Si
la malédiction de Toutankhamon était plutôt une invention des tabloïds
de l'époque, celle d'Assad semble être bien plus réelle. On ne compte
plus les thuriféraires de l'empire ou ses affidés qui, ayant hurlé haut
et fort leur ritournelle "Assad doit partir", sont partis finalement bien avant : Barack à frites, Flamby, l'Hillarante, Cameron pas Diaz...
Certains sont même partis rejoindre leurs amis djihadistes et leurs 72 vierges...[1]
Parmi les fanatiques
du départ de Bachar, il est un personnage dont on parle beaucoup ces
derniers temps, un certain Jamal Khashoggi, assassiné par les services
saoudiens au consulat d'Istanbul.
Le traître Khashoggi hurlait avec les loups américains et israéliens |
Sans vouloir tomber dans l'humour le
plus noir, force est de constater qu'il a été démembré avant que ne le
soit la Syrie... Quant à sa position sur le Yémen, s'il avait mis de
l'eau dans son vin ces derniers temps,
réclamant d'ailleurs une intervention américaine plutôt que saoudienne
ou iranienne, son obsession contre les Houthis rappelle son ancien
soutien à la sale guerre de Riyad.
En passant, beaucoup ont beau jeu de
moquer l'hypocrisie des dirigeants occidentaux, scandalisés après
l'assassinat d'un journaliste alors qu'ils sont restés bien silencieux
durant des années sur le massacre de dizaines de milliers de Yéménites
par l'Arabie saoudite...
Notre propos n'est pas ici d'évoquer les
tortures assez insoutenables et finalement le meurtre de Khashoggi par
les sbires du régime wahhabite, mais d'en analyser les conséquences
internationales.
Première semi-surprise : la réaction
très virulente de la Turquie.
D'entrée, le sultan a pointé un doigt
accusateur vers les Saoudiens et la presse d'Ankara, porte-voix
officiel, ne cesse depuis de publier de nouvelles révélations sur la
tuerie, basées sur les "fuites" complaisantes des services turcs.
En décodé, cela semble signifier que la crise
entre l'Arabie saoudite et le Qatar n'est pas prête de s'arranger. On
se rappelle en effet que la rupture au sein du Conseil de Coopération du
Golfe, entre Riyad et Doha l'année dernière, avait vu la Turquie
prendre le parti du Qatar :
Alors que des
pays - de moins en moins nombreux d'ailleurs - se joignent au coup de
sang de Riyad, Doha a reçu un clair soutien de la Turquie, après
quelques jours d'atermoiements faut-il préciser. Le parlement d'Ankara a ratifié hier en urgence la signature d'accords militaires avec l'émirat gazier, dont celui consistant à y déployer des troupes. La nouvelle a été reçue comme il se doit au Qatar alors que le Saoud a dû grincer des dents...
Mouvement
intelligent du sultan qui se remet au centre du jeu après en avoir été
si souvent exclu en Syrie. Décrédibilisé par ses incessants
retournements de veste passés (ce derviche tourneur, la toupie ottomane), il montre pour une
fois qu'on peut compter sur lui, ce qui n'échappera pas aux acteurs de
la région.
Le 15 août de cette année, l'émir du Qatar a promis
15 Mds d'investissements dans le secteur bancaire turc, malmené par
l'effondrement de la lire. Deux mois plus tard, Ankara retourne la
faveur. Nul doute que les accusations contre les Saoudiens ont dû être
douces aux oreilles qataries...
Autre réaction intéressante, celle de
l'empire.
Première possibilité, la plus sûre : Washington met la
pression sur Riyad afin que les grassouillets cheikhs signent le
pharaonique contrat d'armement de 110 Mds de dollars. C'est sans doute
la position du Donald, bon représentant de commerce. On peut également
imaginer sans peine que le sourcil froncé de l'oncle Sam pousse les
Saoudiens à faire plus dans la guerre qui ne dit pas son nom contre
l'Iran. On ne peut pourtant pas accuser le Saoud de laisser sa part au
chien dans le grand délire iranophobe qui a pris l'empire.
Toutefois, un point est plus étonnant :
la réaction de la MSN impériale, très dure envers le régime wahhabite. Ça, c'est totalement nouveau. Serait-ce à dire qu'il y a encore quelque
chose derrière ? Si l'hypothèse se révèle juste, le fidèle lecteur de
nos Chroniques aura peut-être été prévenu il y a un an jour pour jour :
En 2015 - sous le titre Pétrodollar : le début de la fin ? - nous écrivions un billet prémonitoire qui n'a pas pris une ride :
A Washington, on
doit beaucoup écouter les Doors en ce moment : This is the end, my only
friend, the end... Certes, il ne faut pas vendre la peau de l'aigle
avant de l'avoir plumé, mais ce n'est pas vraiment un futur radieux qui
se profile à l'horizon pour l'empire 2.0.
Le système
financier issu de la Seconde guerre mondiale - notamment les prêts en
dollars du FMI ou de la Banque mondiale - assurait l'hégémonie de la
monnaie américaine, permettant aux États-Unis de vivre au-dessus de
leurs moyens en faisant financer leur dette par des pays étrangers tenus
d’accumuler des réserves de titres libellés en dollars pour commercer.
Ce "privilège exorbitant" (dixit Giscard) fut encore renforcé en 1973
lorsque Nixon se mit d'accord avec les Saoudiens pour que ceux-ci
vendent leur pétrole uniquement en billets verts, créant de facto le
pétrodollar. L'OPEP suivra deux ans après. Pour les États-Unis, des
décennies d'argent facile et de guerres financées par des pays tiers...
Jusqu'à ce que
ces pays tiers disent stop. Certains d'entre eux du moins. La fronde a
commencé vers la fin des années 2000. En Amérique latine, Argentine et
Brésil décident de commercer dans leurs monnaies respectives, puis c'est
au tour de la Chine et du Brésil, tandis que les pays émergents se
rebellent au sein même des instances du FMI et de la Banque mondiale.
Curieusement, Poutine était d'abord en retrait dans ce mouvement jusqu'à
ce que la nouvelle Guerre froide subséquente à la crise ukrainienne
fasse de lui le chevalier blanc de la dé-dollarisation de la planète.
C'est, depuis 2014, une avalanche de défections auxquelles fait face le
billet vert, contrairement à la fable médiatique hollywoodienne qui
voudrait nous faire croire à une "communauté internationale" réunie
autour de l'Occident. Russie, Chine, Brésil, Argentine, Afrique du Sud,
Inde, Turquie, Uruguay, Iran, Équateur, Égypte, Venezuela, Vietnam,
Paraguay, Kazakhstan... tous ces pays ont renoncé au dollar ou sont en
voie de le faire dans leurs échanges commerciaux bilatéraux au profit de
leur monnaie ou de l'or. Pire ! les propres alliés de Washington
(Canada, Corée du sud, Qatar) quittent le navire et s'en vont sifflotant passer des accords SWAP (échanges de devises) avec la Chine.
Comme si cela ne suffisait pas, les BRICS ont décidé au sommet de Fortaleza la création d'un système financier parallèle concurrençant le FMI et la Banque Mondiale d'obédience américaine tandis que la Chine y allait de sa propre banque personnelle
vers laquelle se sont précipités les alliés intimes de l'oncle Sam
(Angleterre, Australie) comme des enfants turbulents désobéissant au
majordome. Il paraît qu'Obama en a interrompu sa partie de golf...
Une chose
demeurait, stoïque et inébranlable : le pétrodollar. Saddam avait bien
tenté de monter une bourse pétrolière en euros mais il fut immédiatement
tomahawkisé. Kadhafi avait lancé l'idée mais les bombes libératrices de
l'OTAN tombaient déjà sur Tripoli avant qu'il ait eu le temps de passer
un coup de fil. Les stratèges américains pouvaient dormir du sommeil du
juste, leurs charmants alliés pétromonarchiques du Golfe resteraient le
doigt sur la couture du pantalon.
Sauf que... Une
info extrêmement importante, donc passée inaperçue dans la presse
française, est sortie il y a quelques jours. La Russie et l'Angola ont dépassé
l'Arabie saoudite comme premiers fournisseurs de pétrole à la Chine.
Chose intéressante d'après les observateurs, c'est le fait que la Russie
(encore ce diable de Poutine !) accepte désormais les paiements en
yuans chinois qui a motivé ce changement tectonique. D'après un
analyste, si l'Arabie veut reprendre sa part de marché, il faudrait
qu'elle commence à songer sérieusement à accepter des paiements en
yuans... c'est-à-dire mettre fin au pétrodollar.
Et là, cela
risque de poser un sérieux dilemme aux Saoudiens : faire une croix sur
leur prééminence pétrolière mondiale ou faire une croix sur le
pétrodollar au risque de voir les Américains le prendre très mal et éventuellement fomenter un changement de régime.
Y a-t-il un lien avec la visite de haut niveau des Saoudiens à St Pétersbourg la semaine dernière, quelque chose du genre "Cher Vladimir, vous nous protégerez le cas échéant si on change de devise ?" A suivre...
Y a-t-il un lien avec la visite de haut niveau des Saoudiens à St Pétersbourg la semaine dernière, quelque chose du genre "Cher Vladimir, vous nous protégerez le cas échéant si on change de devise ?" A suivre...
On ne pouvait pas
taper plus dans le mille. Octobre 2017 : un économiste de renom prévoit
le remplacement par Riyad du dollar par le yuan, le roi saoudien
effectue une visite historique à Moscou et les Russes vont vendre des
batteries S400 à l'Arabie saoudite.
Carl Weinberg ne s'est pas souvent trompé dans ses analyses. Aussi, quand il déclare
que Riyad est fortement encouragée par Pékin à lui vendre son pétrole
en yuans et prédit que d'ici peu, les Saoudiens succomberont à la
pression, il vaut mieux le prendre au sérieux :
« D'ici
deux ans, la demande chinoise en pétrole écrasera la demande
américaine. Je pense que la cotation des cours en yuans est pour
bientôt. Dès que les Saoudiens l'accepteront - comme les Chinois les y
contraignent - le reste du marché [les pétromonarchies, ndlr] suivra le
mouvement. »
En filigrane,
l'effondrement du pétrodollar mis en place il y a plus de quarante ans
et pilier du système impérial américain. Les liaisons dangereuses entre
Bush Junior et l'establishment wahhabite, le tendre baiser de Barack à frites sur le royal arrière-train du Seoud, tout cela n'aura finalement servi à rien...
Ça doit
sérieusement grincer des dents le long des corridors néo-cons de
Washington et il n'est pas impossible que quelques plans sur la
"remodélisation" du royaume saoudien soient soudain sortis des tiroirs.
Coïncidence (ou pas), le facétieux Vladimirovitch a justement ironisé
sur la chose lors de la réunion annuelle du Club Vadaï à Sotchi :
Est-ce tout à
fait un hasard si, dans ces conditions, Salman a débarqué à Moscou il y a
deux semaines, la première visite officielle d'un monarque saoudien en
Russie. Cela fait des décennies que l'ours et le chameau sont opposés
sur à peu près tous les dossiers brûlants de la planète, le second
finançant le djihadisme mondial pour le bénéfice de son parrain US afin
de diviser l'Eurasie et mettre le premier en difficulté. Que cache donc
cette visite historique ?
Au-delà des
nécessaires relations entre ces deux poids lourds du pétrole [2] (accord
OPEP+), le Seoud suit les pas des autres acteurs du Moyen-Orient, délaissés par l'inexorable reflux de l'empire et qui vont tous rendre visite au nouveau boss de la région. Comme le dit sans ambages Bloomberg :
« Les
Israéliens, les Turcs, les Égyptiens, les Jordaniens - tous prennent le
chemin du Kremlin dans l'espoir que Vladimir Poutine, le nouveau maître
du Moyen-Orient, puisse assurer leurs intérêts et résoudre leurs
problèmes. »
Le Saoud ne fait
pas autre chose, allant à Canossa, mangeant son keffieh en rabaissant
très sérieusement ses folles prétentions syriennes (tiens, Assad ne doit
plus partir finalement). Mais il y a peut-être plus, beaucoup plus, et
plusieurs voix (ici ou ici) y décèlent un changement tectonique. Nous en revenons à notre pétrole yuanisé et à nos S400...
Certains ont dû
avoir le hoquet en lisant qu'après la Turquie, Moscou allait également
vendre son inégalable système anti-aérien à son ex-Némésis wahhabite. On
le comprendrait mieux s'il s'agit de créer un environnement favorable à
une transition saoudienne vers la dédollarisation et la multipolarité
eurasienne, voire d'assurer la future défense du pays face aux réactions
hystériques de l'empire trahi. L'avenir nous le dira.
Il n'est pas impossible que nous soyons arrivés à l'instant T et que
des rumeurs plus qu'insistantes sur la vente du pétrole saoudien à la
Chine en yuans soient parvenues aux grandes oreilles de l'Empire. Ce
n'est encore qu'une hypothèse mais elle permettrait de mieux comprendre
l'inhabituel barrage de critiques - méritées, faut-il préciser - que le
système impérial assène pour une fois à son cher allié, qui ne l'est
peut-être plus tout à fait...
Source : Chroniques du Grand Jeu
NOTES
La malédiction de Toutânkhamon, est une légende contemporaine ayant pris naissance au début du XXe siècle. On ne sait pas exactement qui en est l'initiateur, mais les médias et les journaux de l'époque en ont relayé la légende.
Elle prétend que certains membres de l'équipe d'archéologues ayant exhumé la momie du pharaon Toutânkhamon
seraient morts de cause surnaturelle à la suite d'une malédiction du
souverain défunt. En effet, plusieurs membres de l'équipe sont décédés
quelques années après la découverte de la momie et notamment, Lord Carnarvon, le commanditaire des fouilles.
[1] Mokhtar au paradis = vin+houris
Les annotations dans cette couleur sont d'H. GENSERIC
Excellente analyse Hannibal! Mais ce qui attire mon attention, c'est que vous n'ayez pas parlé de la vente renforcée de pétrole iranien à la Chine, ou même éventuellement à la Russie. Peut être même que l'Iran qui n'est plus tenu d'aucun accord, pourrait éventuellement accepter un certain troc ou concédé un certain dumping!
RépondreSupprimerExact, mais il y a plusieurs articles dans lesquels je traite ce problème, dont le dernier est : bataille du Gaz : l'Arabie aux côtés de la Russie.
RépondreSupprimerBravo ! Très bon commentaire. On y trouve un tableau qui colle à la réalité des événements comme des enjeux...Mais bémol ! On ne peut oublier que les autoproclamées "monarchies" du Golfe (faites "roi" il y juste près d'un siècle par la grâce du...pétrole qui les a tiré de leur condition de bédouins mendiants du désert) sont la création des...british qui n'ont jamais cessé de les contrôler avant de s'effacer quelque peu (sans pour autant lâcher prise) au profit des US pour jouer le rôle du méchant "flic" et en même temps se jouer d'eux en en faisant quasiment leurs prostituées...Ces arabes là ne changeront jamais. Fourbes, ils sont nés. Fourbes, ils resteront. De mon point de vue, le fait de nous montrer ces derniers temps être prêt à se tourner vers l'Est est juste une action de service commandé...Tels les accros à la drogue dure, JAMAIS ils ne pourront se défaire de leurs...maîtres...
RépondreSupprimerLe traître Khashoggi hurlait avec les loups américains et israéliens, & maintenant "Inch Allah", il pourrit en enfer ?
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