Deux formes d’interdiction –
l’expansion constante des sanctions américaines et notre étonnante dérive vers
une censure non masquée – ont commencé à se télescoper.
Début juin, un sixième cargo iranien
est entré dans les eaux vénézuéliennes. Il suit un convoi de cinq pétroliers
iraniens chargés d’essence pour approvisionner les raffineries vénézuéliennes.
Cette fois, selon l’ambassade iranienne à Caracas, le fret est de l’aide humanitaire
– de la nourriture. Selon des informations non confirmées, le navire transporte
également des pièces de rechange pour les raffineries qui ont besoin de
réparations.
Au même moment,
le président mexicain Andrés Manuel López Obrador a annoncé que le Mexique
vendrait de l’essence au Venezuela pour des raisons humanitaires si Caracas
demandait de l’aide. Le gouvernement Maduro n’a jusqu’à présent fait aucune
demande en ce sens.
L’Iran agit ouvertement au mépris
des vastes sanctions américaines contre le Venezuela. La République islamique,
bien sûr, est déjà accablée par le régime de sanctions le plus étendu que les
États-Unis aient jamais imposé.
AMLO, comme le leader mexicain est
communément appelé, vient de lever la main pour suivre l’exemple de Téhéran. Il
agit avec un esprit d’anticipation : la semaine dernière, les États-Unis ont
sanctionné les entreprises mexicaines qui fournissaient de l’eau au Venezuela
dans le cadre d’un accord « pétrole contre nourriture » conclu
précédemment.
Ces événements méritent une
attention particulière. Tout comme la nouvelle dérive étonnante vers une
censure ouverte et non masquée aux États-Unis. Les sanctions et la censure ne
sont pas sans rapport. Ce sont deux formes d’interdiction. La nôtre est-elle
donc l’ère de l’interdiction ? Si oui, pourquoi nous trouvons-nous dans ces
circonstances et où cette nouvelle ère nous mènera-t-elle ? Telles sont nos
questions.
Des sanctions depuis le 11
septembre
Sanctionner ceux que les dirigeants
américains considèrent comme des adversaires, généralement sans fondement en
droit international, n’a rien de nouveau, bien sûr. Depuis les attentats "terroristes"
du 11 septembre 2001 [1], Washington
s’appuie de plus en plus sur les sanctions. Avec les déploiements militaires,
les coups d’État que nous nous obstinons à appeler « changements de
régime » et les diverses sortes d’opérations secrètes, les sanctions sont
les principaux instruments de la politique étrangère américaine au XXIe siècle.
Des dizaines de pays sont
aujourd’hui soumis à l’une ou l’autre forme de sanctions américaines. Le
département du Trésor a imposé des sanctions à plus de 14.000 personnes,
entreprises et institutions diverses au cours de la période postérieure à 2001.
Le mois dernier, il a imposé de
nouvelles sanctions au Venezuela, de nouvelles sanctions à la Syrie et de
nouvelles sanctions à des dizaines d’entreprises chinoises. Le Congrès débat
actuellement de projets de loi visant à restreindre les activités des
entreprises chinoises aux États-Unis et à imposer de nouvelles sanctions aux
responsables chinois pour leur gestion de la question ouïgoure dans la province
du Xinjiang.
Il y a dix jours, l’administration
Trump a annoncé qu’elle allait imposer des sanctions aux fonctionnaires et aux
juges de la Cour pénale internationale [2]
qui enquêtent sur les crimes de guerre en Afghanistan au cours des 19 années
qui ont suivi l’invasion américaine, peu après les événements du 11 septembre.
Cette mesure compte certainement parmi les utilisations les plus audacieuses
des sanctions de Washington, étant donné que 123 nations sont parties
prenantes au statut qui a établi la CPI en 2002.
Il y a des avantages évidents à ce
recours marqué aux sanctions. Ceux qui souffrent le plus, et qui meurent le plus souvent, sont les
innocents de nations lointaines. Ces victimes de la puissance américaine
sont invisibles pour les Américains. Aucun sac mortuaire n’arrive à la base de
l’US Air Force à Dover. Les Américains n’ont pas à réfléchir à ce qui est fait
en leur nom, comme la plupart semblent le préférer.
Les sanctions
changent beaucoup
On disait autrefois que les
sanctions sont inutiles parce qu’elles ne changent rien. Ce n’est manifestement
pas le cas. Elles ne
changent pas les structures de pouvoir et la politique dans les pays visés,
et à cet égard, les régimes de sanctions doivent être considérés comme des
échecs. Mais elles changent beaucoup d’autres choses.
Elles
endommagent ou détruisent des économies entières. Elles constituent des
violations flagrantes des Droits de l’Homme. Elles équivalent à une punition
collective – un crime de guerre selon les Conventions de Genève de 1949.
Ce qu’elles changent le plus, c’est le niveau de mépris international pour les
États-Unis et – disons-le – pour l’indifférence dont font preuve la
plupart des Américains lorsque leurs dirigeants font progresser une politique
étrangère essentiellement criminelle dans tous ses aspects fondamentaux.
Mike Pompeo, qui brandit sa Bible et qui aime
sa femme et son chien, aime citer les Écritures dans son compte twitter
personnel, @mikepompeo. Allez y jeter un coup d’œil. « Car nous marchons
par la foi, et non par la vue » fait partie des derniers textes favoris du
secrétaire d’État. « Nous vivons par la foi, non par la vue » est une
variante récemment citée. Il est remarquable que la première des citations de Pompeo (Matthieu 9 : 35)
soit totalement fausse et que la seconde (2 Corinthiens 5 : 7) soit inexacte. Mais on saisit
assez bien le point de vue de notre diplomate de haut niveau : il est
totalement aveugle et indifférent aux conséquences de la politique de sanctions
qu’il supervise avec le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin.
Une politique
étrangère vulnérable
La vulnérabilité fondamentale d’une
politique étrangère excessivement dépendante des sanctions émerge maintenant, à
mon avis : elles approchent d’un point de rendement décroissant. À l’horizon,
les sanctions destinées à isoler les autres, risquent d’isoler les États-Unis
si elles sont amenées à leurs extrémités logiques. Ce risque est désormais
évident. L’Iran et le Venezuela sont déterminés à établir des liens bilatéraux
sans tenir compte des sanctions américaines. L’offre d’AMLO à Caracas est de
toute évidence une expression de mépris pour les interdictions américaines.
Nous ferions mieux de voir le vent
tourner. Personne ne se joint aux États-Unis pour menacer de représailles dans
ces affaires. Un geste stupide à l’époque, les cliques politiques de Washington
font de nous la nation la plus seule au monde.
Lorsque l’administration Trump s’est
retirée de l’accord nucléaire iranien il y a eu deux ans le mois dernier, puis
a entamé son programme de sanctions honteusement inhumain, les signataires européens
étaient trop timides (comme d’habitude) pour affronter directement les
États-Unis. Mais on est de plus en plus convaincus que c’est en train de
changer. Les enquêtes de la CPI se poursuivent. Josep Borrell, le
directeur de la politique étrangère de l’Union européenne, est sorti la semaine
dernière pour s’opposer aux sanctions prévues par Washington contre les
juristes et les enquêteurs de la CPI.
La crise de la
censure
Passons maintenant à la crise de la
censure. Il y a beaucoup à noter à ce sujet.
Parmi les partisans de la censure
rampante qui nous menace, il convient de noter les médias eux-mêmes. Censurer
le président, insistent t-ils. Censurer nos pages d’opinion, le cri a monté au New
York Times après qu’il ait publié un commentaire controversé de Tom Cotton,
le Républicain de l’Arkansas au Sénat. Cotton est manifestement perdu partout
hors des limites de la ville de Little Rock, c’est un fait, mais il reflète une
partie significative de l’opinion américaine pour le meilleur ou pour le pire.
À ce stade, les sanctions et la
censure commencent à se télescoper. Le Département d’Etat de Pompeo fait
campagne depuis l’année dernière pour que les médias sociaux – Facebook,
Twitter, Instagram – bloquent les comptes des fonctionnaires iraniens. Ce n’était qu’une question de
temps avant que la Silicon Valley ne commence à coopérer sur de tels projets.
Au cours du week-end, Twitter aurait
fermé le compte d’un groupe fraîchement formé, opposé à la dérive insistante
des États-Unis vers une nouvelle guerre froide avec la Chine. Brian Becker, un
animateur radio de Washington, a posté le tweet suivant. Il contient un lien
vers une pétition demandant le rétablissement du compte. Votre chroniqueur est
signataire :
Il y a quelque chose d’important à
noter ici. Les entreprises de la Silicon Valley telles que celles qui viennent
d’être citées ne sont pas des entreprises de médias au sens ordinaire du terme.
Elles ne sont pas de la « presse ». Ce sont des entreprises technologiques
fondées dans un but lucratif et qui n’ont pas une compréhension évidente des
médias ou des questions liées au Premier amendement. Sommes-nous surpris de les
trouver en train de faire un gâchis total alors qu’elles se nomment elles-mêmes
arbitres de ce qui mérite ou non d’être mis en lumière ? Ils sont en train de
passer par-dessus la tête de ceux qui ne sont pas instruits.
Il en va de même pour la presse
elle-même. Ceux qui prônent la censure contre leur propre profession – taper
ces phrases incite à l’incrédulité, en vérité – font preuve de peu de
connaissance de l’éthique des médias ou de leurs responsabilités en tant que
journalistes – ou de l’histoire et de l’économie politique tout court.
J’attribue cet étrange phénomène en partie (et seulement en partie) à des
générations d’éducation médiocre administrée par les aînés de ces gens.
Au fond, les sanctions sont le moyen
par lequel les États-Unis maintiennent l’ordre dans l’empire – si l’ordre est
ce que nous découvrons lorsque nous regardons dehors. La nouvelle vague de
censure est en partie responsable de cette situation. Elle n’est pas neutre sur
le plan idéologique, il faut le noter – la censure ne l’est jamais. Dans le cas
américain, elle est consacrée à la préservation d’un discours très spécifique,
le discours de l’empire. Ceux qui y dérogent sont censurés.
Notre habitude de sanctionner les
autres nous revient maintenant à la figure. « L’ère de la
répression » vise à définir un totalitarisme politique et idéologique.
Cela ne peut durer éternellement, comme les empires ne le font jamais, mais
c’est notre tour maintenant.
Patrick Lawrence, correspondant à l’étranger depuis
de nombreuses années, principalement pour l’International Herald Tribune,
est chroniqueur, essayiste, auteur et conférencier. Son dernier
livre s’intitule « Time No Longer : Americans After the American
Century » (Yale). Suivez
le sur Twitter @thefloutist. Son site web s’appelle Patrick Lawrence. Soutenez
son travail via son site Patreon.
Source : Consortium News
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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NOTES de H. Genséric
Hannibal GENSÉRIC
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