“Pourquoi nous détestent-ils autant ?” Eh bien pour ça, 4 millions de morts environ – bien plus que pour 10 lignes dans un livre même saint…
- 1ere Guerre du golfe (1991) : 200 000 morts en Irak
- Sanctions brutales contre l’Irak (1993-2001) : 1 700 000 morts en Irak
- “Guerre contre le terrorisme” (2001-2014) : 1 300 000 morts : 1 000 000 de morts en Irak , 220 000 en Afghanistan (estimation basse, d’autres sont bien plus importantes), 80 000 au Pakistan ; Syrie, Yémen et autres pays non étudiés.
Et si on essayait la fraternité, maintenant qu’on ressent ce que ça fait des morts innocents ?
Des recherches prouvent que la « guerre contre le terrorisme » menée
par les Etats-Unis a tué pas moins de 2 millions de personnes ; mais ce
chiffre n’est qu’une fraction de l’ensemble des morts dont l’Occident
s’est rendu responsable en Irak et en Afghanistan depuis 1990.
Le mois dernier, Physicians for Social Responsibility (PRS), organisation basée à Washington DC, a publié une étude historique
qui conclut que le nombre de morts occasionnées au cours des dix ans de
la « guerre contre le terrorisme », lancée suite aux attentats du
11 septembre, s’élève à au moins 1,3 million de personnes et pourrait
atteindre 2 millions de personnes.
Produit par un groupe de médecins lauréat du prix Nobel de la paix,
ce rapport de quatre-vingt-dix-sept pages est le premier à comptabiliser
le nombre total de victimes civiles des interventions antiterroristes
des Etats-Unis en Irak, en Afghanistan et au Pakistan.
Le rapport de PSR a été rédigé par une équipe interdisciplinaire
d’éminents spécialistes de la santé publique, dont le Dr Robert Gould,
directeur de la sensibilisation et de l’éducation des professionnels de
la santé au centre médical de l’université de Californie, à San
Francisco, ainsi que le Pr Tim Takaro, de la faculté des sciences de la
santé de l’université Simon Fraser.
Ce rapport a été presque complètement ignoré par les médias
anglophones, bien qu’il s’agisse de la première tentative effectuée par
un organisme de santé publique d’importance mondiale de produire un
calcul scientifiquement solide du nombre de victimes de la « guerre
contre le terrorisme » dirigée par les Etats-Unis et la grande Bretagne.
Attention aux écarts
Le rapport de PSR est décrit par le Dr Hans von Sponeck, ancien
secrétaire général adjoint de l’ONU, comme « une contribution
significative visant à réduire l’écart entre les estimations fiables du
nombre de victimes de la guerre, en particulier parmi les civils en
Irak, en Afghanistan et au Pakistan, et les chiffres tendancieux,
manipulés voire frauduleux ».
Le rapport procède à un examen critique des précédentes estimations
du nombre de victimes de la « guerre contre le terrorisme ». Ainsi, le
document critique fortement le chiffre le plus fréquemment cité par les
médias traditionnels comme faisant autorité, à savoir 110 000 morts,
selon les estimations de l’Iraq Body Count (IBC). Ce chiffre est tiré
d’un assemblage de reportages des médias sur les massacres de civils ;
cependant, le rapport produit par PSR identifie de graves lacunes et des
problèmes d’ordre méthodologique liés cette approche.
Par exemple, alors que 40 000 corps avaient été enterrés à Najaf
depuis le lancement de la guerre, IBC a enregistré seulement
1 354 victimes à Najaf pour la même période. Cet exemple montre
l’ampleur de l’écart entre l’estimation publiée par IBC pour Najaf et le
nombre de morts réel, dont le coefficient est de plus de 30 dans ce
cas.
La base de données d’IBC est truffée de ce genre de lacunes. Dans un
autre exemple, IBC a enregistré seulement trois frappes aériennes au
cours d’une période donnée en 2005, alors que le nombre d’attaques
aériennes était en fait passé de 25 à 120 pendant cette année. Encore
une fois, l’écart atteint un coefficient de 40.
Selon l’étude publiée par PSR, l’étude très controversée de la revue
The Lancet, qui a estimé à 655 000 le nombre de victimes en Irak
jusqu’en 2006 (et plus d’un million jusqu’à aujourd’hui, par
extrapolation), était susceptible d’être beaucoup plus précise que les
chiffres avancés par IBC. En effet, le rapport confirme un
quasi-consensus parmi les épidémiologistes quant à la fiabilité de
l’étude du Lancet.
Malgré certaines critiques légitimes, la méthodologie statistique
appliquée dans l’étude est la norme universellement reconnue pour
déterminer un nombre de victimes dans des zones de conflit, utilisée par
les agences et les gouvernements internationaux.
Un déni politisé
PSR a également examiné la méthodologie et la conception d’autres
études présentant un nombre de morts inférieur, tel qu’un article du New
England Journal of Medicine, sérieusement imprécis sur tout un ensemble
de points.
Cet article a fait l’impasse sur les zones les plus touchées par la
violence, à savoir Bagdad, Anbar et Ninive, et s’est appuyé sur les
données erronées d’IBC pour extrapoler sur ces régions. Il a également
imposé des « restrictions à caractère politique » sur la collecte et
l’analyse de données – les interviews ayant été menées par le ministère
irakien de la Santé, qui était « totalement dépendant de la puissance
occupante » et avait refusé de publier des données sur le nombre de
victimes irakiennes enregistré, sous la pression américaine.
En particulier, PSR a évalué les affirmations de Michael Spaget, John
Sloboda ainsi que d’autres professionnels qui ont remis en question les
méthodes de collecte de données de l’étude du Lancet, les accusant
d’être potentiellement frauduleuses. PSR a montré que ces allégations
étaient fallacieuses.
Les quelques « critiques justifiées », conclut PSR, « ne permettent
pas de remettre en cause dans leur ensemble les résultats des études
menées par le Lancet. Ces chiffres représentent toujours les meilleures
estimations actuellement disponibles. » Les résultats de l’étude
du Lancet sont également corroborés par les données d’une nouvelle étude
publiée dans la revue PLOS Medicine, qui est arrivée au chiffre de
500 000 victimes irakiennes causées par la guerre. Dans l’ensemble, PSR
conclut que le nombre le plus probable de victimes civiles en Irak de
2003 jusqu’à ce jour s’élève à environ un million.
L’étude de PSR ajoute à ce chiffre au moins 220 000 victimes en
Afghanistan et 80 000 au Pakistan, tuées directement ou indirectement à
cause de la guerre menée par les Etats-Unis, pour un total « prudent »
d’1,3 million de victimes. Le chiffre réel pourrait facilement atteindre
« plus de 2 millions ».
Pourtant, même l’étude menée par PSR comporte des limites.
Premièrement, la « guerre contre le terrorisme » post-11 septembre
n’était pas une nouveauté, mais simplement une extension des politiques
interventionnistes antérieures menées en Irak et en Afghanistan.
Deuxièmement, le sérieux manque de données concernant l’Afghanistan a
probablement conduit PSR à sous-estimer le nombre de morts en
Afghanistan dans son étude.
En Irak
La guerre en Irak n’a pas commencé en 2003, mais en 1991 avec la
première guerre du Golfe, qui a été suivie par le régime de sanctions
des Nations unies.
Une première étude du PSR, dirigée par Beth Daponte, alors démographe
au Bureau du recensement du gouvernement américain, est arrivée au
constat que le nombre de morts causées en Irak par l’impact direct et
indirect de la première guerre du Golfe s’élève à environ 200 000 Irakiens, principalement des civils. Son étude gouvernementale interne a été supprimée.
Après le retrait des forces dirigées par les Etats-Unis, la guerre en
Irak s’est prolongée sous une forme économique, à travers le régime de
sanctions des Nations unies imposé par les Etats-Unis et le Royaume-Uni,
sous le prétexte de refuser de fournir à Saddam Hussein les matériaux
nécessaires pour fabriquer des armes de destruction massive. Selon cette
logique, les articles interdits à l’Irak comprenaient un grand nombre
d’articles du quotidien indispensables.
Selon les chiffres incontestés de l’ONU, 1,7 million de civils
irakiens, dont la moitié était des enfants, sont morts à cause du régime
de sanctions brutal imposé par l’Occident.
Ces morts de masse semblaient délibérées. Parmi les articles
interdits par les sanctions de l’ONU figuraient des produits chimiques
et des équipements essentiels pour le système de traitement des eaux
irakien. Un document secret de la Defence Intelligence Agency (DIA)
américaine, découvert par le professeur Thomas Nagy de la School of
Business de l’université George Washington, a constitué selon ce dernier
« une première ébauche d’un génocide commis contre les Irakiens ».
Dans son article
pour l’Association of Genocide Scholars de l’université du Manitoba, le
Pr Nagi a expliqué que le document de la DIA révélait « dans les
moindres détails une méthode pleinement fonctionnelle visant à “dégrader
complètement le système de traitement de l’eau” de toute une nation »
sur dix ans. La politique de sanctions créerait « les conditions
propices à une large propagation de maladies, y compris d’épidémies à
très grande échelle », permettant ainsi de « liquider une partie
importante de la population irakienne ».
Cela signifie qu’en Irak uniquement, la guerre menée par les
Etats-Unis entre 1991 et 2003 a tué 1,9 million d’Irakiens, auxquels
s’ajoutent environ un million de victimes entre 2003 et aujourd’hui,
pour un total de presque 3 millions de victimes irakiennes en l’espace
de deux décennies.
En Afghanistan
L’estimation par PSR du nombre total de victimes en Afghanistan
pourrait également être très prudente. Six mois après la campagne de
bombardement de 2001, Jonathan Steele du journal The Guardian a révélé
que dans l’ensemble des zones, 1 300 à 8 000 Afghans ont été tués
directement, tandis que 50 000 autres morts évitables ont été causées
indirectement par la guerre.
Dans son livre Body Count: Global Avoidable Mortality Since 1950 (2007),
le Pr Gideon Polya a appliqué la même méthodologie que celle utilisée
par The Guardian aux données de mortalité annuelle de la Division de la
population des Nations unies afin de calculer des estimations plausibles
de la surmortalité. Biochimiste retraité ayant officié à l’université
de La Trobe, à Melbourne, Polya conclut que le total des victimes
afghanes évitables de la guerre en cours depuis 2001 et des privations
imposées par l’occupation s’élève à environ 3 millions de personnes,
dont environ 900 000 enfants de moins de cinq ans.
Bien que les conclusions du Pr Polya n’aient pas été publiées dans une revue universitaire, son étude réalisée dans l’ouvrage Body Count a
été recommandée par le Pr Jacqueline Carrigan, sociologue à
l’université d’Etat de Californie. Dans un compte rendu publié dans
Socialism and Democracy, revue diffusée par la maison d’édition
Routledge, le Pr Carrigan décrit le travail du Pr Polya comme étant
« une description riche en données de la situation globale de la
mortalité ».
Comme en Irak, l’intervention américaine en Afghanistan a commencé
bien avant le 11 septembre, sous la forme d’un soutien militaire,
logistique et financier apporté secrètement aux talibans à partir de
1992 environ. Cette aide américaine a servi d’élan à la conquête
violente par les talibans de près de 90 % du territoire afghan.
Dans un rapport publié en 2001 par l’Académie nationale des sciences
américaine, « Forced Migration and Mortality », Steven Hansch,
épidémiologiste éminent et directeur de Relief International, a noté que
la surmortalité en Afghanistan due aux impacts indirects de la guerre à
travers les années 1990 pourrait au total se situer entre 200 000 et
2 millions de victimes. Bien entendu, l’Union soviétique a également sa
part de responsabilité après avoir contribué à dévaster les
infrastructures civiles, ouvrant ainsi la voie à toutes ces morts.
En tout, cela indique que le nombre de morts total en Afghanistan liées aux impacts directs et indirects de l’intervention menée par les Etats-Unis du début des années 1990 jusqu’à aujourd’hui pourrait atteindre 3 à 5 millions de victimes.
Le déni des chiffres
Selon les chiffres explorés ici, le nombre total de victimes des
interventions occidentales en Irak et en Afghanistan depuis les années
1990 (directement par des massacres et suite à l’impact à long terme des
privations imposées par la guerre) s’élève probablement aux environs de
4 millions (2 millions en Irak de 1991 à 2003, puis 2 millions lors de
la « guerre contre le terrorisme ») et pourrait atteindre 6 à 8 millions
en prenant en compte les estimations plus élevées du nombre de morts
évitables en Afghanistan.
Ces chiffres pourraient être trop élevés, mais on ne le saura jamais
avec certitude. Les forces armées américaines et britanniques, dans le
cadre de leur politique, refusent de garder une trace du nombre de
victimes civiles des opérations militaires, qui constituent un
inconvénient superflu.
En raison du sérieux manque de données en Irak, de la quasi-absence
complète d’archives en Afghanistan et de l’indifférence des
gouvernements occidentaux vis-à-vis des victimes civiles, il est
littéralement impossible de déterminer la véritable ampleur des pertes
de vies humaines.
En l’absence même de toute possibilité de corroborer les calculs, ces
chiffres fournissent des estimations plausibles basées sur
l’application des normes de méthodologie statistique aux meilleures
données disponibles, même si celles-ci sont rares. Ces chiffres donnent
une indication, voire une description précise, de l’ampleur du
cataclysme.
Une grande partie de ces morts ont été justifiées dans le contexte de
la lutte contre la tyrannie et le terrorisme. Pourtant, grâce au
silence des grands médias, la plupart des gens n’ont aucune idée de
l’ampleur réelle de la longue vague de terreur provoquée en leur nom par
la tyrannie américaine et britannique en Irak et en Afghanistan.
Source : Nafeez Ahmed, pour Middle East Eye, le 8 avril 2015.
Papier fondamental de Nafeez Ahmed, publié en avril dernier. Rappelons que Nafeez Ahmed, est un politologue britannique et
journaliste d’investigation, qui travaille avec la BBC et le Guardian.
Il est le directeur de l’Institute for Policy Research and Development
de Brighton, et enseigne à l’université du Sussex. Il a été nominé en
2003 pour le prix Napoli, équivalent du Goncourt français.