vendredi 27 novembre 2015

Russophobie occidentale. L’arme psycho-historique contre la Russie

Extrait du rapport de l'historien A. Foursov au forum international «La russophobie et la guerre d'information contre la Russie»
Préambule. Une conférence sur la russophobie dans notre situation est en retard au moins d'un quart de siècle. Je dis «notre situation» me référant à ce qui suit. Les trois ou quatre dernières années ont démontré à tout le monde – à tous ceux qui ne sont pas aveugles, qui voient – que l'Occident restera un ennemi de la Russie indépendamment du régime politique que nous aurons ; et voici que les militaires américains disent déjà que les relations entre les États-Unis et la Russie resteront conflictuelles même après le départ de Poutine. Alors que la ministre de la Défense allemande, mère de sept enfants, a déclaré le 22 juin 2015 qu'il fallait traiter la Russie à partir d'une position de force. Apparemment, la date de la déclaration n'a pas été choisie par hasard. Mme la ministre a oublié comment la tentative de son compatriote et fondateur de la première Union européenne [Adolf Hitler, NdT] de commencer le 22 juin 1941 [invasion de la Russie par les nazis, NdT] la conversation avec la Russie à partir d'une position de force s'est terminée. Elle pourrait au moins plaindre ses enfants ; le sort des enfants de Goebbels et le drapeau rouge sur le Reichstag sont-ils déjà oubliés ?
Cette conférence est tardive, mieux vaut tard que jamais, mais la perte de temps ou de rythme, comme diraient les joueurs d'échecs, est évidente. La clarté est toujours nécessaire, en particulier la clarté au regard des adversaires historiques, pour parler franchement, les ennemis. L'affaiblissement et la soumission de la Russie, l'effacement de l'identité russe en tant que nation formant l'État, dans le but de la prise de contrôle de ses ressources et de l'espace russe (l'importance et la valeur de ce dernier augmentent avec la menace de la catastrophe géoclimatique) est un objectif de longue date des groupes dirigeants de l'Occident. Dans sa forme systématique, cet objectif a été formulé dans le dernier tiers du XVIe siècle dans les versions catholique (les Habsbourg) et protestante (Angleterre, John Dee).
Le désir de subjuguer le vaste territoire, détruire l'État le contrôlant, soumettre et briser le peuple constituant l'État était justifié par le caractère prétendument hostile aux Européens de l'État et du peuple russes, par leur agressivité – imaginaire, bien sûr: «Tu es coupable parce que j'ai faim». Un accent particulier était mis sur l'altérité religieuse des Russes, leur orthodoxie. Jusqu'aux années 1820, l'accentuation de l'altérité des Russes par rapport aux Européens de l'Ouest était principalement de nature religieuse, même s'il y avait une composante nationale, ou plus précisément, ethnique. Depuis les années 1820 la situation a changé : à la pointe de la guerre d'information et psychologique (psycho-historique) contre la Russie sont concentrées les composantes ethno-historique, nationale, culturelle et politique, formant la russophobie dans le sens strict. C'est là où la guerre psycho-historique de l'Occident contre la Russie commence sérieusement. C'est un changement qualitatif, mais avant que nous en parlions, il faut déterminer ce que l'on entend par les termes la guerre psycho-historique et la russophobie.
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La guerre psycho-historique est un ensemble d’actions systématiques, ciblées et à long terme, ayant pour but d’établir un contrôle sur la psychosphère de la société, principalement sur la psychosphère de son élite intellectuelle et dirigeante, en allant progressivement au-delà des groupes cibles primaires, d’effacer la psychosphère attaquée et de lui substituer la sienne.
Les domaines principaux, ou les fronts, pour mener la guerre psycho-historique sont : l’éducation, les sciences sociales, les médias – qu’on peut appeler les médias de publicité, de propagande et de désinformation – conçus pour les pauvres d’esprit, bavant de plaisir à la vue de crétins de salon qui discutent de ce soi-disant «Tout le monde parle» le soir, en plaisantent.
Les médias multinationaux de publicité, de propagande et de désinformation, associés formellement aux États, cherchent à dépeindre la Russie, son régime de pouvoir et celui qui le personnifie, presque comme l’ennemi numéro un de l’humanité. «Le régime est criminel», «les Russes ont annexé la Crimée», «la Russie mène une guerre contre l’Ukraine», «la Russie est à blâmer pour le Boeing malaisien abattu», «la Russie s’est appropriée les ressources de la Sibérie qu’elle n’est pas en mesure de mettre en œuvre», «en Russie on persécute les homosexuels», etc.
Il est clair qu’à la fin du XXe siècle le journalisme classique comme celui de la TV s’est dégradé, étant devenu obsolète, transformant la profession en une occupation alimentaire ; il est également clair que l’homme de la rue occidental est un philistin indifférent et croit en ses médias de publicité, de propagande et de désinformation ; il est clair que la cinquième colonne en Russie interprète son show de strip-tease principalement à destination des consommateurs étrangers, profitant des voyages à l’étranger, des récompenses ; il est clair qu’argumenter avec eux est inutile. Et, néanmoins, je voudrais poser une question : si de 1991 à nos jours plus de guerres ont balayé le monde que de 1945 à 1991, si ces guerres ont été, d’une manière ou d’une autre, attisées par l’Occident, en quoi cela peut-il concerner la Russie ? Il n’y a aucune preuve que le Boeing malaisien a été abattu par les miliciens, en revanche il y a beaucoup de preuves que c’est le fait des Ukrainiens. En Russie il n’y a pas de loi sur la persécution de l’homosexualité. Celle-ci, aux yeux de beaucoup, non seulement n’est plus une perversion sexuelle, mais est devenue quelque chose de beaucoup plus important, à savoir une mode dans les cercles de l’élite et/ou quasi-élite, un signe d’appartenance : l’empressement à transgresser la nature biologique et les normes sociales traditionnelles est un signe d’allégeance aux Maîtres du monde, un symbole de la volonté de soumission, non seulement au sens figuré, mais littéralement : quelle est la différence avec l’humiliation sexuelle en prison ? Le caractère volontaire ? Ou la différence avec l’épouillage d’un dominant dans une bande de babouins ? Le fait que ce sont des êtres humains qui font ça ? Sont-ils vraiment humains ?
Derrière toutes les fausses accusations proférées par les dirigeants occidentaux contre la Russie, si l’on creuse bien, se cache la crainte du seul pays non occidental qui non seulement ne s’est pas couché devant l’Occident capitaliste comme une colonie ou un protectorat, non seulement lui a résisté avec succès, mais pendant quatre siècles lui infligé des défaites, et au XXe siècle a créé un système alternatif au capitalisme, le communisme – un anticapitalisme systémique. La Russie n’est pas l’Occident, mais en même temps, les Européens (les autres Européens) ont créé une culture européenne alternative à la culture occidentale et basée sur des valeurs russes. Quelqu’un a dit à juste titre que si les écrivains occidentaux de premier rang (Balzac, Dickens, Zola) évoquent l’argent et le carriérisme, les écrivains russes de premier rang (Tolstoï, Dostoïevski) sont préoccupés par le sens de la vie et les questions morales. La Russie, c’est l’Europe chrétienne d’Orient, une autre Europe qui s’est propagée sur l’ensemble de l’Eurasie du Nord et qui vit selon ses propres règles. Ce qui est déjà, en soi, désagréable et inacceptable pour l’Occident. De là émerge une russophobie agressive comme arme psycho-historique fondamentale dans la guerre contre la Russie.
Les niveaux principaux pour mener la guerre psycho-historique sont ceux de l’information, de la manipulation des concepts, et de la métaphysique (du sens). 
Au niveau de l’information, le niveau primaire, se fabrique la distorsion des faits ; au niveau conceptuel se trouve l’interprétation et le formatage de l’information (des faits qui, par une interprétation erronée, se muent en faits mensongers) en vue d’imposer à un groupe cible une vision prédéterminée ; le niveau métaphysique (sémantique) – c’est la haute voltige de la guerre psycho-historique où l’essentiel se passe : la destruction de la signification originelle chez le groupe cible et son remplacement par une signification étrangère importée, afin de priver la cible de ses références métaphysiques structurantes et briser ainsi sa volonté de résistance.
Une des stratégies pour affecter les trois niveaux consiste à créer une image négative de la cible et, in fine, de l’introduire dans le psychisme des groupes dominants de la société cible (l’auto-phobie, la haine de tout ce qui est sien, la haine de soi et l’amour pour l’étranger). On essaie de leur instiller l’idée qu’ils sont presque comme nous, presque Européens/Américains aux yeux de l’Occident ; ils n’ont qu’à faire un petit effort pour se débarrasser de ce presque ; ou alors intégrer la haine ou au moins le mépris de leur propre pays pour le livrer à l’Occident, devenant une sorte de collaborateurs sous un régime d’occupation. Un des exemples de l’auto-phobie est la russophobie. En tant que concept, il s’agit de l’inimitié – jusqu’à la haine – dirigée contre les Russes en tant que tels, leur type physique, leur histoire, leurs caractéristiques identitaires – valeurs, psychologie, mentalité et genre de vie. La russophobie comme pratique est un ensemble d’actions – informationnelles, économiques, politiques et autres – ayant pour but la suppression de la nature russe comme complexe psycho-historique. La russophobie comme stratégie est le désir d’établir un contrôle sur les Russes en tant qu’entité ethno-historique particulière formant un État, pour ensuite l’anéantir, le sortir de l’histoire, le dissoudre parmi les autres peuples.
La mise en œuvre pratique de la russophobie n’est pas rare. Les nazis pendant la Grande guerre patriotique l’ont démontré massivement sous une forme extrême ; de nos jours les autorités des pays baltes et de l’Ukraine sympathisent avec les nazis, avec l’assentiment ou l’approbation silencieuse de l’Union européenne et des États-Unis, réalisant la russophobie sous la forme de la discrimination des Russes [et de leur culture] dans ces pays. Au niveau de la propagande, la russophobie effrénée caractérise les actions des sphères politique et médiatique de l’Occident au cours des dernières années. Dans son acharnement elle dépasse la propagande antisoviétique et anticommuniste pendant la guerre froide ; si on touchait les Russes à cette époque, c’était plus indirectement, plus ou moins à mots couverts : on attaquait le communisme, le système soviétique, l’idéologie communiste.
Cependant, les marionnettistes et leurs agents de service accompagnateurs étaient parfaitement conscients que la lutte était dirigée contre la Russie – soit, à l’époque, l’URSS. Zbigniew Brzezinski s’est prononcé à ce sujet ouvertement et clairement dans les années 1990 dans une entrevue avec le magazine parisien Le Nouvel Observateur. Interrogé sur la lutte de l’Occident et en particulier des États-Unis contre le communisme, Brzezinski a répondu dans le sens qu’il ne fallait pas se faire d’illusions : l’Occident «ne combat pas le communisme, mais la Russie, peu importe comment elle s’appelle». Il est significatif que Yakovlev, un des «directeurs de la perestroïka», ait parfaitement compris cette approche de ses maîtres : dans une interview il a déclaré qu’avec la perestroïka, ses agents abattaient non seulement l’Union soviétique, mais l’ensemble du modèle millénaire de l’histoire russe. Dans les deux cas (Brzezinski et Yakovlev), nous traitons de la russophobie dans sa mise en œuvre.
Il est important de noter que la soviétophobie n’est qu’une forme voilée de la russophobie. Bien que les détracteurs du passé soviétique s’efforcent de justifier leur position par le patriotisme russe, l’orthodoxie, la grandeur de l’Empire russe – opposé à l’Union Soviétique – comme quelque chose de positif (l’ensemble de la monarchie, de la révolution de février 1917, de la Garde blanche comme positivité de l’histoire du pays), le rejet du stalinisme et ainsi de suite, en fait leur dénigrement est de caractère russophobe. L’Union soviétique est à bien des égards un sommet du développement de la civilisation russe : c’est une véritable modernité russe, un développement réel, une phase mondiale de l’histoire de la Russie ; enfin, c’est le seul système social dans l’histoire basé sur une valeur centrale de la Russie, la justice sociale.
Les ennemis de la Russie, les russophobes à l’étranger et en Russie, le comprennent parfaitement : la campagne de soviétophobie, le dénigrement du passé soviétique, des réalisations soviétiques, des victoires soviétiques, est un coup porté à la Russie, sur le «siècle court» russe (1917-1991), qui a prouvé la solidité historique, le triomphe de la nature russe dans sa forme soviétique. Ce n’est pas par hasard si la communauté des experts soviétologues a joué un rôle important dans le développement de la russophobie en Occident et en particulier aux États-Unis. Beaucoup de ses représentants ont travaillé à différents moments dans les diverses administrations américaines. Parmi ces gens il y avait beaucoup d’immigrants en provenance d’Europe de l’Est et leurs descendants – les Polonais, les Tchèques, les juifs, les Ukrainiens, les Roumains, etc. En règle générale, tous : Zbigniew Brzezinski, Paula Dobriansky (la fille d’un collaborateur de Bandera qui travaillait dans l’administration de Bush junior), Wolfowitz ou Perle – leurs noms sont légion – détestaient l’Union soviétique comme une manifestation de puissance de la Russie historique. L’empreinte de cette haine transparaissait dans les études de soviétologie ; pas dans toutes les études, bien sûr, il y avait quand même beaucoup de travaux sérieux et intéressants, et parmi les immigrants en provenance d’Europe de l’Ouest tous n’étaient pas les ennemis de l’Union soviétique ou de la Russie. Mais… il y avait la tendance.
Avec l’effondrement de l’URSS ils semblaient avoir perdu leur utilité et leur travail, mais ils se sont rapidement recyclés en kremlinologues, spécialistes du Kremlin post-soviétique. La haine persistait, maintenant sans besoin de se cacher dans les vêtements anticommunistes. Avec chaque nouvelle administration, après Bush père, ces experts devenaient de plus en plus nombreux, leur activité augmentait et a atteint son apogée au cours de l’hystérie anti-Poutine ; de nombreuses bévues au sommet du pouvoir étasunien contre la Russie devraient être attribuées à cette image que créait le segment russophobe de la communauté des experts. Le problème est que ce public russophobe est toujours pris au sérieux, en tant que scientifique, alors qu’en fait, ce sont des agents ordinaires de la guerre de l’information (indépendamment de la nationalité – que ce soit Fiona Hill ou Lilia Shevtsova) ; mener avec elles des discussions purement scientifiques afin de trouver la vérité serait pour le moins stupide. Le but de l’ennemi n’est pas de rechercher la vérité, mais de porter préjudice à la Russie : dans ce cas-là, par la guerre psycho-historique d’information. Et si les russophobes antérieurs se drapaient dans la toge de l’anticommunisme, maintenant ils portent l’affublement des «critiques du régime de Poutine» et des «combattants pour la véritable démocratie en Russie». Ce genre de démocratie, nous l’avons vu en 1993, 1996 et 1998. La démocratie avec le visage de Eltsine–Gaïdar–Tchoubaïs ? Non merci. La russophobie ne change que sa forme, l’essence reste la même et n’a pas sensiblement changé depuis les années 1820.
C’est à cette période que la russophobie comme arme de base des élites occidentales dans la guerre psycho-historique «contre la Russie, peu importe la façon dont elle s’appelle», a été lancée. Ce moment n’a pas été choisi par hasard : la Russie est alors devenue un ennemi mortel des trois forces qui avaient organisé la Révolution française de 1789-1799, ou avaient activement contribué à son émergence et à son développement, et qui ont commencé à construire un nouvel ordre mondial immédiatement après l’achèvement de sa «version d’exportation» – les guerres napoléoniennes.
Premièrement, c’est le Royaume-Uni qui, se disputant avec la France l’hégémonie dans le système capitaliste mondial, a remporté une victoire au premier chef grâce aux forces de la Russie. En raison de la victoire de l’armée russe sur Napoléon, qui a fait de cette dernière une forte puissance continentale, elle est devenue l’ennemi numéro un aux yeux des Britanniques.
Deuxièmement, c’est le capital financier européen, relativement nouveau, qui a pris son essor pendant la Révolution française et les guerres napoléoniennes – en raison de ces phénomènes. Nous parlons surtout des Rothschild, qui déjà en 1818, dictaient leurs volontés aux grandes puissances d’Europe occidentale (Allemagne, Autriche, Prusse, France) – mais pas à la Russie. Immédiatement après la défaite de Napoléon, les Rothschild (dans les intérêts financiers), aussi bien que les francs-maçons et les Illuminati, ont commencé à parler de quelque chose qui ressemblerait à un gouvernement mondial, montrant ainsi clairement leurs revendications. Les Rothschild ont été soutenus par d’autres banquiers, britanniques et suisses. Cependant, la Russie était un obstacle à la mise en œuvre de ces plans – d’abord sous Alexandre Ier, puis sous Nicolas Ier – concernant les plans non seulement politiques, mais aussi économiques : les tsars russes n’autorisaient pas le capital financier occidental à se déployer dans toute son ampleur en Russie, en le limitant.
Dans les années 1820-1840 commence l’opposition entre les Rothschild – une force de frappe du capital occidental (essentiellement juif) – et les Romanov, c’est-à-dire la Russie de ce temps-là, son régime au pouvoir. Fait révélateur, lorsque les émissaires d’Alexandre II et d’Alexandre III ont essayé de faire la paix avec les Rothschild (demandant que ces derniers cessent de financer les mouvements antigouvernementaux en Russie entre 1870 et 1890), on leur a dit que, pour les Rothschild, la paix avec les Romanov était impossible. Il va sans dire que les Rothschild sont les alliés (et soutiens financiers) principaux de la Couronne britannique, aussi bien que d’une certaine partie de l’establishment britannique, pas seulement juif. Il va aussi sans dire que dans leur hostilité à la Russie, les Rothschild ont agi avec le Royaume-Uni comme s’ils étaient eux- mêmes un État.
Troisièmement, la fin du XVIIIe et la première moitié du XIXe correspondent à une période de forte activité de la maçonnerie européenne, cette forme historiquement première des structures supranationales fermées pour l’harmonisation et la gestion mondiale. «L’ère des révolutions» (Cf. Eric Hobsbawm) des années 1789-1848 a été largement l’ère des révolutions maçonniques – dans le sens où ces dernières se déroulaient sous les slogans maçonniques «liberté, égalité, fraternité». Les francs-maçons étaient la principale force de base qui guidait et supervisait les révolutions, qui utilisait les véritables contradictions structurelles de l’ancien ordre pour les tourner en contradictions systémiques. Les structures maçonniques représentaient une forme déguisée d’organisation politique de la bourgeoisie, en procurant – «par des liens fraternels» – des formes institutionnelles de collusion et de compromis avec une partie de l’aristocratie. Enfin, les francs-maçons (ou leurs représentants) se trouvaient souvent à la tête des États post-révolutionnaires, la franc-maçonnerie a adopté une forme étatique comme un ensemble fermé de structures supranationales de coordination et de gestion.
C’est pendant cette «ère des révolutions» qu’a fortement augmenté l’expansion pratiquement libre de la franc-maçonnerie en Europe – à nouveau, à l’exception de la Russie. Ici, malgré le nombre croissant de loges maçonniques, ils se sont heurtés à la puissance de l’autocratie russe. Inutile de dire que l’autocratie russe (surtout pendant le règne de Nicolas Ier) est devenue un ennemi mortel de la franc-maçonnerie, qui s’était ancrée solidement à la tête d’un certain nombre de pays européens. Pratiquement toutes les loges d’Europe continentale ont été contrôlées par les Britanniques – par les loges britanniques insulaires, étroitement liées à l’establishment britannique et la haute finance. Dans leur hostilité à la Russie ils ont coïncidé, créant ainsi une seule alliance anti-russe, une sorte d’hydre russophobe à trois têtes (Royaume-Uni, finance, francs-maçons).
Chaque tête dans la lutte contre la Russie poursuivait ses objectifs. Le Royaume-Uni cherchait à affaiblir la Russie pour prévenir l’apparition ou l’existence d’une force continentale prédominante capable, en raison de sa position, de la contester à l’Est. Les financiers cherchaient à mettre la Russie et ses autorités sous leur contrôle financier pour faire leurs juteuses affaires. Les maçons visaient la destruction de l’autocratie et son remplacement par une République soumise aux loges européennes fraternelles et qui serait certainement plus malléable que la monarchie autocratique. Et ça n’a pas manqué après le coup de février de 1917, dans lequel les intérêts de l’hydre occidentale coïncidaient avec les intérêts de certains groupes révolutionnaires en Russie utilisés discrètement par l’Occident. Toutefois, février 1917 a été le résultat d’un long chemin, presque séculaire, sur lequel les adversaires de la Russie – le Royaume-Uni et les forces économiques et politiques supranationales de l’Occident – s’étaient engagés dans les années 1820. Pour saper la Russie, tous les membres de l’union s’épaulaient les uns les autres : le Royaume-Uni épaulait les financiers (surtout juifs) et les francs-maçons; les financiers les maçons et le Royaume-Uni; les maçons le Royaume-Uni et le capital financier.
En fait, ces participants représentaient un ensemble, un système politique et économique unique, qui s’est formé en grande partie pour lutter contre la Russie, s’est renforcé au cours de cette lutte pour partager les fruits de la victoire. La victoire en question exigeait une guerre – une guerre contre le vainqueur de Napoléon. Les préparatifs pour une telle guerre, à leur tour, impliquaient le traitement psycho-historique, principalement par l’information, des élites intellectuelles et du pouvoir, à la fois en Europe et en Russie elle-même. La russophobie conçue et lancée dans les années 1820 a été un moyen pour ce traitement. Pendant les années 1830-1840, la russophobie a préparé à la guerre, moralement et politiquement, toute une génération d’Européens. Les Européens avec des vues politiques fondamentalement différentes ont commencé à manifester des signes de russophobie : les quasi-libéraux (Disraeli), les archi-conservateurs (archevêque de Paris), les ultra-révolutionnaires (Marx). La leçon de ce qui a précédé de 25 ans la première guerre globalement occidentale contre la Russie – la guerre de Crimée – est simple : la guerre de l’information, toutes choses égales par ailleurs, prépare toujours pour la guerre conventionnelle (que celle-ci, pour une raison quelconque, n’ait pas eu lieu, n’est pas la question).
En 1820-1830 la russophobie commence à pénétrer en Russie elle-même et à se répandre dans une partie des élites intellectuelles et du gouvernement. Le niveau de vie des 20% à 25% de la classe dirigeante de la Russie conformément au standard occidental exigeait une exploitation de la population de plus en plus forte. M.O. Menchikov a appelé le XIXe siècle «le siècle du déclin d’abord progressif et, à la fin, rapide et alarmant de la richesse nationale en Russie. Nos gens souffrent de malnutrition chronique et tendent à dégénérer, tout cela dans le but de maintenir l’éclat de l’européisme et permettre à une petite couche de capitalistes de marcher au pas avec l’Europe».
Il est important de noter que l’objet de la russophobie était non seulement le peuple russe, la culture russe et ainsi de suite, mais aussi – dans de nombreux cas – l’État russe, le pouvoir autocratique. Le fait est que le centre autocratique limitait, en partie dans ses propres intérêts, les appétits de l’élite russe pour l’exploitation et devenait donc aussi la cible de la critique russophobe comme despotisme asiatique, système de la tyrannie, etc. Dans cette approche, une partie de l’élite et du capital russe coïncidait dans sa russophobie avec les adversaires occidentaux de la Russie – tant étatiques (le Royaume-Uni, la France) que supranationaux (la maçonnerie). Les russophobes sont caractérisés par l’hostilité et la haine envers le peuple russe et le pouvoir russe – et plus ce pouvoir est fort et indépendant par rapport à l’Occident, plus il prend en compte les intérêts du peuple, de l’ensemble social, plus la haine est forte, plus la russophobie est féroce. L’un des principaux motifs de la haine des antisoviétiques envers le pouvoir des Soviets était qu’ils le percevaient comme le pouvoir du peuple, ou au moins comme un pouvoir qui protégeait plus ou moins les intérêts du peuple, ne permettant pas aux prédateurs éventuels de prospérer. Leur rictus féroce s’est manifesté dans les années 1990 et plus tard au cours des dernières années, s’exprimant en termes de «vatnik» (traîne-savates) etc. Ainsi, la russophobie est autant et même plus un phénomène de classe qu’un phénomène socio-culturel ou civilisationnel. C’est-à-dire un phénomène de civilisation dans la forme, et de classe (géopolitique) dans le fond. Il faut toujours bien s’en souvenir.

Par Andreï Foursov
– Le 25 novembre 2015 – Source traduitdurusse.ru

Andreï Foursov est directeur du Centre d’études russes de l’Université de Moscou pour les sciences humaines, directeur de l’Institut de l’analyse stratégique, académicien de l’Académie internationale des sciences (Innsbruck, Autriche)

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Comme l'islamophobie, la russophobie occidentale est née en France

Remarque : ce texte est facilement adaptable à l'islamophobie, ou à l'arabophobie en France.