Les attentats du 11 septembre n’ont été que le début de
l’effusion de sang et des violations éhontées de la loi visant à étendre
une autorité étatique injustifiable.
Il y a 14 ans, 2 996 personnes ont été tuées lorsque quatre avions
civils américains ont été détournés par des extrémistes d’al-Qaïda, un
premier s’écrasant contre le Pentagone et deux autres contre les tours
du World Trade Center.
Mais ce n’était que le début de l’effusion de sang.
Les attentats du 11 septembre ont annoncé une nouvelle ère de guerres
à l’échelle mondiale dans le but d’éradiquer l’extrémisme. Loin de
vaincre al-Qaïda, la « guerre contre le terrorisme » a vu l’ennemi
métastaser et former un mouvement autoproclamé « État islamique ».
Au cours de ce périple, nous avons assisté à l’effondrement de la primauté du droit : invasion illégale de l’Irak, fabrication de toutes pièces de renseignements sur des armes de destruction massive (ADM), assassinats extrajudiciaires, torture systématique (toujours employée), kidnappings organisés, détention illimitée et surveillance de masse à l’échelle mondiale.
Nous avons également assisté à des violations éhontées de la loi
visant à étendre une autorité étatique injustifiable en Occident :
érosion du principe d’habeas corpus, surveillance des citoyens
ordinaires, normalisation du profilage racial et criminalisation de la dissidence.
Combattre le feu par le feu
Les chiffres les
plus prudents indiquent que depuis le 11 septembre, la « guerre contre
le terrorisme » a tué environ 14 000 Afghans, 35 000 Pakistanais et
120 000 Irakiens, sans compter les morts indirectes causées par la
destruction d’installations de distribution d’électricité et d’eau,
d’assainissement et de soins de santé, ce qui fait au total
150 000 personnes. Cela équivaut à cinquante 11 septembre.
À l’autre extrême, une enquête portant sur des études
épidémiologiques majeures menées par Physicians for Social
Responsibility, groupe de médecins nobélisé, hisse le nombre de morts directes et indirectes à
environ 1,3 million de personnes. Ce qui représente quatre cents
11 septembre. Une autre étude basée sur les données de mortalité de la
Division de la population des Nations unies suggère que le nombre de
victimes peut s’élever à quatre millions, soit plus de mille
11 septembre.
Le nombre de victimes continue de croître. Une étude réalisée
en août par Airwars, projet de journalisme à but non lucratif, est
arrivée à la conclusion prudente que les frappes de la coalition contre
l’État islamique avaient tué plusieurs centaines de civils (peut-être
plus d’un millier) au cours de la première année des opérations.
Les drones, usine à terrorisme
Cette semaine, le gouvernement a annoncé que deux militants
britanniques de l’État islamique, Reyaad Khan et Ruhul Amin, ont été
tués le 21 août par une frappe de drone britannique en Syrie. Toutefois,
le mois précédent, les journaux britanniques avaient annoncé à tort la mort de Khan suite à une attaque de drone américain, reprenant des témoignages locaux.
Reprieve,
groupe juridique de défense des droits de l’homme, rapporte que trois
attaques de drones sont en moyenne nécessaires pour assassiner une cible
répertoriée dans la « kill list ». Combien d’autres ont été tués par
erreur par des drones britanniques dans le but de tuer Khan ?
L’an dernier, une étude de
Reprieve a conclu que les efforts déployés par les Américains dans le
but d’assassiner 41 cibles à l’aide d’attaques de drones avaient
entraîné la mort de 1 147 personnes, soit 28 inconnus assassinés pour
chaque personne suspectée de terrorisme, dont des femmes et des enfants.
Même le général Michael T. Flynn, ancien haut responsable des
services de renseignement militaire d’Obama, reconnaît les griefs
légitimes selon lesquels les massacres dont les drones sont à l’origine produisent plus d’extrémistes qu’ils n’en tuent.
L’approvisionnement en armes de groupes à l’origine du 11 septembre
Flynn a dirigé la Defense Intelligence Agency (DIA) du Pentagone de 2012 à 2014. Aujourd’hui, il confirme qu’en
août 2012, la DIA avait signalé à la Maison Blanche que la montée de
l’État islamique était une conséquence directe du soutien de l’Occident,
des pays du Golfe et de la Turquie à al-Qaïda et aux rebelles syriens
affiliés.
Étant donné le rôle joué par le gouvernement britannique dans cette
politique d’incubation de Britanniques de la trempe de Khan, la réticence officielle face à la « kill list » n’a rien de surprenant.
En juin, les tribunaux britanniques ont cherché à poursuivre Bherlin
Gildo, ressortissant suédois qui a été accusé d’avoir participé à un
camp d’entraînement extrémiste en Syrie, où il aurait reçu une formation
sur le maniement des armes, et de détenir des informations sur des
extrémistes.
Lors des audiences préliminaires, le procureur de la Couronne, Riel
Karmy-Jones, a déclaré à la cour que de 2012 à 2013, Gildo avait
travaillé avec le Front al-Nosra, le « groupe interdit considéré comme étant al-Qaïda en Syrie », dont de nombreux adeptes ont ensuite rejoint l’État islamique.
Le procès s’est effondré lorsque l’équipe de défense de Gildo a
souligné qu’il avait rejoint un groupe anti-Assad (le Front al-Nosra)
qui avait reçu un soutien du gouvernement britannique, fourni en partie
par le biais d’une « rat line », un réseau officieux d’approvisionnement en armes de la CIA et du MI6 facilité par al-Qaïda et allant de la Libye à la Syrie.
Un racket en l’échange d’une protection
Le recours plus ou moins abusif de l’Occident aux militants islamistes n’a rien d’un fait nouveau.
En juillet, dans un entretien avec L’Humanité,
Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité à la
Direction générale de la sécurité extérieure française (DGSE), a décrit
la « guerre contre le terrorisme » comme une « imposture » dissimulant
une « alliance militaire » qui se noue entre « les pays occidentaux et
les parrains financiers du djihad ».
Interrogé au sujet de l’idéologie islamiste et de ses États mécènes tels que l’Arabie saoudite et le Qatar, Chouet a répondu :
« Au Moyen-Orient, au Sahel, en Somalie, au Nigeria, etc., [nous
sommes engagés dans des confrontations militaires avec les mêmes types
de groupes terroristes islamistes. Or,] nous sommes alliés avec ceux qui
sponsorisent depuis 30 ans le phénomène terroriste. »
Ainsi, contrairement au récit officiel de l’assaut contre Oussama ben Laden, plusieurs sources des services de renseignement américains confirment
que l’occupation par ben Laden d’une résidence à Abbottabad (Pakistan)
entre 2006 et 2011 a eu lieu sous la protection de l’Inter Services
Intelligence (ISI) pakistanaise, avec un financement de la famille
royale saoudienne.
Simultanément, les États-Unis ont négocié une opération secrète
conjointe avec l’Arabie saoudite à travers le prince Bandar ben Sultan (alias Bandar Bush),
qui dirigeait alors le Conseil de sécurité nationale, pour financer des
islamistes affiliés à ben Laden, afin de tenter de repousser l’influence
régionale de l’Iran chiite.
Cette stratégie secrète a
été corroborée par les conclusions présidentielles et par d’anciens
responsables, dont Alastair Crooke, officier retraité du MI6 en fonction
pendant 30 ans, et John Hannah, ancien conseiller à la sécurité
nationale du vice-président Dick Cheney.
La brigade de Bandar
Pourtant, les États-Unis savaient que le prince Bandar était lié aux
attentats du 11 septembre, selon des fuites dans la presse au sujet des
célèbres 28 pages classifiées du rapport de l’enquête du Congrès publié en 2002.
Dans son livre Intelligence Matters (2004), le sénateur Bob Graham, vice-président de la commission d’enquête, évoque une
note top-secrète de la CIA concernant deux pirates de l’air du
11 septembre, Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi, qui conclut qu’il y
avait « des preuves irréfutables qu’il existe un soutien pour ces
terroristes au sein du gouvernement saoudien ».
Al-Mihdhar et al-Hazmi ont été « manipulés » aux États-Unis par
plusieurs ressortissants saoudiens entretenant des liens étroits avec
des responsables du gouvernement saoudien, qui ont reçu au total
plusieurs dizaines de milliers de dollars en chèques de banque (environ
3 500 dollars par mois) de la part du prince Bandar et de son épouse, la
princesse Haïfa bint Fayçal. La princesse Haïfa a prétendu plus tard
que l’argent versé représentait des dons de bienfaisance, bien que le
sénateur Graham et la CIA aient clairement estimé le contraire.
L’administration Obama, au mépris des revendications des familles de
victimes du 11 septembre désireuses de déclassifier les 28 pages, a
encore une fois tiré profit du prince Bandar à l’occasion de l’assaut de
2011 contre ben Laden. Les États-Unis avaient fait appel à lui les mois précédant l’assaut pour les aider à négocier l’accord stratégique avec le Pakistan qui a conduit à l’opération d’Abbottabad.
La CIA et ben Laden
L’actuelle relation entre l’Arabie saoudite et al-Qaïda est magistralement documentée dans The Eleventh Day (2012), un livre d’Anthony Summers et Robbyn Swan, journalistes de Vanity Fair.
Dès 1995, ont-ils rapporté, la famille royale saoudienne a versé des
« paiements de protection » à ben Laden, à la condition qu’il ne prenne
pas le royaume pour cible. L’accord a été négocié par le chef des
services de renseignement de l’époque, le prince Turki al-Fayçal.
Selon le quotidien Le Figaro, des sources des services de
renseignement français ont révélé que deux mois avant le 11 septembre,
sous le patronage du prince Turki, ben Laden avait été transféré par avion à l’hôpital américain de Dubaï pour un problème de reins, où le chef d’al-Qaïda a rencontré des responsables de la CIA.
Malgré les réfutations de Washington, Summers et Swan ont obtenu des
confirmations intrigantes de cette histoire, de la part de sources
crédibles qui ont « décrit la visite de façon indépendante, en détail et
en même temps ».
Ils ont aussi interviewé Alain Chouet, qui dirigeait le service de
renseignement de sécurité à la DGSE au moment de la réunion présumée :
« Chouet a-t-il donné du crédit au discours sur la prise de contact à
Dubaï ? “Oui”, a-t-il répondu. La DGSE avait-elle connaissance à
l’époque de la rencontre entre des officiers de la CIA et ben Laden ?
“Oui”, a affirmé Chouet. “Avant le 11 septembre, a-t-il observé. Ce
n’était pas un scoop pour nous, cela ne nous a pas surpris.” »
La guerre du pipeline
Chouet a indiqué à Summers et Swan que la rencontre entre la CIA et
ben Laden avait pour but de persuader le chef d’al-Qaïda « de ne pas
s’opposer aux négociations de Berlin » avec les talibans. S’il
acceptait, il pouvait « rentrer en Arabie saoudite avec une grâce
royale, sous la garantie et le contrôle de Turki », et les États-Unis
étaient prêts à « abandonner leurs efforts visant à le traduire en
justice » pour les attentats précédents.
À Berlin, l’administration Bush avait menacé les
talibans d’une guerre s’ils ne respectaient pas les exigences
américaines, qui comprenaient des plans pour l’installation d’un pipeline pétrolier et gazier transafghan qui transporterait les ressources de la mer Caspienne vers les marchés asiatiques, un projet qu’Obama a récemment essayé de relancer. Les négociateurs américains ont également voulu que
les talibans élargissent leur régime répressif pour inclure des
factions d’opposition dans le but de créer de la « stabilité » pour le
pipeline.
D’après Chouet, ben Laden a rejeté la proposition des États-Unis,
tout comme les talibans. Une note d’al-Qaïda de 1998 obtenue par le FBI a
montré que ben Laden avait une parfaite connaissance des négociations
sur les pipelines en cours entre les États-Unis et les talibans.
En effet, dans les années 1990, l’administration Clinton avait fourni une
aide militaire et financière aux talibans par l’intermédiaire des
services de renseignement saoudiens et pakistanais pour soutenir la
conquête de l’Afghanistan par le mouvement, tout cela dans le but de
faciliter le projet de pipeline.
L’ami de mon ennemi est toujours mon ami
L’étendue de la complicité du Pakistan avec l’extrémisme de ben Laden a été documentée dans un addendum secret
au rapport de la Commission du 11 septembre, demandé par son directeur
exécutif Philip Zelikow trois mois avant la publication, mais qui est
arrivé trop tard pour y être inclus.
S’appuyant sur des sources pakistanaises sensibles, les auteurs de l’addendum sont arrivés à la conclusion que
les officiers supérieurs de l’ISI avaient eu connaissance à l’avance
des attentats du 11 septembre et protégeaient ben Laden au Pakistan, et
que Pervez Musharraf avait personnellement approuvé son traitement rénal
dans un hôpital militaire près de Peshawar.
Comme les 28 pages classifiées, ces conclusions restent étouffées par le gouvernement américain.
Pourquoi les États-Unis, tout en déclenchant de nouveaux 11 septembre
à travers le monde, supportent-ils donc ces mêmes régimes qui sont
derrière les attentats du 11 septembre 2001 ?
Parce que cette « guerre contre le terrorisme » est une énorme
fiction.
En réalité, le terrorisme est le prix de cette attitude
consistant à continuer comme si de rien n’était, et les États-Unis sont
prêts à le payer.
***
Source : Nafeez Ahmedpour Middle East Eye, le 17 septembre 2015.
- Nafeez Ahmed est un
journaliste anglais d’investigation et auteur à succès. Titulaire d’un doctorat,
il s’est spécialisé dans les questions de sécurité internationale,
examinant ce qu’il appelle les « crises de civilisation ».