupe
islamiste. Le plus étonnant est qu’on en arrive à dire que l’on va
combattre aux côtés des troupes syriennes de Bachar el-Assad. »
Ce
revirement, qui implique un rapprochement franco-russe, est considéré
par certains comme un aboutissement de la synthèse « hollandaise »,
quand d’autres le jugent plus sévèrement. Il n’en demeure pas moins
qu’en Syrie, les puissances occidentales, et pas seulement la France,
ont été impliquées en profondeur dans le soutien de forces pas aussi «
modérées » qu’elles nous ont été décrites jusqu’à présent.
En
effet, trois semaines avant les attentats du 13-Novembre, la
représentante états-unienne Tulsi Gabbard expliquait sur CNN que la CIA
soutient clandestinement al-Qaïda pour renverser Bachar el-Assad. Le 19
novembre, elle a introduit une proposition de loi à la Chambre des
Représentants pour stopper cette guerre secrète de la CIA et de ses
alliés, qu’elle a décrite comme étant « illégale et contreproductive »,
et qui perdure malgré les attentats de Paris et de San Bernardino.
Depuis l’intervention russe en Syrie, d’autres sources ont confirmé une
intensification de l’aide de la France et des États-Unis en faveur d’«
islamistes réputés fréquentables », pour reprendre l’expression ironique
de l’éditorialiste du Point Michel Colomès.
À la suite des
attentats du 13-Novembre, j’ai demandé à Alain Marsaud s’il pensait que
les États-Unis et leurs alliés, dont le gouvernement français, allaient
interrompre leur soutien de factions jihadistes pour renverser le
gouvernement syrien. D’après le député, « nos politiques militaristes,
européistes et moralisatrices ont entrainé le chaos moyen-oriental de
l’Irak à la Syrie, en passant par les autres pays en révolution. La
prise de conscience de la part des Américains et de la France est en
cours, du moins souhaitons-le. Le réalisme nous amènera sans doute à
côtoyer des gens plus fréquentables et à mettre fin à un impérialisme
sur la zone moyen-orientale qui ne nous a coûté que des morts. »
On ne peut que partager ce constat du député Marsaud, si l’on garde en tête que le bilan humain des guerres moyen-orientales de l’Occident est désastreux. Saluons également son objectivité, lorsqu’il reconnaît que « [n]os politiques militaristes, européistes et moralisatrices ont entrainé le chaos moyen-oriental de l’Irak à la Syrie, en passant par les autres pays en révolution. » En effet, le député fait implicitement référence à la Libye, et l’ancienne majorité dont il est issu partage une lourde responsabilité dans le chaos qui s’est imposé dans ce pays, et qui s’est étendu en Syrie. D’une part, le mauvais calcul du gouvernement sarkozyste dans le dossier syrien a placé la France dans une impasse diplomatique dont a hérité la majorité actuelle, et qui se résume en une phrase aussi intransigeante qu’irréaliste : « Assad doit partir ». Par ailleurs, dès l’intervention en Libye, l’État français présidé par Nicolas Sarkozy a clandestinement soutenu des forces pas aussi « modérées » qu’elles nous avaient été décrites dans les médias. En effet, en août 2014, le Washington Post a publié un important article intitulé « Les terroristes qui nous combattent aujourd’hui ? Nous venons tout juste de les entraîner ».
On ne peut que partager ce constat du député Marsaud, si l’on garde en tête que le bilan humain des guerres moyen-orientales de l’Occident est désastreux. Saluons également son objectivité, lorsqu’il reconnaît que « [n]os politiques militaristes, européistes et moralisatrices ont entrainé le chaos moyen-oriental de l’Irak à la Syrie, en passant par les autres pays en révolution. » En effet, le député fait implicitement référence à la Libye, et l’ancienne majorité dont il est issu partage une lourde responsabilité dans le chaos qui s’est imposé dans ce pays, et qui s’est étendu en Syrie. D’une part, le mauvais calcul du gouvernement sarkozyste dans le dossier syrien a placé la France dans une impasse diplomatique dont a hérité la majorité actuelle, et qui se résume en une phrase aussi intransigeante qu’irréaliste : « Assad doit partir ». Par ailleurs, dès l’intervention en Libye, l’État français présidé par Nicolas Sarkozy a clandestinement soutenu des forces pas aussi « modérées » qu’elles nous avaient été décrites dans les médias. En effet, en août 2014, le Washington Post a publié un important article intitulé « Les terroristes qui nous combattent aujourd’hui ? Nous venons tout juste de les entraîner ».
D’après cette analyse, « au
cours de nombreux entretiens menés ces deux derniers mois [avec des
membres de l’État Islamique et du Front al-Nosra], ils ont
décrit comment l’effondrement sécuritaire durant le Printemps arabe les a
aidés à recruter, à se regrouper et à utiliser en leur faveur la
stratégie occidentale – c’est-à-dire le soutien et l’entraînement de
milices afin de combattre des dictateurs. “Des Britanniques et des
Américains nous avaient [également] entraînés durant le Printemps arabe
en Libye”, d’après un homme surnommé Abou Saleh, qui a accepté d’être
interrogé si son identité restait secrète. [Ce dernier], qui est
originaire d’une ville proche de Benghazi, affirma qu’un groupe de
Libyens et lui-même avaient bénéficié dans leur pays d’entraînements et
de soutien de la part des forces [spéciales] et des services secrets
français, britanniques et états-uniens – avant de rejoindre le Front al-Nosra
ou l’État Islamique [en Syrie]. Interrogées pour cet article, des
sources militaires arabes et occidentales ont confirmé les affirmations
d’Abou Saleh, selon lesquelles des rebelles en Libye avaient bénéficié
d’“entraînements” et d’“équipements” durant la guerre contre le régime
de Kadhafi. »
Ces politiques profondes ont donc été confirmées par
des sources de haut niveau, et il semblerait que l’extrémisme des
combattants entraînés par les services spéciaux occidentaux était
parfois connu des autorités. En effet, toujours d’après cet article du
Washington Post, « nous disposions dès le départ de renseignements nous
indiquant que les groupes radicaux avaient profité du vide engendré par
le Printemps arabe, et que certains des individus que les États-Unis et
leurs alliés avaient entraîné à combattre pour la “démocratie” avaient
des objectifs jihadistes – au préalable ou pas – [lorsqu’ils]
rejoignirent al-Nosra ou l’État Islamique”, d’après un haut responsable des renseignements d’un pays arabe interrogé récemment. »
À
l’aune de ces révélations, toute la lumière doit être faite sur les
politiques profondes de l’État français et de ses alliés en Libye et en
Syrie. En effet, il est inacceptable que des réseaux terroristes soient
considérés par les puissances de l’OTAN comme des alliés clandestins
pour renverser des gouvernements étrangers, tandis que les crimes des
jihadistes en Occident justifient un durcissement sécuritaire permanent
et un état de guerre perpétuelle.
Ce phénomène qui s’autoalimente
n’a pas encore suscité une indispensable rationalisation des politiques
étrangères occidentales à l’égard des pétromonarchies du Golfe et de la
Turquie, dont le soutien de milices terroristes est de notoriété
publique. Au contraire, ce processus engendre des lois d’exception sans
cesse plus « démocracides », comme on peut l’observer avec la réforme
constitutionnelle sur l’état d’urgence qui est loin de faire l’unanimité
au Parlement français. Hélas, ce processus engendre la légalisation et
l’extension incontrôlée d’une surveillance de masse extrajudiciaire
avant tout favorable à des intérêts privés et étrangers, mais totalement
inefficace pour empêcher des attentats – du moins selon la NSA
elle-même, ou d’après l’ancien responsable du contre-terrorisme à la
DGSE. Dans ce contexte, comment pouvons-nous accepter que nos libertés
publiques soient inutilement sacrifiées, alors que des groupes
jihadistes pourtant hostiles sont clandestinement soutenus par nos États
pour renverser des gouvernements étrangers ?
Comme l’avait
déclaré le député Alain Marsaud quelques mois avant l’adoption de la «
Loi Renseignement », cette législation « peut permettre une police
politique comme nous n’en avons jamais vue. » Cette loi est dorénavant
mise en œuvre, et les administrations « non spécialisées » qui seront
autorisées à en faire usage vont l’être par décret du Conseil d’État, et
non par voie législative. Cette dérive autoritaire de l’Exécutif, qui
invoque la lutte antiterroriste pour s’arroger des pouvoirs exorbitants
sans contrepoids judiciaires ou parlementaires, est pour le moins
préoccupante.
Au plan extérieur, la politique étrangère
occidentale en Syrie semble être hors de contrôle, comme s’en était
alarmée la représentante Tulsi Gabbard sur CNN en octobre dernier,
lorsqu’elle déclara que « des armements US vont dans les mains de nos
ennemis, al-Qaïda et ces autres groupes, des groupes islamistes
extrémistes qui sont nos ennemis jurés. Ce sont des groupes qui nous ont
attaqués le 11-Septembre, et nous étions censés chercher à les vaincre,
mais pourtant nous les soutenons avec ces armes pour renverser le
gouvernement syrien. (…) Je ne veux pas que le gouvernement des
États-Unis fournisse des armes à al-Qaïda, à des islamistes extrémistes,
à nos ennemis. Je pense que c’est un concept très simple : vous ne
pouvez vaincre vos ennemis si, en même temps, vous les armez et vous les
aidez ! C’est absolument insensé pour moi. »
Comme nous venons de
le démontrer, le soutien clandestin de factions islamistes en Syrie
n’est pas limité à celui de la CIA, les services spéciaux français,
britanniques et leurs alliés moyen-orientaux étant étroitement impliqués
dans ces politiques profondes qui menacent la paix mondiale – toujours
selon Tulsi Gabbard. Face à cette situation d’instabilité globale, il
est urgent que le gouvernement français, et plus généralement les États
occidentaux :
1) interrompent les processus de durcissement
sécuritaire permanent dans lesquels ils se sont engagés, qu’ils abrogent
leurs politiques de surveillance massive et illégale de leurs
populations, et qu’ils priorisent le renseignement humain et les actions
judiciaires et policières pour combattre efficacement le fléau
jihadiste. La « guerre contre le terrorisme » lancée par
l’administration Bush à l’automne 2001 continuera d’enrichir une
minorité de multinationales et leurs actionnaires, mais ne pourra
qu’amplifier le désordre mondial et la haine antioccidentale. Les trois
ouvrages de Peter Dale Scott traduits en français, dont le dernier vient
d’être recensé par l’IRIS, le démontrent indiscutablement ;
2)
cessent sans délai de soutenir clandestinement des factions extrémistes
en Syrie, qui finissent par attaquer les populations occidentales et qui
déstabilisent un nombre grandissant de pays ;
3) réévaluent leurs
alliances avec les principaux soutiens étatiques du fléau jihadiste,
tout en abandonnant leurs sanctions économiques contre des États luttant
réellement contre le terrorisme, tels que l’Iran et la Russie. Il
faudrait alors se rapprocher de ces pays, notamment au plan commercial.
Ce processus a été lancé avec l’Iran, et les perspectives d’une
intervention militaire désastreuse contre ce pays s’éloignent
durablement. Comme l’avait écrit Montesquieu, « [l]’effet naturel du
commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se
rendent réciproquement dépendantes : si l’une a intérêt d’acheter,
l’autre a intérêt de vendre ; et toutes les unions sont fondées sur des
besoins mutuels. » Cette solution, bien qu’imparfaite, est nettement
préférable au pillage brutal de nations entières à travers la «
stratégie du choc », comme on a pu l’observer en Irak ou en Libye.
J’encourage donc mes concitoyens à dénoncer auprès de leurs élus les politiques profondes exposées dans cet article, puisqu’elles déstabilisent le monde et menacent nos démocraties. Essentiellement, je vous remercie de diffuser le plus largement possible cette analyse afin de sensibiliser votre entourage sur ces questions trop souvent ignorées ou déformées par les médias.
J’encourage donc mes concitoyens à dénoncer auprès de leurs élus les politiques profondes exposées dans cet article, puisqu’elles déstabilisent le monde et menacent nos démocraties. Essentiellement, je vous remercie de diffuser le plus largement possible cette analyse afin de sensibiliser votre entourage sur ces questions trop souvent ignorées ou déformées par les médias.