Pour
faire face à la menace américaine, soutenue par les pays de l’Union
européenne – « l’influence de l’élite atlantiste est assez forte en
Europe » la Russie ne doit plus passer par des voies «
diplomatiques » mais doit montrer sa « force ».
La guerre semble
donc inévitable pour la Russie, que l’oligarchie étasunienne veut
chasser de partout, des côtes de la Baltique, du Caucase, de la mer
noire, et de la Méditerranée en attendant de la chasser de Sibérie
lors une prochaine étape très lucrative. Et cette guerre qui doit
éclater n’a rien à voir avec la personnalité de Vladimir Poutine mais
est la résultante d’un bouleversement géopolitique délibérément planifié
par les oligarchies occidentales.
Alexandre Douguine
Alexandre Douguine
Est-il
encore besoin de prouver que Vladimir Poutine est mal vu des médias
occidentaux? Les rédactions le méprisent à tel point que le magazine l’Express
s’est fait l’écho d’un rapport du Pentagone affirmant que « le
développement neurologique de Poutine avait été perturbé dans son
enfance », ce qui expliquerait pourquoi il donne «l’impression d’un
déséquilibre physique et d’être mal à l’aise dans les relations avec les
autres». Les auteurs du document trouvent que le président russe a un
regard « toujours fixe » qui ne peut s’interpréter que comme «la marque
d’un défaut neurologique et d’une incapacité à faire face aux signaux
extérieurs».
Conclusion implicite, Poutine ne communique pas, il
est incapable d’entendre l’avis des autres et de s’engager dans un
dialogue ouvert et constructif. Il est donc dangereux et il se pourrait
qu’un jour il déclare une guerre comme ça sans réfléchir. Le lecteur
crédule est saisi d’effroi. Voir un tel homme à la tête de la Russie le
laisse pantois. Il revoit l’actualité de ces dernières années et
comprend. Pas étonnant que « Poutine » ait envahi la Géorgie, annexé la
Crimée, soutenu les rebelles du Donbass et bombarde aujourd’hui les
islamistes modérés alliés de l’occident pour défendre le bourreau Al
Assad. Même si, comme le précise L’Express, ce rapport n’a
jamais été transmis au secrétaire à la Défense, il est trop tard. Le
lecteur est crispé à sa feuille de chou et l’idée est maintenant vissée
dans son crâne: Poutine est malade et dangereux. « Minimisé par le
Pentagone », ce rapport aura au moins servi les propagandes.
Et si Poutine n’était pas cet homme-là. Et s’il y avait une logique dans sa politique étrangère ?
Pour
le géopoliticien George Friedman, les nations sont des joueurs d’échec
qui agissent dans un cadre qui impose des règles et réduit, de ce fait,
l’éventail des possibilités. Plus il agit avec logique dans le cadre
contraignant des règles du jeu, plus le joueur d’échec devient
prévisible car se montrant capable de sélectionner les meilleures
tactiques, qui sont peu nombreuses. «Le champion joue avec une précision
absolue et prévisible – jusqu’à effectuer un coup brillant et
inattendu». Pour George Friedman, les nations n’agissent pas de façon
irrationnelle: «Les millions ou les centaines de millions de gens qui
composent une nation sont contraints par la réalité. Ils engendrent des
leaders qui ne pourraient pas devenir des leaders s’ils étaient
irrationnels». Selon lui, «les leaders comprennent leur menu de coups à
venir et les exécutent». Alors, nous posons la question: est-il possible
de comprendre les initiatives prises par Vladimir Poutine sur
l’échiquier international ?
Dans son ouvrage The next 100 Years,
George Friedman, fait observer que la Russie est un Etat immense mais
enclavé alors que les Etats-Unis « disposent d’un accès facile sur tous
les océans du monde ». Pendant la guerre froide, les Etats-Unis, qui
avaient pour objectif « de contenir et ainsi étrangler les Soviétiques »
ont créé « une énorme ceinture de nations alliées » allant « du cap
nord de la Norvège à la Turquie et aux Aléoutiennes » (Friedman, p.45)
en conséquence de quoi l’URSS s’est effondrée en 1991. Selon Friedman,
au XXIème siècle et à l’issue d’une seconde guerre froide, la Russie
s’effondrera à nouveau et pour les mêmes raisons géographiques.
Mais l’enclavement n’est pas le seul inconvénient de la géographie russe. Pour aller plus loin, le journaliste Tim Marshall nous invite à contempler une carte de l’Europe sur laquelle la plaine européenne a été grisée.
Cette
plaine, qui s’étend de l’Atlantique à l’Oural et de la Finlande au
Caucase et à la Mer Noire, est un immense corridor évasé et toujours
ouvert par où sont passées les invasions depuis cinq cents ans : les
Polonais en 1605, les Suédois en 1707, les Français en 1812 et les
Allemands en 1914 et en 1941. Ces invasions ont pu avoir lieu parce que
la plaine n’offre aucune résistance à l’envahisseur. On n’y trouve « pas
de montagnes, pas de déserts, et seulement quelques fleuves »
(Marshall) à traverser. Pour faire face à cette faiblesse de la
géographie, les dirigeants russes ont trouvé une parade qui a consisté à
prendre l’initiative de l’offensive. La seule façon de sortir de
l’insécurité a été de déplacer les frontières de la Russie vers des
obstacles naturels ou des lieux moins ouverts et plus défendables. Ivan
le Terrible a étendu la Russie, au nord, vers le cercle arctique, à
l’est, jusqu’à l’Oural et, au sud, jusqu’à la Caspienne et au Caucase.
C’est aussi lui qui, pour faire face à la menace mongole a installé une
base en Tchétchénie. Pierre le Grand, a occupé l’Ukraine – ce qui lui
donnait un accès à la mer – et a poussé jusqu’aux Carpates. Puis il
s’est emparé de la Lituanie, de la Lettonie et de l’Estonie pour faire
face aux attaques provenant de la mer Baltique. Et à la fin de la
Seconde Guerre mondiale, Staline a occupé l’Europe de l’est, en y
installant des régimes alliés, afin de créer un zone tampon pour
obstruer la grande plaine européenne et repousser le point de contact
avec l’ennemi vers une zone plus étroite et par conséquent plus facile à
contrôler. On constate en effet quand on se déplace d’est en ouest que
la plaine européenne va en se resserrant et qu’il est par conséquent
beaucoup plus facile de bloquer un ennemi sur l’Oder qu’au niveau des
frontières actuelles de la Russie où la distance à couvrir pose un
sérieux problème de moyens et d’efficacité. Cette approche logique,
géographique et indépendante de la personnalité du dirigeant, qu’il soit
empereur, dictateur ou président, est amplement partagée par Alexandre
Douguine.
Alexandre Douguine est géopoliticien mais pas seulement.
Il est aussi un Russe fervent animé par l’amour de sa patrie, une
Russie qui ne se limite pas à des frontières et à un drapeau mais qui
est une civilisation assiégée et qu’il faut défendre. « La Russie n’est
pas la Fédération de Russie, la Russie est le monde russe, une
civilisation, un des pôles du monde multipolaire » dit-il dans une
interview accordée à Katehon.com et intitulée « War in Ukraine Will Resume Soon ».
Comme
Tim Marshall, Alexandre Douguine s’appuie sur la géographie pour
justifier, et même prolonger la politique du président Poutine. Selon
lui, la guerre contre la Géorgie,
l’annexion de la Crimée et la campagne de bombardement en Syrie – où la
Russie entretient une base maritime, à Tartus (les lecteurs occidentaux
ne savent pas que la Syrie est au même titre que la Transcaucasie ou la
Crimée, un avant-poste qui permet à la Russie de ne pas se laisser
enfermer dans ses frontières) – ont été des actions dictées par une
nécessité géopolitique qui transcende la personnalité des dirigeants.
Mais Alexandre Doughine considère que Vladimir Poutine n’a pas mené à
bien toutes les actions nécessaires. Selon lui, la Russie aurait dû
annexer la partie russophone de l’Ukraine et il pense que tôt ou tard
elle devra le faire. Non parce que les Russes sont gourmands ou
impérialistes: annexer le Donbass est une nécessité vitale pour la
Russie. En le faisant, elle garantira sa propre survie : « Si nous
perdons le Donbass, alors nous perdrons la Crimée et puis toute la
Russie » dit Douguine. Mais il n’est pas question d’annexer l’Ukraine et
d’en faire un Etat satellite. « Je ne suis pas contre une Ukraine
souveraine, il faudrait seulement qu’elle soit notre alliée ou
partenaire, ou au pire, un Etat neutre, un espace intermédiaire ».
L’Ukraine doit rester souveraine et « ce qui ne devrait pas être permis
c’est l’occupation atlantiste de l’Ukraine ». Ici, Douguine ne parle
pas au nom de Douguine. Il se fait le porte-parole de la nécessité. Pour
bien nous le faire comprendre, il ajoute qu’il s’agit d’un « axiome
géopolitique ». « Nos ennemis comprennent parfaitement que la Russie
peut redevenir la Grande Russie seulement en partenariat avec l’Ukraine
». Et il ajoute : « Il n’y a pas d’autre possibilité. Le printemps russe
est impossible sans la présence d’un pivot eurasien en Ukraine et
qu’importe la façon dont ça se fera, pacifiquement ou par la guerre. »
Pour Douguine, le maintien des républiques indépendantes de Donetsk et
de Louhansk à la frontière russo-ukrainienne est un impératif
catégorique. « Celui qui contrôle la frontière de la République
populaire de Donetsk et de la République populaire de Louhansk avec la
Russie, contrôle tout » dit-il en paraphrasant Halford Mackinder.
Le
même problème se présente en Syrie. Pour Alexandre Douguine, la Syrie «
est un but plus éloigné mais pas moins important ». Il affirme que la
présence en Syrie du mouvement que les français appellent Daech et que
les Anglo-Saxons appelles ISIS ou ISIL, est « un plan des Américains ».
Selon lui, « l’Etat islamique est une opération spéciale dirigée contre
les opposants à l’hégémonie américaine au Proche-Orient et en
particulier contre nous [les Russes]» et il ajoute que « le
fondamentalisme islamique a été traditionnellement un instrument de la
géopolitique étasunienne et atlantiste ». Je renvoie ceux qui seraient
tentés de le qualifier de complotiste aux confessions de l’américain
Zbigniew Brzezinski qui, alors qu’il était conseiller de Carter, avait
obtenu, le 3 juillet 1979, l’autorisation présidentielle de financer des
bataillons de moudjahidins afin d’offrir aux russes leur « guerre du Vietnam » en Afghanistan ».
Pour
faire face à la menace américaine, soutenue par les pays de l’Union
européenne – « l’influence de l’élite atlantiste est assez forte en
Europe » dit il – la Russie ne doit plus passer par des voies «
diplomatiques » mais doit montrer sa « force ».
La guerre semble
donc inévitable pour la Russie, que l’oligarchie étasunienne veut
chasser de partout, des côtes de la Baltique, du Caucase, de la mer
noire, et de la Méditerranée en attendant de la chasser de Sibérie
lors une prochaine étape très lucrative. Et cette guerre qui doit
éclater n’a rien à voir avec la personnalité de Vladimir Poutine mais
est la résultante d’un bouleversement géopolitique délibérément planifié
par les oligarchies occidentales.
Cependant, n’en doutons pas,
les ânes continueront de braire, dans tous les micros tendus au
Mensonge, que Poutine est un fou sanguinaire et que la Russie est un
pays barbare et dangereux.
Ces ânes ne sont pas seulement les
ennemis de la Russie, ils le sont aussi de la Vérité et leur
omniprésence dans les médias et dans le monde politique fait de l’Europe
un grand corps malade aux membres rongés par la gangrène atlantiste.
Sources:
George Friedman, The Next 100 Years, Allison & Busby, London, 2009
Tim Marshall, « Russia and the Curse of Geography » , The Atlantic Monthly, 31 octobre 2015
Tim Marshall, Prisoners of Geography, Scribner Book Company, 27 octobre 2015
Alexandre Douguine, « War in Donbass will be imposed on us by Washington and Kiev » , Katehon.com, 2 novembre 2015
Bruno Adrie, « Brzezinski, Obama, l’islamisme et la Russie » (1ère partie), brunoadrie.wordpress.com, 26 octobre 2015
Bruno Adrie, « Brzezinski, Obama, l’islamisme et la Russie » (2ème partie), brunoadrie.wordpress.com, 2 novembre 2015
Bruno Adrie « Retour sur la Géorgie » , mondialisation.ca, 1er décembre 2008
Bruno Adrie, « Le prêt-à-penser dans la presse à grand tirage: un exemple parlant » , mondialisation.ca, 27 août 2008