«La route longue et sinueuse
ne fait que commencer - Un processus de paix mené par la Russie et la Chine, y
compris les talibans - Un Afghanistan stable - Islamabad en tant que garant -
Une solution entièrement asiatique. Les envahisseurs occidentaux ne sont pas
les bienvenus.»
Dans le
«cimetière des empires», l’Afghanistan ne cesse de vivre des rebondissements
géopolitiques et historiques. La semaine dernière à Moscou, un autre chapitre
crucial de cette histoire épique a été écrit lorsque la Russie s’est engagée à
utiliser ses muscles diplomatiques pour stimuler les efforts de paix dans ce
pays déchiré par la guerre.
Accompagné de représentants afghans et de leurs rivaux
talibans, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a
parlé de « travailler de concert avec
les partenaires régionaux et les amis afghans réunis autour de cette
table ».
« Je compte sur vous pour mener une conversation
sérieuse et constructive qui justifiera les espoirs du peuple afghan », a-t-il déclaré.
Dans les années 1980, l’Union soviétique avait
déclenché une guerre désastreuse dans le pays. Trente ans plus tard, la Russie
assume désormais le rôle principal de médiateur dans cette version du Grand jeu au
XXIe siècle.
L’affiche à Moscou était diversifiée.
Quatre membres [afghans] du Haut Conseil de la paix,
chargés de tenter un dialogue avec les talibans, ont pris part aux discussions.
Cependant, le ministère des Affaires étrangères afghan a fait un effort
supplémentaire pour souligner que le conseil ne représente pas le gouvernement
afghan.
En effet, Kaboul et les anciens membres de l’Alliance
du Nord, qui forment une sorte de cercle « protecteur »
autour du président Ashraf Ghani, refusent en fait tout dialogue avec les
Talibans, qui étaient leurs ennemis mortels jusqu’en 2001.
Les Talibans, pour leur part, ont envoyé une
délégation de cinq personnes, bien que le porte-parole, Zabiullah Mujahid,
ait déclaré qu’il ne ferait «aucune sorte
de négociation» avec Kaboul. Il s’agissait «de trouver une solution pacifique à la question de
l’Afghanistan».
Les diplomates pakistanais confirment que les Talibans
ne négocieront sur des questions importantes qu’après la conclusion d’un accord
avec les États-Unis sur un calendrier de retrait complet.
La porte-parole du ministère russe des Affaires
étrangères, Maria Zakharova, a souligné que c’était la première
fois qu’une délégation talibane assistait à une réunion internationale de haut
niveau. Le fait que Moscou qualifie les Talibans d’organisation terroriste est
encore plus frappant.
Moscou a également invité la Chine, le Pakistan,
l’Inde, l’Iran, les cinq pays d’Europe centrale et les États-Unis. Washington
n’a envoyé qu’un diplomate de l’ambassade américaine à Moscou en tant qu’observateur.
Le nouvel envoyé spécial américain pour la paix en Afghanistan, Zalmay
Khalilzad, largement connu, dans un passé récent, comme « l’Afghan de Bush », n’a pas fait beaucoup de
progrès lors de ses rencontres avec des responsables talibans au Qatar ces
derniers mois.
L’Inde – qui n’aime pas vraiment « un processus de paix dirigé par les
Afghans » et encouragé par le Pakistan – a envoyé un
émissaire « à un niveau non
officiel » et a reçu un savon de la part de Lavrov du
style « Ne gémissez pas, soyez
constructifs » .
Malgré tout, ce n’était que le début. Il y aura un
suivi – bien qu’aucune date n’ait été fixée.
Depuis la campagne de bombardement américaine et
l’invasion de l’Afghanistan alors contrôlé par les Talibans il y a 17 ans, la
paix s’est révélée insaisissable. Les talibans ont toujours une présence
importante dans le pays et ont bien le vent en poupe.
Les diplomates à Islamabad confirment que Kaboul
exerce peut-être son pouvoir sur environ 60% de la population, mais l’essentiel
c’est que seulement 55% des 407 districts de l’Afghanistan, et peut-être même
moins, se soumettent à Kaboul. Les talibans sont en progrès au nord-est, au
sud-ouest et au sud-est.
Il a fallu beaucoup de temps au nouveau chef des
opérations des États-Unis et de l’OTAN, le général Austin Scott Miller,
pour admettre ce qui était absolument évident : « Cela ne sera pas gagné militairement … cela va
aboutir à une solution politique », a-t-il déclaré.
La force militaire la plus formidable au monde ne peut
tout simplement pas gagner la guerre.
Pourtant, après que pas moins de 100.000
soldats américains et otanesques, ainsi que 250.000
soldats de l’armée et de la police afghanes, formés par
les États-Unis, ont échoué, au fil des ans, à empêcher les talibans de
gouverner des provinces entières, Washington semble déterminé à blâmer
Islamabad pour ce bourbier militaire.
Les États-Unis estiment que le « soutien » caché du Pakistan
aux talibans a aggravé la situation et déstabilisé le gouvernement de Kaboul.
Il n’est pas surprenant que l’envoyé présidentiel
russe pour l’Afghanistan, Zamir Kabulov, soit allé droit au but. « L’Occident a perdu la guerre en Afghanistan … la
présence des États-Unis et de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord
(OTAN) n’a pas seulement échoué à résoudre le problème, elle l’a même
exacerbée. »
Lavrov, pour sa part, est très préoccupé par
l’expansion de Daesh, connue dans la région comme ISIS-Khorasan.
Il a averti, à juste titre, que des « sponsors étrangers » permettent à ISIS-Khorasan de « transformer l’Afghanistan en un tremplin
pour son expansion en Asie centrale ». Pékin est d’accord.
Un grand plan sino-russe
Ce n’est un secret pour aucun des grands acteurs
que Washington n’abandonnera pas sa base afghane privilégiée à l’intersection
de l’Asie centrale et de l’Asie du Sud pour diverses raisons, notamment le suivi et la surveillance de
« menaces »
stratégiques telles que la Russie et la Chine.
En parallèle, l’éternel récit du « Pakistan joue un double jeu »
ne disparaîtra tout simplement pas, même si Islamabad a montré en
détail comment les talibans pakistanais se sont régulièrement vu offrir un
refuge dans l’est de l’Afghanistan par les agents du RAW (services de
renseignement indiens).
Cela n’empêche pas le fait qu’Islamabad a un
grave problème afghan. La doctrine militaire stipule que le Pakistan ne peut
pas jouer sur l’échiquier géopolitique sud-asiatique, et projeter sa
puissance à l’égal de l’Inde, sans contrôler la « profondeur stratégique » de
l’Afghanistan.
Ajoutez à cela le problème absolument insoluble de la ligne Durand, créée en
1893 pour séparer l’Afghanistan de l’Empire britannique indien. Cent ans
plus tard, Islamabad a totalement rejeté l’appel de Kaboul pour renégocier
la ligne Durand, conformément à une disposition du traité initial. Pour
Islamabad, la ligne Durand restera à perpétuité en tant que frontière
internationale valable.
Au milieu des années 90, le pouvoir à Islamabad
pensait qu’en soutenant les talibans, ils finiraient par reconnaître la
ligne Durand et, au-delà, dissiperaient l’impulsivité
du nationalisme pachtoune et l’appel à la création d’un « Pachtounistan ».
Islamabad était toujours censé diriger la narration.
L’histoire, cependant, l’a complètement renversée. En fait, c’est le
nationalisme pachtoune et l’islamisme extrémiste de la variété Deobandi qui ont fini
par contaminer les Pachtounes pakistanais.
Pourtant, les Pachtounes ne seront peut-être pas les
acteurs principaux de la dernière saison de cet Hindou
Koush spectaculaire. Cela pourrait être la Chine.
Ce qui compte le plus pour la Chine, c’est que
l’Afghanistan devienne une partie intégrante du Corridor économique
Chine-Pakistan (CPEC). C’est exactement ce que l’émissaire chinois Yao Jing
a déclaré lors de la séance d’ouverture du 4e dialogue trilatéral à
Islamabad entre la Chine, le Pakistan et l’Afghanistan cette semaine :
«Kaboul peut servir de passerelle
pour élargir la connectivité entre les régions d’Asie de l’Est, d’Asie du Sud
et d’Asie centrale».
Le sénateur pakistanais Mushahid Hussain Sayed
a déclaré :
« La Grande Asie du Sud est devenue un concept
géo-économique fondé sur l’économie et l’énergie, les routes et les chemins de
fer, les ports et les pipelines, et le Pakistan est le centre de cette
connectivité grâce au CPEC. »
Pour Beijing, le CPEC ne peut réaliser son énorme
potentiel que si les relations entre le Pakistan et l’Inde sont normalisées. Et
cette voie passe par l’Afghanistan. La Chine vise une ouverture depuis des années. Les
agents des services de renseignement chinois ont rencontré les talibans
partout, du Xinjiang à Karachi et de Peshawar à Doha.
La donne de
la Chine est extrêmement séduisante. Pékin est le seul capable de
s’entendre avec tous les autres acteurs majeurs : Kaboul, les
Talibans, l’ancienne Alliance du Nord, l’Iran, la Russie, l’Asie centrale, les
États-Unis, l’Union européenne, l’Arabie saoudite, la Turquie et – enfin, les
frères «de toujours, par tous les temps»
du Pakistan.
Le seul problème est l’Inde.
Mais maintenant, au sein de l’Organisation de
coopération de Shanghai (OCS), ils sont tous autour de la même table –
avec l’Iran et l’Afghanistan eux-mêmes en tant qu’observateurs. Tout le monde
sait qu’une Pax Sinica [Paix chinoise] en Afghanistan
impliquerait des tonnes d’investissement, de connectivité et d’intégration
commerciale. Où est le mal ?
C’est l’objectif ultime des pourparlers de paix en
cours à Moscou. Cela fait partie d’une stratégie OCS
concertée qui fait l’objet de discussions depuis des années. Le voyage sur
la route longue et sinueuse commence tout juste.
Un processus de paix mené par la Russie et la Chine,
talibans inclus, un Afghanistan stable, Islamabad en tant que garant, une
solution entièrement asiatique. Les envahisseurs occidentaux ne sont
pas bienvenus.
Pepe Escobar
Traduit par jj, relu par Diane pour le
Saker Francophone
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