samedi 13 octobre 2018

Russie-Occident, une guerre de mille ans


Le journaliste Guy Mettan signe un livre à contre-courant sur les relations entre l’Occident et la Russie. Selon lui, l’Occident déteste la Russie. Il retrace les causes historiques de "cet acharnement", et pointe du doigt le rôle des médias occidentaux, attiseurs de russophobie. "Européens et les Américains ont besoin de se confronter à la Russie pour assurer leur cohésion et leur domination sur le reste du monde"

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Russie-Occident, une guerre de mille ans. La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne.
Dans cet essai, Guy Mettan part du constat que le regard de l’Occident sur la Russie est déformé par la peur, l’ignorance et les préjugés. Pourquoi tant de haine envers un pays pourtant si proche par la géographie et la culture ? L’auteur va retracer la genèse religieuse, idéologique et géopolitique, de Charlemagne jusqu’aux rivalités pour le contrôle de l’Eurasie et de ses ressources.
Il montre que ces tensions ne sont pas près de s’éteindre parce que les Européens et les Américains ont besoin de cette confrontation pour assurer leur cohésion et leur domination sur le reste du monde.
"J’ai écrit ce livre parce que j’avais la rage", a t-il confié à l’un de ses confrères. Rage devant les préjugés antirusses et l’ignorance de ceux qui les développent. Mais avec ce livre, Guy Mettan affirme n’avoir qu’une ambition: "convaincre qu’il n’est pas nécessaire de haïr la Russie pour en parler" tout en précisant que "cet essai n’est en rien antioccidental".
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RUSPH
ENTRETIEN avec Guy Mettan, journaliste et homme politique suisse.

Ancien directeur de La Tribune de Genève, il est député au Grand Conseil du canton de Genève et président du Club Suisse de la Presse dont il est un membre fondateur.
POrtrait_mettan.jpgRUSSIE INFO : Vous vous attelez à travers cet essai à démontrer et expliquer de façon chronologique et historique la montée de la russophobie en Occident, en partant du constat que l’Occident a peur de la Russie. Qu’est-ce-que la russophobie et comment l’expliquez-vous ?
Guy METTAN: La russophobie est une forme de racisme. Les médias et les dirigeants occidentaux parlent des Russes barbares, arriérés, non civilisés, bref inférieurs, comme Hitler parlait des Juifs dans Mein Kampf. La méthode consiste à discréditer la Russie en l’enfermant dans des clichés négatifs de façon à pouvoir légitimer son exclusion de la communauté internationale auprès des opinions publiques occidentales.
Je montre que l'origine de ces préjugés remonte à Charlemagne qui avait, en l'an 800, voulu se faire couronner empereur afin de s’emparer de l’héritage de l’empire romain au détriment de l’empereur légitime d’Orient. Ce premier conflit géopolitique entre l'Occident et l'Orient a abouti au schisme entre catholiques romains et orthodoxes byzantins, lorsque les successeurs de Charlemagne ont réussi, dès 1014, à imposer des papes allemands à Rome. Ceux-ci ont dès lors imposé de manière autoritaire la nouvelle idéologie impériale, laquelle reposait sur un changement de la liturgie et du credo chrétiens approuvés par les conciles œcuméniques. Depuis lors, la propagande occidentale, des théologiens aux ambassadeurs, n’a jamais cessé de dénigrer les patriarches orthodoxes et les souverains grecs, puis les Russes lorsque ceux-ci ont repris l’héritage byzantin après la chute de Constantinople. Les clichés et les préjugés antirusses d’aujourd’hui n’ont pas changé depuis le XVe siècle et se retrouvent pratiquement tels quels sous la plume de Napoléon, des impérialistes anglais de 1850, des nazis des années 1930 ou des atlantistes euro-américains de 2014.
RUSSIE INFO : Existe t-il une différence de russophobie entre les Européens et les Anglo-saxons ?
Guy METTAN : Pas vraiment. La russophobie a une composante géopolitique (le choc du colonialisme et de l'impérialisme occidental contre la Russie à partir de 1750) et une composante idéologique (l'instrumentalisation de la démocratie et des droits de l'homme comme moyen d'imposer le capitalisme et le libéralisme de type anglo-saxon au monde entier).
Les Français et les Allemands aiment le débat d'idées tandis qu'Anglais et Américains sont plus pragmatiques et n'hésitent pas à soutenir les pires despotes, comme le sultan ottoman hier ou le roi d'Arabie saoudite aujourd'hui, tout en critiquant les lacunes de la démocratie en Chine ou en Russie! La nécessité de convaincre leur opinion publique du bien-fondé de leur politique antirusse les oblige cependant à mobiliser en permanence toutes les ressources de leur soft power, ce qui fait qu'on ne peut en réalité pas dissocier les ambitions géopolitiques de la propagande idéologique.
RUSSIE INFO : Votre livre tend aussi à montrer que la russophobie est également une réaction de l’Occident qui n'a pas "d’identité constituée" contrairement à la Russie. En quoi est-ce un motif de détestation ?
Guy METTAN : La construction européenne manque de légitimité et ne respecte pas l'avis des peuples européens. L'Union européenne compense ce déficit de crédibilité en s'inventant un ennemi à sa porte. Dans cette optique, la Russie fait office de repoussoir idéal, surtout lorsqu’elle revendique sa place dans le concert des nations.
Par ailleurs, les Polonais et les Baltes, dont l’identité européenne avait été refoulée pendant la période soviétique, avaient et ont toujours besoin de l’épouvantail russe pour justifier leur intégration précipitée dans l’Union européenne et dans l’OTAN. Sans "méchant" russe à la porte, comment convaincre les Européens de financer l’intégration économique et les Américains de dépenser leur argent pour déployer un bouclier antimissiles ?
RUSSIE INFO : Finalement, heureusement que Poutine est là sinon les Occidentaux n’auraient plus de raison de détester ce pays ?
Guy METTAN : Le problème est que les présidents passent mais que les préjugés restent. Pour justifier l’invasion de la Crimée en 1853, la presse anglaise parlait du tsar Nicolas Ier exactement dans les mêmes termes qu’elle décrit le président Poutine aujourd’hui ou qu’elle évoquait Staline hier : expansionniste, autocrate, oppresseur de peuples, liberticide, etc. La russophobie moderne est née au XVIIIe siècle, soit depuis que la Russie moderne est redevenue une puissance qui compte sur la scène internationale. Elle durera donc aussi longtemps que la Russie fera de l’ombre à l’Occident, et en tout cas aussi longtemps que les Américains pourront faire pression sur les Européens pour les empêcher de se rapprocher de la Russie. Je pense donc que les successeurs du président Poutine, s’ils refusent de s’aligner sur la politique américaine, subiront les mêmes attaques.
RUSSIE INFO : Comment s’inscrit la situation ukrainienne dans ce désamour entre la Russie et l’Occident ?
Guy METTAN : Si on lit bien les géopoliticiens anglais et américains, de Mackinder à Zbigniew Bzrezinski, on constate que depuis un siècle, l’Ukraine est considérée par les penseurs anglo-saxons comme le pivot de la puissance russe et que toute l’ambition de l’impérialisme anglais puis américain a consisté à casser le lien entre l’Ukraine et la Russie de façon à briser la puissance russe en Europe et à la rejeter hors d’Europe. C’est pour cette raison que l’Union européenne, et surtout l’OTAN, ont tant voulu s’emparer de la Géorgie et de l’Ukraine.
Le putsch de Maidan ayant réussi mais au prix d’une révolte populaire des provinces orientales et de la sécession de la Crimée, il reste donc à consolider cette nouvelle prise. Comme les Russes n’ont aucun intérêt à lâcher ce qui leur appartient, le conflit va donc durer longtemps, avec des phases froides et chaudes.
Pour légitimer cette conquête, après l’échec de la révolution orange de 2004, l’Occident a déployé des moyens de propagande énormes ( 5 milliards de dollars évoqués par Mme Nuland, « qui encule les Européens ») afin de diaboliser la Russie et notamment la personne de son président.
RUSSIE INFO : Quelle est la force des lobbys russophobes ?
METTAN.jpgGuy METTAN : Le chercheur américain Andrei Tsygankov a très bien démontré le fonctionnement des deux grands lobbies russophobes américains, ceux de l'industrie d'armement et du pétrole. Il existe aussi à Washington et à Londres un puissant lobby polonais et balte, très antirusse. De son côté, l'ancien soviétologue et journaliste Stephen Cohen a analysé leur emprise sur les grands médias. Mais il faut aussi dire qu'il n'y a pas de complot ni de conspiration antirusse, ni aux États-Unis ni en Europe. Ces gens, comme le milliardaire américain Georges Soros ou « l'intellectuel » français Bernard-Henri Lévy, ont pignon sur rue et s'expriment publiquement. Ils ont accès à tous les grands médias et n'ont pas besoin de se cacher…
RUSSIE INFO : Vous décrivez quasiment un état de guerre médiatique entre la Russie et l’Occident, avec la participation des rédactions occidentales. Sur la crise ukrainienne, je vous cite : " les médias (occidentaux) ont renoncé à exposer les faits, à poser les questions et à exprimer les points de vue qui ne cadraient pas avec la version officielle."
Pourquoi les médias occidentaux indépendants seraient-ils au service de la pensée dominante des États ?
Guy METTAN : Je suis en effet assez sévère avec mes confrères. Beaucoup d’entre eux donnent une version biaisée des faits, privilégiant un aspect et escamotant les autres, ou citant exclusivement des sources proches du gouvernement ukrainien ou des thinks tanks affiliés à l’OTAN. En faisant cela, ils violent l’éthique journalistique. Je ne sais pas ce qui s’est réellement passé en Ukraine. L’histoire le dira. Mais rien n’empêche de poser les bonnes questions, de diversifier les sources et d’appréhender les choses sans parti pris.
RUSSIE INFO : Vous écrivez encore sur la Russie : "J’ai été saisi d’un vertige devant l’ampleur des préjugés, les tombereaux de clichés et le parti pris systématiquement antirusse adopté par la grande majorité des médias occidentaux."
Comment votre livre a t-il été accueilli par vos collègues ?
Guy METTAN : Il a fallu passer beaucoup de temps pour expliquer. Jusqu’ici, l’accueil a été étonnamment favorable. Notamment dans le grand public. Mais nous sommes en Suisse, qui est malgré tout un pays plus neutre et qui se méfie des proclamations de guerre. On verra ce que ça donnera en France. Un boycott par le silence est assez probable.
(C’est confirmé. Paru en 2015, le livre n’a pas suscité l’intérêt des GMM, les Grands Médias Menteurs)
RUSSIE INFO : Avec cet essai, vous êtes absolument contre le courant dominant. Vous révélez aussi avoir adopté une petite fille russe et avoir la double nationalité, suisse et russe, suite à un décret de l'administration Eltsine. Est-ce que cela a motivé votre livre ?
Guy METTAN : Je suis résolument à contre-courant de la pensée unique. Mais ce n’est pas grave. Il est clair que l’adoption de ma fille en 1994 dans un orphelinat de Vladimir, au pire moment de la crise économique qui a suivi la fin de l’URSS, a été le moment le plus émouvant de ma vie. Recevoir la nationalité russe quelques années plus tard a aussi été une agréable surprise. Cela a changé mon regard sur la Russie, en m’obligeant à m’y intéresser de beaucoup plus près.
RUSSIE INFO : Dans le cas de l’annexion de la Crimée, que pensez-vous de la façon dont la Russie a transgressé les règles internationales ?
Guy METTAN : La Russie a certes transgressé une règle en organisant unilatéralement un referendum sur le retour de la Crimée dans la mère patrie en mars 2014. Mais ce geste s'appuyait sur un premier referendum organisé en janvier 1991 par le nouveau régime ukrainien et qui avait déjà validé l'indépendance avant d'être cassé par un brusque retournement de la Rada.
D'autre part cette entorse au droit international n'est rien comparé à la violation du droit au Kosovo en 2008, à l’agression de l’OTAN contre la Serbie en 1999, au détournement de la résolution sur la Libye en 2011, à l'invasion de l'Irak à travers la fabrication de fausses preuves d'armes de destruction massive en 2003, au bombardement du Yémen en 2015. Pour l’Occident, le droit international est souvent la cristallisation du droit du plus fort selon le principe "tout ce qui est à moi est à moi et tout ce qui est à toi est négociable".
Russie-Occident, une guerre de mille ans. La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne
Aux Éditions des Syrtes
2015, environ 500 pages 
Commentaire
Comme l'écrasante majorité des journalistes  européens et américains, Guy METTAN s'autocensure: il "oublie" un facteur essentiel de la russophobie : le lobby juif. S'il avait parlé de ce lobby, il serait certainement en ce moment soit enfermé, soit vivant en exil.
Voici un aperçu du rôle du lobby judéo-russe dans la culture et la propagation de la russophobie en Amérique, écrit par Dmitri Orlov. Le cas de l'Europe, et en particulier de la France et de la G.B. est similaire.
H.G.

 Addendum-1 : Juifs russes aux USA


En essayant de démêler l’état tendu actuel des relations entre les États-Unis et la Russie, un groupe mérite un niveau d’attention plus élevé, ce sont les juifs américains. C’est le groupe de population le plus important que les deux pays ont en commun : sur les 5 ou 6 millions de juifs vivant actuellement aux États-Unis (les chiffres varient selon la façon dont on mesure la « judéité »), environ un million a immigré aux États-Unis depuis l’ancienne Union soviétique, soit directement, soit après un séjour en Israël. Le gouvernement des États-Unis les a acceptés volontiers, leur accordant le statut de réfugiés ; ainsi, ils sont entrés dans la société américaine avec une identité politisée, nettement antirusse, et leur attitude antirusse a eu un effet d’influence sur l’opinion de nombreux juifs non-russes et aussi d’autres Américains.
Leur expérience directe de la vie en Russie leur a permis de se positionner en tant qu’experts sur tout ce qui concerne le russe et, dans une large mesure, a permis à ce groupe relativement restreint d’influer négativement sur l’attitude de 322 millions d’Américains envers 144 millions de Russes au sein de la Fédération de Russie ainsi que sur la trentaine de millions de Russes résidant à l’extérieur. C’est un accident malheureux de l’histoire qu’un groupe d’environ un million de personnes ait, plus ou moins par inadvertance, aigri les relations entre un demi-milliard de personnes.
L’influence étrangement disproportionnée des juifs israéliens, et des juifs en général, sur la politique américaine est aussi un sujet brûlant de discussion, et donc ici, je vais encore une fois résumer brièvement. D’abord l’évidence : Israël ne fait pas partie des États-Unis ; c’est une nation souveraine séparée et un membre de l’ONU. Et pourtant, les politiciens américains peuvent prêter allégeance à Israël sans être arrêtés et jugés pour trahison. Beaucoup de doubles citoyens américains et israéliens circulent à travers les institutions américaines et israéliennes, et personne ne s’inquiète jamais de savoir lesquels d’entre eux espionnent au nom de qui. Aux États-Unis, Israël et les juifs en général reçoivent un traitement spécial : quiconque ose critiquer Israël est plus ou moins automatiquement accusé d’antisémitisme et ostracisé. En outre, il a été interdit de boycotter des produits ou des entreprises israéliens, ce que certaines personnes veulent faire pour soutenir la cause palestinienne. Israël a colonisé les États-Unis, tout comme la Grande-Bretagne avait colonisé l’Inde, avec quelques milliers de Britanniques contrôlant tout le sous-continent à leur propre avantage.
Israël est le destinataire de plusieurs milliards de dollars d’aide militaire américaine annuelle, ce qui en fait une partie intégrante du racket militaro-industriel américain. Cela signifie que les juifs et/ou les Israéliens aux États-Unis (la distinction entre juifs et Israéliens n’est pas particulièrement utile, puisqu’il est facile pour un juif d’obtenir un passeport israélien) doivent parler de la « menace russe » pour s’en mettre plein les poches aux côtés de l’armée américaine, et c’est ce qu’ils font.
Très opprimés sous le régime prérévolutionnaire, les juifs ont joué un rôle déterminant pendant la Révolution russe de 1917, et leurs enfants et eux-mêmes ont tiré énormément avantage de leur participation à la Révolution russe de 1917. En fait, les juifs ont si bien réussi en URSS qu’ils ont évincé les Russes de nombreux emplois de haut niveau : bien qu’ils n’aient plus représenté que 1,5% de la population dans les années 1950, plus de la moitié des directeurs des nombreux instituts, centres de recherche et laboratoires de l’Académie soviétique des sciences étaient juifs. Les juifs constituaient un tiers de l’Union des écrivains soviétiques ; un quart de tous les professeurs d’université ; etc.
Avec le temps, les Russes ont commencé à réagir violemment contre la présence massive des juifs dans les universités et les professions libérales.
Ceci explique de manière évidente pourquoi, à leur arrivée aux États-Unis, les juifs russes ont dépeint l’URSS et la Russie avec un large pinceau chargé de couleurs sombres : oppression, antisémitisme, pogroms, plus un retard mental, l’ivresse et l’horreur en général. S’ils avaient résisté à l’envie de jouer aux victimes, leur récit aurait pu, par défaut, devenir quelque chose comme ça : « Nous avons détruit la Russie, nous l’avons réarrangée à notre avantage, fait des affaires en or, puis coulé le navire, et maintenant nous sommes ici aux États-Unis, avec nos biens précieux, des parents âgés et nos animaux de compagnie, prétendant être des réfugiés, et prêts à recommencer. » Vous ne les voyez plus comme de pauvres migrants maintenant, n’est-ce pas ? Ajoutez à cela le fait qu’il y a beaucoup d’argent à faire aux États-Unis en s’attaquant à la Russie, et l’envie forte de se laisser aller au « Russian bashing » devient irrésistible.
Le but de tout ceci est que, pour toutes les raisons mentionnées ci-dessus, vous ne devriez jamais plus écouter ce que les juifs américains ont à dire sur la Russie. Tout ce qu’ils ont à livrer dans ce domaine est frelaté, des produits contaminés. Il est incroyablement autodestructeur d’utiliser les mensonges répandus sur la Russie comme une excuse pour continuer à nourrir le monstre militaire américano-israélien. Israël.
(Le 1er février 2018, Club Orlov )
Addendum-2 . Roland Barthes et la profonde altérité russe (en 1956)
Les délires occidentaux en matière russe n’ont hélas rien de neuf. Relisons le début du journal de Dostoïevski :

« Quand il s’agit de la Russie, une imbécillité enfantine s’empare de ces mêmes hommes qui ont inventé la poudre et su compter tant d’étoiles dans le ciel qu’ils croient vraiment pouvoir les toucher. »
Dostoïevski ajoute que ces russes extra-terrestres « tiennent à la fois de l’Européen et du Barbare. On sait que notre peuple est assez ingénieux, mais qu’il manque de génie propre ; qu’il est très beau ; qu’il vit dans des cabanes de bois nommées isbas, mais que son développement intellectuel est retardé par les paralysantes gelées hivernales»
Le Russe est resté l’être inférieur et l’automate qu’il était chez Custine :
«  On n’ignore pas que la Russie encaserne une armée très nombreuse, mais on se figure que le soldat russe, simple mécanisme perfectionné, bois et ressort, ne pense pas, ne sent pas, ce qui explique son involontaire bravoure dans le combat ; que cet automate sans indépendance est à tous les points de vues à cent piques au-dessous du troupier français… »
C’est que le Russe est pire que la lune ; il est inconnaissable :
« La Russie est ouverte à tous les Européens; les Russes sont là, à la portée des investigations occidentales, et pourtant le caractère d’un Russe est peut-être plus mal compris en Europe que le caractère d’un Chinois ou d’un Japonais. La Russie est, pour le Vieux Monde, l’une des énigmes du Sphinx. On trouvera le mouvement perpétuel avant d’avoir saisi, en Occident, l’esprit russe, sa nature et son orientation. À ce point de vue là je crois que la Lune est explorée presque aussi complètement que la Russie. On sait qu’il y a des habitants en Russie, et voilà toute la différence. Mais quels hommes sont ces Russes ? C’est un problème, c’en est encore un, bien que les Européens croient l’avoir depuis longtemps résolu. »
Si l’auteur de l’Idiot évoque la lune, c’est pour souligner cette altérité extra-terrestre ; mais un siècle plus tard, Barthes évoquera en riant Mars. C’est dans ses Mythologies où Barthes démonte les mécanismes de la pensée médiocre, social-radicale et petite-bourgeoise française qui reprit son envol avec Hollande :
A l’époque le journaliste du Figaro décrit la rue (voyez le délirium durant la coupe du monde de foot) :
« La rue est devenue tout d'un coup un terrain neutre, où l'on peut noter, sans prétendre conclure. Mais on devine de quelles notations il s'agit. Car cette honnête réserve n’empêche nullement le touriste Macaigne de signaler dans la vie immédiate quelques accidents disgracieux, propres à rappeler la vocation barbare de la Russie soviétique : les locomotives russes font entendre un long meuglement sans rapport avec le sifflet des nôtres ; le quai des gares est en bois ; les hôtels sont mal tenus; il y a des inscriptions chinoises sur les wagons (thème du péril jaune) ; enfin, fait qui révèle une civilisation véritablement arriérée, on ne trouve pas de bistrots en Russie, rien que du jus de poire ! »
L’important pour le bourgeois français est de rester supérieur :
« D'une manière générale, le voyage en URSS sert surtout à établir le palmarès bourgeois de la civilisation occidentale : la robe parisienne, les locomotives qui sifflent et ne meuglent pas, les bistrots, le jus de poire dépassé, et surtout, le privilège français par excellence ; Paris, c'est-à-dire un mixte de grands couturiers et de Folies-Bergères ; c'est ce trésor inaccessible qui, paraît-il, fait rêver les Russes à travers les touristes du Batory… »
C’était avant les oligarques consommateurs… Et Barthes de conclure :
« C'est donc une fois seulement qu'il a été illuminé par le soleil de la civilisation capitaliste, que le peuple russe peut être reconnu spontané, affable, généreux. Il n'y a plus alors que des avantages à dévoiler sa gentillesse débordante : elle signifie toujours une déficience du régime soviétique, une plénitude du bonheur occidental : la reconnaissance « indescriptible » de la jeune guide de l'Intourist pour le médecin (de Passy) qui lui offre des bas nylon, signale en fait l'arriération économique du régime communiste et la prospérité enviable de la démocratie occidentale»




Hannibal GENSÉRIC

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