L’annonce soudaine du retrait imminent des forces américaines
du nord-est de la Syrie est largement critiquée par les experts, les analystes
des groupes de réflexion et de nombreux porte-paroles de l’establishment aux
USA. Tous affirment que la décision du président Donald Trump risque de créer
un vide qui sera bientôt comblé soit par des milices mandataires de l’Iran,
soit par la Turquie. Mais la plus grande crainte des détracteurs de Trump à
Washington semble être que le territoire syrien occupé par les forces
américaines revienne sous contrôle des forces gouvernementales syriennes.
Un
autre argument douteux invoqué par bon nombre de ces passionnés est que les
secteurs actuellement occupés par les forces américaines pourraient tomber
entre les mains du groupe armé « État islamique » (Daech) ou
d’Al-Qaeda, ce dernier étant déjà actif dans les zones occupées par la Turquie
à Idlib, au nord de la Syrie. Si cette inquiétude est sincère, comment les détracteurs de Trump
expliquent-ils l’échec des USA à éliminer la poche occupée par Daech le long de
l’Euphrate pendant leurs deux années d’occupation du nord-est de la Syrie?
Enfin, les détracteurs de Trump n’ont pu s’empêcher de mettre tous leurs
arguments précités dans le même bain que leur phobie favorite, en prétendant
que la Russie et, bien sûr, l’Iran, sont les seuls pays à tirer avantage de
cette « mesure malavisée » des USA.
En fait, la présence des forces américaines dans la province
syrienne d’Hassaké et au passage frontalier d’Al-Tanf est un
véritable fardeau pour l’administration américaine, qui s’avérera dangereux à
long terme. Sortir du bourbier syrien relèvera le moral et la position
stratégique des USA dans la région. Pendant que le président Trump proclame sa
victoire contre Daech et dit « mission accomplie » comme prétexte
pour quitter la Syrie, les observateurs régionaux savent que c’est le gouvernement syrien, de
concert avec la Russie, l’Iran et ses autres alliés, qui sont parvenus à
défaire Daech sur l’ensemble du territoire syrien qu’ils ont repris.
En février 2018, alors que les forces syriennes essayaient de
traverser l’Euphrate pour pourchasser Daech, les forces américaines les ont
attaquées et ont détruit de nombreux convois, causant la mort de
centaines de Syriens et d’entrepreneurs russes qui combattaient dans le but
d’anéantir Daech.
De nouveau en juillet 2018, alors que les forces syriennes et
leurs alliés étaient à la poursuite de combattants de Daech dans la steppe
syrienne, ceux-ci se sont réfugiés à l’intérieur de la zone de sécurité de
55 km établie par les forces américaines autour du passage frontalier
d’Al-Tanf, sous la protection de la puissance de feu des USA. Là encore,
les forces américaines et britanniques ont détruit plusieurs véhicules militaires de l’armée
syrienne et de ses alliés. Le message était clair : n’approchez pas de
cette zone en aucun temps, quelle que soit la présence opérationnelle de Daech
dans le secteur.
Lorsque la Turquie a attaqué Afrin en janvier 2018, les
forces américaines n’ont pas protégé les Unités de protection du peuple kurde
(YPG) et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) basés dans les provinces
kurdes du nord, les abandonnant ainsi à leur sort qui était de joindre les
millions de réfugiés internes déplacés par la guerre imposée à la Syrie. Les
Kurdes ont alors refusé de laisser l’armée syrienne répondre à
l’invasion turque au prix de leurs vies, de leurs richesses et de leurs biens. Les Kurdes syriens ont suivi les
traces de leurs frères en Irak, en croyant que les USA défendraient leur cause.
Ils n’ont pas compris que l’administration américaine n’est pas un organisme de
bienfaisance, qu’elle veille à ses propres intérêts et non au bien-être des
Kurdes et des Moyens-Orientaux en général.
L’administration américaine ne s’est pas arrêtée là. En août 2018, elle a averti la
Russie et Damas contre toute attaque du château fort des djihadistes à Idlib,
sous le prétexte fantastique que le gouvernement syrien pourrait utiliser des
armes chimiques. Elle a
offert sa protection morale à des milliers de djihadistes basés à Idlib, dont
ceux d’Al-Qaeda. Le retrait des USA lèverait la protection qu’ils
assurent aux djihadistes. Leur survie dépendrait alors de la capacité de la
Turquie à les empêcher de violer l’accord temporaire sur Idlib conclu entre la
Russie, l’Iran et la Turquie.
L’administration américaine n’a jamais pris au
sérieux sa lutte contre Daech et Al-Qaeda. Quand Obama était au pouvoir, il a laissé Daech prendre des
forces en Irak en 2014-2015, en sachant que le groupe se déploierait en Syrie.
Sa grande préoccupation pour l’environnement l’a décidé à ne pas attaquer les
milliers de camions-citernes de Daech (qui faisaient entrer plus d’un milliard
de dollars par mois dans les coffres de Daech, entre autres sources de
revenus), par crainte de polluer l’air au-dessus de la Syrie et de l’Irak.
Quand Trump a pris le pouvoir, il a promis de se retirer de
la Syrie. Les faucons bellicistes de son cercle restreint l’ont cependant
convaincu de rester beaucoup plus longtemps que prévu. Il a offert son
soutien militaire à l’armée de l’air israélienne en permettant aux avions
de Netanyahu d’atterrir à Hassaké et de s’en servir comme base pour attaquer
des cibles à proximité, soit des positions de l’armée syrienne, la base
iranienne T4 et, en juin 2018, le centre de commandement et de contrôle des forces
de sécurité des Unités de mobilisation populaire (Hachd al-Chaabi) à la
frontière irako-syrienne.
Bagdad s’est plaint de la présence américaine et a décidé,
sous la gouverne du nouveau premier ministre Adel Abdel Mahdi, de dépêcher le
gros des forces des Hachd al-Chaabi à la frontière afin de limiter les
mouvements des USA et de Daech dans le secteur.
Au sud-est de la Syrie,
les USA se sont retrouvés encerclés par les forces irakiennes et syriennes, qui
sont déterminées à empêcher Daech de traverser de part et d’autre de l’Euphrate
et de la frontière irako-syrienne. Les USA doivent aussi approvisionner, à fort prix, des
dizaines de milliers de réfugiés syriens dans le camp de réfugiés d’al-Rukban,
sans rien obtenir en retour.
Quant à ceux qui affirment naïvement que le retrait des USA
permettrait aux forces de Téhéran et de ses alliés d’avancer à Hassaké pour
combler le vide, il convient ici de noter que la République islamique d’Iran
transporte depuis des années des milliers de tonnes de missiles, d’armements,
de nourriture, de médicaments et d’éléments de l’infrastructure de base sans
jamais passer par Hassaké, où les USA sont basés aujourd’hui. Ce serait
évidemment une victoire pour l’Iran de voir les USA se retirer, car cela
permettrait à son principal allié, Bachar al-Assad, de reprendre le contrôle de
presque le tiers de la Syrie et des ressources pétrolières et gazières qui s’y
trouvent, et d’empêcher la Turquie d’occuper encore plus de territoire au nord.
Le geste des USA profitera d’abord et avant tout à
la Syrie et aux Syriens. Il sera aussi avantageux
pour la Russie et les perspectives de paix dans le monde, en réduisant
considérablement le risque de conflit entre les deux superpuissances, dont les
forces armées se trouvent très proches l’une de l’autre. Des prises de contact
aux conséquences mortelles entre les USA et la Russie au Levant ont déjà eu
lieu, mais miraculeusement sans conséquence jusqu’à maintenant. L’Iran sera heureux de voir les USA
quitter la Syrie. Le retrait des USA va apaiser les préoccupations
de la Turquie au sujet des forces des YPG qui collaborent avec le PKK à sa
frontière, tout en réduisant la probabilité du prolongement de l’occupation
turque à Afrin et Idlib. L’Irak bénéficiera de ne pas avoir à déployer autant
de forces pour surveiller les forces américaines et limiter leurs mouvements,
avec le risque d’affrontement que cela entraîne. Le gouvernement belliciste
d’Israël pourrait regretter la perte de son accès aux aéroports des USA dans
cette partie occupée de la Syrie, mais il peut toujours compter sur le soutien
des USA et de leurs alliés au Moyen-Orient comme plateforme pour parvenir à ses
propres objectifs.
Tout ce qui précède présuppose que les USA vont vraiment se
retirer de la Syrie. Pareil retrait pourrait se faire en l’espace de 60 à 100
jours comme il a été annoncé, mais cela pourrait prendre plus de temps. Quoi
qu’il en soit, l’intervalle donne à toutes les parties le temps de revoir leur
stratégie. Les Kurdes seront encouragés à se tourner vers Damas et à reprendre
les négociations sans condition préalable avec le gouvernement. La Turquie aura
le temps de réfléchir à son prochain mouvement et la Syrie pourra planifier la
reconquête du reste de son territoire occupé, en 2019. Si Damas et Moscou
croient qu’ils peuvent s’occuper d’Idlib et d’Hassaké sans l’aide de leurs
alliés, l’Iran pourrait amorcer le retrait des milliers d’hommes qu’il compte
sur le terrain, sans pour autant mettre fin à son alliance avec le gouvernement
syrien. Si Trump ne retire pas ses troupes, il aura au moins réussi à détourner
l’attention du meurtre de Khashoggi, tout en donnant amplement de matière à
réflexion aux Kurdes à propos de ce à quoi ils peuvent s’attendre de la part
des USA à l’avenir.
Traduction : Daniel G.
*Source : ejmagnier.com
CA RESSEMBLE A LA VAGUE D UN TSOUNAMIS ;KAND LA MER SE RETIRE AVANT LA CATASTROPHE
RépondreSupprimer