lundi 29 juillet 2019

Comment tuer 10 millions d’Afghans et ne pas gagner- par Pepe Escobar


"On est comme des policiers. On ne fait pas la guerre. Si nous voulions faire la guerre en Afghanistan et la gagner, je pourrais gagner cette guerre en une semaine. Mais je ne veux pas tuer 10 millions de personnes. L’Afghanistan pourrait être rayé de la surface de la Terre. Je ne veux pas prendre ce chemin" .
Même si l’on considère les annales du Trumpisme dément, soutenu chaque jour par un torrent de tweets et de citations scandaleuses, ce que vous venez de lire est tout simplement stupéfiant. Ici, le président des États-Unis affirme que :
1) les États-Unis ne mènent pas une guerre en Afghanistan ;
2) si les États-Unis voulaient une guerre, le président la gagnerait en une semaine ;
3) il tuerait 10 millions de personnes – même s’il ne le veut pas ;
4) l’Afghanistan dans son ensemble, sans raison valable, pourrait être rayé de la surface du monde.

Trump a dit tout ce qui précède tout en siégeant aux côtés du Premier Ministre pakistanais Imran Khan – qui, avec habileté, essaie d’apaiser la Maison-Blanche tout en positionnant soigneusement le Pakistan comme un nœud solide de l’intégration eurasiatique aux côtés de la Russie, la Chine et l’Iran.
Quand Trump dit que les États-Unis ne mènent pas une guerre en Afghanistan, il a quelque chose derrière la tête, bien qu’il soit peu probable que la Team Trump ait été informée par le grand patron que le véritable enjeu depuis le début, est la route de l’héroïne de la CIA.
Il est également peu probable que Trump demande l’avis de son prédécesseur Barack Obama, qu’il déteste. Obama n’a peut-être pas tué 10 millions de personnes, mais les forces sous son commandement ont tué un grand nombre d’Afghans, dont d’innombrables civils. Et pourtant Obama n’a pas « gagné » – encore moins « en une semaine ».
Barack Obama a effectivement envisagé la possibilité de « gagner » la guerre en Afghanistan. La légende raconte qu’après 11 heures de délibération à l’isolement, il a « méthodiquement » opté pour une opération en deux temps, 21.000 hommes plus 30.000. Obama a estimé que la guerre contre l’Afghanistan était une croisade noble et, pendant sa campagne présidentielle en 2008, il la définissait toujours comme « la bonne guerre ».
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Obama a justifié son offensive par des raisons humanitaires impérialistes :
« Pour le peuple afghan, le retour des talibans condamnerait son pays à une gouvernance brutale, à l’isolement international, à une économie paralysée et au déni des droits humains fondamentaux du peuple afghan, en particulier des femmes et des filles » .
Le New York Times et le Washington Post ont applaudi.
Mais, Kaboul, nous avons un problème. L’Afghanistan, bombardé et envahi sous le régime Cheney, n’a jamais été une guerre « juste ». Il n’y a jamais eu de lien établi entre les Talibans et le 11 septembre. Les Saoudiens et les cellules en Allemagne, au Pakistan et aux Émirats Arabes Unis ont participé à la préparation et au financement des attentats du 11 septembre. Le Mollah Omar n’a jamais envoyé de terroristes avec des billets aller simple pour l’Amérique.
Néanmoins, les dirigeants talibans de Kandahar ont accepté un accord – négocié par Moscou – pour livrer Oussama ben Laden, qui, sans même la moindre enquête, a été proclamé coupable du 11 septembre 2001 quelques heures seulement après l’effondrement des tours jumelles. Le régime Cheney a rejeté l’offre des Talibans, ainsi qu’une offre ultérieure, de livrer Oussama à une nation musulmane pour qu’il soit jugé. Le régime Cheney ne voulait qu’une extradition vers les États-Unis.

L’OCS intervient

La marionnette Hamid Karzaï régnant à peine à Kaboul et les néoconservateurs se concentrant déjà sur leur véritable cible, l’Irak, l’occupation de l’Afghanistan a été transférée à l’OTAN. Cela avait déjà été décidé avant même le 11 septembre, lors du G8 de Gênes en juillet, lorsqu’il est devenu évident que Washington avait un plan pour frapper l’Afghanistan en octobre. Le régime Cheney avait grand besoin d’une tête de pont à l’intersection de l’Asie Centrale et de l’Asie du Sud, non seulement pour surveiller la Russie et la Chine, mais aussi pour coordonner les efforts visant à s’emparer de la richesse gazière massive de l’Asie Centrale.
L’histoire mouvementée de l’Hindu Kush en a décidé autrement. De plus en plus, les Talibans ont commencé à retrouver leur mojo tout au long des années 2010, à tel point qu’ils contrôlent maintenant jusqu’à la moitié du pays.
Même cette fontaine de vanité, le Général David Petraeus – qui avait organisé l’attaque (ratée) de l’Irak – a toujours su que la guerre en Afghanistan était ingagnable. Le Général déshonoré Stanley McChrystal était au moins plus chirurgical :
« Nous avons tiré sur un nombre incroyable de personnes et en avons tué un certain nombre, et à ma connaissance, aucun ne s’est avéré être une menace réelle » .
Malgré tout, le divertissement était assuré par des engins tels que le système de roquettes d’artillerie à grande mobilité de Lockheed Martin, qui dévastait les villages pachtounes et les cérémonies de mariage. La propagande du Pentagone sur les « faibles dommages collatéraux » n’a jamais dissimulé l’absence d’informations réelles et exploitables sur le terrain.
Seymour Hersh a soutenu que la version d’Obama de l’assassinat d’Oussama ben Laden en mai 2011 était une œuvre de fiction élaborée – dûment consacrée par la suite par Hollywood. Un an plus tard, 88.000 soldats et près de 118.000 « entrepreneurs » se trouvaient encore en Afghanistan. L’offensive est ensuite morte d’une mort lente et ignominieuse.
Quiconque connaît de près ou de loin la géopolitique houleuse à l’intersection de l’Asie Centrale et de l’Asie du Sud sait que, pour le complexe militaro-industriel-sécurité américain, se retirer d’Afghanistan est anathème. Trump peut faire du bruit, mais ce n’est que du bruit. La base aérienne de Bagram est un atout inestimable dans l’Empire des Bases pour suivre l’évolution du partenariat stratégique entre la Russie et la Chine.
La seule solution réalisable pour l’Afghanistan est un mécanisme pan-eurasiatique proposé par l’Organisation de Coopération de Shanghai, avec la Russie et la Chine à sa tête, l’Inde et le Pakistan comme membres à part entière et l’Iran et l’Afghanistan comme observateurs. L’Afghanistan sera alors pleinement intégré en tant que nœud des Nouvelles Routes de la Soie, ou Initiative Ceinture et Route, dans le cadre du Corridor Économique Chine-Pakistan ainsi que de la Mini-Route de la Soie indienne à travers l’Afghanistan vers l’Asie Centrale en partant du port iranien de Chabahar.
C’est ce que veulent tous les grands acteurs de l’Eurasie. C’est ainsi qu’on « gagne » une guerre. Et c’est comme ça que vous n’avez pas besoin de tuer 10 millions de personnes.
traduit par Réseau International
Pepe Escobar: Les États-Unis et l'Iran bloqués dans les négociations sur Ground Zero

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