Tout amateur du Grand jeu est familier des
innombrables acronymes qui égrènent la colossale bataille pour l'Eurasie :
OTAN, BTC, OBOR, IPI, TAPI... A cet égard, un nouveau venu est en passe de
frapper très fort : le RAI (Russie-Azerbaïdjan-Iran).
Il y a un an et demi,
dans un billet intitulé Journées
importantes, nous écrivions :
Dans le grand
classique cinématographique de David Lean, lorsque le général britannique
renâcle à détacher Lawrence chez les tribus arabes, le rusé Dryden, archétype
du brillant diplomate qui était alors la norme du Foreign Office (les choses
ont changé depuis), lui rétorque : "Bien des grandes choses commencent
petitement". Or, nous vivons peut-être l'un de ces moments anonymes qui,
pourtant, porte en germe d'énormes conséquences pour le futur.
Ce lundi, se
sont en effet réunis à Bakou les présidents russe, iranien et azéri. Parmi les
sujets divers et variés discutés (contre-terrorisme, coopération dans
l'industrie d'armement etc.), il y en a un qui nous intéresse particulièrement
: le projet d'un corridor de transport Nord-Sud reliant les trois
pays.
Jusqu'ici, rien
que de très banal en apparence. Coopération régionale, volonté d'intensifier
les échanges ; une petite chose dirait Dryden. Sauf que... A terme, le but
n'est ni plus ni moins que de concurrencer le canal de Suez !
"Le projet
de corridor de transport international "Nord-Sud" est appelé à réunir
les meilleures conditions pour le transit des marchandises depuis l'Inde,
l'Iran et les pays du Golfe vers l’Azerbaïdjan, la Russie et plus loin vers le
Nord et l'Ouest de l'Europe", a déclaré le chef de l'Etat russe Vladimir
Poutine devant les journalistes azerbaïdjanais à la veille de sa visite dans
leur capitale.
Il s'agit en fait de non seulement créer des corridors de transport vers l'Inde, le Pakistan et l'Irak, mais aussi et surtout de former l'espace eurasiatique de transport nord-sud.
En ce qui concerne l'avantage économique de la voie "Nord-Sud", on peut dire que l'envoi d'un conteneur de 40 pieds de Francfort-sur-le-Main en Asie du Sud par le canal de Suez revient aujourd'hui à 5.670 dollars. Son transport par le corridor de transport international "Nord-Sud" coûte, dès aujourd'hui, 2.000 dollars de moins et il est de 15 à 20 jours plus rapide".
Il s'agit en fait de non seulement créer des corridors de transport vers l'Inde, le Pakistan et l'Irak, mais aussi et surtout de former l'espace eurasiatique de transport nord-sud.
En ce qui concerne l'avantage économique de la voie "Nord-Sud", on peut dire que l'envoi d'un conteneur de 40 pieds de Francfort-sur-le-Main en Asie du Sud par le canal de Suez revient aujourd'hui à 5.670 dollars. Son transport par le corridor de transport international "Nord-Sud" coûte, dès aujourd'hui, 2.000 dollars de moins et il est de 15 à 20 jours plus rapide".
Ce que
l'article ne dit pas, mais qui sous-tend évidemment le projet, c'est le fait
d'éviter l'océan "international" (c'est-à-dire la puissance maritime
anglo-saxonne) et de favoriser les voies de transport continentales où l'empire
n'a pas son mot à dire. En un mot, accélérer l'intégration de l'Eurasie.
McKinder, ne regarde pas cette carte...
Car le corridor
est bien sûr à mettre en parallèle (même si géométriquement, ce serait plutôt
en perpendiculaire) avec les pharaoniques routes chinoises de la Soie qui courront
est-ouest. Pékin doit suivre le dossier de près et a sûrement été briefé par
Moscou. Rappelons à cette occasion ce que Poutine déclarait avant sa visite en
Chine le mois dernier : "Dire que nos deux pays coopèrent stratégiquement
est dépassé. Nous travaillons désormais ensemble sur tous les grands sujet. Nos
vues sur les questions internationales sont similaires ou coïncident. Nous
sommes en contact constant et nous nous consultons sur toutes les questions
globales ou régionales".
Le corridor RAI
(Russie-Azerbaïdjan-Iran) se combinera avec les voies chinoises pour former un
maillage eurasien serré par lequel transiteront marchandises et hydrocarbures.
De Lisbonne à Pékin et de l'Océan indien à l'Océan arctique. Un seul absent
dans tout cela : les Etats-Unis, dont la capacité de nuisance s'amenuise à
mesure que l'intégration de l'Eurasie se poursuit.
Si le RAI
devrait bientôt voir le jour, mentionnons tout de même, pour être tout à fait
exhaustif, les quelques obstacles auxquels il pourrait faire face. Si la
Tchétchénie a été totalement pacifiée par le rude Kadyrov, le Daghestan par où
doit passer le corridor connaît encore des flambées de violence et de
terrorisme, quoique de moins en moins nombreuses. Plus au sud, l'Arménie,
alliée de Moscou et ennemie irréductible de Bakou, risque peut-être de se
sentir quelque peu marginalisée ; il faudra tout le tact diplomatique du
Kremlin pour convaincre Erevan que ce qui est bon pour l'Azerbaïdjan n'est pas
forcément mauvais pour l'Arménie. Enfin, l'Iran manque d'infrastructures, mais
ne serait-ce pas justement l'occasion d'un premier gros coup de la BAII ou de
la banque des BRICS ?
Il y a quatre mois, nous ajoutions :
Au-delà des
rodomontades américano-israoudiennes, l'Iran est plus que jamais au centre du
jeu et la visite de Poutine le 1er
novembre l'a magnifiquement symbolisé, au grand dam des Spykman boys et autres
néo-cons. Accords gaziers et pétroliers - notamment la
construction d'un gazoduc irano-russe via l'Azerbaïdjan (pour
alimenter l'IPI dans le futur ?) et 30 Mds d'investissements de
Rosneft dans le secteur énergétique iranien, profitant de la persophobie du Donald
qui laisse les euronouilles vassales dans la gêne et l'indécision.
L'Iran semble
de plus en plus devenir la porte de la Russie vers les mers chaudes et le
meilleur moyen de relier énergétiquement l'Asie du sud. Dans cette optique, de par sa position géographique, l'Azerbaïdjan a
évidemment une carte à jouer et ce n'est sans doute pas un hasard si la visite
de Vladimirovitch s'est achevée par un sommet tripartite.
Outre le
pipeline trans-azéri mentionné ci-dessus, relevons la volonté de dédollariser
les échanges bilatéraux ou encore un accord de libre-échange entre l'Union
Economique Eurasienne et l'Iran. Last but not least, le développement du
Corridor caspien nord-sud afin de connecter par voie ferroviaire et routière la
Caspienne et l'Océan indien.
Depuis, plusieurs faits ont confirmé la tendance
lourde que nous envisagions. La ligne ferroviaire Iran-Azerbaïdjan a été ouverte et Bakou y est fortement intéressée, la coopération économique, diplomatique et militaire (que de chemin
parcouru depuis le soutien perse au frère ennemi arménien dans les années
90...) entre les deux pays s'intensifie.
De son côté, l'ours n'est évidemment pas absent. La lune de miel
russo-iranienne se poursuit et ressemble de plus en plus à l'alliance
stratégique entre Moscou et Pékin (comme en témoigne l'extraordinaire veto
russe à l'ONU sur la résolution condamnant la supposée ingérence iranienne au
Yémen, changement tectonique aux énormes implications sur lequel nous
reviendrons prochainement). La coopération énergétique n'est pas en reste.
Comme de leur côté, Moscou et Bakou discutent régulièrement ors noir et bleu, on ne
sera pas surpris d'apprendre que le RAI énergétique est dans les tuyaux. Un futur
corridor susceptible à terme de transporter, via l'Azerbaïdjan et l'Iran, les
hydrocarbures russes loin, très loin, vers le Pakistan et l'Inde. Et l'on se
rappelle l'IPI 2.0 proposé il y a quelques
mois par le Kremlin...
15 Mars 2018 , Rédigé par Observatus geopoliticus Chroniques du Grand jeu
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