C’est évidemment à la lumière des
déclarations de Poutine du 1er mars dans ce qu’elles disent de la posture
actuelle des USA en matière de puissance militaire qu’il faut considérer
l’avertissement extrêmement préoccupé que vient de lancer Michael Griffin,
le sous-secrétaire à la défense pour la recherche et l’ingénierie. Griffin
s’attache particulièrement à la Chine, à propos des systèmes d’armes de la
catégorie des missiles d’attaque hypersoniques (volant à plus de Mach 5),
justement l’un des systèmes d’armes dont Poutine a révélé le
développement très avancé sinon sur le point d’être achevé au sein des forces
russes.
Griffin prend le cas chinois parce qu’il
parle de la vulnérabilité nouvelle et extrême des grands porte-avions d’attaque
de l’US Navy face à cette arme, – ce qui semble être une
des préoccupations majeures et justifiées de l’US Navy aujourd’hui. Les Chinois
sont particulièrement furieux du rôle et des pressions intrusives des groupes
de porte-avions US dans les mers qui bordent leurs côtes et ils ont déjà fait
largement savoir qu’ils développaient, sinon disposaient d’armes capables de
réduire ces monstres de 100.000 tonnes au rôle de sitting ducks
(canards assis ou "cibles faciles" ). exposés au coup fatal qui les enverrait par le fond. Griffin vient donc
confirmer aimablement tout cela en lançant un cri d’alarme extrêmement
significatif.
C’est le Washington
Examiner
qui rapporte les propos de cet officiel de très haut rang, lors la conférence
annuelle de McAleese-Credit Suisse, consacrée cette année à la
défense
« L'ère du porte-avions américain en tant que
première puissance militaire navale et de projection de force pourrait prendre
fin à moins que les États-Unis ne développent des défenses contre la prochaine
génération d'armes hypersoniques hyper rapides et très manœuvrables en cours de
développement en Russie et en Chine, a annoncé mardi un haut fonctionnaire du Pentagone.»
Michael Griffin,
sous-secrétaire à la Défense pour la recherche et l'ingénierie, a déclaré que
la Chine consacrait de très gros budgets au développement de versions équipées
d’armes conventionnelles de ce système, qui pourraient rendre les porte-avions
américains vulnérables aux attaques.
“Selon le point de vue
budgétaire, on peut évaluer que la Chine a effectué 20 fois plus de tests
d'armes hypersoniques que les États-Unis au cours de la dernière décennie”, a
déclaré M. Griffin lors de la conférence annuelle de McAleese-Credit
Suisse sur la défense.»
La Chine en particulier, a-t-il dit, est sur la voie de devenir une
puissance mondiale et l’adversaire principal de l'Amérique. “Lorsque les
Chinois pourront déployer des systèmes hypersoniques tactiques ou régionaux,
ils mettront en péril nos groupements tactiques de combat, ils tiendront toute
notre flotte de surface sous la menace d’une destruction, ils mettront en péril
nos forces terrestres projetées et déployées sur l'avant”.
Griffin, qui occupe
ses fonctions depuis moins de deux semaines, a déclaré que le développement de
défenses contre la menace hypersonique est sa première priorité technique au
Pentagone. “Étant
sans une capacité de défense adéquate et sans une capacité d'intervention
offensive au moins égale, ce que nous avons ainsi laissé faire est la
possibilité du développement d’une situation où nos forces déployées [dans le monde] sont directement menacées. Nous ne pouvons
pas actuellement créer par nos moyens la même situation chez nos adversaires,
nous ne pouvons pas les tenir en respect, et donc notre seule réponse est soit
de leur laisser faire ce qu’ils veulent, soit de passer au nucléaire. Eh bien, cela devrait
être considéré comme une situation inacceptable pour les États-Unis.”
[...]
» “L'avantage des systèmes hypersoniques est,
en général, quelle que soit leur portée, qu'ils trop rapides pour la défense
antimissile et au-delà des capacités de la défense antiaérienne. C’est un
créneau auquel nous avons consacré fort peu de moyens ces dernières années et
si je devais choisir ma plus haute priorité technique en considérant tous les
problèmes existants, cela serait évidemment ces systèmes”, a déclaré Griffin. “Si notre seule réaction est soit de les
laisser gagner soit de passer au nucléaire, nous sommes dans de beaux draps.
Cela invite nos adversaires à avoir un comportement très dommageable pour
nous”. »
Il faut bien mesurer le
cas : il s’agit d’une déclaration publique, au cours d’un séminaire de
conférences, et d’une de ces conférences ; il s’agit donc d’un
texte mûrement préparé et pesé, reflétant une préoccupation majeure et
fondamentale.
Le poste et la position de Griffin vont aussi dans ce sens de témoigner
de la gravité de la préoccupation :
le poste de sous-secrétaire pour la recherche et l’ingénierie, qu’on peut voir
comme un quasi-n°3 du Pentagone, est essentiel dans ce sens qu’il gouverne les
choix et l’évolution du développement des nouveaux systèmes et des nouvelles
armes. D’autre part, la très récente arrivée de Griffin à ce poste (une
dizaine de jours) semble montrer que le texte ne vient pas directement de lui,
même s’il l’endosse complètement et effectue la mission de “lanceur d’alerte” (whistleblower !), donc qu’il
s’agit d’une préoccupation qui concerne le Pentagone dans son entièreté. Tout
cela nous permet de mesurer le degré de préoccupation-panique
du susdit Pentagone.
On tiendra comme plus importante
cette déclaration que la révélation qui s’est faite progressivement, depuis
plusieurs années, des capacités chinoise (tenons-nous en au cas chinois) de
plus en plus affirmées de faire peser un danger mortel d’anéantissement de la flotte US,
au milieu des querelles, des tensions, des provocations, bref de la situation
crisique endémique régnant dans les mers bordant la Chine où la VIIème Flotte
de l’US Navy croise en permanence. Il s’agit par ailleurs, quelles que soient
les responsabilités chinoises, d’une situation générale du monde créée par l’affirmation ex abrupto et assurée d’une unctio divina que les USA, et
particulièrement l’US Navy, ont à la fois le droit et le devoir de faire régner l’ordre, – leur ordre,
dit Pax
Americana,
– partout dans le monde, notamment sur les mers du globe,
notamment près des côtés de leurs adversaires potentiels les plus puissants.
Mais aujourd’hui, les
énormes monstres de 100.000 tonnes paradant au large des côtes des uns et
des autres commencent à avoir des allures de monstrueux sitting ducks, à la fois
ridicules et pathétiques, et le Pentagone commence à geindre selon
son habitude... Si on lui demande, au Pentagone, “Qui t’a fait roi ?”,
– et ici, ce serait plutôt “Qui t’a fait
cocu ?”, – il ne comprend tout simplement pas le sens de la
question...
Sa responsabilité est pourtant
considérable. Le Pentagone n’a rien vu venir parce
que le Pentagone est incapable de voir et de faire deux choses à la fois. Redirigé
complètement avec 9/11 sur “la guerre contre la Terreur” avec toutes ses
magouilles, il a laissé en friche le champ de développement des systèmes
conventionnels, au contraire de ses rivaux chinois et russes qu’il observait
distraitement, avec un mépris écrasant et une arrogance à mesure, estimant que
les porte-avions d’attaque et le JSF/F-35 suffiraient à faire se tenir
tranquille cette basse-cour de sauvages-barbares reculés pendant qu’on les
ferait basculer dans la musette exceptionnaliste-US grâce aux “révolutions de
couleur”/regime change/Printemps Arabe et à la guerre de
communication que l’Amérique mène depuis l’origine, étant
communication et guerre en-soi et en substance, – si l’on peut parler
de substance dans son cas...
Le Pentagone est donc pris une
fois de plus au dépourvu. La “nouvelle stratégie” déterminée par
l’administration Trump (par le Pentagone) déclare terminée “la guerre
contre la Terreur”, et décidé le retour aux possibles-probables
(inévitables ?) conflits de haut niveau, conventionnels avec frôlements
nucléaires éventuels, contre le couple diabolique Chine-Russie. C’est justement
ce qu’évoque Griffin : actuellement, si l’US Navy est confrontée à
cette menace qui existe quasiment d’ores et déjà, elle ne pourra rien faire,
sinon passer au nucléaire. Partout, la situation est semblable, parce que
partout les USA se sont laissés distancer dans ce domaine des armes
conventionnelles de haut niveau.
Aussitôt se pose la question à
$64 000 : au
fait, pourront-ils rattraper leur retard ? Et notre
réponse est bien entendu que nous
en doutons fortement. Deux arguments fondamentaux alimentent ce
doute : l'argent et le technologisme.
• L’argent d’abord, the
money, les $billions $trillions si chers au
cœur et à l’esprit de l’époque. Le Pentagone déborde de fric : plus de
$700 milliards officiels, autour de $1 200 milliards réels l’an. Même si
on l’alimente encore plus après la formidable augmentation (+15%) de l’année
fiscale qui commence en octobre, on ne changera pas grand-chose pour le
développement et la production de moyens de défense dont nul ne sait quelle
forme ils pourraient prendre, sinon éventuellement les ralentir. On sait que le
pic d’efficacité ayant été atteint et dépassé depuis longtemps pour la pente du
gaspillage et de la corruption, toute augmentation du budget relève aujourd’hui du
phénomène de la “croissance
vide” que nous définissions de
la sorte :
« Il y a donc surtout, selon nous, ce phénomène
non encore identifié et d’ailleurs difficilement quantifiable de perversion
fondamentale, qui est que l’apport d’argent supplémentaire a conduit à
l’accroissement des facteurs négatifs (redondances, gaspillages, corruption,
etc.) et a contribué à réduire encore les capacités existantes ; nous
parlerions alors de “croissance créatrice de vide”, ce qui implique un
renversement subversif du processus habituel du Système, rencontrant à ce
niveau, et dans les conditions propres au processus, le désormais habituel
parallélisme entre surpuissance et autodestruction du Système, avec le
renforcement constant du facteur “autodestruction”. »
• Les limites désormais atteintes du technologisme
dans sa fonction d’efficacité de fonctionnement pour des systèmes soumis aux
grandes contraintes de la nature du monde (le vent, les nuages, le ciel, la
pluie, etc.), hors de l’environnement encoconné et sanitized
de l’ensemble informatique-réseau, – ce qu’on pourrait nommer “technologisme-sanitized ou technologisme-simulacre.
Ces limites ont été atteintes sans aucun doute et pour l’instant exclusivement
aux USA et au Pentagone, premiers en tout, comme on le voit avec les catastrophiques avatars du F-35, de
la frégate DDG-1000 classe Zumwalt,
du nouveau porte-avions USS Gerald Ford dont la principale
innovation, les catapultes construites à partir des technologies-sanitized, a montré un
fonctionnement si erratique que le gros bateau est pour l’instant d’une
opérationnalité plus que douteuse. Pour cette raison, nous ne croyons plus, ni
le Pentagone, ni les USA capables d’un “crash
program” comme la bombe atomique pendant la guerre, ou le programme
Apollo des années 1960. Par
conséquent, selon nous, aucune
chance, ni de rattraper leur retard sur leurs concurrents, ni et encore moins
de créer une défensive efficace contre leurs capacités.
Ce qui est étrange, et si
américaniste finalement, c’est que Griffin n’a évoqué que deux
possibilités : ou bien observer les Chinois faisant ce qu’ils veulent dans
les eaux proches de leurs côtes, sans pouvoir intervenir alors qu’on se trouve
soi-même dans ces “eaux proches” ; ou bien monter au nucléaire. Il n’en a
pas évoqué une troisième : que
les USA se retirent d’où personne ne veut d’eux et que
l’U.S. Navy se contente de faire des ronds dans l’eau dans le Golfe du Mexique
ou au large de San Diego, dans le cadre d’une doctrine Monroe réduite
aux acquêts postmodernes. Les USA étant un empire sérieux, celui de Rome en
mieux, il n’est pas question de s’attarder à ces broutilles. Aucune des options
ne sera donc retenue et l’on continuera à se chamailler, à hurler dans le
désordre, à accuser les Russes, à faire des auditions au Congrès, et le
processus de l’effondrement se poursuivra. Le prochain
grand porte-avions sera baptisé USS Collapsus,
ce qui fait plus sérieux que USS Titanic.
Mis en ligne le 8 mars 2018 à
10H04
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