Un Su 24
russe vient d’être abattu à la frontière turco-syrienne, par un missile turc.
Il s’agit là d’un acte délibéré puisque l’ordre en a, semble-t-il, été donné
par le premier ministre turc – ce qui est à peu près conforme aux usages dans
ce type de situation.
À la guerre
sur le terrain et à son prolongement médiatique vient donc s’ajouter
brutalement une guerre des nerfs. En effet, il n’a pu échapper à personne
que la nature même de la guerre en Syrie a complètement changé depuis le 30
septembre dernier, début de l’intervention russe en Syrie, depuis l’attentat
contre un avion de ligne russe au dessus du Sinaï, depuis les attentats de
Paris qui ont déclenché une psychose européenne, laquelle d’ailleurs se
superpose au choc migratoire dont – étonnement – une certaine presse qui en
vantait les mérites est subitement devenue silencieuse.
Avec
l’intervention russe a pu notamment être mis en évidence le rôle de boutefeu
dans la crise syrienne de la part de certains pays, les plus dangereux
d’entre-eux étant aussi les plus proches des États-Unis : Turquie, Arabie saoudite, et Israël.
Ils restent en effet les plus acharnés à vouloir par tous les moyens abattre le
président syrien. Ces trois pays n’en feraient cependant rien s’ils n’avaient
les États-Unis comme bouclier protecteur. Rien cependant ne permet d’affirmer
qu’ils agissent en total accord avec eux. Le contraire est plutôt vrai dans la
mesure où ils sont peu contrôlables (Israël) et qu’ils disposent pour deux d’entre eux (Israël, Arabie) de puissants relais d’influence à l’intérieur même du système US, et que le
troisième (Turquie) exerce un chantage direct aux migrants sur l’Europe. Depuis les
accord de Vienne US – Iran qui replace ce dernier au centre du jeu, ils sont
devenus encore plus nerveux.
La question
que posait une intervention russe à laquelle rien ne semblait pouvoir
militairement s’opposer était de savoir de quel côté tomberaient finalement ces
pays : soit « avec » la Russie, contre leur gré mais pour préserver leur
situation intérieure, soit « contre » la Russie mais en priant sainte mère de
Kazan qu’une fois encore l’Occident viendrait les soutenir et les protéger.
La réaction
turque indique désormais sans conteste qu’ils sont « contre ».
Mais est-ce habile de leur part ?
C’est la Turquie qui la première a perdu ses nerfs.
Ce tir missile, outre qu’il engage nommément la responsabilité d’un premier ministre, est en quelque sorte la réaction face à un Vladimir Poutine qui, au sommet du G20 d’Antalya, accuse nommément la Turquie de soutenir les terroristes, notamment en favorisant leur financement par le pétrole syrien. Mais il n’y a plus encore. La Turquie est aussi désigné comme étant la base logistique des terroristes ainsi que la gare de triage sécurisée de ceux d’entre eux qui – venant de partout – rejoignent la Syrie ou la quittent.
Mais est-ce habile de leur part ?
C’est la Turquie qui la première a perdu ses nerfs.
Ce tir missile, outre qu’il engage nommément la responsabilité d’un premier ministre, est en quelque sorte la réaction face à un Vladimir Poutine qui, au sommet du G20 d’Antalya, accuse nommément la Turquie de soutenir les terroristes, notamment en favorisant leur financement par le pétrole syrien. Mais il n’y a plus encore. La Turquie est aussi désigné comme étant la base logistique des terroristes ainsi que la gare de triage sécurisée de ceux d’entre eux qui – venant de partout – rejoignent la Syrie ou la quittent.
Évidemment,
ces révélations de moins en moins contestées malgré le rempart médiatique,
placent ce pays dans une situation international particulièrement délicate
au-delà des solidarités.
Un autre
élément explique la réaction turque. C’est le fait que la frontière
turco-syrienne est devenue un des enjeux essentiels des combats tels qu’ils évoluent
sur le terrain. D’une part, les États-Unis, Israël et probablement la France
sont soupçonnés de vouloir y établir un Kurdistan [1], de l’autre la Turquie veut
verrouiller ce qu’il en reste encore pour préserver les voies
d’approvisionnement sans lesquels la résistance terroriste s’écroule.
Les choses
ont donc le mérite de s’éclaircir. Par ailleurs, les attentats étant devenu le
« salaire de la peur », les habituelles voix occidentales – officielles ou
médiatiques – si promptes habituellement à vitupérer la Russie, vont désormais
devoir réfléchir avant de tenir n’importe quel propos.
« On ne sort
de l’ambiguïté qu’à son détriment » disait le maître florentin
Mitterrand : voilà qui résume désormais la posture turque.
Que les
guerriers salonnards ressentent désormais la peur d’une guerre généralisée
n’est au fond que parfaitement normal. En revanche, l’armée russe ne pouvait
pas ignorer l’occurrence d’un aéronef abattu. La guerre sans perte, seuls des
occidentaux peuvent y croire encore. Le cas de figure était donc prévu puisque
inévitable, et pourquoi pas d’une certaine manière provoqué ? Si tel était
le cas, alors l’opération est stratégiquement payante.
Que permet-elle ?
Que permet-elle ?
En procédant
ainsi, la Turquie espère l’appui US/Otan sous la forme d’un engagement militaire
ferme. La démonstration qu’il s’agit là d’une illusion pourrait être le but
recherché. En effet, il ne saurait être question du moindre soldat US au sol,
surtout en période électorale, car c’est désormais le gage d’un échec annoncé.
Il faudrait en effet ne pas oublier les échecs répétitifs de l’Afghanistan, de
l’Irak ou d’ailleurs.
Un
confrontation dans les airs apparaît tout aussi improbable dans la mesure où la
Russie vient de montrer qu’elle est devenue sur ce plan particulièrement
redoutable. Nous n’avons pas ici le temps de le démontrer mais
l’armée US est désormais surclassée à bien des égards au plan technologique [2]. Le
laisser voir lui serait insupportable.
L’Otan, qui
n’est qu’un bras armé des US, dispose d’encore moins de capacités pour intervenir
elle-même [3]. Par conséquent, hormis des paroles verbales de la part de
ses alliés, la Turquie n’a que peu à en attendre. Dans le cas inverse – il
faut toujours prévoir le pire – autrement dit si la tension guerrière monte
réellement, alors la Chine viendra à se ranger naturellement aux cotés de son
allié russe. Voilà qui devrait donc calmer bien des ardeurs. Par conséquent, le
calcul des risques, au centre de toute véritable stratégie, paraît ici très
correct.
De l’autre
coté d’une ligne de front qui désormais se précise, il devient inversement
inévitable que la résolution de la question terroriste, par delà la question
syrienne, exige désormais la neutralisation des trois pays pré-précités
s’agissant du soutien ouvert ou secret qu’ils apportent aux terroristes. Si
l’intensité du conflit est montée d’un cran, la répartition des risques
parmi les acteurs a également changé. Pour faire court, l’acteur US forcé à
l’inaction de fait – évidemment il compensera par la voix – aura pour effet de
précipiter la crise intérieure, politique, économique et sécuritaire de ces
pays du simple fait de la crainte d’une rétorsion russe qui viendra, mais dont
on ignore le comment et le où. C’est aussi ça la guerre :
l’incertitude.
À ce stade
où la situation est devenue très complexe, l’éventail des possibles reste
cependant ouvert, y compris des retournements voir des reniements, mais pas de
guerre généralisée. Les occidentaux en seraient d’ailleurs les principales
victimes. Que celui qui se demande pourquoi, s’interroge sur l’efficacité
militaire réelle d’un porte-avion contre des bandes terroristes !
Lee Trusk
– Le 24 novembre 2015
– Le 24 novembre 2015
Lee Trusk est
analyste américain en stratégie et prospective. Après une carrière dans la Défense,
au contact de l’armement, des opérations, du renseignement et de la pratique
stratégique, il a exercé une activité de consultant indépendant dans les
domaines de la prospective et de la stratégie, mais telle qu’elle doit se
pratiquer, ainsi qu’une participation à diverses lettres d’information. Il
rédige actuellement une thèse sur les conflits actuels et à venir.