L’Organisation
État islamique (EI), créée en 2006 en Irak, a été au cœur de l’actualité
en 2015 et le conflit qui fait rage en Irak et en Syrie ne semble pas
près de trouver une issue pacifique. La multiplication de groupes
faisant allégeance à l’EI menace la stabilité des autres pays musulmans,
de l’Algérie au Pakistan, et les attentats récents ont bouleversé
l’Occident.
Cependant, l’EI a commencé à perdre du
terrain en Syrie et en Irak au cours de l’année 2015 et le mouvement de
reflux pourrait se poursuivre en 2016 si l’intervention internationale
se coordonnait davantage et se focalisait sur la menace islamiste. Les
actions visant à assécher les ressources financières de l’EI, en
particulier celles tirées de l’exploitation du pétrole, commencent à
porter leurs fruits, ce qui pourrait constituer une étape décisive de la
guerre contre l’organisation terroriste.
I. L’État islamique perd du terrain en Syrie et en Irak
L’EI aurait perdu 14% de son territoire au cours de l’année 2015.
En Syrie, l’EI est tenu à l’écart de la « Syrie utile », la région la plus peuplée de l’ouest. Il reste contenu à l’est de Homs et d’Alep, où l’Armée syrienne libre et d’autres groupes rebelles continuent à affronter le régime de Bachar al-Assad (1).
En Syrie, l’EI est tenu à l’écart de la « Syrie utile », la région la plus peuplée de l’ouest. Il reste contenu à l’est de Homs et d’Alep, où l’Armée syrienne libre et d’autres groupes rebelles continuent à affronter le régime de Bachar al-Assad (1).
Au Kurdistan syrien, la situation tourne à l’avantage de l’Unité de
protection du peuple (YPG), la branche armée du Parti de l’Union
démocratique kurde. Les Kurdes, soutenus par des frappes aériennes
américaines, remportent une victoire décisive à Kobané en janvier 2015.
Au cours du premier semestre, ils repoussent les forces de l’EI, ce qui
leur permet d’unifier leur territoire et de couper une route de
contrebande dont l’EI se servait pour vendre du pétrole en Turquie. En
juillet 2015, les YPG repoussent également l’offensive de l’EI sur
Hassakah, qu’ils tiennent désormais avec les forces loyales au régime
syrien.
En Irak, les Kurdes lancent une offensive depuis les monts Sinjar,
reprenant la ville de Sinjar et une route majeure reliant Mossoul à la
Syrie en novembre 2015. Le succès de l’opération est le résultat d’une
jonction des forces kurdes irakiennes des Peshmergas, de miliciens
yézidis, des YPG kurdes syriens et des Kurdes turcs du Parti des
travailleurs du Kurdistan (PKK), soutenus par des frappes aériennes de
la coalition. Les combattants qui ont repris Sinjar y ont découvert un
charnier, témoignant à nouveau des massacres auxquels se livre l’EI dans
les territoires conquis.
L’EI recule également dans les environs de Bagdad. En avril 2015, les
forces armées irakiennes, appuyées par des milices chiites, reprennent
la ville de Tikrit aux islamistes après une quinzaine de jours de siège.
En décembre 2015, l’armée irakienne affronte l’EI à Ramadi, à 100
kilomètres à l’ouest de Bagdad. À la fin du mois, les forces irakiennes
atteignent le centre de la ville, tandis que la coalition continue de
bombarder les quartiers tenus par les islamistes.
Carte 1 : contrôle du territoire en Syrie et en Irak (fin décembre 2015)
En revanche, en Syrie en mai 2015, l’EI prend le contrôle d’un
important territoire autour de la ville antique de Palmyre. La prise de
Palmyre intervient au moment où l’organisation perd du terrain le long
de la frontière turco-syrienne. Elle prouve la mobilité du groupe et
illustre une stratégie plusieurs fois appliquée : au lieu de se battre
pour défendre un territoire jusqu’à l’épuisement, l’EI préfère se
retrancher et ouvrir de nouveaux fronts, de préférence dans des régions
sunnites ou il peut espérer le soutien d’une partie de la population. En
même temps, l’EI continue à commettre des attentats dans les zones
qu’il ne contrôle pas, ce qui rend la menace encore plus difficile à
contenir pour les forces gouvernementales.
Les forces régulières syriennes, irakiennes et kurdes empêchent l’EI
de s’emparer des villes les plus peuplées et ont réussi à conduire
quelques offensives significatives au cours de l’année passée. Ces
succès contre l’EI sont aussi largement attribuables à l’intervention
militaire internationale. L’appui d’autres pays est indispensable pour
frapper le cœur du territoire de l’EI, et seule l’aviation des
puissances étrangères peut infliger suffisamment de dégâts aux bastions
reculés du groupe.
II. Une action internationale encore trop peu coordonnée
En août 2014, une coalition menée par les États-Unis commence à
bombarder l’EI en Irak. Presque 6000 bombes y sont larguées entre août
2014 et fin décembre 2015 d’après l’armée américaine. Les États-Unis
bombardent ensuite la Syrie, aux côtés de plusieurs pays du Golfe, à
partir de septembre 2014. La France rejoint les États-Unis dans la lutte
aérienne contre l’EI en Irak mais exclut dans un premier temps de
bombarder la Syrie, refusant de prendre parti pour le régime ou pour
l’EI. L’engagement de forces aériennes en Syrie est décidé en septembre
2015 en raison de la menace terroriste en France et de l’arrivée massive
de réfugiés syriens en Europe. Les frappes françaises s’intensifient
suite aux attentats du 13 novembre à Paris. 3000 bombes auraient été
larguées en Syrie entre septembre 2014 et fin décembre 2015 (2).
Carte 2 : localisation des frappes de la Russie et de la coalition arabo-occidentale en Syrie (septembre 2014 - décembre 2015)
Les frappes de la coalition ont été particulièrement massives à
Kobané pour aider les combattants kurdes à reprendre à l’EI cette ville
frontalière stratégique. Elles visent également les villes de Mossoul et
Ramadi, principales villes contrôlées par l’EI en Irak. Rakka, la plus
grande ville tenue par l’EI en Syrie a également subi d’intenses
bombardements, notamment ceux menés par l’aviation française en réaction
aux attentats de Paris.
La Russie commence son intervention en Syrie le 22 octobre 2015, un
mois après l’annonce faite par le président Poutine devant l’ONU à New
York. L’objectif de la Russie est de soutenir le régime de Bachar
al-Assad, qu’elle considère comme seul légitime, et d’éradiquer
l’islamisme par la force. Une trentaine d’avions de combat réalise des
frappes de soutien pour les troupes du régime syrien. L’engagement au
sol est limité mais des troupes régulières et des forces spéciales
permettent de mieux guider les bombardements et d’aider l’armée syrienne
à faire face à l’insurrection. Plusieurs navires frappent Rakka et Alep
depuis les mers Caspienne et Méditerranée.
Les frappes russes sont concentrées sur la « Syrie utile », d’Alep à Damas, là où sont situés la plupart des affrontements entre les forces du régime de Damas et ses opposants. Contrairement aux frappes de la coalition, celles de la Russie ne ciblent pas particulièrement les bastions de l’EI. Des combattants de l’EI sont touchés, comme à Homs, où ils étaient aux prises avec les troupes du régime, mais la majorité des frappes est localisée au sud d’Alep, sur le front où le régime affronte l’Armée syrienne libre.
Le choix des cibles le montre, les objectifs russes ne sont pas les mêmes que ceux de la coalition arabo-occidentale. L’intervention militaire de la Russie, la première depuis la fin de l’URSS, s’explique même en partie par la volonté de contrebalancer l’influence des États-Unis et de ses alliés dans la région. Cependant, au cours de l’année 2015, il est devenu de plus en plus clair que la Russie et la coalition avaient pour objectif commun l’élimination de l’EI.
Les frappes russes sont concentrées sur la « Syrie utile », d’Alep à Damas, là où sont situés la plupart des affrontements entre les forces du régime de Damas et ses opposants. Contrairement aux frappes de la coalition, celles de la Russie ne ciblent pas particulièrement les bastions de l’EI. Des combattants de l’EI sont touchés, comme à Homs, où ils étaient aux prises avec les troupes du régime, mais la majorité des frappes est localisée au sud d’Alep, sur le front où le régime affronte l’Armée syrienne libre.
Le choix des cibles le montre, les objectifs russes ne sont pas les mêmes que ceux de la coalition arabo-occidentale. L’intervention militaire de la Russie, la première depuis la fin de l’URSS, s’explique même en partie par la volonté de contrebalancer l’influence des États-Unis et de ses alliés dans la région. Cependant, au cours de l’année 2015, il est devenu de plus en plus clair que la Russie et la coalition avaient pour objectif commun l’élimination de l’EI.
Les États-Unis, suivis par la France et les autres pays de la
coalition, ont adopté une attitude beaucoup plus « attentiste » à
l’égard du régime syrien (3) et ont fait le choix de privilégier
l’endiguement de la guerre civile et la lutte contre les terroristes de
l’EI plutôt que le changement de régime. Du point de vue russe, l’EI est
également un ennemi de plus en plus sérieux pour Bachar al-Assad à
mesure que le groupe avance vers ses bastions à l’ouest du pays et
multiplie les attentats dans des grandes villes restées fidèles au
régime comme Homs. L’EI constitue également une menace pour la Russie en
raison du risque grandissant de contagion au Nord-Caucase.
L’alignement des intérêts des puissances intervenant dans le conflit
devrait permettre une meilleure coordination, même si elle reste
informelle. Il est désormais clair que l’objectif prioritaire est
d’affaiblir l’EI avant de pouvoir engager un processus de reconstruction
et d’envisager les issues politiques de la crise.
III. Viser les infrastructures pétrolières pour tarir les finances de l’EI
L’EI est considéré comme l’organisation terroriste la plus riche du
monde. Le chiffre de 2000 milliards de dollars d’actifs aux mains de
l’organisation est parfois avancé (4).
La majorité de cette somme est composée des ressources pétrolières et gazières que renferment les zones contrôlées par l’EI. Le groupe a en effet réussi à prendre le contrôle de la majorité des champs de pétrole syriens, dont les principaux sont situés dans la région de Deir-ez-Zor. L’organisation extrait également du pétrole en Irak, dans la région de Mossoul. Le pétrole brut est ainsi la principale ressource de l’EI, constituant la majorité des 3 milliards de dollars de ses revenus annuels, devant les taxes prélevées dans les territoires occupés, la contrebande de céréales, le trafic d’antiquités, les kidnappings et les dons régionaux.
La majorité de cette somme est composée des ressources pétrolières et gazières que renferment les zones contrôlées par l’EI. Le groupe a en effet réussi à prendre le contrôle de la majorité des champs de pétrole syriens, dont les principaux sont situés dans la région de Deir-ez-Zor. L’organisation extrait également du pétrole en Irak, dans la région de Mossoul. Le pétrole brut est ainsi la principale ressource de l’EI, constituant la majorité des 3 milliards de dollars de ses revenus annuels, devant les taxes prélevées dans les territoires occupés, la contrebande de céréales, le trafic d’antiquités, les kidnappings et les dons régionaux.
Carte 3 : l’EI contrôle d’importante région pétrolière en Syrie et en Irak
D’après une récente enquête du Financial Time, le brut extrait par
l’EI est vendu en majorité à des acheteurs syriens et irakiens qui
viennent directement sur les sites d’extraction. Une partie du brut est
vendu tel quel au marché d’al-Qaim, à la frontière syro-irakienne, une
autre partie est transformée en essence ou en mazoute dans des
raffineries construites par les habitants de la région ou assemblées par
l’EI à partir de préfabriqués. Les produits raffinés sont vendus sur
des marchés locaux dans les régions contrôlées par l’EI ou par d’autres
groupes rebelles. Des trafiquants, qui ne sont généralement pas liés à
l’EI, exportent de l’essence en traversant à pieds ou à dos d’âne la
frontière nord de la Syrie ou le Kurdistan irakien (5).
Les frappes aériennes de la coalition comme de la Russie visent les
installations installées par l’EI autour des champs pétroliers. La
production est par conséquent en chute depuis le début de l’année 2016,
beaucoup de raffineries mobiles installées par l’EI ayant ainsi été
détruites. L’objectif est aussi de mettre fin au commerce, en frappant
par exemple les files de camions qui transportent le pétrole depuis les
champs. Al-Omar, le principal site d’extraction de pétrole de l’EI, a
notamment été très endommagé par les frappes de la coalition en 2015.
La destruction des infrastructures pétrolières est un moyen efficace de tarir les finances de l’EI, donc de réduire son attractivité pour les combattants étrangers et limiter ses possibilités d’acheter le soutien des populations locales. Cependant, des frappes aériennes trop massives sur les champs de pétrole risqueraient d’avoir un effet contraire aux objectifs poursuivis. Les destructions accroitraient les pénuries, ce qui radicaliserait davantage les populations, et nuirait à la reconstruction sur le plus long terme.
La destruction des infrastructures pétrolières est un moyen efficace de tarir les finances de l’EI, donc de réduire son attractivité pour les combattants étrangers et limiter ses possibilités d’acheter le soutien des populations locales. Cependant, des frappes aériennes trop massives sur les champs de pétrole risqueraient d’avoir un effet contraire aux objectifs poursuivis. Les destructions accroitraient les pénuries, ce qui radicaliserait davantage les populations, et nuirait à la reconstruction sur le plus long terme.
Conclusion
Plusieurs signes permettent de penser que l’EI a atteint le maximum
de son expansion en 2015, qu’il aura du mal à faire face à
l’intervention simultanée d’une vingtaine de pays contre lui et qu’il ne
pourra plus compter sur des ressources financières aussi abondantes
qu’auparavant.
Pourtant, cela ne signifie pas que l’organisation cessera de nuire. La guerre contre le terrorisme est loin d’être gagnée. En effet, la menace évolue constamment, l’ennemi est largement invisible, il ne peut pas être battu comme une armée régulière. Face à cette menace, les moyens militaires ont une efficacité limitée. Les efforts de reconstruction devront être la priorité car le danger est que l’intervention ne fasse qu’ajouter au chaos qui nourrit l’extrémisme dans la région.
Pourtant, cela ne signifie pas que l’organisation cessera de nuire. La guerre contre le terrorisme est loin d’être gagnée. En effet, la menace évolue constamment, l’ennemi est largement invisible, il ne peut pas être battu comme une armée régulière. Face à cette menace, les moyens militaires ont une efficacité limitée. Les efforts de reconstruction devront être la priorité car le danger est que l’intervention ne fasse qu’ajouter au chaos qui nourrit l’extrémisme dans la région.
Par Corentin Denis
http://www.lesclesdumoyenorient.com/2016-vers-un-reflux-de-l-Etat-islamique-Cartographie-du-conflit-en-Irak-et-en.html
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