Une fabuleuse enquête de Maxime Chaix sur la Syrie…à lire absolument !
Le mythe de l’« inaction » militaire occidentale contre le régime syrien.
Ces derniers mois, le secrétaire à la Défense Ashton Carter et le
général Lloyd Austin – qui dirige les opérations du Pentagone au
Moyen-Orient et en Asie centrale –, ont tous deux reconnu l’échec du
programme de formation de rebelles « modérés » pour lutter contre Daech
en Syrie. Monsieur Carter a d’abord affirmé devant le Congrès des
États-Unis que seulement 60 combattants avaient été formés dans le cadre
de cette opération, lancée en 2014 et budgétée à hauteur de 500
millions de dollars ; (1) puis le général Austin a estimé que seuls « 4
ou 5 » hommes entraînés par les militaires états-uniens étaient alors
actifs sur le terrain. (2) À la suite d’un ultime revers, ce programme
d’entraînement a été « suspendu » puis « réduit » en octobre 2015. (3)
La presse internationale est donc unanime sur l’échec de cette
politique. Néanmoins, il est possible que les chiffres ridicules avancés
par le Pentagone aient eu un impact majeur sur l’opinion publique
mondiale, que cet effet soit recherché ou non. En d’autres termes, ils
ont certainement contribué à renforcer le mythe de l’« inaction »
militaire des États-Unis et de leurs alliés occidentaux pour renverser
Bachar el-Assad. (4)
Or, bien que les puissances de l’OTAN et leurs alliés n’aient pas
lancé de guerre ouverte contre ce régime, je vais analyser
l’implication massive, illégale et clandestine de
la CIA dans la déstabilisation de la Syrie, cette politique profonde
ayant mobilisé différents services spéciaux moyen-orientaux et
occidentaux. (5) Aujourd’hui, nous n’avons aucune idée précise de
l’ampleur de cette intervention de l’Agence dans cette guerre civile.
Cependant, d’après un article du Washington Post publié en juin 2015, la CIA a mené depuis 2013 contre le régime el-Assad « l’une [de ses] plus grandes opérations clandestines »,
dont le financement annuel avoisine le milliard de dollars. (6) D’après
ce journal, cette intervention secrète – qui aurait notamment permis de
former 10 000 rebelles –, s’inscrit dans un « plus vaste effort de plusieurs milliards de dollars impliquant l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie »,
c’est-à-dire les trois États notoirement connus pour soutenir les
factions extrémistes en Syrie. (7) Bien qu’il ait officiellement démarré
à l’automne 2013, (8) nous verrons que l’engagement de la CIA dans ce
pays avait été lancé en janvier 2012, et qu’il trouve ses origines
profondes en 2011, dans le contexte trouble de la guerre de l’OTAN en
Libye. (9) Ainsi, je décrirai ce qui s’apparente à une guerre secrète multinationale contre
le régime syrien, les opérations de la CIA et de ses alliés étant
distinctes du programme lancé en 2014 par le Pentagone afin de former
des combattants pour lutter contre Daech. (10)
L’objectif de cet article n’est pas de défendre le régime el-Assad et ses soutiens étrangers, qui partagent une lourde responsabilité dans
cette guerre civile meurtrière. (11) Néanmoins, je souhaite démontrer
que les principales puissances occidentales – essentiellement les
États-Unis, la Grande-Bretagne et la France –, en sont militairement
coresponsables du fait de leurs politiques profondes en Syrie. (12) Le
but de cet article n’est pas non plus d’établir une vérité historique
encore impossible à déterminer. En effet, j’étudierai essentiellement
des opérations clandestines, qui sont protégées par le secret-défense et
qui ne sont en principe pas revendiquées par les États qui en sont à
l’origine. Or, ces actions confidentielles font parfois l’objet de
fuites dans la presse, ou de confirmations officielles plutôt rares et
bien souvent imprécises. Ainsi, en me basant sur des informations
recoupées, je tenterai de démontrer que l’« inaction » militaire
occidentale contre le régime syrien est un mythe entretenu
par les médias (13) et les États clandestinement engagés dans ce
conflit. Ce mythe déresponsabilise ces gouvernements, puisqu’il leur
permet de nier, de déformer ou de minimiser l’ampleur de leurs
interventions secrètes dans cette guerre civile (14) – notamment en rejetant la faute de l’essor de Daech et d’al-Qaïda en Syrie sur leurs alliés turcs et pétromonarchiques.
Du fait du caractère confidentiel de leurs opérations, mon article
relèvera de la « Politique profonde », telle que définie par l’auteur et
ancien diplomate Peter Dale Scott :
l’étude de « l’ensemble des pratiques et des dispositions politiques,
intentionnelles ou non, qui sont habituellement refoulées dans le
discours public plus qu’elles ne sont admises. » (15)
Malgré sa clandestinité et la confusion qui en résulte, je tenterai
de démontrer en quoi cet engagement massif de la CIA et de services
spéciaux alliés dans la déstabilisation de la Syrie pourrait être
considéré comme une guerre secrète de grande ampleur, à l’image des
politiques profondes de l’Agence au Nicaragua et en Afghanistan dans les
années 1980. Et j’expliquerai en quoi cette intervention de la CIA et
de ses partenaires a favorisé la montée en puissance de réseaux
islamistes que l’Occident est censé combattre, parmi lesquels Daech et
le Front al-Nosra, c’est-à-dire la branche syrienne d’Al-Qaïda. Mais
avant de développer ces arguments, analysons pourquoi le rôle des
États-Unis et de leurs alliés occidentaux dans la guerre en Syrie est
refoulé, déformé ou minimisé – donc globalement incompris.
Derrière l’« inaction » occidentale, une guerre secrète à grande échelle
Le 21 août 2013, la Ghouta de Damas est frappée par une attaque
chimique faisant des centaines de morts, la « ligne rouge » décrétée par
le Président Obama en 2012 étant tragiquement franchie. Affirmant
détenir des preuves de la culpabilité du régime de Bachar el-Assad,
Obama annonce une intervention militaire « punitive » et « limitée »,
qui aurait en fait été planifiée par son état-major pour être une « frappe monstrueuse ».
(16) L’année suivante, une étude du prestigieux Massachusetts Institute
of Technology (MIT) montrera que les tirs de roquettes chimiques
provenaient d’une zone contrôlée par les rebelles. (17) Cette même
année, le grand reporter Seymour Hersh relayera les accusations d’un
haut responsable du Renseignement états-unien, qui affirma sous couvert
d’anonymat que les services spéciaux turcs, via le Front al-Nosra,
auraient perpétré cette attaque chimique pour susciter une intervention
militaire directe des États-Unis et de leurs alliés contre le régime
el-Assad. (18)
Malgré le franchissement de sa « ligne rouge », le Président Obama
décida au dernier moment de demander l’approbation du Congrès pour
lancer ces frappes, (19) ce vote ayant été repoussé puis annulé du fait
de l’initiative russe de désarmement chimique. En analysant ce
revirement, le spécialiste de la Syrie Fabrice Balanche expliqua que
l’opposition frontale de la Russie à cette intervention aurait incité
Washington à renoncer à attaquer directement le régime el-Assad. (20)
Seymour Hersh affirma quant à lui qu’Obama fût dissuadé par son
état-major de déclencher les hostilités, ces généraux craignant un
embrasement généralisé du Moyen-Orient en cas d’intervention. (21)
Quelles qu’en soient les raisons, ce recul présidentiel a renforcé de facto la
perception erronée du rôle de l’Occident dans le conflit syrien,
puisque les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne ne sont pas
intervenus directement, c’est-à-dire ouvertement, dans cette guerre civile.
Or, quelques jours après le revirement d’Obama annoncé le 31 août 2013, le Washington Post rapporta
que les services spéciaux des États-Unis « commençaient » à armer les
rebelles en Syrie, ce qui était en fait le cas depuis janvier 2012. (22)
Néanmoins, les déclarations contradictoires sur la nature « létale » ou
« non-létale » du soutien accordé aux rebelles « modérés » se
succèderont, semant le trouble dans l’opinion publique et les
médias. (23) Quoi qu’il en soit, l’option de l’intervention militaire
directe fut abandonnée au profit de l’intensification d’une guerre
secrète multinationale, qui trouve ses origines en 2011. (24)
Depuis cette année-là, Washington et ses partenaires occidentaux ont
pu dissimuler l’ampleur réelle de leur engagement clandestin dans ce qui
est devenu l’échiquier géopolitique syrien. J’ai détecté trois
principales raisons expliquant pourquoi cette guerre secrète de la CIA
et de ses alliés contre le régime el-Assad est incomprise, refoulée ou
ignorée.
1. La clandestinité, donc la confidentialité
Coordonnées depuis des États limitrophes (Jordanie et Turquie), (25)
et impliquant de nombreux pays hostiles à Bachar el-Assad, (26) les
activités de la CIA visant la Syrie sont peu et mal documentées. Le fait qu’elles soient classifiées empêche les dirigeants états-uniens d’en exposer les détails, comme l’avait rapporté le Guardian en
2014. (27) Leur caractère clandestin est donc une source majeure de
confusion, puisque les médias manquent d’informations et les
responsables à Washington en parlent peu, et de façon imprécise ou
trompeuse. (28) Il en va de même en France et en Grande-Bretagne. (29)
Des sources autorisées, dont Hillary Clinton, ont affirmé que le
Président Obama avait refusé d’armer les rebelles en 2012, (30) passant
sous silence les trafics d’armes clandestins de la CIA lancés en janvier
de cette année-là avec le Qatar, la Turquie, l’Arabie saoudite et le
MI6 britannique. (31) Comme nous le verrons, ces opérations illégales de
l’Agence se sont intensifiées en 2013, et elles ont approvisionné
« presque exclusivement » des factions jihadistes. (32) Plus récemment,
le sénateur John McCain a confirmé que la CIA était active en Syrie,
mais il n’a donné aucun détail sur ces opérations. (33) D’autres sources
gouvernementales de haut niveau, comme le Vice-président Joe Biden ou
l’ancien chef d’états-majors interarmées Martin Dempsey, (34) ont
désigné leurs alliés moyen-orientaux comme les financeurs des
extrémistes sur le territoire syrien, omettant le fait que la guerre
secrète de la CIA dans ce pays a impliqué jusqu’à présent (35)
ces mêmes partenaires. Enfin, l’une des principales sources de
confusion a été le Président Obama lui-même, puisqu’il a publiquement
mis en doute l’efficacité des politiques de la CIA visant à soutenir
clandestinement les insurrections – donnant ainsi la fausse impression
de ne pas avoir lancé de guerre secrète contre el-Assad en Syrie. (36)
Il s’avère également que, depuis 2012, la plupart des articles de
presse ont décrit une intervention limitée et inefficace de l’Agence.
(37) Or, tout en alimentant cette notion d’« inefficacité », le Washington Post a
révélé en juin 2015 que le coût annuel des opérations de la CIA en
Syrie s’élevait à environ un milliard de dollars depuis 2013, et qu’au
moins 10 000 rebelles auraient été formés par l’Agence. (38) En
septembre 2014, des journalistes de McClatchyDC.com
estimaient qu’environ 40 000 combattants étaient alors soutenus par les
États-Unis et leurs alliés, en se basant notamment sur des informations
du principal commandant de l’Armée Syrienne Libre (ASL). (39) Toujours
d’après leWashington Post, ce programme clandestin de
la CIA est cofinancé par un nombre indéterminé de milliards de dollars
supplémentaires fournis par ses alliés turcs, saoudiens et qataris,
qui soutiennent notoirement des groupes jihadistes sur le terrain. (40)
Ces informations, que nous étudierons en détail, ne peuvent que
bouleverser notre perception de l’engagement des États-Unis et de leurs
partenaires dans la guerre en Syrie, et c’est le principal objectif de
cet article.
2. Les rebelles « modérés »
Autre source majeure de confusion : il ne peut être remis en question
que la CIA et des services spéciaux occidentaux ont clandestinement
armé et soutenu l’opposition décrite comme « modérée » depuis 2011, en
coopérant avec leurs alliés moyen-orientaux. (41) Avant d’analyser cette
notion controversée de « modération », affirmons d’emblée que
l’engagement clandestin de la CIA et de ses alliés dans ce pays n’est
pas le seul facteur de la montée en puissance des groupes extrémistes
dans cette guerre civile. En effet, le principal expert du terrorisme au
sein de la « CIA privée » (42) Stratfor écrivait dès janvier 2013 que,
« [d]ans le paysage chaotique de l’opposition syrienne, la convergence des objectifs et l’efficacité au combat des jihadistes ont fait en sorte que ces groupes attirent un grand nombre de nouvelles recrues. Mais ce ne fut pas le seul facteur de la radicalisation des rebelles syriens. Tout d’abord, la guerre – et en particulier un conflit brutal et interminable –, tend à radicaliser les combattants qui y sont impliqués. Songez à Stalingrad, aux luttes de la guerre froide en Amérique centrale, ou aux épurations ethniques dans les Balkans à la suite de la dissolution de la Yougoslavie ; ce degré d’adversité et de souffrance transforme des personnes neutres en extrémistes. En Syrie, nous avons observé de nombreux musulmans laïcs devenir des jihadistes intransigeants. Ensuite, le manque d’espoir pour une intervention occidentale a supprimé tout élan en faveur d’un ancrage laïc de l’opposition. » (43)
L’auteur de cet article ajouta néanmoins que, « lorsque ces
facteurs idéologiques furent associés à l’introduction [massive]
d’argent et d’armements pour soutenir des groupes jihadistes en Syrie
l’année dernière, [c’est-à-dire en 2012], la croissance de ces milices
s’est dramatiquement accélérée. Aujourd’hui, ces dernières ne
sont pas seulement un acteur majeur sur le champ de bataille, mais elles
sont également une force qu’il va falloir prendre en compte à
l’avenir. » (44) Cette analyse, sur laquelle nous reviendrons, montrait
dès janvier 2013 que les factions extrémistes allaient poser problème
sur le long terme, comme en Afghanistan depuis les années 1980. Par
ailleurs, elle décrivait déjà une guerre secrète multinationale en
Syrie, qui alliait « Washington et Riyad » avec « des États européens »
et « des puissances régionales telles que la Turquie, la Jordanie, le
Qatar et les Émirats Arabes Unis ». (45) Cependant, les principales
puissances occidentales ont toujours affirmé soutenir des rebelles
« modérés », et non des milices jihadistes.
Or, en observant deux précédents historiques, la « modération » des
groupes armés durant les guerres secrètes de la CIA a été
systématiquement invoquée par les autorités et les médias grand public.
Le 4 mai 1983, alors qu’il abordait la question du soutien des Contras
au Nicaragua, le « Président Reagan déclara (…) que [c]es groupes
d’insurgés recevant de l’aide clandestine de la part de [la CIA] étaient
des “combattants de la liberté” s’opposant à un
gouvernement qui avait trahi ses principes révolutionnaires ». (46) À
l’époque, cette expression « combattants de la liberté » était aussi
utilisée par la presse et par l’administration Reagan pour décrire les
moudjahidines soutenus par l’Agence en Afghanistan. (47) Or, ces
derniers et leur réseau de soutien – le Maktab al-Khadamat (MAK) géré
par Abdullah Azzam et Oussama ben Laden –, deviendront les talibans et
al-Qaïda dans les années 1990. (48) Par ailleurs, les Contras
commettront de nombreuses exactions dans la guerre secrète de la CIA au
Nicaragua. (49) Aujourd’hui, les médias et les gouvernements occidentaux
continuent d’affirmer que les rebelles soutenus par l’Agence et ses
alliés en Syrie sont des « modérés ». Or, la prédominance de factions
jihadistes dans l’opposition armée ne fait plus aucun doute.
Allant plus loin dans ce raisonnement, de nombreux experts ont
affirmé que la distinction entre les « extrémistes » et les « modérés »
dans le conflit syrien n’existait plus. En septembre 2014, l’ancien
représentant au Congrès Dennis Kucinich avait rédigé cette analyse
percutante pour critiquer le programme de formation du Pentagone
aujourd’hui interrompu :
« Écrivant sur la connexion entre l’Arabie saoudite et l’État Islamique (EI), l’historien [et ancien officier du MI6] Alastair Crooke a récemment décrit les insurgés “modérés” en Syrie comme étant “plus rares que la licorne des légendes”. Les “modérés” ont conclu un pacte de non-agression avec l’EI. Les “modérés” ont capturé [James Foley,] un journaliste états-unien [,] et l’ont vendu à l’EI, qui l’a décapité. L’Arabie saoudite qui, avec le Qatar, a financé les jihadistes en Syrie, propose désormais de “former” les rebelles. Le Congrès est prié d’avaler cette recette douteuse : les sponsors des jihadistes radicaux vont former des jihadistes “modérés”. (…) Les soi-disant “rebelles” sont des mercenaires qui viennent de plus de 20 pays. Ils s’organisent et se réorganisent constamment en nouveaux groupes, qui offrent leur allégeance à quiconque les paye ou leur fournit des armes – et ce à tout moment. » (50)
Récemment, le grand reporter et spécialiste du Moyen-Orient Richard
Labévière a écrit que l’ASL « n’existe plus que sur le papier »,
expliquant que les rebelles « modérés » avaient été absorbés par le
Front al-Nosra. (51) Peu après le lancement de l’intervention russe en
Syrie, le célèbre journaliste d’investigation Gareth Porter a affirmé
que l’opposition modérée – en tant que force offensive menaçant le
régime el-Assad –, n’était qu’un mythe, s’étonnant que les médias continuent de présenter les rebelles appuyés par l’Agence comme des « modérés ». (52)
Or, après les premières frappes russes, le sénateur John McCain a
déclaré que l’« Armée Syrienne Libre ou des groupes (…) armés et
entraînés par la CIA » avaient été ciblés ; (53) en France, le ministre
des Affaires étrangères Laurent Fabius a critiqué la Russie pour avoir
frappé « des résistants », (54) malgré de sérieux doutes sur la
modération des combattants actuellement soutenus par les États-Unis et
leurs partenaires dans ce conflit. Par exemple, l’expert Alain Rodier a
déclaré au Figaro qu’il était « tout à fait exact de dire que
les Russes frappent à 80 % des mouvements autres que Daech. Il faut
uniquement rajouter que la plupart dépendent d’al-Qaïda, vous
savez, cette organisation à la base des attentats du 11 septembre 2001,
de 2004 à Madrid et de 2005 à Londres… » (55)
Ainsi, cette distinction entre les « modérés » et les « extrémistes »
est de plus en plus discutable, n’étant pas claire depuis le début de
ce conflit. En effet, selon le Washington Post, de nombreux
combattants « modérés » et affiliés à l’Armée Syrienne Libre (ASL) ont
rejoint les rangs du Front al-Nosra ou de Daech après avoir été armés
et/ou entraînés par des forces spéciales et des services secrets
occidentaux, initialement en Libye. (56) En outre, certains des
principaux commandants rebelles soutenus par les États-Unis ont affirmé
transmettre des armes à ces deux organisations extrémistes, ou
entretenir de bons rapports avec celles-ci. (57) D’après Charles Lister,
un expert de la Brookings Institution pourtant hostile au régime de
Bachar el-Assad, (58) « [l]a grande majorité de l’insurrection
syrienne s’est étroitement coordonnée avec al-Qaïda depuis le milieu de
l’année 2012 – ce qui a eu un impact considérable sur le terrain ». (59)
À cette époque, en juillet 2012, le prince Bandar était nommé à la
tête des services spéciaux saoudiens, ce qui avait été analysé par la
plupart des experts comme un signe de durcissement de la politique
syrienne de l’Arabie saoudite. (60) Surnommé Bandar Bush du fait de sa
proximité avec la dynastie présidentielle du même nom, il était
ambassadeur à Washington à l’époque des attaques du 11-Septembre. Depuis
plusieurs années, cet homme intimement lié à la CIA (61) est accusé par
l’ancien sénateur de Floride d’avoir soutenu certains des pirates de
l’air désignés coupables de ces attentats. (62) Jusqu’à ce qu’il soit
poussé vers la sortie en avril 2014, le Guardian souligna que
« Bandar avait dirigé les efforts saoudiens visant à mieux coordonner
les livraisons d’armes aux rebelles combattant el-Assad en Syrie.
Néanmoins, il a été critiqué pour avoir soutenu des groupes islamistes
extrémistes, risquant ainsi le même “retour de bâton” que celui des
combattants saoudiens d’Oussama ben Laden rentrant au pays après le
jihad contre les Soviétiques en Afghanistan dans les années 1980 – une
guerre sainte qui avait été autorisée officiellement. » (63)
En août 2012, quelques semaines après la nomination du prince Bandar à
la tête des services saoudiens, Reuters révélait que le Président Obama
avait signé un décret classifié autorisant une intervention clandestine
prétendument « non-létale » de la CIA en Syrie. (64) Or, plusieurs
sources convergentes ont indiqué que des opérations d’approvisionnement
en armes avaient été lancées dès janvier 2012 par le général David
Petraeus, (65) qui dirigeait alors la CIA. Aujourd’hui « à la retraite »
dans un fonds d’investissement de Wall Street (KKR), ce dernier a
publiquement exhorté l’administration Obama de soutenir des transfuges d’al-Qaïda pour
combattre Daech. (66) À l’évidence, l’Agence et ses partenaires ont
mené des politiques particulièrement troubles en Syrie, qui ont
considérablement aggravé ce conflit.
En 2014, un parlementaire états-unien avait déclaré sous couvert d’anonymat que la CIA était « bien consciente que
de nombreuses armes fournies [par l’Agence] avaient terminé dans de
mauvaises mains. » (67) En octobre 2015, l’éminent expert de la Syrie,
Joshua Landis, affirma qu’« entre 60 et 80 % des armes que les
États-Unis ont introduites [dans ce pays] sont allées à al-Qaïda et les
groupes qui lui sont affiliés ». (68) Or, cette politique
clandestine et multinationale de soutien à l’insurrection s’est
poursuivie jusqu’à présent, et elle n’a cessé de s’intensifier. La
comparant à la guerre secrète de la CIA en Afghanistan, l’éditorialiste
Michel Colomès a écrit que les « Américains et [les] Français, depuis
l’entrée de la Russie dans la guerre syrienne, fournissent des armes à
des islamistes réputés fréquentables. Ils ont la mémoire courte. » (69)
D’après le Washington Post, le député au Congrès Adam Schiff a indiqué en novembre 2014 avoir été « troublé par (…) l’exaspération des factions prétendument modérées vis-à-vis
des frappes états-uniennes contre des positions d’al-Nosra, suggérant
que les milices soutenues par les États-Unis considèrent cette
organisation affiliée à al-Qaïda comme un allié contre le Président
syrien Bachar el-Assad, et non comme un adversaire ». (70) Il a
également déclaré être au courant que l’« opposition modérée se liguait
avec al-Nosra ». (71) Ainsi, des sources parlementaires confirment que
les États-Unis et leurs alliés ont consciemment soutenu
des factions pas aussi « modérées » qu’elles nous ont été décrites par
les médias, mais aussi par les dirigeants ayant imposé le renversement
de Bachar el-Assad comme une priorité stratégique. (72)
3. La multinationalité et le « déni plausible »
Le caractère multinational des opérations anti-Assad a aussi été une
source majeure de confusion. Tout d’abord, bien que de nombreux services
occidentaux et moyen-orientaux aient été conjointement impliqués dans
ce conflit, il reste difficile de penser cette guerre secrète sous un
angle multinational. En effet, les médias et les
spécialistes ont eu tendance à dissocier les politiques syriennes des
différents États clandestinement engagés dans la déstabilisation de la
Syrie. Il est vrai que le renoncement des États-Unis à intervenir
directement a suscité de vives tensions diplomatiques avec la Turquie et
l’Arabie saoudite. (73) Par ailleurs, l’hostilité du roi Abdallah à
l’égard des Frères musulmans a engendré des dissensions majeures entre,
d’un côté, le royaume saoudien et, de l’autre, le Qatar et la Turquie –
ces tensions s’étant atténuées après l’intronisation du roi Salmane en
janvier 2015. (74)
Du fait de ces divergences, les politiques syriennes des États
hostiles au régime el-Assad ont été trop peu analysées sous leur angle
multinational. Plus exactement, les opérations occidentales ont été
dissociées de celles des pays moyen-orientaux. Or, les services spéciaux
de ces différents États ont mené jusqu’à présent des actions communes et coordonnées,
dans l’opacité abyssale de la classification. En janvier 2012, la CIA
et le MI6 ont lancé des opérations clandestines d’approvisionnement en
armes des rebelles entre la Libye, la Turquie et la Syrie, avec de
l’aide et des financements turcs, saoudiens et qataris. (75) Comme nous
l’avons souligné précédemment, il s’est avéré que ces armements ont été
livrés « presque exclusivement » à des factions jihadistes, selon le
parlementaire britannique Lord Ashdown. (76) D’après le grand reporter
Seymour Hersh, « [l]’implication du MI6 a permis à la CIA de se
soustraire à la loi en classant sa mission comme une opération de liaison. »
(77) Les actions de l’Agence en Syrie sont-elles mieux contrôlées
aujourd’hui ? La question reste ouverte, mais la doctrine du « déni
plausible » traditionnellement mise en œuvre par la CIA pourrait être un
élément de réponse. (78)
En commentant la complexe affaire de Benghazi, un ancien expert du
contre-espionnage à la CIA nommé Kevin Shipp souligna que, « dans les
opérations de trafic d’armes que l’Agence souhaite pouvoir démentir,
elle implique en général une tierce partie. “Le mode opératoire de la
CIA nécessite un ‘intermédiaire’, donc on obtient du Qatar [qu’il]
achemine les armes tout en lui facilitant le transport.
Ainsi, la tierce partie sera tenue pour responsable [si l’opération est
divulguée]”. » (79) Même si ce mode opératoire tend à brouiller les
pistes, le rôle central de la CIA dans cette guerre secrète
multinationale ne fait plus de doute. En octobre 2015, le New York Times expliqua que
« [l]es missiles antichars TOW de fabrication américaine ont fait leur apparition dans la région en 2013, à travers un programme clandestin [de la CIA] mené par les États-Unis, l’Arabie saoudite et d’autres alliés. Celui-ci vise à aider des groupes d’insurgés “sélectionnés” par l’Agence à combattre le gouvernement syrien. Ces armes sont livrées sur le terrain par des alliés des Américains, mais les États-Unis approuvent leur destination [– des autorisations qui sont en fait “implicites”, comme nous le verrons]. (…) Des commandants rebelles ont éclaté de rire lorsqu’on les a questionnés sur la livraison de 500 TOW en provenance d’Arabie saoudite, déclarant qu’il s’agissait d’un nombre ridicule comparé à ce qui est réellement disponible. En 2013, l’Arabie saoudite a commandé [à Washington] plus de 13 000 [TOW]. » (80)
Sans surprise, cet article limite le soutien états-unien à des
rebelles « modérés », et le rôle de l’Agence dans les opérations de
guérilla n’y est même pas évoqué. Or, l’Arabie saoudite, avec le Qatar
et la Turquie, sont généralement accusés de soutenir al-Qaïda en Syrie,
et nous verrons que la CIA coordonne ses opérations avec ces mêmes
partenaires depuis deux centres de commandement situés sur les
territoires turcs et jordaniens. Dans le cadre de ce programme
multinational, des missiles antichars de fabrication états-unienne ont
été livrés à al-Qaïda par des partenaires étrangers de la CIA.
En effet, selon le journaliste Gareth Porter, « [l]a campagne d’Idleb
[au printemps 2015] a été une conséquence directe d’une décision
politique de l’Arabie saoudite et du Qatar – approuvée par les États-Unis –,
de soutenir la création de l’“Armée de la Conquête” et de lui fournir
du nouveau matériel militaire, qui fut un facteur crucial dans cette
campagne : le missile antichars TOW. » (81) Il faut alors souligner que
l’« Armée de la Conquête » est une coalition de milices majoritairement
islamistes, dont l’une des principales forces est le Front al-Nosra, qui
est la branche syrienne d’al-Qaïda. (82)
À la suite de l’entrée en guerre de la Russie, un ancien conseiller du Pentagone a confirmé au Washington Post que
le recours à des partenaires étrangers impliquait le « déni
plausible », ce qui permet de couvrir les opérations de la CIA en
Syrie : « Fabriqués par Raytheon, les missiles [TOW] proviennent
principalement des stocks du gouvernement saoudien, qui en avait acheté
13,795 en 2013 (…) Puisque les accords de vente nécessitent que
l’acheteur informe les États-Unis de leur destination finale, l’approbation [de Washington] est implicite,
selon Shahbandar, un ancien conseiller du Pentagone. D’après lui,
aucune décision n’est requise de la part de l’administration Obama pour
que ce programme puisse continuer. “II n’y a pas besoin d’un feu vert
américain. Un feu orange est suffisant”. “Il s’agit d’un [programme] clandestin et il peut techniquement être démenti, mais c’est le propre des guerres par procuration.” »
(83) Ainsi, la doctrine du « déni plausible », qui implique des tierces
parties sur lesquelles on peut rejeter la faute, semble expliquer
pourquoi le rôle de la CIA et de ses alliés occidentaux dans cette
guerre secrète est refoulé, déformé ou minimisé.
Récemment, cette application de la doctrine du « déni plausible » par
l’Agence dans cette guerre civile a été confirmée par l’expert
britannique Nafeez Ahmed : « Les États-Unis ont fui leur responsabilité
dans [le conflit syrien] en ayant recours à la plus traditionnelle des
opérations de maquillage des faits : rendre leurs dénégations plausibles en rejetant la faute sur les autres.
Depuis 2012, le programme d’approbation des rebelles, géré
clandestinement par la CIA, est mis en œuvre en dehors de la Syrie, dans
des pays partenaires comme l’Arabie saoudite, le Qatar, la Jordanie et
la Turquie. Bien que les membres de la CIA et de l’armée américaine supervisent le
programme, ils se fondent principalement sur les “renseignements” des
pays alliés pour “l’approbation” des rebelles. » (84) Dans un contexte
aussi trouble et opaque, l’engagement de l’Agence et de ses alliés
occidentaux est officiellement limité au soutien de rebelles
« modérés », alors que leurs partenaires moyen-orientaux sont
continuellement accusés d’appuyer les extrémistes sur le terrain. Or,
ces différents services spéciaux collaborent étroitement afin
de combattre le régime de Bachar el-Assad. Le fait que si peu de
journalistes et d’experts aient souligné ce paradoxe me semble pour le
moins alarmant.
Au contraire, les médias et les spécialistes ont eu tendance à
différencier les actions clandestines des États du Moyen-Orient de
celles des puissances occidentales. Or, nous avons vu que, dès janvier
2013, la société privée de renseignement Stratfor décrivait une guerre secrète multinationale en
Syrie, qui alliait « Washington et Riyad » avec « des États européens »
et « des puissances régionales telles que la Turquie, la Jordanie, le
Qatar et les Émirats Arabes Unis ». (85) Et les opérations
multinationales de la CIA se sont intensifiées à partir de 2013, (86)
malgré le scepticisme affiché par le Président Obama sur l’efficacité
des politiques de soutien clandestin aux insurrections. (87)
Par conséquent, j’ai développé une vision plus inclusive et globale
des ingérences anti-Assad, qui ont été organisées dans les arcanes
confidentiels et mal contrôlés des services spéciaux. (88) Au vu des
informations disponibles, j’ai pu déterminer que le gouvernement des
États-Unis et ses partenaires avaient bel et bien lancé, dès 2011, (89)
une guerre secrète multinationale en Syrie. Étant illégale et
clandestine, cette intervention de l’Agence et de ses alliés est mal
comprise et insuffisamment documentée. Par ailleurs, des obstacles
juridiques et moraux pourraient expliquer la discrétion de Washington et
de ses partenaires sur ces opérations, et notamment la sous-traitance
de celles-ci aux services turcs, qataris et saoudiens – qui montrent
moins de scrupules à soutenir directement des milices
islamistes. (90) Ainsi, la spectaculaire montée en puissance de Daech et
d’al-Qaïda dans le conflit syrien semble avoir été grandement
encouragée par cette politique clandestine et multinationale, bien que
l’extension correspondante du chaos islamiste ait été anticipée dès 2012
par le Renseignement militaire du Pentagone (DIA). (91)
Une guerre secrète multinationale coordonnée depuis la Jordanie et la Turquie
En août dernier, j’ai étudié les révélations du général Michael Flynn
sur Al-Jazeera, en soulignant qu’elles n’avaient pas été relayées par
les médias français. (92) Ancien directeur de la DIA, le général Flynn a
confirmé qu’en 2012, la Maison Blanche savait que le « noyau dur » de
la rébellion en Syrie était extrémiste, et que le soutien multinational à
ces groupes pourrait engendrer l’émergence d’un « État Islamique »
entre l’Irak et ce pays. (93) Or, le général Flynn n’a pas démenti les
accusations du journaliste d’Al-Jazeera, qui affirma à plusieurs
reprises durant son interview qu’en 2012, «les États-Unis
aidaient [la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite] à coordonner les
transferts d’armes vers [des] groupes (…) salafistes, les Frères
musulmans [et] al-Qaïda en Irak » afin de déstabiliser la
Syrie. (94) Il semble même avoir confirmé ces allégations, qui se
basaient sur un rapport déclassifié de la DIA. (95) Sollicité durant
l’écriture de cet article, le général Flynn n’a pas répondu à mes
demandes de clarification.
Pour contextualiser cette interview, j’avais reproduit un argument
clé de Nafeez Mosaddeq Ahmed, selon lequel « la CIA a été directement
impliquée dans la gestion de ces réseaux d’approvisionnement rebelles.
(…) [D]es responsables américains du renseignement militaire (96) [ont]
supervis[é] la fourniture d’armes et l’aide des États du Golfe et de la
Turquie [aux rebelles en Syrie], à partir des mêmes centres de
commandement opérationnel dans le Sud de la Turquie et en Jordanie, qui
continuent d’être coordonnés conjointement par les services de
renseignement occidentaux et arabes. » (97) Bien que Nafeez
Ahmed soit un spécialiste mondialement reconnu, un ami m’a fait
remarquer que cet argument était insuffisamment documenté. Or, dans un
article plus récent, le Dr. Ahmed a cité Charles Lister, un expert de la
prestigieuse Brookings Institution. En mai dernier, cet analyste
confirma que les États-Unis dirigent des opérations de guérilla depuis
deux centres de commandement multinationaux en Turquie et en Jordanie.
Et d’après cette source crédible, à partir du printemps 2015, les services spéciaux états-uniens ont appuyé directement des forces islamistes :
« En public, la ligne officielle consiste à dire que la stratégie de l’Arabie saoudite, du Qatar et de la Turquie ne finance pas directement le Front al-Nosra, bien que cette coalition géopolitique ait conscience que ce groupe bénéficiera du soutien apporté à des factions islamistes rebelles.
En privé, de nombreux commandants de la rébellion en charge de l’opération (…) menée à Idleb [au printemps 2015] ont déclaré à Charles Lister, [un expert de la] Brookings Institution, “que la salle d’opérations dirigée par les États-Unis au sud de la Turquie, qui coordonne les approvisionnements d’aide létale et non-létale à des groupes d’opposition sélectionnés [par la CIA], a servi à faciliter [l’]engagement [des islamistes] dans cette opération à partir de début avril [2015]. Ces dernières semaines, ce centre de commandement, ainsi qu’un autre en Jordanie, qui couvre le Sud de la Syrie, semblent avoir considérablement intensifié leur aide et leurs transferts de renseignements à des groupes jugés non extrémistes [par la CIA]”.
En d’autres termes, la branche officielle d’al-Qaïda en Syrie, et une autre milice étroitement liée à [cette nébuleuse terroriste], faisaient partie des factions “modérées” et “triées sur le volet” qui ont reçu des armes et du soutien de la part d’États du Golfe et de la Turquie, sous la supervision de personnel des renseignements militaires états-uniens sur le terrain. » (98)
Sollicité durant l’écriture de cette analyse, Nafeez Ahmed m’a
indiqué que l’expression « personnel des renseignements militaires » des
États-Unis désignait des officiers de la CIA collaborant avec le JSOC,
le commandement des opérations spéciales du Pentagone. Ainsi, l’Agence
et ses partenaires états-uniens et étrangers ont « facilité » au
printemps 2015 les offensives des factions « islamistes » dans la
province d’Idleb.
Nafeez Ahmed et Charles Lister désignent en fait l’Armée de la
Conquête, une coalition de groupes jihadistes créée et soutenue par le
Qatar, l’Arabie saoudite et la Turquie au premier trimestre 2015. (99)
Cette milice allie le Front al-Nosra et le groupe Ahrar al-Sham, une
force rebelle salafiste fréquemment décrite comme « modérée ». (100)
Précédemment, nous avons souligné que cette coalition extrémiste
recevait, essentiellement par l’entremise de l’Arabie saoudite, des
missiles TOW de fabrication états-unienne – dans le cadre d’un programme clandestin de la CIA.
Il semblerait donc que ces livraisons d’armes aient été coordonnées
depuis ces « salles d’opérations » en Turquie et en Jordanie. Dans son
article, Nafeez Ahmed a rapporté d’autres révélations alarmantes de
Charles Lister sur ces politiques profondes : (101)
« “Bien que ces centres d’opérations multinationaux aient d’abord demandé que les bénéficiaires des aides militaires cessent leur coordination directe avec des groupes tels que le Front al-Nosra”, écrivit Lister, “les dynamiques récentes à Idleb nous amènent à un constat différent. En effet, non seulement ces livraisons d’armes à des groupes soi-disant ‘triés sur le volet’ se sont multipliées, mais ces centres de commandement ont spécifiquement encouragé une plus étroite collaboration avec des islamistes commandant les opérations sur le front” [, les missiles TOW étant un élément essentiel de ces offensives (102)]. »
Contacté durant l’écriture de cet article, Charles Lister n’a pas
répondu à mes sollicitations, sachant que je lui avais demandé la
localisation de ces centres de commandement multinationaux. Néanmoins,
la base opérationnelle de la CIA en Jordanie est située à Amman, selon
différentes sources de la presse grand public, dont le New York Times. (103) À ma connaissance, l’existence de ce centre de commandement – plus connu sous l’acronyme MOC, pour Military Operations Center –, avait été révélée en décembre 2013. (104)
De plus, nous savons depuis juillet 2012 qu’une autre salle
d’opérations multinationale avait été mise en place dans la ville
d’Adana, au sud de la Turquie. (105) Par la suite, deux autres centres
de ce type ont été créés à Istanbul puis à Ankara. (106) Or, sachant que
Monsieur Lister a fait référence à une « salle d’opérations dirigée par
les États-Unis au sud de la Turquie », il est possible que ce « centre
névralgique » soit celui d’Adana – ville qui abrite également une base
aérienne de l’OTAN. Par ailleurs, bien que la CIA soit officiellement en
charge de superviser les opérations clandestines des États-Unis en
Syrie, des forces spéciales et des services secrets occidentaux
participent à ce conflit de l’ombre, en étroite collaboration avec leurs
homologues turcs, qataris, saoudiens, jordaniens et israéliens – voire
avec d’autres agences. (107) Depuis 2013, cet engagement profond de la
CIA et de ses alliés dans la guerre civile en Syrie s’est
considérablement intensifié, et nous commençons tout juste à en mesurer
l’ampleur. (108)
En Syrie, « l’une des plus grandes opérations clandestines » de la CIA
Contrairement au mythe de l’« inaction » occidentale contre le régime
de Bachar el-Assad, la CIA a été massivement impliquée en Syrie, dans
le cadre d’une intervention clandestine subventionnée par des budgets
classifiés, mais également étrangers. Or, ces financements extérieurs et
les milliards de dollars qu’ils mobilisent ne sont pas supervisés par
le Congrès US, cette institution n’ayant pas le pouvoir d’exercer son
contrôle sur des politiques ou des budgets étrangers. (109) Selon le Washington Post, ce programme de la CIA a été cofinancé par le gouvernement des États-Unis à hauteur d’environ un milliard de dollars par an depuis 2013 ;
et cette politique s’est inscrite jusqu’à présent dans un « effort de
plusieurs milliards de dollars impliquant l’Arabie saoudite, le Qatar et
la Turquie », officiellement pour soutenir une coalition « modérée »
depuis la Jordanie. (110)
Or, comme l’avons vu précédemment, de telles opérations sont
également coordonnées par la CIA depuis le Sud de la Turquie, et elles
impliquent actuellement les milices extrémistes de l’Armée de la
Conquête. Le Washington Post n’a pas fait le lien avec ces
actions dans le Nord de la Syrie, mais il a confirmé le caractère
multinational de l’intervention de la CIA. Essentiellement, le volume de
dépenses avancé par ce journal tend à confirmer une véritable guerre
secrète, qui implique notamment « la gestion d’un vaste réseau
logistique utilisé pour déplacer des combattants, des munitions et des
armes à travers [la Syrie]. » Voici donc un extrait de cet important
article :
« Récemment, la Commission de la Chambre des Représentants sur le Renseignement a voté à l’unanimité pour supprimer jusqu’à 20 % des fonds classifiés alimentant un programme [secret] de la CIA, que certains hauts responsables états-uniens ont décrit comme l’une des plus grandes opérations clandestines de l’Agence, dotée d’un budget avoisinant le milliard de dollars par an. (…) Le coût de ce programme de la CIA n’avait pas été dévoilé auparavant ; et ces chiffres nous montrent à quel point l’attention et les ressources de l’Agence ont été redirigées vers la Syrie. Financées à hauteur d’un milliard de dollars [par an], les opérations liées à ce pays représentent un dollar sur quinze dans le budget général de la CIA, à en juger par les niveaux de dépenses révélés dans des documents obtenus par le Washington Post grâce à l’ancien consultant des renseignements états-uniens Edward Snowden. (…)
La CIA a refusé de commenter ce programme et son budget. Mais des hauts responsables états-uniens ont défendu l’ampleur de ces dépenses, déclarant que cet argent finançait bien plus que des salaires et des armes, et qu’il entrait dans le cadre d’un plus vaste effort de plusieurs milliards de dollars impliquant l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie pour soutenir une coalition de milices regroupées sous le nom de “Front du Sud” de l’Armée Syrienne Libre.
La majorité de cet argent dépensé par la CIA est dédiée au fonctionnement de camps d’entraînements secrets en Jordanie, à la collecte de renseignements pour soutenir les opérations des milices appuyées par l’Agence, ainsi qu’à la gestion d’un vaste réseau logistique utilisé pour déplacer des combattants, des munitions et des armes à travers ce pays. » (111)
Comme je l’ai indiqué précédemment, les articles de presse et les
déclarations publiques sur l’implication de la CIA en Syrie en ont
presque systématiquement minimisé l’ampleur. (112) Or, cet engagement a
été récemment décrit par leWashington Post comme l’une des priorités budgétaires de l’Agence.
Et comme l’a révélé cet article, un nombre indéterminé de milliards de
dollars provenant de « l’Arabie saoudite, [du] Qatar et [de] la
Turquie » cofinancent ce programme. Il est néanmoins surprenant que le Post ait
attribué ces budgets au seul soutien d’« une coalition de milices
regroupées sous le nom de “Front du Sud” de l’Armée Syrienne Libre »,
tout en évoquant un « un vaste réseau logistique utilisé
pour déplacer des combattants, des munitions et des armes à travers [la
Syrie] ». (113) Par ailleurs, cet article n’évoque pas le centre de
commandement de la CIA basé au sud de la Turquie, dont nous avons étudié
les opérations récentes impliquant al-Qaïda. Contactés durant
l’écriture de cette analyse, les deux journalistes à l’origine de ces
révélations du Washington Post n’ont pas répondu à mes demandes.
Néanmoins, leurs informations nous confirment l’existence d’une
opération clandestine de grande ampleur, qui implique les trois États
notoirement connus pour soutenir les groupes extrémistes dans ce
conflit. Loin de nous permettre d’en tirer des conclusions définitives,
ces révélations soulèvent des questions dérangeantes sur les politiques
profondes de la CIA et de ses alliés en Syrie, en particulier si l’on
prend en compte la doctrine du « déni plausible » étudiée précédemment.
Les précédents afghans et nicaraguayens
Récemment, la collaboration du MI6 avec des groupes jihadistes en
Syrie a été reconnue par la justice britannique. (114) Dans l’Hexagone,
deux députés de l’opposition ont dénoncé le rôle trouble des services
spéciaux français dans ce conflit, l’un d’entre eux ayant même déclaré
que « la France soutient al-Qaïda en Syrie ». (115) En janvier 2012,
« trois mois et demi après que l’administration [Obama] eut annoncé pour
la première fois une “aide non-létale” à l’opposition [en Syrie], la
CIA commença à faciliter des livraisons aéroportées d’armements à la
rébellion. En mars 2013, 160 vols étaient recensés et “environ 3,500
tonnes d’équipement militaire” avaient été livrés aux rebelles. La CIA
aida les “gouvernements arabes à acheter ces armes”, et “enquêta sur les
commandants rebelles et leurs groupes afin de déterminer lesquels
devaient recevoir ces armements lorsqu’ils arrivaient à destination.” »
(116)
Or, quelques mois après ces révélations, le parlementaire britannique
Lord Ashdown dénonça le fait que ces armements livrés « avec l’aide »
de la CIA étaient destinés à des jihadistes en Syrie.
D’après lui, « “[ces rebelles] n’ont pas besoin d’armes. Il n’a pas été
démenti que 3 500 tonnes d’armes avaient été livrées depuis la Croatie
avec l’aide de la CIA. Financés par les Qataris, financés par les
Saoudiens, [ces armements] sont allés presque exclusivement vers les groupes les plus extrémistes”, déclara l’ancien haut représentant international en Bosnie lors d’un débat [parlementaire]. » (117)
Ainsi, à partir de l’année 2012, nous pouvions déjà parler d’une
intervention clandestine multinationale à grande échelle – sur le modèle
de l’Afghanistan dans les années 1980. En janvier 2013, le principal
expert en terrorisme de la « CIA privée » Stratfor déclara que « le
niveau d’ingérence extérieure en Syrie [était] comparable à celui
observé contre l’URSS et ses alliés communistes à la suite de
l’intervention soviétique en Afghanistan. Les soutiens étrangers [–
désignés comme étant “les États-Unis, la Turquie, l’Arabie saoudite, le
Qatar et des États européens” –,] fournissent non seulement des
entraînements, des renseignements et de l’aide, mais également des armes
– des armes exogènes qui rendent évidents ces
approvisionnements extérieurs. Par ailleurs, il est intéressant de
constater que deux des principaux soutiens externes en Syrie sont
Washington et Riyad, bien qu’ils soient alliés dans ce pays avec des
puissances régionales telles que la Turquie, la Jordanie, le Qatar et
les Émirats Arabes Unis, plutôt qu’avec le Pakistan [– en référence à la
guerre secrète de la CIA, de l’ISI pakistanaise et du GID saoudien en
Afghanistan dans les années 1980]. » (118)
Ainsi, dès le début de l’année 2013, l’une des principales firmes
mondiales de renseignement privé comparait cet ensemble d’actions
clandestines en Syrie à la guerre secrète menée par la CIA en
Afghanistan dans les années 1980. Or, ces opérations se sont
intensifiées cette même année 2013, lorsque la Maison Blanche a révélé à
la presse le lancement d’un programme de soutien « létal » à
l’insurrection, et ce malgré les mises en garde des juristes de la
présidence. En effet, selon The New Republic,
« l’administration Obama envisagea d’armer et d’entraîner des rebelles syriens [officiellement en 2013]. (119) À cette époque, les conseillers juridiques de la Maison Blanche incitèrent le Président Obama à agir discrètement, car cette politique pouvait potentiellement violer le Droit international. Bien qu’Obama en appelait fréquemment au départ de Bachar el-Assad, les États-Unis n’étaient pas en guerre contre la Syrie. El-Assad était encore le leader souverain de ce pays, et aider les rebelles reviendrait à soutenir une insurrection. Ces juristes mirent en garde [l’administration Obama] sur le fait que cette intervention s’apparenterait à la politique de soutien des Contras menée sous la présidence Reagan dans les années 1980 – une [intervention] que la Cour Internationale de Justice qualifia de “violation [des] obligations internationales [des États-Unis,] en vertu des normes coutumières du Droit international imposant de ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures d’un autre État.” Par conséquent, Obama a discrètement œuvré via la CIA, qui collaborait avec des alliés du Golfe tels que le Qatar et l’Arabie saoudite. » (120)
Cette discrétion de l’administration Obama tend à expliquer la
confusion qui règne autour de cette guerre secrète, qui est donc
illégale par essence. À l’image des opérations de la CIA au Nicaragua,
en Afghanistan et dans bien d’autres pays, la vérité historique sur ces
interventions clandestines sera difficile à établir. (121) À l’heure
actuelle, l’ampleur et la nature de l’engagement de l’Agence et de ses
partenaires en Syrie restent impossibles à déterminer. Cette confusion a
été alimentée par les innombrables déclarations trompeuses des
États-Unis et de leurs alliés occidentaux sur les aides accordées à
l’insurrection, qui se limitaient officiellement à un soutien
« non-létal » de l’insurrection – du moins jusqu’à l’automne 2013 et le
revirement inattendu du Président Obama. Quoi qu’il en soit, cette
guerre secrète multinationale reste une guerre à part entière –
déstabilisante, insidieuse, ultraviolente et meurtrière. De ce fait, les
gouvernements occidentaux qui l’ont alimentée ne peuvent continuer de
fuir leur coresponsabilité dans ce drame, en accablant aussi bien leurs
ennemis syriens, russes et iraniens que leurs alliés turcs et
pétromonarchiques. (122)
La diplomatie doit et peut triompher des politiques profondes
À travers les informations analysées dans cet article, j’ai tenté de
démonter la persistance et l’intensification, depuis 2011, d’une guerre
secrète multinationale en Syrie. Cette intervention clandestine a
impliqué des États occidentaux et moyen-orientaux, ces derniers
appuyant ostensiblement des milices jihadistes. (123)
D’après différentes sources, cette guerre secrète de la CIA a été
coordonnée jusqu’à présent depuis deux centres de commandement dirigés
par les États-Unis, et elle pourrait être la principale raison de
l’intervention russe. (124) Par ailleurs, comme nous l’avons démontré,
la « modération » des principales forces soutenues par les puissances
occidentales et leurs partenaires en Syrie est une notion de plus en
plus discutable. Quoi qu’il en soit, ces politiques profondes ont
alimenté décisivement un chaos islamiste qui s’est imposé comme l’une
des premières menaces globales. (125) Dans ce contexte périlleux,
sachant que la Russie tente d’enrayer militairement ce processus, il
faut impérativement éviter que les Syriens ne subissent un état de
guerre permanent, à l’instar des Afghans depuis le lancement de la
guerre secrète de la CIA en 1978. (126) En Occident, d’anciens
militaires de haut rang, comme le général Vincent Desportes ou le
général Michael Flynn, ont décrit l’intervention russe en Syrie comme
une démarche qu’il fallait soutenir pour contrer le péril islamiste.
(127)
Par conséquent, il est indispensable d’expliquer à l’opinion publique
qu’aujourd’hui, les puissances occidentales et leurs alliés soutiennent
en priorité l’Armée de la Conquête – une coalition extrémiste coagulée
autour d’al-Qaïda. Et il nous faut comprendre que la démarche
russe, certes non dénuée d’intérêts, vise avant tout à empêcher la
destruction complète de l’État syrien et le chaos islamiste encouragé
par les politiques profondes de la CIA et de ses alliés. En
particulier, il faut nous libérer du manichéisme imposé par les médias
et saisir enfin toute la complexité de la situation tragique que subit
le peuple syrien. En effet, bien que Bachar el-Assad, soutenu dès le
début de cette guerre civile par Moscou et Téhéran, partage une lourde responsabilité dans
ce drame humain, le dénoncer comme étant la seule et unique cause des
exodes massifs et des centaines de milliers de morts engendrés par ce
conflit brutal est une dangereuse illusion. (128) D’après l’ancien
ambassadeur belge en Syrie Philippe Jottard,
« [o]n compte quatre à cinq millions de réfugiés installés dans les pays limitrophes de la Syrie. Ceux d’entre eux qui prennent la route de l’Europe proviennent pour une part, mais pas seulement, de Turquie après qu’ils aient été chassés de chez eux par les combats. L’opposition en rend responsable les bombardements aériens menés par l’armée sur les zones rebelles alors que, selon Bachar el-Assad, les Occidentaux sont seuls responsables de la crise des migrants en raison de leur soutien au “terrorisme”. Quant aux déplacés internes qui constituent la moitié de la population restée au pays (soit huit millions et demi de déplacés), ils se sont réfugiés dans les zones gouvernementales devant l’avance des groupes rebelles. Ceci n’en fait pas nécessairement des partisans de Bachar el-Assad, mais à choisir ils préfèrent la sécurité fournie par l’armée régulière. Environ 60% de la population totale se trouvent encore dans les territoires sous contrôle du régime. Les revers récents subis par les forces loyalistes affaiblies par plus de quatre ans de guerre en dépit de l’aide fournie par leurs alliés russes, iraniens, chiites irakiens et libanais font craindre non pas leur effondrement, mais que des avancées majeures des rebelles terrifient la population et lancent une partie de celle-ci sur les routes de l’exil. » (129)
La réalité syrienne est donc bien plus complexe que ne l’affirment
les promoteurs intransigeants d’un renversement de Bachar el-Assad,
alors que les politiques profondes de la CIA et de ses alliés appuient
al-Qaïda en Syrie. À la suite des premières frappes russes contre cette
organisation, les gouvernements des États-Unis, de la France, de la
Grande-Bretagne et de l’Allemagne ont cosigné une déclaration commune
avec le Qatar, la Turquie et l’Arabie saoudite. (130) Or, nous avons vu
que ces trois États sont à l’origine de la création de l’Armée de la
Conquête en Syrie – une politique discrètement approuvée et soutenue par Washington.
(131) Comme nous l’avons indiqué, il s’agit d’une coalition de milices
liées ou affiliées à al-Qaïda, qui constituait depuis le printemps
dernier la principale menace contre le régime el-Assad. (132)
Essentiellement, le fait que ce communiqué associe les quatre premières
puissances occidentales avec les trois États unanimement désignés comme
les soutiens d’al-Qaïda en Syrie a choqué bien peu d’observateurs, alors
que les États-Unis et leurs alliés sont censés être en guerre globale
contre cette organisation depuis le 11-Septembre. Ainsi, il ne
semble pas illégitime de se demander pourquoi ces gouvernements
n’ont-ils pas appelé Moscou à frapper al-Qaïda dans leur déclaration
commune. Si l’on considère que la CIA mène une guerre secrète
multinationale qui renforce la branche syrienne de cette nébuleuse
terroriste, la réponse est sans équivoque.
Dans ce contexte, entre le chaos islamiste et la dictature, plusieurs millions de Syriens ont fait leur choix, sans nécessairement être des partisans de Bachar el-Assad.
Ne pas prendre en compte cette réalité et amplifier la guerre secrète
en Syrie reviendrait certes à combattre un régime criminel, mais surtout
à favoriser la prise de Damas par des forces islamistes d’une puissance
et d’une dangerosité sans précédent. Désignant Daech comme « l’ennemi
numéro un », l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine a
rappelé « qu’au moment de combattre Hitler, il [avait] fallu s’allier
avec Staline ». (133) Il faut donc espérer que les dirigeants
occidentaux fassent preuve de la même sagesse, et qu’ils comprennent
qu’intensifier leur engagement clandestin en Syrie pour faire échec aux
Russes et aux Iraniens serait une grave erreur. (134) Alors que les
principaux acteurs de ce conflit se réunissent à Vienne, et que l’Arabie
saoudite a accepté pour la première fois que l’Iran participe aux
négociations, la diplomatie doit et peut triompher des politiques
profondes. (135)
Maxime Chaix http://maximechaix.info
Notes
1. « Les États-Unis n’entraînent qu’une soixantaine de rebelles syriens », LeMonde.fr
avec AFP et Reuters, 08 juillet 2015. Bien que ses auteurs n’en aient
probablement pas eu l’intention, le titre de cet article donne
l’impression que les États-Unis n’ont formé qu’une soixantaine de
rebelles pour combattre en Syrie. Nul doute que les innombrables
articles publiés à travers le monde sur le fiasco de cette opération du
Pentagone ont renforcé cette perception erronée. Or, je démontrerai que
l’engagement clandestin de la CIA et de ses partenaires en Syrie a été à
la fois massif, trouble et illégal, et qu’il pourrait s’apparenter à
une véritable guerre secrète multinationale.
2. « Seulement “4 ou 5” rebelles formés par les Américains combattent », LeProgres.fr
avec AFP, 16 septembre 2015. Ce titre est encore plus trompeur que le
précédent. Détail intéressant : en fin d’article, on peut lire que
« [l]a CIA anime parallèlement un programme clandestin d’entraînement de
rebelles en Syrie ». Dans la plupart des récits médiatiques sur l’échec
de cette opération du Pentagone, soit le vaste programme clandestin de
la CIA n’est pas mentionné, soit il est brièvement évoqué, comme s’il
s’agissait d’un détail insignifiant dans la guerre civile syrienne.
3. « Syrie: le Pentagone réduit son programme d’entraînement de rebelles », BFMTV.com
avec AFP, 9 octobre 2015 : « Les États-Unis ne vont plus essayer
d’entraîner des groupes syriens anti-État islamique mais se concentrer
sur la fourniture d’équipement et d’armes à des chefs de groupes
rebelles triés sur le volet, selon un responsable américain du ministère
de la Défense. »
4. Armin Arefi, « Les forces en présence sur le territoire syrien », LePoint.fr, 17 septembre 2015. Dans cet article, la CIA et les services spéciaux occidentaux ne sont pas même évoqués parmi « les forces en présence sur le territoire syrien ».
Nous verrons que de nombreuses autres sources refoulent ou minimisent
cette intervention clandestine multinationale de la CIA, dont des médias
importants et des hauts responsables à Washington.
5. Par « alliés moyen-orientaux » de la CIA, je fais essentiellement référence à l’Arabie saoudite, au Qatar, à la Turquie et à la Jordanie. Comme
je le montrerai, ces deux derniers pays abritent chacun un centre de
commandement des opérations multinationales de l’Agence, également
appelé « salle d’opérations » (« operations room »). Et nous
verrons que l’Arabie saoudite et le Qatar, avec la Turquie, ont été les
principaux soutiens financiers et militaires des factions extrémistes en
Syrie. Le Mossad est également actif dans cette guerre secrète
multinationale, mais son rôle est plus discret que celui de la CIA et de
ses partenaires. Il semblerait notamment que les services israéliens
aient joué un rôle crucial dans les activités de collecte de
renseignements de l’Agence en Syrie (Joseph Fitsanakis, « US spy agencies turn to Israel, Turkey, for help in Syria war », IntelNews.org,
24 juillet 2012). En revanche, l’armée israélienne a joué un rôle
nettement plus visible dans ce conflit, à l’instar de l’armée turque.
Voir notamment Robert Parry, « Should US Ally with Al Qaeda in Syria? », ConsortiumNews.com, 1er octobre 2015 : « [Branche syrienne d’]al-Qaïda, le Front al-Nosra a également bénéficié d’une alliance de facto avec
Israël, qui a soigné des combattants d’al-Nosra pour les renvoyer
ensuite combattre dans la zone du plateau du Golan. Israël a également
mené des frappes aériennes en Syrie afin de soutenir les avancées
d’al-Nosra, tuant notamment des conseillers du Hezbollah ou de l’Iran
qui aidaient le gouvernement syrien. »
Par « alliés occidentaux » de la CIA, je désigne principalement les services spéciaux français et britanniques.
Avec l’Agence, ils ont joué un rôle actif dans la déstabilisation de la
Syrie, notamment dans la formation des rebelles (Julian Borger et Nick
Hopkins, « West training Syrian rebels in Jordan », TheGuardian.co.uk, 8 mars 2013). Néanmoins, d’autres pays européens pourraient être impliqués dans ces opérations (Tolga Tanış, « There are 50 senior agents in Turkey, ex-spy says », HurriyetDailyNews.com,
16 septembre 2012). Dans la « salle d’opérations » multinationale basée
en Jordanie, des officiers de services spéciaux et d’armées de près de
14 pays ont été recensés par un journal émirati à la fin de l’année 2013
(Phil Sands et Suha Maayeh, « Syrian rebels get arms and advice through secret command centre in Amman », TheNational.ae, 28 décembre 2013).
Enfin, par « services spéciaux », je ne signifie pas
uniquement des services secrets, tels que la CIA ou le MIT, mais
également des forces spéciales ou d’autres éléments militaires qui sont
clandestinement impliqués dans cette guerre secrète. C’est le cas du JSOC, qui est le commandement des opérations spéciales du Pentagone (David S. Cloud et Raja Abdulrahim, « Update: U.S. training Syrian rebels; White House ‘stepped up assistance’ », LATimes.com,
21 juin 2013). Les forces spéciales britanniques et françaises sont
également engagées dans cette guerre secrète (Borger et Hopkins, « West training Syrian rebels in Jordan »).
6. Greg Miller et Karen DeYoung, « Secret CIA effort in Syria faces large funding cut », WashingtonPost.com,
12 juin 2015. Remarque importante : dans l’immense majorité des récits
sur l’intervention de la CIA en Syrie, l’action de l’Agence est décrite
comme « inefficace » et d’ampleur limitée (Voir par exemple Ben Hubbard,
« Warily, Jordan Assists Rebels in Syrian War », NYTimes.com, 10 avril 2014). Or, l’importance de cet article duWashington Post réside
dans le fait que, contrairement à ce qui était unanimement affirmé dans
la presse, cet engagement de la CIA en Syrie n’est pas « limité » mais
massif, et qu’il entre dans le cadre « d’un plus vaste effort de
plusieurs milliards de dollars impliquant l’Arabie saoudite, le Qatar et
la Turquie » – c’est-à-dire les trois États notoirement connus pour
soutenir les factions extrémistes en Syrie (cf. la note suivante).
7. Ibidem (accentuation
ajoutée). Sur la création et le soutien, par l’Arabie saoudite, le
Qatar et la Turquie, d’une coalition de groupes islamistes comprenant
al-Qaïda comme l’une de ses principales forces, voir Luc Mathieu, « Syrie : l’Armée de la conquête sur le chemin de Damas », Liberation.fr, 14 mai 2015 ; « General Dempsey aknowledges U.S. Arab allies funding ISIS », CSPAN.org, 20 septembre 2014 : « Sénateur Lindsey Graham : “Connaissez-vous un allié arabe de premier plan qui embrasse la cause de l’EIIL [, c’est-à-dire Daech] ?”Général Martin Dempsey : “Je sais que des alliés arabes de premier plan les financent…” » ; Éric Leser, « Sans la Turquie, Daech n’existerait pas », Slate.fr, 2 août 2015 ; « Le Qatar : “valet des Américains” ou “club Med des terroristes” ? », entretien avec Fabrice Balanche, Challenge.fr, 15
janvier 2015 : « [L]e Qatar a financé le Front Al-Nosra (ou Nosra)
jusqu’à la scission intervenue en avril 2013. L’organisation, rattachée à
Al-Qaïda, est pourtant inscrite sur la liste terroriste des États-Unis
depuis le 20 novembre 2012 et la déclaration d’Hillary Clinton. Après la
scission en avril 2013 – autrement dit la séparation entre Nosra dirigé
par le syrien Al-Joulani et l’État islamique (EI) conduit par l’irakien
al-Baghdadi – le Qatar a choisi de soutenir l’EI contrairement à
l’Arabie Saoudite qui continue de financer Nosra. Néanmoins, la réalité est bien plus complexe encore.
Si l’EI est une organisation soudée et structurée, les groupes de
Nosra, bien qu’ils prêtent tous allégeance, semblent bien plus
autonomes. Ainsi, le Qatar peut être également amené à financer un
groupe de combattants se revendiquant de Nosra pour un intérêt
particulier. De même, il existe différents clans en Arabie Saoudite, qui
est loin d’être un royaume monolithique. Ces familles soutiennent aussi
bien Nosra que l’EI » (accentuation ajoutée) ; etc.
8. Selon Vox.com et d’autres
sources, l’« ordre secret » d’armer les rebelles a été approuvé en avril
2013, mais l’approvisionnement en armes et les entraînements se
seraient concrétisés en septembre 2013, après qu’Obama eut repoussé
l’intervention militaire directe en Syrie (Max Fisher et Johnny Harris,
« Syria’s war: a 5-minute history », Vox.com, 14 octobre 2015). En septembre 2013, le Washington Post avait rapporté que les États-Unis commençaient à armer les rebelles, sans évoquer l’« ordre secret » d’Obama rapporté par Vox.com (Ernesto Londoño et Greg Miller, « CIA begins weapons delivery to Syrian rebels », WashingtonPost.com, 11 septembre 2013). En réalité, la CIA et le MI6 ont clandestinement armé les rebelles en Syrie depuis au moins janvier 2012, mais essentiellement via la logistique et les financements du Qatar, de la Turquie et de l’Arabie saoudite (Adam Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government », FAIR.org, 20 septembre 2015).
9. Souad Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them », WashingtonPost.com,
18 août 2014) : « Au cours de nombreux entretiens menés ces deux
derniers mois [avec des membres de l’État Islamique et du Front
al-Nosra], ils ont décrit comment l’effondrement sécuritaire durant le
Printemps arabe les a aidés à recruter, à se regrouper et à utiliser en
leur faveur la stratégie occidentale – c’est-à-dire le
soutien et l’entraînement de groupes afin de combattre des dictateurs.
“Des Britanniques et des Américains nous avaient [également] entraînés
durant le Printemps arabe en Libye”, d’après un homme surnommé
Abou Saleh, qui a accepté d’être interrogé si son identité restait
secrète. [Ce dernier], qui est originaire d’une ville proche de
Benghazi, affirma qu’un groupe de Libyens et lui-même avaient bénéficié
dans leur pays d’entraînements et de soutien de la part de membres des forces [spéciales] et des services de renseignement français, britanniques et états-uniens –
avant de rejoindre le Front al-Nosra ou l’État Islamique [en Syrie].
Interrogées pour cet article, des sources militaires arabes et
occidentales ont confirmé les affirmations d’Abou Saleh, selon
lesquelles des rebelles en Libye avaient bénéficié d’“entraînements” et
d’“équipements” durant la guerre contre le régime de Kadhafi »
(accentuation ajoutée).
10. Pour illustrer la confusion qui règne sur les politiques
profondes de la CIA en Syrie, y compris chez les spécialistes, j’ai
détecté une erreur factuelle dans un article du grand reporter Régis Le
Sommier. Dans cette analyse, qui est pourtant d’une grande pertinence,
il est écrit que « la CIA devait entraîner 15 000 rebelles “modérés”
[sic]. Ils ne sont en fin de compte que 60, regroupés dans la Division
30. » (Régis Le Sommier, « Pourquoi Daech est là pour durer », ParisMatch.com, 11 septembre 2015). En réalité, le Pentagone, et non la CIA, avait été chargé par le Congrès en 2014 de former 15 000 combattants sur 3 ans pour lutter contre Daech (« Des soldats américains entraîneront des rebelles syriens », TDG.ch, 16 janvier 2015). D’après l’important article duWashington Post cité précédemment, l’Agence aurait formé non pas 60 mais 10 000 combattants pour lutter contre le régime de Bachar el-Assad (Miller et DeYoung, « Secret CIA effort in Syria faces large funding cut »).
Cette erreur factuelle de la part d’un journaliste aussi compétent me
semble être symptomatique de la confusion qui règne autour du rôle de la
CIA en Syrie.
11. Depuis le début du conflit, les forces loyalistes de Bachar el-Assad ont commis des exactions massives contre
la population civile. Ces actes sont aussi inhumains qu’indéfendables.
Or, ils le sont tout autant que les politiques étrangères occidentales
ayant généré plusieurs millions de morts et de blessés rien qu’en Irak,
en Afghanistan et au Pakistan depuis un quart de siècle. Voir Nafeez
Mosaddeq Ahmed, « Les victimes ignorées des guerres de l’Occident : 4 millions de morts en Afghanistan, au Pakistan et en Irak depuis 1990 », VoltaireNet.org, 11 avril 2015. Allons plus loin dans ce raisonnement. Selon l’intellectuel Andre Vltchek, « “[d]epuis
la fin de la Seconde Guerre mondiale, le colonialisme et le
néocolonialisme occidentaux ont causé la mort de 50 à 55 millions de
personnes” (…). À celles-ci, “mortes en conséquence directe de
guerres déclenchées par l’Occident, de coups d’État militaires
pro-occidentaux et d’autres conflits du même acabit”, s’ajoutent “des
centaines de millions de victimes indirectes qui ont péri de la misère,
en silence”. » (Nic Ulmi, « Noam Chomsky raconte “l’Occident terroriste” », LeTemps.ch,
12 juin 2015 [accentuation ajoutée]). Il me semblerait utile que les
détracteurs les plus intransigeants de Bachar el-Assad – qui s’émeuvent à
juste titre des exactions commises par le régime syrien –, en prennent
conscience et fassent preuve de la même indignation à l’égard des
politiques étrangères occidentales décrites dans cette note.
12. Comme je l’ai expliqué dans la première note, je tenterai de démontrer que l’engagement clandestin de
la CIA et de ses partenaires occidentaux et moyen-orientaux en Syrie a
été à la fois massif, trouble et illégal, et qu’il pourrait s’apparenter
à une véritable guerre secrète multinationale. Ainsi, le caractère
confidentiel de ces opérations explique pourquoi cette coresponsabilité
est refoulée, incomprise ou minimisée en Occident.
13. Aux États-Unis, l’ONG FAIR – qui lutte contre la désinformation
médiatique –, a souligné que « les activités clandestines pourtant bien
documentées [de la CIA] en Syrie avaient été fréquemment ignorées
lorsque les médias traitaient de l’approche “non-interventionniste” de
l’administration Obama dans ce conflit (…) [U]n article duNew York Times (…) et un autre “article explicatif” de la guerre civile syrienne publié par Vox ont
fait encore pire : ils n’ont pas seulement omis le fait que la CIA
avait armé, entraîné et financé des rebelles depuis [janvier] 2012, mais
ils ont lourdement sous-entendu qu’elle ne l’avait jamais fait. »
(Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government », [accentuation ajoutée]). En vérité, les services spéciaux occidentaux ont entraîné des rebelles en Libye dès 2011, ces derniers ayant été envoyés combattre en Syrie avant de rejoindre al-Qaïda (Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them »).
14. Certains faiseurs d’opinion, comme Bernard Kouchner, nient toute
coresponsabilité occidentale dans le drame syrien. Voir Maxime Chaix, « Non, Bernard Kouchner, Bachar el-Assad n’a pas “assassiné 230 000, 250 000 Syriens” », MaximeChaix.info,
13 octobre 2015. En général, les dirigeants politiques français ont
admis avoir soutenu la rébellion « modérée et démocratique », comme
François Hollande l’avait affirmé au journal Le Monde en août 2014 (« François Hollande confirme avoir livré des armes aux rebelles », LeMonde.fr,
20 août 2014). Or, deux députés français de premier plan ont accusé le
gouvernement d’avoir clandestinement soutenu des rebelles pas aussi
« modérés » qu’ils nous ont été présentés – l’un d’entre eux ayant même
affirmé que « la France soutient al-Qaïda en Syrie ». Voir Maxime Chaix,
« Selon le député Claude Goasguen, “la France soutient al-Qaïda en Syrie” », MaximeChaix.info,
1er juillet 2015. Dans ses mémoires, Hillary Clinton a affirmé que le
Président Obama avait refusé d’armer les rebelles en Syrie. Voir « I Wanted to Arm Syrian Rebels, but Obama Refused », Haartez.com,
6 juin 2014. Par conséquent, sachant que la CIA a été étroitement
impliquée dans des opérations multinationales de trafic d’armes en
faveur des rebelles, et ce depuis au moins janvier 2012, soit Hillary Clinton ment et protège Barack Obama, soit ce dernier ne maîtrise pas ses services spéciaux (Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government »).
15. Je précise que mon ami et mentor intellectuel Peter Dale Scott –
dont je suis le principal traducteur francophone –, n’a pas relu cette
analyse avant sa publication. Par conséquent, les arguments défendus
dans cet article n’engagent que moi. Pour lire une intéressante
définition de la « Politique profonde » et des différents concepts
développés par Peter Dale Scott, je vous recommande cet article – que
j’ai récemment complété et actualisé : Bruno Paul, « La politique profonde et l’État profond », MaximeChaix.info, 29 juillet 2015.
16. Seymour M. Hersh, « La ligne rouge et celle des rats », VoltaireNet.org
(traduction : Institut Tunisien des Relations Internationales), 12
avril 2014 : « Au lendemain de l’attaque du 21 août [2013], Obama a
ordonné au Pentagone de dresser une liste objectifs à bombarder. Au
début, a déclaré l’ancien responsable du Renseignement, “la
Maison-Blanche a rejeté 35 listes de cibles fournies par les chefs
d’état-major sous prétexte que c’était insuffisamment ‘douloureux’ pour
le régime d’Assad.” Les objectifs initiaux incluaient
uniquement des sites militaires et aucune infrastructure civile. Sous
pression de la Maison-Blanche, le plan d’attaque US a évolué vers une “frappe monstrueuse” :
deux flottes de bombardiers B-52 ont été transférées vers des bases
aériennes proches de la Syrie, et des sous-marins et des navires équipés
de missiles Tomahawk ont été déployés. “Chaque jour, la liste de cibles
s’allongeait”, m’a affirmé l’ancien responsable du Renseignement »
(accentuation ajoutée).
Remarque importante : Seymour Hersh est un grand reporter mondialement renommé, qui est considéré commel’un des meilleurs journalistes aux États-Unis.
Son analyse, et le rapport du prestigieux Massachusetts Institute of
Technology (MIT) cité dans la note suivante, mettent sérieusement en
doute la responsabilité du régime el-Assad dans les attaques chimiques
de la Ghouta. En 2014, Franz-Olivier Giesberg avait déploré que
l’article de Seymour Hersh et le rapport du MIT n’avaient quasiment pas
été repris dans la presse (Franz-Olivier Giesberg, « FOG : Ayons le courage de le dire… », LePoint.fr, 26 juin 2014).
17. Armin Arefi, « Attaque chimique en Syrie : le rapport qui dérange », LePoint.fr, 19 février 2014 : « Une étude du prestigieux MIT affirme que le massacre chimique d’août 2013 a été perpétré depuis une zone rebelle, contredisant les affirmations occidentales » (accentuation ajoutée).
18. Hersh, « La ligne rouge et celle des rats » :
« Pendant des mois, il y avait eu une vive inquiétude parmi les
dirigeants militaires et la communauté du renseignement sur le rôle joué
dans la guerre par des voisins de la Syrie, en particulier la Turquie. Le
Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan était connu pour son soutien au
Front Al-Nosra, une faction djihadiste de l’opposition rebelle, ainsi
qu’à d’autres groupes rebelles islamistes. “Nous savions qu’il y
en avait certains dans le gouvernement turc”, m’a dit un ancien haut
responsable du renseignement états-unien qui a toujours accès aux
dossiers, “qui ont cru qu’ils pouvaient choper Assad par les couilles en
l’impliquant dans un attentat au gaz sarin à intérieur de la Syrie – et
forcer Obama à réagir”. (…) Tandis que des bribes d’information et
autres données étaient recueillies sur les attaques du 21 août, la
communauté du Renseignement a vu des preuves venir étayer ses soupçons.
“Nous savons désormais qu’il s’agissait d’une opération clandestine
planifiée par les gens d’Erdoğan pour pousser Obama à franchir la ligne
rouge”, a dit l’ancien responsable du Renseignement » (accentuation
ajoutée).
19. Ibidem :
« À fin août, le président avait donné aux chefs d’état-major une date
limite pour le lancement des opérations. “L’heure H devait être au plus
tard lundi matin [2 septembre], un assaut massif pour
neutraliser Assad” a dit l’ex-responsable du Renseignement. Ce fut donc
une surprise pour beaucoup quand, lors d’un discours à la Maison-Blanche
dans le Jardin des roses, le 31 août, Obama déclara que l’attaque était
repoussée, et qu’il se retournait vers le Congrès pour la soumettre à
un vote » (accentuation ajoutée).
20. « Les enseignements de la guerre en Syrie », Reforme.net,
26 août 2015 : « “En 2011, les Occidentaux ont péché par leur
assurance, attisée par leur succès initial en Libye, après
l’intervention qui a abouti à la mort du colonel Kadhafi, [selon Fabrice
Balanche]. Ce succès couronnait vingt années d’hégémonie occidentale
sur le monde, depuis l’effondrement de l’URSS. Mais depuis le camouflet
qu’a constitué pour eux l’intervention armée en Libye, les Russes ont
décidé de défendre leurs intérêts de manière plus agressive, notamment
au moyen de leur droit de veto à l’ONU. Et si les Occidentaux,
États-Unis en tête, décident d’intervenir sans aval du Conseil de
sécurité, le Kremlin a fait savoir qu’il ne resterait pas les bras
croisés.” Selon le chercheur, c’est ce qui s’est passé, en septembre
2013, quand la flotte américaine s’est approchée des côtes syriennes,
peu après les révélations de l’utilisation d’armes chimiques par Damas.
En face, la Russie avait installé des batteries de DCA. Les Américains
finirent par s’éloigner, mais l’affrontement direct fut évité de peu » (accentuation ajoutée).
21. Hersh, « La ligne rouge et celle des rats » :
« Ce sont les chefs d’état-major qui ont conduit Obama à changer de
cap. L’explication officielle de la Maison-Blanche pour la volte-face –
telle que racontée par les médias – était que le président (…) a
soudainement décidé de demander l’approbation de la frappe à un Congrès
profondément divisé avec lequel il était en conflit depuis des années.
L’ancien responsable du département de la Défense m’a dit que la
Maison-Blanche [aurait] fourni une explication différente aux membres de
la direction civile du Pentagone : la frappe avait été annulée suite à
des analyses selon lesquelles, en cas [d’attaque états-unienne], “le
Proche-Orient [s’embraserait]”. »
22. Londoño et Miller, « CIA begins weapons delivery to Syrian rebels ». En réalité, la CIA et le MI6 ont clandestinement armé les rebelles en Syrie depuis au moins janvier 2012, mais essentiellement via la logistique et les financements du Qatar, de la Turquie et de l’Arabie saoudite (Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government »).
23. Je recommande vivement aux lecteurs anglophones l’analyse
suivante de Joel Veldkamp, un étudiant du Centre des Études sur le
Moyen-Orient de l’Université de Chicago. Résumant l’un de ses travaux
universitaires, son article expose la succession de mensonges politiques
et de déformations médiatiques sur l’engagement soi-disant « limité »
des États-Unis en Syrie. Il montre comment la communication trompeuse de
l’administration Obama a dissimulé, depuis 2012, des politiques
profondes de guerre secrète dans ce pays. Enfin, je tiens à préciser que
cet article a été publié sur le site de Joshua Landis, un professeur de
l’Université d’Oklahoma qui est considéré comme l’un des principaux
experts de la Syrie. Joel Veldkamp, « How to Understand Those 60 Trainees », JoshuaLandis.com, 14 août 2015.
24. D’après le Washington Post, les forces spéciales et les services secrets occidentaux ont entraîné des rebelles en Libyeen 2011, ces derniers ayant été envoyés combattre en Syrie avant de rejoindre al-Qaïda. Voir Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them ».
Ces informations semblent corroborer les révélations précoces de
l’ancien officier de la CIA Philip Giraldi. En effet, en décembre 2011,
ce dernier expliquait que des « [a]vions non immatriculés de l’OTAN
[étaient] en train de se poser dans des bases militaires turques proches
d’Alexandrette, vers la frontière syrienne, livrant des armes pillées
dans les arsenaux de feu Mouammar Kadhafi. Ces avions acheminaient aussi
des miliciens du Conseil National de Transition libyen ayant de
l’expérience dans la mobilisation de volontaires locaux contre des
soldats entraînés – un savoir-faire qu’ils ont acquis en combattant
l’armée de Kadhafi. Alexandrette est également le siège de l’Armée
Syrienne Libre, la branche armée du Conseil National Syrien. Des
instructeurs des forces spéciales françaises et britanniques sont sur
le terrain pour aider les rebelles syriens, tandis que la CIA et les
forces spéciales états-uniennes fournissent des équipements de
communication et des renseignements pour soutenir la cause des rebelles,
permettant à ces combattants d’éviter les concentrations de soldats
syriens » (accentuation ajoutée). Voir Philip Giraldi, « NATO vs. Syria », TheAmericanConservative.com, 19 décembre 2011.
25. Au sujet des centres de commandement multinationaux des
opérations de la CIA en Turquie et en Jordanie, voir notamment Ahmed, « Ennemis perpétuels : comment les États-Unis soutiennent Daech en le combattant » :
« [L]es responsables américains du renseignement militaire [ont]
supervis[é] la fourniture d’armes et l’aide des États du Golfe et de la
Turquie, à partir des mêmes centres de commandement opérationnel
dans le Sud de la Turquie et en Jordanie, qui continuent d’être
coordonnés conjointement par les services de renseignement occidentaux
et arabes (…) » (accentuation ajoutée). D’autres sources
analysant les activités de ces centres de commandement seront exposées
dans cette analyse.
26. Concernant les « nombreux pays hostiles à Bachar el-Assad », voir la note 5.
27. Trevor Timm, « If you thought the Isis war couldn’t get any worse, just wait for more of the CIA », TheGuardian.co.uk, 17 novembre 2014 : « [L]es
informations sur les armes qui étaient déjà clandestinement acheminées
en Syrie ont été dissimulées à la majeure partie du Congrès.
John Kerry refusa de répondre aux questions sur les activités de le CIA
en Syrie lorsqu’il fut interrogé par la Commission sénatoriale des
Affaires étrangères, bien que des informations sur l’implication de
l’Agence [dans ce pays] aient fait les gros titres pendant des années.
“Je déteste dire cela”, déclara-t-il, “mais je ne peux ni confirmer ni
démentir tout ce qui a été écrit à ce sujet, et je ne peux parler de
toutpossible programme” » (accentuation ajoutée).
28. Veldkamp, « How to Understand Those 60 Trainees ».
Encore une fois, je recommande vivement cette analyse aux lecteurs
anglophones. Pour compléter cette réflexion et mon propre article,
l’analyse suivante est tout aussi importante : Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government ».
9. En général, les dirigeants politiques français ont admis avoir
soutenu la rébellion « modérée et démocratique », comme François
Hollande l’avait affirmé au journal Le Monde en août 2014 (« François Hollande confirme avoir livré des armes aux rebelles »).
Or, deux députés français de premier plan ont accusé le gouvernement
d’avoir clandestinement soutenu des rebelles pas aussi « modérés »
qu’ils nous ont été présentés – l’un d’entre eux ayant même affirmé que
« la France soutient al-Qaïda en Syrie ». Voir Chaix, « Selon le député Claude Goasguen, “la France soutient al-Qaïda en Syrie” »).
Concernant la Grande-Bretagne, nous verrons que le soutien clandestin
du MI6 en faveur de réseaux jihadistes en Libye et en Syrie a été
discrètement reconnu par la justice.
30. Comme nous l’avons vu, Hillary Clinton a affirmé que le Président Obama avait refusé d’armer les rebelles en Syrie. Voir « I Wanted to Arm Syrian Rebels, but Obama Refused ».
Par conséquent, sachant que la CIA a été étroitement impliquée dans des
opérations multinationales de trafic d’armes en faveur des rebelles, et
ce depuis au moins janvier 2012, soit Hillary Clinton ment et protège Barack Obama, soit ce dernier ne maîtrise pas ses services spéciaux (Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government »).
31. Pour des détails sur ces opérations, voir C.J. Chivers et Eric Schmitt, « Arms Airlift to Syria Rebels Expands, With Aid From C.I.A. », NYTimes.com, 24 mars 2013. Au moment où cet article fut publié, les livraisons d’armes aux rebelles étaient en train de s’intensifier, d’après le New York Times.
Seymour Hersh a également révélé un rôle actif du MI6 britannique dans
ces opérations, ce qui aurait permis à la CIA d’échapper à la
supervision du Congrès (Hersh, « La ligne rouge et celle des rats »). Je reviendrai sur ce point crucial.
32. Robert Winnett, « Syria: 3,500 tons of weapons already sent to rebels, says Lord Ashdown », Telegraph.co.uk,
1erjuillet 2013. Cet article rapporte les propos alarmants du
parlementaire britannique Lord Ashdown : « “[Les rebelles en Syrie]
n’ont pas besoin d’armes. Il n’a pas été démenti que 3 500 tonnes
d’armes avaient été livrées depuis la Croatie avec l’aide de la CIA.
Financés par les Qataris, financés par les Saoudiens, [ces armements]
sont allés presque exclusivement vers les groupes les
plus extrémistes”, déclara l’ancien haut représentant international en
Bosnie lors d’un débat [parlementaire] » (accentuation ajoutée).
33. « Syrie : les Russes ont frappé les rebelles formés par la CIA (sénateur McCain) », LOrientLeJour.com avec AFP, 1eroctobre 2015.
34. Ahmed, « Ennemis perpétuels : comment les États-Unis soutiennent Daech en le combattant » :
[L]a revendication de Joe Biden [selon laquelle] “nous ne pouvions pas
convaincre nos collègues [turcs, qataris et saoudiens] de cesser
[d’]approvisionner” [les islamistes] dissimule le fait que la CIA a été directement impliquée dans la gestion de ces réseaux d’approvisionnement rebelles. » ; « General Dempsey aknowledges U.S. Arab allies funding ISIS », CSPAN.org, 20 septembre 2014 : « Sénateur Lindsey Graham : “Connaissez-vous un allié arabe de premier plan qui embrasse la cause de l’EIIL [, c’est-à-dire de Daech] ?” Général Martin Dempsey : “Je sais que des alliés arabes de premier plan les financent…” Sénateur Graham : “Oui,
mais est-ce qu’ils en embrassent la cause ? Ils (…) ont financé [Daech]
car l’Armée Syrienne Libre ne pouvait pas combattre Assad, ils
essayaient de battre Assad, et je pense qu’ils ont réalisé à quel point
ces méthodes étaient folles. » Sans surprise, le sénateur Graham n’a pas
dit un mot sur l’implication de la CIA et de ses partenaires
occidentaux dans cette stratégie de la Turquie, de l’Arabie saoudite et
du Qatar.
35. Ahmed, « Ennemis perpétuels : comment les États-Unis soutiennent Daech en le combattant ».
Si l’on en croit la Brookings Institution, en avril 2015, « [l]a
branche officielle d’al-Qaïda en Syrie, et une autre milice étroitement
liée à [cette nébuleuse terroriste], faisaient partie des milices
“modérées” et “triées sur le volet” [par la CIA] qui reçoivent des armes
et du soutien de la part d’États du Golfe et de la Turquie, sous la supervision de
personnel des [services spéciaux] états-uniens sur le terrain »
(accentuation ajoutée). Nous reviendrons en détail sur cette analyse.
36. Timm, « If you thought the Isis war couldn’t get any worse, just wait for more of the CIA » :
« Le plus choquant est peut-être de savoir que Barack Obama a lui-même
lu l’étude de la CIA, et qu’il a conscience qu’armer les rebelles en
Syrie – ou n’importe où ailleurs – était une idée incroyablement
dangereuse. Parlant visiblement de cette étude, Obama déclara à David
Remnick du New Yorker [en 2014] : “Très tôt dans ce processus,
j’ai en fait demandé à la CIA d’analyser des exemples de réussites dans
le financement et l’approvisionnement en armes des insurrections. Et ils
n’ont pas réussi à m’en donner beaucoup.” » Cette posture
« non-interventionniste » d’Obama a été récemment exagérée par certains
médias. Voir Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government ».
37. Voir par exemple Adam Entous, « Covert CIA Mission to Arm Syrian Rebels Goes Awry », WSJ.com,
26 janvier 2015 : « Des hauts responsables [états-uniens] défendent la
décision de maintenir un réseau d’approvisionnement en armes réduit
[sic] et étroitement contrôlé [sic], citant leur préoccupation que des
armements pourraient tomber entre de mauvaises mains. (…) En dépit des
contrôles, des armes ont néanmoins basculé du mauvais côté. » Comme nous
l’avons vu, et comme je le monterai en apportant d’autres sources, cet
argument du « réseau d’approvisionnement en armes réduit et étroitement
contrôlé » est grossièrement mensonger. Voir notamment Veldkamp, « How to Understand Those 60 Trainees » ; Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government ».
38. Miller et DeYoung, « Secret CIA effort in Syria faces large funding cut ».
Bien que ce programme soit décrit comme « inefficace » par des
parlementaires interrogés dans cet article, les journalistes citent
pourtant des hauts responsables anonymes vantant les réussites de cette
opération multinationale – tout en prenant soin de la limiter au soutien
d’une milice « modérée » au sud de la Syrie. Nous allons voir que la
réalité est bien plus complexe.
39. Roy Gutman et Mousab Alhamadee, « Tense relations between U.S. and anti-Assad Syrian rebels », McClatchyDC.com, 5 septembre 2014.
40. Miller et DeYoung, « Secret CIA effort in Syria faces large funding cut ».
Sur la création et le soutien, par l’Arabie saoudite, le Qatar et la
Turquie, d’une coalition de groupes islamistes comprenant al-Qaïda comme
l’une de ses principales forces, voire Mathieu, « Syrie : l’Armée de la conquête sur le chemin de Damas » ; « General Dempsey aknowledges U.S. Arab allies funding ISIS » : Sénateur Lindsey Graham : “Connaissez-vous un allié arabe de premier plan qui embrasse la cause de l’EIIL [, c’est-à-dire Daech] ?” Général Martin Dempsey : “Je sais que des alliés arabes de premier plan les financent…” » ; etc.
41. D’après le Washington Post, les forces spéciales et les services secrets occidentaux ont entraîné des rebelles en Libyeen 2011, ces derniers ayant été envoyés combattre en Syrie avant de rejoindre al-Qaïda. Voir Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them ». Ces informations semblent corroborer les révélations précoces de l’ancien officier de la CIA Philip Giraldi (cf. note 24).
42. Adèle Smith, « Wikileaks dévoile les secrets de la “CIA privée” », LeFigaro.fr, 27 février 2012.
43. Scott Stewart, « The Consequences of Intervening in Syria », Stratfor.com, 31 janvier 2013 (accentuation ajoutée).
44. Ibidem (accentuation ajoutée).
45. Ibidem.
46. Steven R. Weisman, « PRESIDENT CALLS NICARAGUA REBELS FREEDOM FIGHTERS; News session transcript, page D22 », New York Times, 5 mai 1983 (accentuation ajoutée).
47. Peter Dale Scott, La Route vers le nouveau désordre mondial : 50 ans d’ambitions secrètes des États-Unis (Éditions
Demi-Lune, Paris, 2010), p.174 : « Dans les années 1980, les
Soviétiques se sont heurtés dès le départ à l’opposition des
moudjahidines (appelés “combattants de la liberté” à Washington et
“terroristes” à Moscou), qui furent armés, financés et entraînés dès
1978 – peut-être même plus tôt – par les services secrets combinés du
Pakistan, de l’Arabie saoudite et la CIA » (accentuation ajoutée).
48. Ibidem, pp.167-93 (chapitre 6).
49. Gilles Bataillon, «Contras et reContras nicaraguayens (1982-1993) : réflexions sur l’action armée et la constitution d’acteurs politico-militaires», Cultures & Conflits (en
ligne), hiver 1993 : « La multiplication des opérations armées [des
Contras] sur l’ensemble du territoire à partir de 1982, les attaques
systématiques des coopératives sandinistes, les exécutions sommaires de
représentants et de responsables locaux du pouvoir sandiniste, ne visent
pas seulement à affaiblir l’adversaire et à l’installer dans une
position défensive. Elles visent tout autant à démontrer la matérialité
du conflit ami/ennemi sur l’ensemble du territoire et à détruire, moins
des objectifs économiques vitaux pour l’économie du pays (du moins de
1982 à 1985), que tout ce qui peut symboliser l’avènement d’un “monde
nouveau”. Ainsi les groupes qui, venant des camps d’entraînement
honduriens ou costariciens, cheminent jusqu’au centre du pays et y
multiplient les coups de main contre les coopératives sandinistes, les
postes militaires, les activistes du Front, cherchent tout autant à
accréditer l’idée d’une guerre généralisée à l’ensemble du territoire
qu’à mener des opérations en fonction de plans de bataille strictement
militaires. De même leurs exactions sanglantes contre des coopérateurs,
des activistes souvent adolescents, des femmes et parfois même des
enfants ne s’inscrivent nullement au registre d’une quelconque
efficacité guerrière, mais sont à mettre au compte de la volonté de
multiplier les mises en scène du conflit ami/ennemi et son caractère
inexpiable. »
50. Dennis Kucinich, « Le Congrès US autorise le soutien des “rebelles” », DeDefensa.org, 19 septembre 2014 (accentuation ajoutée).
51. Richard Labévière, « Diplomatie française : improvisations, revirements et amateurisme… », ProchetMoyen-orient.ch,
28 septembre 2015 : « Les yeux toujours rivés sur le baromètre
intérieur, François Hollande demande instamment à Laurent Fabius
d’organiser à Paris, le 8 septembre dernier, une conférence
internationale pour venir en aide aux Chrétiens et autres minorités
d’Orient. Celui-ci s’exécute à reculons, toujours partisan d’armer
l’opposition syrienne “laïque et modérée” pour en finir avec Bachar,
c’est-à-dire “les bons p’tits gars de Nosra”, comme il l’affirmait en décembre 2012 lors d’un voyage au Maroc. Rappelons que Jabhat al-Nosra, c’est tout simplement Al-Qaïda en Syrie, qui achète et absorbe, depuis plusieurs années, les rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL)
qui n’existe plus que sur le papier. Rien appris, rien oublié ! Laurent
Fabius persiste et signe. Cette conférence est un fiasco absolu. »
52. Gareth Porter, « Obama won’t admit the real targets of Russian airstrikes », MiddleEastEye.net,
16 octobre 2015. Pour les lecteurs anglophones, cet article est à lire
intégralement. En effet, son auteur réussit à expliquer que les
États-Unis soutiennent des jihadistes via leurs alliés moyen-orientaux,
mais sans l’affirmer directement. On peut le déduire rien qu’en lisant
le titre de son analyse (« Obama n’admettra pas les vraies cibles des
frappes aériennes russes »). Du grand journalisme, argumenté, subtil, et
documenté.
53. « Syrie : les Russes ont frappé les rebelles formés par la CIA (sénateur McCain) », LOrientLeJour.com avec AFP, 1eroctobre 2015.
54. Ryad Ouslimani et Philippe Corbé, « Syrie : les Russes “ont frappé pour une bonne part des résistants”, selon Laurent Fabius », RTL.fr,
1er octobre 2015. Au lendemain des attentats de janvier 2014, je
m’étais offusqué de la politique étrangère de la France en Syrie, et
notamment des prises de position scandaleuses de Laurent Fabius quant au
« bon boulot » d’al-Qaïda en Syrie (Voir Maxime Chaix, « Al-Qaïda : terroriste en France, alliée en Syrie », DeDefensa.org, 10 janvier 2014).
55. « Syrie : qui se cache derrière les rebelles », entretien avec Alain Rodier, Figaro.fr/Vox,
13 octobre 2015 (accentuation ajoutée). Ancien officier supérieur des
services français, Alain Rodier est un expert du Centre Français de
Recherche sur le Renseignement (CF2R), dont je recommande le site et les analyses.
56. Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them » (cf. note 9).
57. Steven Chovanec, « Why We Must Not Arm Even One More Syrian Rebel », LevantReport.com,
16 juillet 2015 : « En avril [2014], le leader du Front Révolutionnaire
Syrien “modéré” et soutenu par les États-Unis a reconnu qu’al-Qaïda
n’était “pas [son] problème”, et que ses combattants menaient des
opérations conjointes avec al-Nosra. “Si les gens qui nous soutiennent
nous disent d’envoyer des armes à un autre groupe, nous les envoyons. Il
y a un mois, [le Front al-Nosra,] nous [a] demandé d’envoyer des armes à
Yabroud, donc nous avons envoyé beaucoup d’armes là-bas (…).” Le
colonel Okaidi (…) est l’un des principaux commandants rebelles
“modérés” à être soutenu par les États-Unis, et il est l’un des premiers
bénéficiaires de l’aide occidentale. Dans une vidéo, qui a été
authentifiée par [l’expert de la Syrie] Joshua Landis (…), [Okaidi] a
déclaré lors d’une interview : “Ma relation avec les frères de l’EIIL
[Daech] est bonne… Je communique tous les jours avec les frères de
l’EIIL… Notre relation est bonne, elle est même fraternelle.” » Remarque
importante : ne les ayant pas reproduites, j’ai néanmoins vérifié les
sources de Monsieur Chovanec avant de traduire ces informations
alarmantes.
58. Charles Lister, « The West is walking into the abyss on Syria », Brookings.edu,
28 septembre 2015. Dans cet article, Monsieur Lister souligne le récent
fiasco du Pentagone dans l’entraînement des rebelles contre Daech, mais
sans évoquer le programme de la CIA – ce qui donne l’impression que
l’Agence et ses alliés ne sont pas intervenus dans ce conflit ; puis il
attribue la responsabilité de la montée en puissance des factions
jihadistes à Bachar el-Assad. Une ou plusieurs sources prouvant ses
accusations auraient été appréciables.
59. Charles Lister, « Are Syrian Islamists moving to counterbalance Al-Qaeda? Will it last? », Brookings.edu,
23 mars 2015 (accentuation ajoutée). En écrivant cela, il souligne
néanmoins qu’« en public », ce fait est « rarement reconnu
explicitement ».
60. Voir par exemple Joseph Fitsanakis, « Analysis: Bandar’s return affirms hawkish turn in Saudi foreign policy », IntelNews.org,
26 juillet 2012 : « Bandar “veut voir l’Arabie saoudite gonfler ses
muscles, en particulier si les Américains sont avec lui [au
Moyen-Orient]”, selon [un spécialiste du Woodrow Wilson Center nommé]
Ottaway. Et il y a des chances qu’ils le seront, au vu des contacts étroits du prince Bandar au sein de la communauté du Renseignement états-unien. Le commentateur saoudien Jamal Khashoggi a déclaré que
le style de Bandar est “plutôt agressif, aux antipodes de celui des
diplomates saoudiens, qui sont habituellement prudents ; et il sera
libre de faire ce qu’il estime nécessaire”, en particulier dans le cas de la Syrie » (accentuation ajoutée).
61. Ibidem : « La rumeur veut que,
durant le premier mandat de George W. Bush, George Tenet – qui était
alors directeur de la CIA –, se serait saoulé dans la grandiose maison
de Bandar à Washington. Il serait alors tombé tout habillé dans la
piscine, avant d’être secouru par l’un des serviteurs de Bandar. Si
cette histoire est vraie, elle indique un degré d’intimité plutôt dérangeant dans
la relation du prince avec l’establishment de politique étrangère des
États-Unis, sur lequel l’Arabie saoudite va sans aucun doute s’appuyer
dans les prochaines années » ; voir Peter Dale Scott,L’État profond américain : la finance, le pétrole et la guerre perpétuelle (Éditions
Demi-Lune, Plogastel-Saint-Germain, 2015), p.159 : « [I]l est
compréhensible que George Tenet, le directeur de la CIA sous George W.
Bush, ait suivi le précédent de [William] Casey [, le directeur de
l’Agence sous Reagan,] en rencontrant une fois par mois environ le
prince Bandar, l’ambassadeur d’Arabie saoudite aux États-Unis – mais sans révéler le contenu de leurs discussions aux officiers de la CIA chargés des questions saoudiennes » (accentuation ajoutée). Voir aussi la note précédente.
62. J’ai utilisé l’expression « désignés coupables » car – près d’une
quinzaine d’années après les attentats du 11-Septembre –, la
perspective d’un procès régulier et équitable des accusés du
11-Septembre illégalement détenus à Guantanamo continue de s’éloigner.
N’en déplaise aux esprits conformistes, la vérité sur ces attaques est
donc loin d’être établie. Voir par exemple : « La moitié des prisonniers de Guantanamo resteront enfermés “indéfiniment” », LeMonde.fr avec AFP, 1er septembre 2015. Voir également Bob Graham ; « Il faut rouvrir l’enquête du 11-Septembre! », HuffingtonPost.fr,
9 novembre 2012 ; concernant les accusations sur le rôle présumé du
prince Bandar et de l’Arabie saoudite dans le 11-Septembre, voir Nafeez
Mosaddeq Ahmed, « Mille et un 11 septembre », MiddleEastEye.net,
15 septembre 2015 : « [L]es États-Unis savaient que le prince Bandar
était lié aux attentats du 11 septembre, selon des fuites dans la presse
au sujet des célèbres 28 pages classifiées du rapport de l’enquête du Congrès publié en 2002. Dans son livre Intelligence Matters (2004), le sénateur Bob Graham, vice-président de la commission d’enquête, évoque une
note top-secrète de la CIA concernant deux pirates de l’air du
11 septembre, Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi, qui conclut qu’il y
avait “des preuves irréfutables qu’il existe un soutien pour ces
terroristes a