mercredi 27 janvier 2016

Sophie, revenue de Syrie : "Daech n'est qu'un gros mensonge"

Embrigadée par des connaissances parties faire le djihad en Syrie, Sophie les rejoint pour "de l'humanitaire", pense-t-elle alors. S'ensuit la désillusion, "l'enfer" et deux mois barricadée dans un appartement avant de pouvoir s'enfuir. Elle raconte son histoire dans un livre, "Dans la nuit de Daech", parce qu'après avoir échappé aux coups, aux mariages forcés, aux viols ou encore à la mort, il lui reste une voix pour parler. Entretien.
Dans le Sinjar libéré, Sinjar. Irak, janvier 2016 -


Sa voix est douce, son histoire tragique, heureuse, pleine de résilience. Sophie Kasiki* ne montre toutefois plus son visage, de peur qu’on la reconnaisse, qu’ils la retrouvent. "Ils", ce sont ses anciens geôliers en Syrie. Parmi eux, ses "petits", trois gamins de cité comme tant d'autres passés, un jour, sous la bannière de Daech. Sophie, 33 ans, qui fut un temps éducatrice dans la Maison de quartier qu'ils avaient l’habitude de fréquenter en Ile-de-France, ne s’en apercevra qu’une fois qu’elle les aura rejoint, avec son fils de quatre ans, en Syrie. Là-bas, lui avaient-ils promis pendant qu'ils l'embrigadaient patiemment, leur vie prendrait tout son sens.
Résultat de recherche d'images pour "nikah djihadette"Début 2015, dans un appartement immense et lugubre de Raqqa, Sophie, son fils et les garçons - Idriss, Mohammed et Souleymane - se retrouvent ainsi tous les soirs dans un huis clos qui devient chaque jour plus menaçant. Après avoir transité par d’obscurs chemins en Turquie, travaillé quelques jours dans la promiscuité d’une maternité de Raqqa, Sophie, partie faire de l’humanitaire - c'est alors comme ça qu'elle le perçoit - est déçue, perdue et demande à rentrer. Elle est aussitôt faite prisonnière par les petits, devenus grands ; méconnaissables.
Au cœur du fief de l’organisation terroriste, sans son passeport - confisqué - la jeune femme a le sentiment d'avoir été plongée dans un long "brouillard", un de ces épisodes dépressifs, tenaces, qui la rongent depuis son enfance au Congo et la disparition de sa mère. Elle finit par s'en extirper. A côté d'elle, son fils, qu'elle cachera bientôt sous son niqab, lorsqu'elle parviendra enfin, au bout de deux mois, à fuir, à l'aide de son mari, qui n'a jamais cessé de lui écrire, et de rebelles syriens.
Par un incroyable concours de circonstances, en taxi, à moto, à pied, Sophie et son fils déjouent les contrôles, jusqu'à la frontière turque, qu'ils traversent avec succès. Une fuite vers la liberté qu’elle raconte dans un livre, Dans la nuit de Daech, témoignage d’outre tombe, aux allures de thérapie, mais aussi de main tendue à l’égard de celles qui "seraient tentées par ce saut vers l’enfer." Elle revient pour Marianne sur ses deux mois passés à Raqqa sous le califat de Daech.
*Nom d'emprunt

Marianne : Vous avez vécu sous le califat de Daech, après vous être vous-même convertie. Quelle a été votre expérience, sur place, auprès des membres du groupe terroriste ?
Sophie Kasiki : Ces gens-là n’acceptent pas qu’on ne pense pas comme eux, qu’on ne prie pas comme eux… Je l’ai vu rien qu'en observant du balcon quand j’étais enfermée [Sophie a été retenue prisonnière dans un appartement en plein centre de Raqqa, ndlr]. Au moment de la prière, les Syriens par exemple couraient tous. Il y avait cet homme qui tenait un cybercafé, or tous les commerces doivent fermer cinq fois par jour pour la prière. Cet homme avait l’air d’être musulman mais il avait aussi l’air de vivre sa foi comme il l’entendait. Au moment de la prière, ce Syrien allait se cacher dans sa voiture en baissant son siège. Comme j’étais en hauteur, je le voyais, j’observais tout ça. Mais il ne faut pas tout rapporter à l’Islam. On oublie vraiment que ces personnes-là, les membres de Daech, ne sont pour la plupart pas si croyants que ça. Ils font ça parce que ce sont des opportunistes, parce qu’on leur propose de l’argent pour aller combattre, ils se disent : "de toutes façons j’ai pas de boulot", on leur donne des armes et ils se sentent tout puissants.
"Apporter son aide aux Syriens est impossible."
Vous étiez censée, au départ, apporter votre aide aux femmes syriennes dans une maternité de Raqqa, "une ferme à bébés" écrivez-vous, pour seulement quelques semaines. C’est l’un des arguments d’appel de Daech : venir en aide à ce peuple opprimé. Qu'avez-vous ressenti sur le terrain ?
Sophie Kasiki : Apporter son aide aux Syriens est en réalité impossible. C'est un gros mensonge. Parce qu’arrivé là bas, la cause n’est pas celle pour laquelle on est parti. Certaines femmes de la maternité, des étrangères aussi, avaient cependant l’air d’être heureuses. Je pense qu’elles avaient l’impression de faire correctement leur travail malgré les compétences douteuses de quelques unes. Daech, c’est un petit monde de colons, très méfiant. Ce que j’entendais c’était surtout ça, la méfiance. Ils se méfient beaucoup des Syriens, ils estiment que ce sont des gens à rééduquer. C'est le discours qu'ils entendent et qui vise à opprimer, coloniser, prendre en somme la place d’un peuple.

Des Syriens qu’ils disent vouloir sauver… c’est paradoxal ?
Sophie Kasiki : C’est très paradoxal, ça fait partie des choses qui m’ont ouvert les yeux et qui m’ont fait comprendre. Ces gens-là ne viennent pas pour aider les Syriens, ou en tous cas pas principalement.

Que pouvez-vous nous dire du rôle des femmes plus généralement ?
Sophie Kasiki : Dans cette maternité, il y avait aussi ce sentiment de toute puissance. On avait l’impression que les étrangères venues y travailler savaient tout faire, même quand elles le faisaient mal, ce qui était très souvent le cas. Quant aux femmes, il n’y en a aucune qui combat. Certaines surveillent et intègrent les milices, seulement des caucasiennes. On entend pas mal que les Tchétchènes sont plus costaudes que les Européennes. La femme occidentale ou celle qui a grandi en Occident sert alors beaucoup plus de reproductrice. Elle a plus le rôle d’éducation auprès des enfants.
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Le Djihad daéchien =
Armes, sexe, aboiement

Après avoir été retenue, seule avec votre enfant, pendant plusieurs semaines dans cet appartement de Raqqa, vos geôliers vous ont placée dans une madafa, une sorte de garderie pour femmes. A quoi ressemblait-elle ?
Sophie Kasiki : Les madafas sont des espèces de maisons où on garde et surveille les femmes. Dedans il y a toutes sortes de femmes, de toutes les nationalités, sans distinction, qui attendent. Certaines sont là parce que leurs maris combattants sont sur le front, d’autres sont divorcées. Les plus jeunes, elles, attendent d’être mariées. Il arrive que les combattants viennent se fournir dans les madafas. Il y en avait qui avaient l’air complètement droguées. C’est un endroit très surveillé, sans sortie, les portes sont constamment fermées à clef, il n’y a pas de fenêtres à travers lesquelles s’enfuir... A l’époque, au printemps dernier, j'ai entendu dire qu’il y avait seulement trois ou quatre madafas en Syrie. Une près de la frontière, une seule à Raqqa, une autre à Deir ez-Zor, dans l’Est. De toutes façons, ils en créent toujours, et les déplacent.
"Pour elle, le moudjahidine qui venait la choisir était un prince charmant."
Qu’est-ce qui, selon vous, attire tant ces très jeunes filles qui rêvent de se marier?
Sophie Kasiki : Je ne saurais pas vous dire. Chacune a des attentes, des aspirations différentes. Par exemple avec cette jeune fille de 19 ou 20 ans qui se mariait et qui d'ailleurs m’a permis de fuir [c’est à l’occasion de ce mariage, alors que l’attention est détournée dans la madafa, que Sophie parvient à s’échapper, ndlr], on avait l’impression d’avoir devant soi une petite fille de cinq ans. Pour elle, le moudjahidine qui venait la choisir, demander sa main, c’était le prince charmant, qui ferait d’elle une princesse. C’est ce que les hommes font croire à certaines femmes. La femme, comme ils disent, est leur joyau. Ces hommes-là pensent que cacher une femme, tout lui interdire, la guider comme une enfant, est une manière de la protéger.

Certaines toutefois déchantent ?
Sophie Kasiki : Dans cette madafa, j’ai rencontré une femme divorcée. Elle avait divorcé quelques jours auparavant. J’étais intriguée parce qu’elle était enceinte. Elle me disait : "oui mais cet homme que j’ai connu (avec qui elle était mariée à la base en Australie avant d’arriver en Syrie) n’est plus la même personne, il est devenu quelqu’un d’autre". Certaines vont ainsi combattre le discours extrémiste pas forcément par rapport au discours en lui-même, mais par le côté personnel, affectif, parce qu'elles voient leur homme changer. Ça a pu jouer sur le fait que cette femme ne voyait plus la Syrie comme elle la voyait au départ. Pour d'autres c'est plus violent. Celles qui refusent un  finissent maltraitées, frappées, violées. J’ai des retours de familles de certaines jeunes filles qui sont bloquées là-bas ou emprisonnées pour des refus de mariage, parce qu’elles ont demandé à partir.
"On devient le pantin de Daech."

A votre retour en France, vous êtes incarcérée quelques semaines au printemps 2015. Avez-vous été suivie ?
Sophie Kasiki : Il n’y avait pas de suivi psychologique. On accuse des gens d’être embrigadés, mais on les met dans une cellule avec d’autres personnes. [Sophie a partagé sa cellule initialement prévue pour deux avec six autres femmes, ndlr]. C’était très dur. Ça m’a laissé aussi le temps malgré la souffrance, l’isolement, de me poser, d’essayer de revivre ça, petit à petit, de repartir en arrière, de comprendre.

Avez-vous, aujourd’hui, des nouvelles de Raqqa, votre ancienne prison. La situation a-t-elle empiré ?
Sophie Kasiki : Complètement. Il y a les bombardements aujourd’hui. La maternité dans laquelle j’ai fait du bénévolat pendant quelques jours par exemple a été bombardée. Et puis il y a beaucoup plus de contrôles. Ils ont mis des check point avec des femmes, les cybercafés sont régulièrement contrôlés, il y a de nouvelles restrictions… Là-bas, on n’est plus maître de soi, on devient le pantin, la propriété de ces gens-là, surtout quand on est une femme. Mais les hommes aussi parce que ceux qui tentent de déserter de Daech sont tués ou emprisonnés. Comme quoi, pour eux, les personnes ne sont pas indispensables, ce sont des choses.

"Dans la nuit de Daech, confession d'une repentie", de Sophie Kasiki (éd. Robert Laffont, 240 p.).

Source :  http://www.marianne.net/sophie-revenue-syrie-daech-n-est-qu-gros-mensonge-100239721.html

VOIR AUSSI : 
  Le "nikah djihadiste" ou la "prostitution halal"
 Témoignage d'une djihadette tunisienne
 DAECH : au marché, une "esclave" vaut entre 35 et 138 Euros

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