Dans le
sillage de la destruction en vol d’un avion de surveillance russe Iliouchine 20
en Syrie, beaucoup de spéculation s’en est suivie sur les systèmes d’armement
que la Russie allait déployer en guise de représailles : S-300 contre
C-200, systèmes mobiles d’armement électronique Krasukha-4, etc.
Ce sont là
des déterminants tactiques, certes, pas des changements de paradigmes radicaux
en soi et pour soi.
Désormais, à
peu près tout le monde sait que le Ministre de la Défense russe a carrément
fait porter le blâme sur Israël, quand une réaction plus diplomatique aurait pu
diluer la culpabilité en y incluant une incompétence syrienne et/ou une erreur
de l’opérateur des S-200. Cette
conclusion est clairement en contradiction, et pas seulement dans le ton, avec
l’explication plutôt laconique et floue de Poutine : « un
enchaînement tragique de circonstances accidentelles ».
Il y a des théories plus sinistres encore, telles que celle développée ici, sur ces pages, selon
laquelle la frégate française Auvergne ou même un avion de la RAF de la base
d’Akrotiri à Chypre seraient en réalité responsables de la frappe sur l’Il-20, mais que la Russie a choisi
d’impliquer plutôt les Israéliens, une des raisons étant son souci d’éviter une
réaction de l’OTAN du type Article 5.
De bien plus
grande importance (que l’inventaires des armements récemment déployés par le ministre
de la Défense) est la bifurcation mise en évidence par la réaction russe à
l’événement. Il y a eu déplacement des analyses univoques et mesurées de
Poutine, du ministre des Affaires étrangères Lavrov et du porte-parole Peskov
vers un centre de pouvoir moins nuancé, plus binaire, composé du ministre de la
Défense Choigou, du vice-ministre de la Défense Gerassimov et de
ce qu’on appelle Stavka. Binaire comme dans « tirez/ne
tirez pas ». Quelle marche vers la guerre pourrait être plus simple ?
En contraste
marqué avec le rôle de conseiller joué par le Conseil de Sécurité de Russie par
exemple, une Stavka, focalisée sur l’opérationnel, serait chargée, elle, de la
distribution des ressources stratégiques, dans l’éventualité d’un conflit à
grande échelle en rapide évolution.
Dans un article de l’Asia Times, le 4 mai, Pepe
Escobar prédisait ce genre de déplacement, juste avant les nouvelles
nominations ministérielles de Poutine.
« On
s’attend à ce que le président russe Vladimir Poutine annonce la composition
d’un nouveau gouvernement. Et une bombe est sur le point d’éclater. Le nouveau
gouvernement devrait être une Stavka,
c’est-à-dire un cabinet de guerre. »
En fait, les
changements de personnes ont été minimes dans le nouveau gouvernement. Et
cependant, le
rôle accru, en tant que communicateur oral post-Il-20, de Choigou,
conforte l’affirmation que la marge de manœuvre de Poutine, ce qui a été
jusqu’à présent sa grande latitude de réaction, vient d’être réduite.
Sans qu’il
soit nécessaire de passer jugement sur l’efficacité à long terme de son
approche encaissement-contrefrappe (ni sur la question de savoir
si la Russie vient simplement d’adopter le truc du gentil flic-méchant flic),
la faction militaro-industrielle qui se tient derrière Poutine insistera, dans
sa marche en avant, sur moins d’échecs et plus de marteau-pilon.
En bref, la
« stratégie de l’homme d’État » a cédé du terrain, de
gré ou de force, au cabinet de guerre. Nombreux sont ceux qui ont remarqué
aussi l’émergence d’un cabinet de guerre dans l’administration
Trump, particulièrement depuis l’arrivée du conseiller en sécurité
nationale John Bolton, en avril.
Preuves d’une létalité convergente ?
Tout comme
une guerre est le geste économique final d’une tendance séculaire, après une
série de cycles commerciaux progressivement sous-performants (chaque cycle
successif étant de plus en plus figé par une dette montante incoercible),
l’efficacité du sens de la politique se disperse de la même manière. La
diplomatie devient un exercice en pincements de cordes rhétoriques.
Poutine vient-il d’accéder à un partage du
pouvoir consensuel ou imposé ? Nous ne le saurons probablement jamais.
Vient-il d’être relégué à un statut d’adjoint dans les affaires
militaires ? Hautement improbable. Soyons déférents envers le président
russe et appelons cela une réaction collective aux provocations futures. Il n’y
en a pas moins un vague parfum d’échec. Le recours à la guerre signe l’échec de la sagesse d’État.
Si le
lecteur veut bien me permettre un bref interlude philosophique, l’arrivée de la guerre est aussi surnaturelle
qu’inévitable. En dépit de nos nombreuses dissections
rétrospectives, elle surpasse couramment nos efforts pour tout comprendre et,
donc, pour, l’éviter. Au mieux, nous réussissons tout juste à la retarder.
C’est Lincoln
qui l’a le mieux dit dans son second discours d’investiture de 1865, peu avant
la conclusion de la guerre civile américaine :
« Lors
de l’occasion correspondant à celle-ci, il y a quatre ans, toutes les pensées
étaient anxieusement tournées vers la guerre qui menaçait. Tout le monde la
redoutait, tout le monde essayait de l’éviter… Les deux camps désapprouvaient
la guerre, mais l’un d’eux était prêt à faire la guerre plutôt que laisser la
nation survivre, et l’autre était prêt à l’accepter plutôt que la laisser
périr, et la guerre est venue. »
L’intervention
humaine se flatte d’être une force motrice. Il n’en est pas ainsi. La guerre,
de son propre chef énigmatique, gouverne sa propre arrivée.
Et la guerre
est venue.
Sur le
théâtre syrien aujourd’hui, la co-intervention humaine se trouve dans une
impasse trop humaine. Hier, le Premier ministre d’Israël Benjamin Netanyahu
a affirmé que l’IDF continuerait ses opérations pour empêcher l’Iran de prendre
pied en Syrie. C’était sa réponse à la déclaration du ministre de la Défense
russe Choigou du jour précédent, annonçant que les systèmes de défense
aérienne S-300 et les systèmes de gestion automatique de la défense aérienne
étaient en route pour la Syrie. Où est la reculade concevable pour l’une ou
pour l’autre partie ? La mèche est allumée aux deux bouts.
Nous sommes
à un moment « objet indestructible c/force irrésistible »
où les prétextes élaborés et les faux drapeaux diminuent d’importance. Comment
une nauséeuse glissade vers la guerre pourra-t-elle être évitée
maintenant ? On sent, dans cette impasse, la détermination acharnée de la
guerre à venir.
Autre casus belli pressant :
Outre les
deux Némésis primordiaux – pouvoir sur terre et pouvoir sur mer – il existe une
construction hybride déstabilisante : le gazoduc ; appelez-le usurpateur
terrien ou océanique, à votre guise.
Le projet de
gazoduc Nordstream 2 est un indicateur économique qui pourrait bien
altérer pour toujours la géopolitique sous ses « pieds ». Et il
semble qu’en dépit des vaillants efforts du président Trump pour l’en empêcher,
il soit destiné à être.
Le
pivotement de Berlin vers Moscou, s’il devait être suivi de cette connectivité
essentielle, magnifiera considérablement la consolidation eurasienne. Vous avez
ici le récent article de Tom Luongo, avec ce qui
équivaut à une interprétation Mackinder/Grand Jeu :
« La politiques
étrangère des USA et de la Grande Bretagne tend jusqu’à l’obsession, depuis
plus d’un siècle, à empêcher l’alliance naturelle entre la base industrielle
allemande et les vastes étendues russes de ressources naturelles,
ainsi qu’avec les propres prouesses scientifiques et en ingénierie de la
Russie.
Ces deux
pays ne peuvent pas, dans aucune version
d’un monde unipolaire dominé par la clique de Davos,
être autorisés à former une alliance économique, et une alliance politique
moins encore, parce que ce niveau de coordination et de prospérité
économique va directement à l’encontre de leurs buts, qui sont d’abaisser le
niveau des espérances de tous, en matière de ce que les humains peuvent
accomplir. »
George
Friedman (ex de Stratfor, plus récemment de Geopolitical Futures) suit depuis
des années le même raisonnement pour expliquer les grandes guerres de l’ère
moderne :
« Donc,
l’intérêt primordial des États-Unis, en vertu duquel, depuis un siècle, nous
avons fait la guerre – la première mondiale, la deuxième mondiale et la guerre
froide – a été la relation entre l’Allemagne et la Russie, parce que,
unies, elles sont la seule force qui pourrait nous menacer, pour faire en sorte
que cela n’arrive pas. »
Il y a une
main gauche et une main droite en jeu dans le monde, qui appartiennent l’une et
l’autre à la même anatomie, en dépit des grands efforts déployés pour occulter
leur sombre connectivité. Les opinions varient quant au centre nerveux.
Contentons-nous de dire que les deux mains sont présentement occupées à
manipuler les ombres de leur théâtre, avec une simultanéité à faire frémir – la
première mondialement, l’autre plus près de chez nous.
À propos de
« plus près de chez nous » (en ce qui me concerne en tout cas)
tournons-nous un instant vers la bataille actuellement en cours aux USA. Le
climat intérieur américain a tout à voir avec ce qui transpire des
fronts en formation de la IIIe guerre mondiale.
La fable de
la collusion Trump-Russie est en train de s’effondrer à une vitesse
calamiteuse, en apparaissant pour ce qu’elle est : une fiction pure et
simple.
Le fait est
que les théâtres de guerre syrien et de l’OTAN ont été amenés au point
d’ébullition actuel juste au moment où le flanc US de l’État Profond (en
réalité, le consortium transnational d’agences de surveillance Cinq Yeux, opérant comme Un seul, tout en
maintenant le mirage qu’elles sont des entités nationales discrètes qui
« coopèrent ») fait face à une attaque inouïe et est sur le point
d’être démasqué.
MI6 et GCHQ [Government Communication Headquarters] sont
omniprésents dans les coulisses du théâtre d’ombres. Trop d’acteurs principaux
de la collusion possèdent des accréditifs de Cinq Yeux : Stefan Halper
(CIA, MI6), Joe Mifsud (MI6), Christopher Steele (MI6), Alexander
Downer (ASIS [American society for industry security],
MI6), Robert Hannigan (GCHQ). Cet « ex »-espion du MI6, Chris
Steele, couramment décrit comme un voyou retraité qui en voudrait au
Président, est un élément particulièrement révélateur de mauvaise gestion
institutionnelle.
« Les » Cinq
Yeux, généralement abrégés en FVEY est une alliance de services secrets qui
réunit l’Australie, le Canada, la Nouvelle Zélande, le Royaume-Uni et les
États-Unis. Ces pays sont partie prenante de l’accord multilatéral UKUSA,
traité visant à mener à bien des opérations conjointes en matière de
renseignements d’origine électronique. – « L’étendue des données
collectées par l’alliance [Five Eyes] – collaboration en elle-même secret
longtemps gardé, dont les limites ne sont pas claires – a été révélée
pour la première fois par l’ex-employé de la NSA Edward Snowden, dont la
divulgation de documents de 2013 montrait une masse globale de surveillance [non par une agence,
mais] par un réseau ». (source Wikipedia).
Institutions
madisoniennes c/ Réseau trumanien
Alors que le
terme « Deep State » a frappé l’imagination du public (je l’utilise
ici pour cette raison) la formulation de Michael Glennon « Double
Gouvernement » possède, à mon avis, un pouvoir explicatif supérieur.
Glennon soutient que nos « institutions madisoniennes » ont été
vidées de leur contenu par le « réseau trumanien », c’est-à-dire par
l’État sécuritaire, dont les origines remontent au National Security Act de
1947.
Dans la
formulation de Glennon, telle que je l’extrapole, Trump est un revivaliste madisonien
déterminé à reprendre la souveraineté constitutionnelle à l’État sécuritaire
usurpateur, ce dernier s’étant depuis longtemps métamorphosé en une entité
supranationale sans précédent. Jusqu’à Trump, le statut de tous les présidents
de l’après-guerre a été incroyablement « pro forma » (à la notable
exception de JFK).
Voyez le
livre de Glennon : Sécurité nationale et Double Gouvernement*.
On peut voir
dans ceci la raison d’être du revirement peu habituel de Trump,
particulièrement sa rétractation, le 21 septembre, d’un ordre de
déclassification du 17, exigeant des filons entiers de
« dé-rédactions » du FBI. Et pourquoi cela ? Parce que la
réquisition a ferré de bien plus gros poissons que l’habituelle – et attendue –
avalanche d’adversaires intérieurs, connus sous le nom de « Deep State »
américain.
Pour en
savoir davantage sur le Double Gouvernement, voir ici.
Entre autres
choses, les « rédactions » dissimulent presque certainement la
participation de grande envergure des Cinq Yeux. Trump exigera sa livre de
chair partout où l’intrigue criminelle le conduira. Et il semble qu’elle le
conduira sur la scène internationale, dans les rangs des alliés
« inébranlables » de l’Amérique, rien de moins.
Voir
l’interview de Trump du 20 septembre 2018 ici (à 2:50)
Et son tweet
du jour suivant ici.
Et le juge
Napolitano sur Fox News ici (à 0:16), il y a dix-huit mois, le 14 mars
2017 [« Obama Used British Intel BCHQ To Spy On Trump ! US Intel
Bypassed To Avoid US Fingerprints ! »].
Les dirigeants
de l’Australie et du Royaume Uni ont dû s’effondrer en deux pauvres petits tas,
à la perspective des déclassifications réclamées par Trump. Subitement, Trump
s’est vu présenter une cache transnationale d’influences qu’on ne soupçonnait
pas. L’hameçon de la déclassification venait de ramener une paire de
baleines étrangères. C’est pour cela qu’il y a eu rétractation, dans l’attente
d’une expédition de pêche plus ambitieuse.
Imaginez
aussi (surtout après avoir entendu Napolitano ci-dessus) les répercussions du
genre tremblement de terre qu’auraient les gros titres suivants :
« Les
gouvernements du Royaume Uni et de l’Australie démasqués comme acteurs
principaux de la tentative de coup d’État du Président »
OU
« En
cherchant à éviter l’imprimatur de la NSA, le président Obama a sollicité
l’intervention du GCHQ, pour essayer de renverser son successeur élu
Trump »
Quelles sont
ne fût-ce que les implications de l’OTAN ?
Et quelles
contre-mesures seront déversées en masse pour éviter/remplacer de telles manchettes ?
Les participants Ministère de la Justice/FBI, dans cette tentative de coup, se
trouvent tout à coup ravalés au rang d’acteurs de patronage, dans ce tsunami
bourgeonnant d’une amplitude sans précédent. Confrontés à une mise à nu aussi
abjecte (pour ne rien dire des cris à la trahison) il reste aux Cinq Yeux peu
de choix, sinon de déclencher, pour faire diversion, une contremesure d’ampleur
égale.
Qui serait
la IIIe guerre mondiale.
Conclusion ? Le « déplacement » russe
est à la mesure des besoins accrus, pour l’Occident, de provoquer une
déflagration de diversion. Nés aux lendemains de la IIe guerre mondiale, les
Cinq Yeux ont besoin des « effets rajeunissants » (le ciel nous aide)
de la IIIe guerre mondiale. Et peu importe si, dans cette poursuite acharnée
d’un verrouillage au grand air, nous risquons de mourir tous.
Appelez cela
du nihilisme panoptique ou la cage de Kafka à la recherche d’un oiseau
post-nucléaire.
Le
glissement inexorable de la planète vers la pente savonneuse de la guerre est
l’éléphant dans le studio de CNN. Avec un peu de chance, nous venons de voir la
dernière donzelle, dans l’interminable parade des « victimes d’agressions
sexuelles infondées » du candidat à la Cour Suprême Brett Kavanaugh, ce
qui nous permettra, ici aux États-Unis en tout cas, de nous re-concentrer sur
ce plus pressant des passe-temps nationaux : les campagnes de dénigrement
de Trump au bord de l’abîme.
*
Michael J. Glennon
National Security and Double Government
Oxford
University Press
312 pages
_______
Michael J.
Glennon est
professeur de Droit International à la Fletcher School of Law and Diplomacy de
la Tuft University. Avant d’entrer dans l’enseignement, il a été le conseiller
juridique de la commission en Relations Étrangères du Sénat. Ses éditoriaux ont
paru dans le New York Times, le Washington Post, le Los
Angeles Times, l’International Herald Tribune, le Financial Times,
la Frankfurt Allgemeine Zeitung. Il vit à Concord, Mass., avec femme et
enfant.
Quelques-uns
de ses autres livres : https://www.amazon.com/National-Security-Government-Michael-Glennon/dp/0190663995
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