mardi 30 juillet 2019

Liste des ennemis de l'Amérique : Prospects et perspectives


Pendant près de deux décennies, les États-Unis ont dressé une liste de «pays ennemis» à affronter, à attaquer, à affaiblir et à renverser.

Cette quête impériale de renversement des "pays ennemis" opérait à différents niveaux d’intensité dépend de deux considérations: le niveau de priorité et le degré de vulnérabilité d’une opération de "changement de régime".

Le présent essai se concentrera sur les critères permettant de déterminer un "pays ennemi" et sa place sur la liste des cibles prioritaires dans la quête d'une plus grande domination mondiale par les États-Unis, ainsi que sur sa vulnérabilité à un changement de régime "réussi".

Nous conclurons en examinant les perspectives réalistes des futures options impériales.

Prioriser les adversaires américains
Les stratèges impériaux tiennent compte de critères militaires, économiques et politiques pour identifier des adversaires hautement prioritaires.
 Ennemis de haute priorité
America1) La Russie, en raison de sa puissance militaire, de son contrepoids nucléaire à la domination mondiale des États-Unis. Ses forces armées sont énormes et bien équipées, avec une présence européenne, asiatique et Moyen-Orientale. Ses ressources mondiales en pétrole et en gaz la protègent du chantage économique américain et ses alliances géopolitiques grandissantes limitent l'expansion des États-Unis.
2) La Chine, en raison de sa puissance économique mondiale et de la portée croissante de ses réseaux commerciaux, d’investissements et technologiques. La capacité militaire de défense croissante de la Chine, notamment en ce qui concerne la protection de ses intérêts en mer de Chine méridionale, sert à contrer la domination américaine en Asie.
3) La Corée du Nord, en raison de sa capacité de missiles nucléaires et balistiques, de sa politique étrangère férocement indépendante et de son emplacement géopolitique stratégique, elle est considérée comme une menace pour les bases militaires américaines en Asie et pour les alliés et mandataires régionaux de Washington.
4) Le Venezuela, en raison de ses ressources en pétrole et de ses politiques sociopolitiques, il conteste l’application du modèle néolibéral américain en Amérique Latine.
5) L'Iran, en raison de ses ressources pétrolières, de son indépendance politique et de ses alliances géopolitiques au Moyen-Orient. Il défie la domination américaine, israélienne et saoudienne sur la région et constitue une alternative indépendante.
6) La Syrie, en raison de sa position stratégique au Moyen-Orient, de son parti au pouvoir nationaliste laïque et de ses alliances avec l'Iran, la Palestine, l'Irak et la Russie. Elle constitue un contrepoids au projet américano-israélien de balkaniser le Moyen-Orient en micro États ethno-tribaux perpétuellement en guerre (à l’exemple des taïfas en Espagne musulmane) [1]. .
Ennemis de niveau intermédiaire
1) Cuba, en raison de sa politique étrangère indépendante et de son système socio-économique alternatif, Cuba contraste avec les régimes néolibéraux centrés sur les États-Unis dans les Caraïbes, en Amérique centrale et en Amérique du Sud.
2) Le Liban, en raison de son emplacement stratégique sur la Méditerranée et du partage du pouvoir du gouvernement de coalition avec le parti politique, le Hezbollah, qui exerce une influence croissante sur la société civile libanaise, en partie à cause de la capacité éprouvée de sa milice à protéger la souveraineté nationale libanaise en expulsant les envahisseurs israéliens et en aidant à vaincre les mercenaires d’ISIS / Al Qaïda en Syrie voisine.
3) Le Yémen, en raison de son mouvement indépendant et nationaliste dirigé par les Houthis et opposé au gouvernement fantoche imposé par les Saoudiens, ainsi que par ses relations avec l'Iran.
Ennemis de 3ème classe
1) la Bolivie, en raison de sa politique étrangère indépendante, de son soutien au gouvernement chaviste au Venezuela et du plaidoyer en faveur d'une économie mixte; l'exploitation minière et la défense des revendications territoriales des peuples autochtones.
2) le Nicaragua, en raison de sa politique étrangère indépendante et de sa critique de l'agression américaine à l'égard de Cuba et du Venezuela.
L’hostilité des États-Unis à l’égard d’adversaires hautement prioritaires se traduit par des sanctions économiques telles que l’encerclement militaire, des provocations et d’intenses guerres de propagande contre la Corée du Nord, la Russie, le Venezuela, l’Iran et la Syrie.
En raison des liens puissants qui unissent la Chine aux marchés mondiaux, les États-Unis ont appliqué peu de sanctions. Au lieu de cela, les États-Unis s'appuient sur l'encerclement militaire, les provocations séparatistes et une propagande hostile intense lorsqu'ils traitent avec la Chine.
Adversaires prioritaires, faible vulnérabilité et attentes irréalistes
À l’exception du Venezuela, les ‘cibles hautement prioritaires’ de Washington ont des vulnérabilités stratégiques limitées.
Le Venezuela est le plus vulnérable en raison de sa forte dépendance à l'égard des revenus pétroliers avec ses principales raffineries situées aux États-Unis et de son niveau d'endettement élevé, qui frise le défaut. En outre, il existe des groupes d’opposition nationaux, tous agissant en tant qu’agents pro américains, et l’isolement croissant de Caracas en Amérique latine en raison de l’hostilité orchestrée par les États-Unis auprès de gouvernements compradores importants, tels que l’Argentine, le Brésil, la Colombie et le Mexique.
L’Iran est beaucoup moins vulnérable: c’est une puissance militaire régionale stratégique forte liée aux pays voisins et à des mouvements similaires nationalistes et religieux. Malgré sa dépendance aux exportations de pétrole, l’Iran a développé des marchés alternatifs, comme la Chine, loin du chantage des États-Unis et relativement à l’abri des attaques de créanciers initiés par les États-Unis ou l’UE.
La Corée du Nord, malgré les sanctions économiques paralysantes imposées à son régime et à sa population civile, la Corée du Nord dispose de «la bombe» comme moyen de dissuasion contre une attaque militaire américaine et n’a montré aucune réticence à se défendre. Contrairement au Venezuela, ni l'Iran ni la Corée du Nord ne font face à des attaques internes significatives de la part d'une opposition nationale armée et financée par les États-Unis.
La Russie dispose de toutes les capacités militaires - armes nucléaires, ICBM et d'une énorme force armée bien entraînée - pour dissuader toute menace militaire directe des États-Unis. Moscou est politiquement vulnérable à la propagande soutenue par les États-Unis, aux partis politiques de l'opposition et aux ONG financées par l'Occident. Des oligarques milliardaires russes liés à Londres et à Wall Street exercent une certaine pression contre les initiatives économiques indépendantes. [2]
Les sanctions américaines ont exploité, dans une mesure limitée, la dépendance antérieure de la Russie à l'égard des marchés occidentaux, mais depuis l'imposition de sanctions draconiennes par le régime Obama, Moscou a efficacement contré l'offensive de Washington en diversifiant ses marchés en Asie et en renforçant l'autonomie nationale dans l’agriculture (la Russie est devenue le premier exportateur mondial de blé), dans l’industrie et les hautes  technologies.
La Chine a une économie de classe mondiale et est sur le point de devenir le leader économique mondial. Les faibles menaces de «sanction» contre la Chine ont simplement révélé la faiblesse de Washington, plutôt qu’intimider Pékin. La Chine a contré les provocations et les menaces militaires américaines en renforçant son pouvoir de marché, en renforçant ses capacités militaires stratégiques et en se débarrassant du dollar.
Les cibles hautement prioritaires de Washington ne sont pas vulnérables aux attaques frontales: elles conservent ou renforcent leur cohésion interne et leurs réseaux économiques, tout en renforçant leur capacité militaire pour imposer aux États-Unis des coûts tout à fait inacceptables pour toute attaque directe.
En conséquence, les dirigeants américains sont obligés de se fier à des attaques incrémentales, périphériques et par proxy aux résultats limités contre leurs adversaires hautement prioritaires.
Washington resserrera les sanctions sur la Corée du Nord et le Venezuela, avec des perspectives douteuses de succès dans le premier cas et une possible victoire à la Pyrrhus dans le cas de Caracas. L'Iran et la Russie peuvent facilement surmonter les interventions par proxy. Les alliés des États-Unis, comme l’Arabie saoudite et Israël, peuvent harceler, propager et chasser les Perses, mais craignant qu’une guerre totale contre l’Iran puisse détruire rapidement Riyad et Tel-Aviv, ce qui les oblige à travailler en tandem pour corrompre l’establishment américain afin que ce dernier pousse à la guerre malgré  les objections d'une armée et d'une population américaines fatiguées par la guerre [3]. Les Saoudiens et les Israéliens peuvent bombarder et affamer les populations du Yémen et de Gaza, qui n’ont aucune capacité de réponse de la même façon, mais Téhéran est une autre affaire.
Les politiciens et les propagandistes à Washington peuvent débiter des âneries sur l’ingérence de la Russie dans le théâtre électoral corrompu des États-Unis et saboter les manœuvres visant à améliorer les relations diplomatiques, mais ils ne peuvent pas contrecarrer l’influence croissante de la Russie au Moyen-Orient et son commerce en expansion avec l’Asie, en particulier avec la Chine.
En résumé, au niveau mondial, les cibles prioritaires des États-Unis sont inaccessibles et invulnérables. Au milieu du combat de chiens qui se déroule actuellement aux États-Unis, il ne reste qu’à espérer l'émergence de décideurs politiques rationnels à Washington qui pourrait peut-être repenser les priorités stratégiques et adapter les politiques d'accommodement mutuel aux réalités mondiales.
Priorités moyennes et faibles, vulnérabilités et attentes
Washington peut intervenir et peut-être infliger de graves dommages aux pays à priorité moyenne et faible. Cependant, une attaque à grande échelle présente plusieurs inconvénients.
Le Yémen, Cuba, le Liban, la Bolivie et la Syrie ne sont pas des nations capables de façonner des alignements politiques et économiques mondiaux. Ce que les États-Unis peuvent obtenir de mieux dans ces pays vulnérables, ce sont des changements destructeurs de régime qui entraînent des pertes en vies humaines, des infrastructures et des millions de réfugiés désespérés,  mais à un coût politique élevé, avec une instabilité prolongée et de graves pertes économiques.
Yémen
Les États-Unis peuvent pousser vers une victoire totale de la royauté corrompue d’Arabie Saoudite sur le peuple du Yémen affamé et frappé par le choléra. Mais qui en profitera? L’Arabie saoudite est au cœur d’une révolution de palais et n’est pas en mesure d’exercer une hégémonie malgré des centaines de milliards de dollars d’armes, d’entraîneurs et de bases US / OTAN. Les occupations coloniales sont coûteuses et ne rapportent que peu, voire aucun avantage économique, en particulier lorsqu’il s’agit d'un pays dévasté, pauvre et isolé géographiquement, comme le Yémen. [NdT. Ici l’auteur ʺignoreʺ manifestement les immenses richesses e, gaz et pétrole encore inexploitées dans le sous-sol yéménite]
Cuba
Cuba a une puissante armée hautement professionnelle soutenue par une milice de millions de membres. Ils sont capables d'une résistance prolongée et peuvent compter sur un soutien international. Une invasion américaine de Cuba nécessiterait une occupation prolongée et entraînerait de lourdes pertes. Des décennies de sanctions économiques n’ont pas fonctionné et leur réimposition par Trump n’a pas affecté les principaux secteurs de croissance du tourisme.
L’« hostilité symbolique »du président Trump a laissé de marbre les principaux groupes agroalimentaires américains qui considèrent Cuba comme un marché. Plus de la moitié des soi-disant «Cubains d'outre-mer» s'opposent maintenant à l'intervention directe des États-Unis.
Les ONG financées par les États-Unis peuvent fournir quelques points de propagande marginaux, mais elles ne peuvent pas annuler le soutien populaire à l’économie mixte «socialisée» de Cuba, à son excellent système d’éducation et de santé publique et à sa politique étrangère indépendante.
Liban
Un blocus économique conjoint américano-saoudien et les bombes israéliennes peuvent déstabiliser le Liban. Cependant, une invasion israélienne prolongée et de grande envergure coûtera la vie à des Juifs et suscitera des troubles intérieurs. Le Hezbollah dispose de missiles pour contrer les bombes israéliennes. Le blocus économique saoudien radicalisera les nationalistes libanais, en particulier parmi les populations chiites et chrétiennes. L’invasion de la Libye par Washington, qui n’a pas fait perdre un seul soldat américain, montre que les invasions destructrices entraînent un chaos à long terme à l’échelle du continent.
Une guerre américano-israélienne-saoudienne détruirait totalement le Liban, mais déstabiliserait la région et exacerberait les conflits dans les pays voisins - la Syrie, l'Iran et éventuellement l'Irak. Et l'Europe sera inondée de millions de réfugiés supplémentaires désespérés.
Syrie
La guerre par procuration américano-saoudienne en Syrie a connu de graves défaites et la perte d'actifs politiques. La Russie a gagné en influence, en bases et en alliés. La Syrie a conservé sa souveraineté et s'est dotée d'une force armée nationale endurcie par la bataille. Washington peut sanctionner la Syrie, s’emparer de certaines bases dans quelques "enclaves kurdes" factices, mais elle ne progressera pas au-delà de l’impasse et sera largement considérée comme un envahisseur occupant.
La Syrie est vulnérable et continue d’être une cible de moyenne portée sur la liste des ennemis américains, mais elle offre peu de chances de faire avancer le pouvoir impérial américain, au-delà de liens limités avec une enclave kurde instable, sujette à une guerre acharnée et au risque de représailles turques.
Bolivie et Nicaragua
La Bolivie et le Nicaragua sont des irritants mineurs sur la liste de l'ennemi américain. Les décideurs régionaux américains reconnaissent qu’aucun de ces pays n’exerce de pouvoir mondial, ni même régional. De plus, les deux régimes ont rejeté la politique radicale dans la pratique et coexistent avec des oligarques locaux puissants et influents et des multinationales liées aux États-Unis.
Leurs critiques de politique étrangère, principalement destinées à la consommation intérieure, sont neutralisées par l'influence presque totale des États-Unis au sein de l'OEA et des principaux régimes fantoches néolibéraux en Amérique latine. Il semble que les États-Unis accueilleront ces adversaires rhétoriques marginalisés au lieu de risquer de provoquer une renaissance des mouvements de masse nationalistes ou socialistes radicaux qui éclatent à La Paz ou à Managua.
Conclusion
Un bref examen de la "liste des ennemis" de Washington révèle que les chances de succès, même parmi les cibles vulnérables, sont limitées. Clairement, dans cette configuration énergétique mondiale en évolution, la monnaie et les marchés américains ne modifieront pas l'équation énergétique.
Les alliés des États-Unis, comme l’Arabie saoudite, dépensent d’énormes sommes d’argent pour attaquer un pays dévasté, mais en fait, ils détruisent des marchés pour eux, tout en perdant les guerres. Des adversaires puissants, tels que la Chine, la Russie et l'Iran, ne sont pas vulnérables et offrent peu de perspectives de conquête militaire au Pentagone dans un avenir proche.
Les sanctions ou les guerres économiques n'ont pas réussi à maîtriser les adversaires en Corée du Nord, en Russie, à Cuba et en Iran. La "liste des ennemis" a coûté en prestige, en argent et en marchés perdus par les États-Unis - un bilan impérialiste très négatif. La Russie dépasse maintenant les États-Unis dans la production et les exportations de blé. L'époque où les agro-exportations américaines dominaient le commerce mondial, y compris avec Moscou, est révolue.
Il est facile de composer des listes d’ennemis, mais il est difficile d’appliquer des politiques efficaces contre des rivaux dotés d’économies dynamiques et disposant d’un puissant état de préparation militaire.
Les États-Unis retrouveraient une partie de leur crédibilité s'ils opéraient dans le contexte des réalités mondiales et poursuivaient un programme gagnant-gagnant au lieu de rester un perdant constant dans un jeu à somme nulle.
Les dirigeants rationnels pourraient négocier des accords commerciaux réciproques avec la Chine, qui développeraient des liens de haute technologie, financiers et agro-commerciaux avec les fabricants et les services. Les dirigeants rationnels pourraient élaborer des accords conjoints économiques et de paix avec le Moyen-Orient, reconnaissant ainsi la réalité d'une alliance russo-iranienne-libanaise et d'une alliance syrienne.
Dans l’état actuel, la "liste des ennemis" de Washington continue à être composée et imposée par ses propres dirigeants irrationnels, maniaques pro-israéliens et russophobes - sans aucune reconnaissance des réalités actuelles.
Pour les Américains, la liste des ennemis nationaux est longue et bien connue. Ce qui nous manque, c’est un leadership politique civil pour remplacer ces mauvais leaders en série.
La source originale de cet article est Global Research
NOTES
[1] Diviser pour régner
L'idée maîtresse du plan, qui est de balkaniser le Monde Arabo-musulman « utile » l’époque des taïfas andalouses (1031 à 1492), qui annonçait l’élimination totale des arabo-berbères d’Andalousie. Une taïfa (mot arabe) est un petit royaume andalou. Durant les périodes d'instabilité politique et de décadence, l’Andalousie a été, sous les coups de boutoir des rois catholiques espagnols, morcelée en plusieurs taïfas, sortes de micros émirats, tels que le Qatar, le Koweït, Bahreïn ou les EAU. Le roitelet (ou émir) d’une taïfa est généralement faible et dépend de la protection d’un suzerain catholique. Il est aussi souvent concurrent, voire ennemi, de ses voisins musulmans. Les armées chrétiennes y effectuent périodiquement des razzias pour tirer butin, otages, esclaves et imposer aux taïfas de payer un paria (tribut). 
C'est ce que font les États-Unis avec les taïfas actuelles que sont les pays arabes du Golfe : ils les rançonnent en leur vendant chaque année, pour des milliards de dollars d’armes obsolètes (le dernier cri est réservé à Israël) qui vont soit pourrir dans le désert, soit utilisées pour tuer d'autres Arabes et d'autres musulmans. De cette manière, les États-Unis (donc Israël) gagnent sur tous les tableaux. Seuls la Syrie, l'Irak et l'Iran résistent.
Traduction et annotations : Hannibal GENSÉRIC

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