dimanche 4 mars 2018

Russie. Discours du président Poutine devant la Nation

Le discours présidentiel s'est présenté comme une déclaration, celle d'un changement de rythme et de qualité pour la Russie. La situation, malgré les différentes crises, à commencer par la chute de l'URSS pour continuer avec les crises de 2009 ou les sanctions, est stabilisée. Dans l'ensemble, les oukases de mai ont été réalisés, maintenant il faut passer à un stade supérieur.
Le triptyque de la politique intérieure: unité, stabilité, développement
Le projet pour la politique intérieure russe s'articule, schématiquement puisqu'il est impossible ici d'entrer dans tous les détails de l'heure qui lui a été consacrée, autour de trois axes, permettant d'allier l'unité du pays, la garantie de la stabilité et le besoin de développement.

1. La révolution technologique

Selon le président Poutine, l'ampleur de la révolution technologique qui s'empare des pays développés est tel qu'il s'agit d'un changement civilisationnel. Mais c'est aussi un enjeu de pouvoir: "le leader sera celui qui sera capable de changement".

Dans cette logique, le plus grand ennemi de la Russie, sont l'immobilisme et le retard qu'il entraîne. Ces derniers temps, nous avions effectivement noté un engouement, parfois excessif, pour les technologies, et surtout les nouvelles technologies. Leur intégration dans l'industrie et dans la vie courante peut sans conteste être un plus et permet de les rendre plus compétitives, mais toute proportion gardée. Pour ne pas tomber dans les délires post-modernes, qui ressemblent surtout à une fuite en avant de ceux qui ne peuvent maîtriser le réel. Il est à espérer que la Russie saura trouver le juste milieu, celui qui permettra l'utilisation intelligente et rationnelle des technologies, qui sont un moyen et non pas un but.

Une dimension idéologique est par ailleurs visible, lorsqu'il s'agit de la numérisation totale des relations non seulement entre les administrés et l'administration, mais aussi des administrations entre elles. Le tout numérique pose la question de la sécurité des données personnelles et de la sécurité nationale, question qui n'a toujours pas été résolue (voir notre texte ici). Les actes juridiques et les décisions de justice sont déjà mises en ligne, en matière de transparence la Russie est très en avance.

D'autres aspects, plus techniques, concernent l'extension d'internet à tout le pays, parfois par satellite dans les zones isolées, assez nombreuses en Russie. Le développement de la télé-médecine, qui a été prévu par une loi cet été (voir sa présentation en français sur le site de l'association Comitas Gentium France-Russie) doit permettre un accès à la médecine pour les personnes résidant dans les lieux difficiles d'accès, sans pour autant remplacer le médecin. 

2. Le soutien social et le développement économique

L'élément central de la politique nationale doit être l'individu. Son bien-être. Au début des années 2000, 42 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté, aujourd'hui malgré la baisse due aux difficultés économiques qu'a rencontrées le pays, elles sont environ 20 millions. Le but est encore de diminuer de moitié ce chiffre dans les années à venir. En la matière, le président a présenté tout un programme chiffré et daté, qui rappelle les oukases de mai, visant à l'augmentation progressive des salaires et des pensions de retraite. Le but est l'augmentation du PIB et un taux de croissance qui doit être supérieur à la moyenne mondiale.

Dans le même sens, la politique de natalité est largement soutenue par l'Etat, l'enjeu démographique est fondamental pour un pays aussi étendu. La Russie est enfin arrivée à une durée de vie moyenne de 70 ans, le but étant de parvenir à 80 ans. Pour cela, le renforcement de la prévention médicale est incontournable.

Les aspects sociaux sont indissociables de l'économie. La démographie permet la main-d'oeuvre nationale et la formation donne des spécialistes. A ce sujet, la formation professionnelle doit encore être renforcée et finir par devenir attrayante pour les étudiants étrangers, dont les meilleurs doivent avoir envie de travailler en Russie. C'est une vision maîtrisée de la politique migratoire, une vision élitiste. Pourtant, l'on n'a pas pu ne pas remarquer le vocabulaire pédagogiste dans le discours présidentiel en ce qui concerne l'école. Il est à espérer que la Russie ne s'enfonce pas trop profondément dans cette voie sans issue, comme nous l'avons remarqué en France.

En ce qui concerne les entreprises, un certain nombre d'adaptations doivent être envisagées: la stabilité et la visibilité de la politique fiscale, la diminution du taux d'emprunt, la réduction du contrôle étatique qui doit au maximum être effectué à distance (ici se pose la question de la protection des intérêts des particuliers, qui elle n'est pas réellement résolue et même contradictoire), aider les PME locales et les entreprises familiales, réduire les barrières administratives pour l'export des produits non-énergétiques, etc. Mais il est également attendu des entreprises certains efforts. Par exemple, les entreprises polluantes doivent impérativement se mettre aux normes. Il leur est également demandé de participer à l'effort d'investissement dans le pays.

Ici aussi, on voit l'empreinte néolibérale, parfois à retard. Alors que l'Occident revient des start up, dont la réussite est très relative, la Russie veut les soutenir. On voit également le développement non pas d'une vision systémique de formation et de recrutement des cadres, mais à travers "des projets", comme cet amusant concours des Leaders de Russie, question stratégique que nous avions traitée ici.

3. L'occupation du territoire

Occuper le territoire est un enjeu de sécurité nationale pour la Russie. Pour cela, les politiques de la ville doivent être revues. Le pays ne peut se concentrer autour de quelques centres urbains, il faut développer les villes moyennes dans tout le pays et impérativement soutenir les villages.

Cela implique non seulement des programmes de reconstruction du fond immobilier, mais aussi un investissement public dans les infrastructures. Il s'agit des aéroports, des ports et des gares, mais la question séculaires des routes n'est toujours pas réglée. Si les routes d'importance fédérale sont plus ou moins en bon état, ce n'est pas le cas des routes régionales, sans même parler de l'état des petites routes locales.

Au-delà des infrastructures, c'est l'Etat qui doit être réimplanté, ce qui passe notamment par les écoles et les établissements de santé. Cela implique de corriger les excès de la politique de rationalisation des dépenses publiques qui avait conduit à la raréfaction des établissements médicaux dans les campagnes et dans les lieux difficilement accessibles, sans qu'aucune alternative n'ait été alors proposée.

L'Etrême Orient et l'Artique restent des priorités pour la Russie, le potentiel de développement de ces régions restant essentiel.

Autrement dit, sur la politique intérieure, la Russie tente une conciliation entre les exigences de la mondialisation (à travers le pédagogisme, le numérique) et les impératifs du monde réel en lançant de grands programmes étatiques. D'un côté sortie de l'économie, de l'autre maîtrise du planning. C'est un choix intéressant, à analyser dans les faits à venir. Le vide intrinsèque des slogans tout-numériques donne sa chance à la prédominance à moyen terme de l'économie réelle sur ce qui ressemble beaucoup à une fantasmagorie. L'essentiel étant de donner les moyens à un véritable développement, la vague idéologique passera.

Le rétablissement de l'équilibre des forces internationales

Le discours présidentiel repose ici sur un équilibre intéressant. A la fois l'annonce d'une volonté de continuer les relations diplomatiques quoi qu'il se passe, quelle que soit l'attitude des représentants des Etats occidentaux. Autrement dit, la Russie ne cherche pas à rompre les relations diplomatiques, ne se positionne pas dans le rôle de l'agresseur, et ne s'isole pas. Mais, cette main tendue s'accompagne de déclarations fracassantes, qui ont totalement déstabilisé la presse occidentale, sur le nouveau potentiel militaire russe, qui rend obsolète et inefficace le bouclier anti-missile que les Etats-Unis déploient en Europe. C'est aussi une réponse au développement illimité des bases de l'OTAN aux portes de la Russie.

Lorsque les Etats-Unis sont unilatéralement sortis du traité ABM (anti-missiles balistiques), ils ont brisé l'équilibre atteint lors de la guerre froide. Ayant pris note de la faiblesse réelle de la Russie post-soviétique, ils n'ont pas jugé nécessaire de tenir compte des avertissements qu'elles lançaient alors et refusaient toute discussion.

Lorsque, en 2004, le président russe a prévenu qu'ils allaient développer de nouvelles armes stratégiques, les Etats-Unis n'ont pas pris cela au sérieux et ont répondu: faites ce que vous voulez, nous considérerons que ce n'est pas tourné contre nous.

Hier, le président russe a démontré toute une série d'armes stratégiques et nucléaires de nouvelle génération, qui permettent de passer à travers le bouclier américain anti-missile, des sous-marins sans pilotes qui peuvent être porteur de charges nucléaires et des missiles hypersoniques.

Le message envoyé est très clair. Les Etats-Unis avaient fanfaronné il y a peu en déclarant qu'ils pourraient répondre par l'arme atomique à toute attaque même non atomique, voire dans le cyberespace. Le président Poutine a déclaré que la Russie ne comptait agresser personne, mais répondrait immédiatement à tout acte d'agression, même nucléaire.

Match nul. L'équilibre des forces est rétabli, car la Russie possède des armes d'une génération non encore atteinte en Occident. Ce qui est, comme l'a déclaré le Président russe, la meilleure garantie de la paix.

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