Ainsi, la
métamorphose est terminée. Le président Trump a finalement, entièrement, changé
le discours de sa campagne de 2016, qui consistait à imaginer de façon vague
une politique étrangère grandiose basée sur des négociations pour « LA PAIX
MONDIALE, rien de moins ! » comme Trump l’a tweeté quand il a imposé des
sanctions contre l’Iran. Nous avons écrit, le 3 août, citant
le professeur Russell-Mead, que la métamorphose de Trump du 8 mai (La sortie du
JCPOA par les USA), a constitué un changement radical de direction : celui qui
reflète « l’instinct de Trump, lui disant que la plupart des Américains ne
désirent pas du tout un monde “post-Américain” ». Les partisans de Trump ne
veulent plus de longues guerres, « mais ils ne sont pas susceptibles non plus
d’accepter stoïquement le déclin des USA ».
Tout a
commencé, très précisément, par « la métamorphose de Trump le 08 mai » – c’est
a dire, au moment où le président des USA a définitivement adopté « la ligne
israélienne : sortie de l’accord sur le nucléaire iranien, décision de
sanctionner et d’asphyxier l’économie de l’Iran et quand il a approuvé le
(vieux, jamais réalisé) projet d’une « OTAN arabe » sunnite, mené par Riyad,
qui s’opposerait à l’Iran chiite.
En
termes pratiques, « l’art de la négociation de Trump » [référence
à son livre The Art of the Deal, NdT] appliqué à la
géostratégie, comme nous le voyons maintenant, s’est ainsi transformé en une
utilisation radicale de moyens de pression (en utilisant un dollar fort et les
taxes douanières comme armes) – en recherchant toujours les moyens de forcer
l’adversaire à la capitulation. Ceci ne peut pas être dénommé « négociation » :
C’est plutôt comme si
ce script avait été tiré du film Le Parrain.
[1]
Mais,
quand Trump a sans réserves adopté la « ligne » israélienne (ou, plus
correctement la ligne Netanyahou [2])
, il a également endossé tous « les bagages » qui viennent avec. Le document A
Clean Break : A New Strategy for Securing the Realm [Un nouveau départ :
une stratégie pour sécuriser le royaume, NdT] de 1996, préparé par un groupe
d’étude mené par Richard
Perle pour Benjamin Netanyahou, a lié les camps des néoconservateurs israéliens et
américains en un seul ensemble. Et ils sont toujours étroitement
liés. « L’équipe Trump » est maintenant remplie de
néoconservateurs qui haïssent l’Iran sans retenue. Et Sheldon Adelson (un
gros donateur de la campagne de Trump, un soutien de Netanyahou et
l’instigateur du déplacement de l’ambassade des USA à Jérusalem), a par
conséquent pu implanter son agent, John Bolton (un néoconservateur),
comme conseiller principal en politique étrangère de Trump.
L’Art de
la négociation a efficacement été transformé en un outil néoconservateur pour
augmenter le pouvoir américain – et de nos jours il ne reste rien de l’idée «
d’avantage mutuel » ni dans les discours, ni dans les actes.
Et
maintenant, cette semaine, la métamorphose a été achevée. Après le sommet de
Helsinki entre Trump et le Président Poutine, qui semblait avoir ouvert une
petite opportunité – par la coopération entre les deux États – pour ramener la
stabilité en Syrie. Beaucoup ont espéré que de ce petit terrain d’entente au
sujet de la Syrie, une légère diminution de la tension entre les USA et la
Russie pouvait avoir trouvé un sol fertile.
Trump a
dit des choses positives ; la zone autour de Dera’a, au sud la Syrie, a été
vidée en douceur des insurgés et a été reprise par l’armée syrienne. Israël n’a
pas émis d’objection à avoir l’armée syrienne comme proche voisin. Mais ensuite
la coopération s’est arrêtée. La raison n’en est pas claire, mais peut-être
ceci était le premier signe de l’éclatement du pouvoir à Washington. La compréhension mutuelle
d’Helsinki a d’une façon ou d’une autre disparu (bien que la coordination entre
militaires ait continué).
Poutine a
envoyé le responsable du Conseil de la sécurité russe à une réunion avec Bolton
à Genève le 23 août, pour explorer d’éventuelles possibilités de
coopération commune ; et, si c’était le cas, si c’était une initiative
politiquement « viable ». Mais avant même que cette réunion bilatérale avec un
représentant russe se soit tenue, Bolton – parlant à partir de Jérusalem (de ce
que l’on a considéré comme un séminaire pour « faire reculer l’Iran » avec le
premier ministre Netanyahou) – a averti que les États-Unis répondraient « très
fortement » si les forces loyales envers le Président syrien Bashar Al-Assad
devaient utiliser des armes chimiques dans l’offensive pour reprendre la
province d’Idlib (offensive attendue pour septembre), prétendant que les USA
avaient des renseignements sur leur intention d’utiliser de telles armes dans Idlib.
Le
porte-parole du Ministère de la Défense Russe, cependant, a dit le 25 août « les
Militants de Hayat Tahrir al-Cham (HTS), [formés par une entreprise britannique
identifiée], se préparaient à mettre en scène une attaque chimique en Syrie du
nord qui sera utilisée comme prétexte pour une nouvelle frappe de missiles par
les États-Unis, le Royaume-Uni et la France – sur les installations du
gouvernement de Damas ». Les officiels russes ont dit qu’ils avaient tous
les renseignements sur cette opération sous faux-drapeau.
Ce qui
est clair est que depuis début août les USA ont mis en place une task force
navale (incluant l’USS Sullivans et l’USS Ross) en position de frapper la
Syrie, ainsi que des forces aériennes dans la base aérienne des USA au Qatar.
Le président français Emmanuel Macron a de même déclaré que la France
était aussi prête à lancer de nouvelles frappes contre la Syrie, en cas
d’attaque aux armes chimiques dans le pays.
Le
journal turc Hurriyet dit
que l’armée des USA jette les bases pour fermer l’espace aérien sur la Syrie du
nord. Des camions militaires américains sont signalés comme ayant transporté
des systèmes radar dans la ville de Kobanî, contrôlée par la milice Kurde et
sur la base militaire des USA dans Al-Shaddadah au sud d’Al-Hasakah. Hurriyet
prétend que les USA planifient d’utiliser ces stations radar pour établir une
zone d’exclusion aérienne sur le territoire entre Manbij à Alep et Deir ez-Zor.
(Cette information cependant, n’est pas confirmée)
Évidemment,
la Russie prend cette menace américaine très au sérieux (elle a déployé 20
navires de guerre dans l’Est de la Méditerranée, face à la Syrie). Et l’Iran
évidemment prend également la menace au sérieux. Dimanche le Ministre de la
Défense iranien a fait une visite impromptue et rapide à Damas pour sceller un accord
tripartite (Russie, Syrie et Iran) en réponse à tout type d’attaque américaine
sur la Syrie.
Puis, à
la suite des allégations de Bolton en matière d’armes chimiques et du
pré-positionnement de navires lance-missiles guidés américains près de la Syrie,
Petrushev et Bolton se
sont rencontrés. La réunion a été un désastre. Bolton a insisté pour que
Petrushev admette l’ingérence russe dans les élections américaines. Petrushev a
refusé. Trump a dit que nous avons des preuves « secrètes ». Petrushev a rétorqué
que si c’était le cas, quel était le but de d’exiger cet aveu. Bolton a
effectivement dit : Nous vous sanctionnons quand même.
Eh bien…
sans surprise, les deux n’ont pas été en mesure de s’entendre sur le retrait
iranien de la Syrie (que Petrushev a mis sur la table). Bolton a non seulement
dit « non » catégoriquement, mais il a ensuite rendu publique l’initiative
russe de parler d’un éventuel retrait de l’Iran – la tuant ainsi dans l’œuf, et
tuant cette initiative comme étant une manœuvre pour faire levier sur une
diplomatie ultérieure. Même le communiqué final, insipide, terne et non
informatif, qui est habituel dans de telles circonstances, n’a pu être adopté.
Le
message semble clair : tout accord d’Helsinki sur la Syrie est mort. Et les
États-Unis sont prêts à frapper la Syrie, semble-t-il (ils ont en fait mis des
moyens en position). Pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe ?
Un élément évident est que, jusqu’à
présent, la main de Trump dans tout cela n’est pas visible. Aujourd’hui, le
pouvoir semble s’être fracturé à Washington en ce qui concerne la politique
au Moyen-Orient. Les
néoconservateurs sont aux commandes. C’est très important, car
le mince pilier sur lequel le rapport de Trump avec le président Poutine
s’était construit, était la perspective d’une coopération américano-russe sur
la Syrie. Et cela semble, maintenant, être lettre morte.
Lawrence
Wilkerson, aujourd’hui professeur, mais ancien chef de
cabinet du secrétaire d’État Colin Powell lors de l’épisode tristement célèbre
des « armes de destruction massive » de Saddam Hussein, le dit « froidement »
:
« Cela a à voir…
avec le retour des néoconservateurs (Néocons)… Ce qui se passe aujourd’hui,
alors que Trump est de plus en plus préoccupé par les défis considérables et
sans cesse croissants qui se posent à lui personnellement et à sa présidence
institutionnelle, est le retour aux postes déterminants du gouvernement de ces
gens, de ceux-là même qui ont permis aux États-Unis l’invasion de 2003 en Irak.
Même ceux d’entre eux qui ont déclaré “Jamais Trump” – comme l’a résumé
l’archi-Neocon Eliot Cohen – salivent à la perspective de mener à bien leur
politique étrangère et de sécurité – alors que Trump macère littéralement dans
les excrétions de sa propre corruption. »
« Une
avant-garde, bien sûr, est déjà dans notre gouvernement pour attirer,
réconforter et réintégrer d’autres personnes de ce genre. John Bolton, en tant
que conseiller du président en matière de sécurité nationale, dirige cette
meute bien qu’il ne soit pas, à proprement parler, étiqueté néocon… »
« Actuellement, leur
première cible, et la plus identifiable, est l’affaire inachevée – qu’ils ont
en grande partie commencée – avec la Syrie et l’Iran, les deux menaces
potentielles les plus sérieuses pour Israël. Si les néocons obtenaient ce
qu’ils veulent – et ils sont remarquablement astucieux – cela signifierait une
nouvelle guerre en Syrie et une nouvelle guerre avec l’Iran, ainsi qu’un
soutien accru au plus grand État parrain du
terrorisme sur terre, l’Arabie saoudite. »
Bolton,
Pompeo et les néoconservateurs ont clairement indiqué qu’ils n’ont pas – au
moins – abandonné le « changement de régime » en Syrie comme
objectif – et qu’ils restent déterminés à faire subir un revers stratégique à
l’Iran (Bolton a déclaré que les sanctions seules, à elles seules, et sans un
coup stratégique supplémentaire à l’Iran, seraient insuffisantes pour modifier
le « comportement malveillant » des Iraniens).
Il n’est
pas certain que Mattis et Votel soient pleinement d’accord avec les
représailles militaires « très vigoureuses » de Bolton contre la menace
syrienne (pour utilisation présumée d’armes chimiques). (Mattis a réussi à
limiter le dernier tir de missiles de Trump sur la Syrie et à coordonner avec
Moscou une « réponse inexistante » à la salve de Tomahawk de Trump). En
sera-t-il de même cette fois-ci si les États-Unis prennent à nouveau le
prétexte sans fondement (et non prouvé par la suite) de l’utilisation d’armes
chimiques par le gouvernement syrien?
Compte
tenu du nouveau « fait » stratégique de la visite « surprise » du ministre
iranien de la Défense à Damas, dimanche, pour signer une
résolution commune sur la lutte contre une telle attaque contre la Syrie,
Israël se joindra-t-il à toute attaque – en utilisant le prétexte de son «
droit » autoproclamé d’attaquer les forces iraniennes n’importe où en Syrie ?
Netayahou « pariera-t-il » sur l’absence de réaction des Russes face aux avions
israéliens hostiles entrant dans l’espace aérien syrien ?
Qui
baissera les yeux en premier ? Netanyahou ? Ou bien Trump sortira-t-il
suffisamment de ses tribulations domestiques pour en prendre note et dire
« non » ?
Quoi
qu’il arrive, les présidents Poutine et Xi peuvent « interpréter les runes » de
cette affaire, c’est-à-dire que les plus hauts responsables du président Trump
restent engagés, ouvertement ou par de « faux drapeaux », à défendre « l’ordre
mondial » américain. Ces responsables partagent un mépris commun pour le
désengagement et le repli de l’administration Obama. Ils veulent arrêter, et
même couper la montée des rivaux américains, tout en rétablissant leur ancienne
position, ces anciens piliers de la puissance mondiale américaine, c’est-à-dire
la domination militaire, financière, technologique et énergétique de
l’Amérique.
La
Russie tente de désamorcer la situation critique en partageant avec Washington
ses renseignements selon lesquels Tahrir al-Sham (anciennement connu sous le
nom d’al-Nosra), préparait une attaque chimique qui serait alors présentée à
tort comme une autre « atrocité » commise par le « régime syrien ». Huit bidons
de chlore ont été livrés dans un village près de la ville de Jisr al-Shughur,
et un groupe de militants spécialement formés, préparés par une compagnie de
sécurité britannique, sont également arrivés dans la région pour imiter une
opération de sauvetage visant à sauver les « victimes » civiles. Les militants
ont l’intention d’utiliser des enfants otages dans l’incident mis en scène, disent des responsables russes.
Mais
Washington écoutera-t-il ? A partir du moment où le « régime » syrien ou
iranien est assujetti à un jugement de délinquance morale (indépendamment des
preuves) – dans le contexte de la revendication de l’Amérique à sa propre
destinée (morale) évidente, ces « régimes » après avoir été des ennemis
relatifs et temporaires se transforment en ennemis absolus. Car, quand on
défend le « destin » de l’humanité et qu’on cherche « la PAIX MONDIALE, rien de
moins », comment peut-on faire la guerre, si ce n’est au nom d’un bien qui va
de soi ? Ce
qui se prépare n’est pas d’attaquer un adversaire, mais de punir et de tuer
les coupables.
Face à
la dévalorisation morale radicale de l’« Autre » dans les médias occidentaux ;
et – d’autre part – face à l’expression vertueuse de la bonne conscience
occidentale, les présentations rationnelles de la Russie peuvent-elles espérer
avoir du poids ? Le
seul fait qui pourrait bien peser dans la balance est la menace que la Russie
utilise son arsenal de missiles en Méditerranée orientale. Mais, et
après ?
Alastair Crooke est un
ancien diplomate britannique, fondateur et directeur du Conflicts Foum basé à
Beyrouth.
Source :
Strategic Culture, Alastair Crooke, 01-09-2018
Traduit
par les lecteurs du site www.les-crises.fr.
[1]
Ainsi, à l’image
de la mafia new-yorkaise ou celle de Chicago [Voir : Le
mentor du jeune Trump était un avocat de la mafia] , Trump fait chanter
les roitelets arabes en leur disant : « sans ma protection, vous êtes morts en deux semaines. Alors aboulez le
fric ! » [Voir : Trump
au roi saoudien : Sans le soutien américain, vous ne durerez pas "2
semaines" ] . Et ces grassouillets mamamouchis n’ont pas d’autre choix que de s’exécuter.
Sous forme de « contrats militaires » ils aboulent des milliards de
dollars, alors que la masse de Musulmans sunnites crèvent la dalle. Naturellement,
c’est Allah qui veut ça, n’est-ce pas Inch’Allah ?
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