Irrésistible, infatigable, insatiable, le Grand jeu
énergétique continue de plus belle...
Peu de gens devaient connaître le sieur Ryan Zinke,
obscur secrétaire à l'Intérieur de l'administration Trump, avant sa sortie fracassante qu'il convient de citer : « Les États-Unis
ont la capacité, avec notre marine, de sécuriser les lignes maritimes, et,
si nécessaire de mettre en place un blocus afin de s'assurer que les
exportations d'énergie russes n'atteignent pas leurs marchés. »
Diantre. En réalité, il dit tout haut et avec violence
ce que tous les stratèges américains et le Deep State pensent
tout bas depuis des lustres. La réaction de Moscou ne s'est pas fait attendre :
si les Américains franchissent le dangereux Rubicon, ce sera tout simplement
une déclaration de guerre.[1] Le
leaderissimo tchétchène Kadyrov en remet une couche, ridiculisant en passant les prétentions états-uniennes.
Que cette brusque diatribe impériale ait lieu
maintenant est tout sauf un hasard. L'hystérie désespérée de Washington
augmente à mesure que les pipelines russes étendent leurs tentacules sur
l'Eurasie.
Le mois dernier, nous prévenions :
Les travaux pour la pose du Nord Stream II ont débuté dans le golfe de Finlande, ce qui, selon la presse économique occidentale, signifie que le
projet est désormais inarrêtable. Le fidèle lecteur ne sera pas surpris, nous étions les premiers dans la sphère
francophone à parier sur l'inéluctabilité du gazoduc baltique il y a deux ans :
C'est le genre de petite nouvelle banale qui passe
totalement inaperçue, pas même digne d'être évoquée dans les fils de dépêches
des journaux. Et pour une fois, je ne les en blâme pas, car seuls les initiés
peuvent comprendre la portée de l'information sur notre Grand jeu
énergético-eurasiatique.
Une première livraison de tubes est arrivée dans la presqu'île
de Rügen, sur la côte baltique de l'Allemagne, et il y en aura désormais 148
par jour, acheminés par trains spéciaux (chaque tuyau mesure en effet 12 mètres
et pèse 24 tonnes). Vous l'avez compris, il s'agit des composants du Nord
Stream II qui devraient commencer à être assemblés au printemps prochain.
Ainsi, même si aucune décision officielle n'a encore
été prise, ou du moins annoncée, le doublement du gazoduc baltique semble bien
parti (...) Gazprom prendrait-il le risque de les acheter et de les acheminer
sans avoir une idée assez sûre du dénouement ?
L'Empire, obsédé par la perspective d'une intégration
énergétique de l'Eurasie, tentera encore par tous les moyens de torpiller le
projet mais ses atouts commencent à se faire rares... Et l'on catéchise plus
difficilement l'Allemagne que la petite Bulgarie à propos du South Stream.
Renouvelons la question : Gazprom prendrait-il le
risque de débuter les travaux dans le golfe de Finlande si Moscou n'avait pas
dorénavant l'assurance que rien ne pourra se mettre en travers du tube ? Il
semble que tout se soit décidé lors des rencontres Poutine-Merkel et lors du fameux
sommet d'Helsinki (coïncidence amusante) entre le Donald et Vlad.
Il est là et, sauf rebondissement (toujours possible)
de dernière minute, il est là pour durer. Le starter a tiré le départ et il a
fait ses premiers mètres. Car en plus du golfe de Finlande, la construction a
également commencé en Allemagne la semaine dernière : 30 km de tubes,
15 par ligne, ont été posés. Pas étonnant que l'ami Zinke ait pété une
durite...
Rien n'y a fait, ni les menaces de l'Empire, ni les
bidouilleries de Bruxelles. Frau Milka, sourcilleuse dès qu'il s'agit
des intérêts de son Deutschland über alles, y a veillé.
Autre info que le fidèle lecteur de nos Chroniques
aura eu en exclusivité, l'IPI offshore prend de la consistance. Avant d'aller
plus loin, retour sur le Grand jeu dans la case Sud-ouest de
l'échiquier eurasien :
Un vieil ami, IPI, revient sur le devant de la scène,
sur lequel un petit rappel n'est pas inutile :
L'accord sur le nucléaire iranien et la levée des
sanctions ont pour conséquence de faire
revivre le projet saboté par Washington de gazoduc Iran-Pakistan-Inde
(IPI). Dans leur volonté d'isoler l'Iran, les Américains avaient réussi à
détourner l'Inde du projet en 2009 et tentaient de promouvoir l'invraisemblable
TAPI (Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde) censé passer au beau milieu des
Talibans sans que ceux-ci ne s'en rendent compte. Trêve de délire et retour à
la réalité, l'Inde est maintenant de nouveau intéressée par l'IPI et le projet
fait sens. Ainsi, la levée des sanctions contre l'Iran n'aurait pas l'effet
escompté par l'Occident. Loin de faire concurrence au gaz russe du côté de l'ouest
- la route vers l'Europe est compliquée,
qui plus est maintenant que le conflit kurdo-turc empêche
le passage de pipelines -, le gaz iranien pourrait au contraire participer
un peu plus encore à l'intégration de l'Eurasie et de l'Organisation
de Coopération de Shanghai sous direction russo-chinoise, dont l'Inde et le
Pakistan sont devenus membres cette année et que l'Iran rejoindra très bientôt.
La méfiance entre les frères ennemis indien et
pakistanais ne disparaîtra certes pas du jour au lendemain et New Delhi est
toujours gênée aux entournures de savoir que le gaz reçu devra d'abord passer
par le territoire de sa Némésis. Mais c'est justement dans ce domaine que du
nouveau est apparu et ce
diable de Poutine n'y est pas étranger.
Fin octobre, la nouvelle est tombée que la Russie, qui
possède de vastes réserves de gaz en Iran, était prête à construire une variante offshore de l'IPI
pour inonder d'or bleu le Pakistan et l'Inde.
Chose très intéressante, le pipeline passerait par Gwadar, l'un des lieux les plus stratégiques
de la planète que nous avions abordé ici ou ici :
La région est d’une importance immense avec le fameux
nœud de Gwadar, port "donné" à Pékin au sortir du Golfe persique et
autour duquel se tisse l’alliance stratégique et énergétique entre la Chine,
le Pakistan et l’Iran [...]
Les liens énergétiques entre Téhéran et Pékin sont
déjà anciens mais se consolident
chaque jour. Ceci en attendant l'oléoduc irano-pakistanais qui verra
prochainement le jour, reliant la base chinoise de Gwadar avant, un jour, de
remonter tout le Pakistan et rejoindre la Karakoram Highway dans les somptueux
décors himalayens.
C'est cette
titanesque imbrication eurasiatique que le Kremlin pilote de main de maître. La
connexion sino-pakistanaise, que nous avions abordée il y a deux ans :
Moscou risque fort de bientôt construire
le pipeline nord-sud que le Pakistan attend depuis des années. Premier pas vers
la fameuse connexion Gwadar-Chine ou le projet de gazoduc Pakistan-Russie ?
Tout ceci n'empêche d'ailleurs pas les Russes de renforcer de l'autre côté leur
coopération
énergétique avec l'Inde.
Et maintenant, donc, l'IPI connectant l'Iran, le
Pakistan et l'Inde. Un IPI offshore et garanti par l'ours, susceptible par
conséquent de balayer les dernières réticences indiennes. Il se pourrait
d'ailleurs que ce faisant, la Russie ait réussi à persuader New Delhi de diminuer son soutien à
l'insurrection baloutche, talon d'Achille de son voisin comme nous
l'expliquions ailleurs :
Le Pakistan fait face à une insurrection nationaliste
dans la rétive province du Baloutchistan, au sud du pays, où les tribus
cherchent à obtenir leur indépendance. C’est un conflit peu connu du grand
public occidental – sans doute parce que les insurgés sont d’obédience marxiste
et non islamiste – mais qui peut se révéler pour le Pakistan au moins aussi
dangereux que les troubles des zones tribales. Fait très important, c’est dans
cette province que se trouve Gwadar, et plusieurs expatriés chinois y ont
trouvé la mort au cours de ces dernières années, tués par des bombes ou le
mitraillage de leur bus. Cela explique peut-être la légère réticence de Pékin à
s’engager de plein pied dans le projet. Comme de bien entendu, le Pakistan
accuse l’Inde de financer et d’aider le mouvement indépendantiste baloutche –
où l’on retrouve le jeu des grandes puissances – ce qui semble effectivement le
cas… New Delhi a en effet tout intérêt à ce que la situation au Baloutchistan
s’envenime, faisant ainsi d’une pierre deux coups : empêcher la Chine de
s’implanter dans cette zone stratégique tout en déstabilisant le Pakistan déjà
englué dans les zones tribales et au Cachemire.
C'était il y a trois ans et de l'eau a coulé sous les
ponts depuis. Dans l'Eurasie qui se prépare, sous l'égide de l'OCS, des routes
de la Soie chinoises et des gazoducs russes, les civilisations se rapprochent,
l'animosité fait peu à peu place à l'entente et à l'intégration.
Retour en octobre 2018. La Russie et le Pakistan viennent
de signer un mémorandum d'entente sur l'IPI offshore, qui partira d'Iran et
dont, selon toute logique, une branche rejoindra l'Inde et l'autre le Pakistan.
Cela devrait peu ou prou ressembler à cela :
Certes, nous n'en sommes qu'au tout début, qui
commence par une étude de faisabilité. Bien de l'eau peut passer sous les ponts
et dans l'océan Indien avant que le projet ne se concrétise. Mais le fait même
que ce projet existe et soit abordé sérieusement montre :
1.
que les menaces
de sanctions US contre l'Iran ne fonctionnent pas avec des adversaires résolus
du type Russie.
2.
que la tendance
de fond est au grand rapprochement eurasien, cauchemar de l'empire maritime
américain.
Publié le 2 Octobre 2018 par Observatus geopoliticus
Qui vous permet de voler mes articles ? Sans même mettre le lien d'ailleurs...
RépondreSupprimerCet article, comme c'est indiqué a été publié par Observatus geopoliticus. Lisez bien en fin de l'article :
SupprimerPublié le 2 octobre 2018 par Observatus... avec le lien hypertexte.