Cela n'a évidemment pas fait la Une des
médias mais il se passe des choses fort intéressantes dans l'Est du
Vieux continent, case importante de notre Grand jeu.
On sait que la Hongrie de l'abominable
Orban des neiges a tendance à sortir des clous depuis un certain nombre
d'années : refus répété d'obtempérer aux injonctions euronouilliques,
opposition aux sanctions contre la Russie, participation précoce aux
Nouvelles routes de la Soie... Dans les salles de contrôle impériales de
Washington et de Bruxelles, la petite ampoule rouge de Budapest
clignote avec insistance, provoquant un agacement récurrent.
Les dernières nouvelles ne feront rien
pour les rassurer. En avril, alors que l'Europe occidentale se débattait
dans les affres pandémiques, un très important accord
tripartite voyait le jour sur les bords du beau Danube bleu : la Chine
financerait la construction d'une ligne TGV entre Belgrade et Budapest.
Les acteurs n'ont pas perdu de temps et ont finalisé le montage financier il y a deux semaines.
Le projet est considérable à plus d'un titre :
- Il s'agit du deuxième plus gros projet d'infrastructure de l'histoire en Hongrie après la centrale nucléaire russe de Paks. Moscou et maintenant Pékin : chez les Magyars, l'UE et les Etats-Unis sont aux abonnés absents.
- C'est le premier grand projet lié aux routes de la Soie financé par la Chine au sein de l'Union européenne.
- L'objectif est, à terme, de relier le port "chinois" du Pirée en Grèce.
- La ligne renforcera l'axe Hongrie-Serbie, pays européens parmi les plus favorables à la Russie et à la multipolarité.
Si on y ajoute les autres États (en rose
sur la carte) entretenant plutôt de bonnes relations avec la Russie,
les "alliances" de revers de Moscou sur le Vieux continent commencent à
prendre une forme intéressante. Est-ce tout à fait un hasard si c'est
précisément par ce corridor amical que passera l'extension du Turk Stream ?
La dernière fois que nous en avions parlé, les dirigeants serbe et bulgare venaient « de se rencontrer
pour inspecter l'avancement des travaux du Balkan Stream, la branche du
Turk Stream à destination du Sud-est européen. La construction a pris
un peu de retard pour cause de coronavirus mais Borissov, devenu
russogazolâtre, veut le tube fin prêt pour la fin de l'année. »
Budapest entre officiellement
dans la danse ! Le 19 juin, l'autorité de régulation du pays a entériné
la construction du tronçon entre la Hongrie et la Serbie qui devrait
être terminé d'ici octobre 2021. Le fidèle lecteur de nos Chroniques, lui, en avait eu la prédiction il y a tout juste un an : « La Serbie, via Gastrans, compagnie appartenant à Gazprom, vient de recevoir une première livraison de 7 000 tonnes de tubes afin de construire une connexion avec la Hongrie. » Il n'y a pas de fumée sans feu... ni de tubes sans gazoduc.
Balkans qui rient, Ukraine qui pleure ?
Cette dernière a en tout cas définitivement fait une croix sur les
juteux frais de transit et autres ristournes gazières, qui lui seraient
pourtant fortement nécessaires vu l'état de son économie. Puisqu'on
parle du paradis post-maïdanite, il s'y passe d'ailleurs des choses très
curieuses.
Nous avons plusieurs fois expliqué que
l'élection de Zelensky était un message de la population pour tourner la
page du putsch, mais que la junte installée par Washington en 2014
tentait désespérément de s'accrocher aux branches et de torpiller toute
tentative de dégel entre Kiev et Moscou. La camarilla impériale fait
cependant grise mine depuis quelques semaines. Si les infos dont on va
parler n'ont pas fait le tour du globe, elles n'en sont pas moins
importantes, indiquant peut-être un intéressant changement de direction.
Le 25 juin, une commission parlementaire
refusait d'accepter la nomination au poste de ministre de l'Education
d'un certain Serhiy Shkarlet. Le gouvernement passait outre et
l'imposait quand même. La chose serait sans intérêt si le sieur Serhiy
n'avait été membre et même candidat de l'honni Parti des Régions
de Ianoukovitch, l'ancien président renversé par le coup d'Etat.
Diantre ! un russophile à l'Education alors que, en son temps, Svoboda
avait rêvé de faire de ce ministère un instrument de l'ukrainisation
forcée. On comprend que certains soient perturbés...
A peu près au même moment, l'ex-mentor
de Zelensky, Kolomoiski, remportait un contrat public pour la fourniture
de kérosène à l'armée de l'air. Si l'accord paraît certes quelque peu
improbe, c'est autre chose qui fait s'arracher les cheveux des
maïdanites, qui tient en la personne de l'oligarque lui-même. En
novembre, nous évoquions ce personnage sulfureux :
En Ukraine, le rapprochement entre le nouveau président et la Russie, que nous avons évoqué à plusieurs reprises, inquiète les officines médiatiques occidentales. Le nom d'Igor Kolomoiski n'est pas inconnu des lecteurs de nos Chroniques : autrefois grand argentier des bataillons nationalistes, il avait au fil du temps mis de l'eau dans son bortsch, comme en mai
dernier où, dans un discours remarqué, il se lâchait en diatribes
contre le FMI et les Occidentaux : « C'est votre jeu, votre
géopolitique. Vous n'en avez rien à faire de l'Ukraine. Vous voulez
atteindre la Russie et l'Ukraine n'est qu'un prétexte. »
Il a remis ça il y a dix jours, au grand dam du New York Times qui s'en étrangle de rage
: « Les Russes sont plus forts, nous devons améliorer nos relations
avec eux. Les gens veulent la paix et une bonne vie, ils ne veulent plus
être en guerre. Et vous, Américains, vous nous forcez à être en guerre,
sans même nous en donner les moyens. Vous [l'UE et l'OTAN] ne nous
aurez pas, il n'y a aucun intérêt à perdre du temps en discussions
vides. Les prêts du FMI pourraient facilement être remplacés par des
prêts russes. Nous prendrons 100 milliards de dollars de la Russie, je
pense qu'elle serait ravie de nous les donner aujourd'hui (...) S'ils
sont intelligents avec nous, nous irons du côté des Russes. Leurs tanks
seront positionnés près de Varsovie, votre OTAN chiera dans son froc et
devra acheter des Pampers. » Clair et sans ambages...
Le bonhomme inquiète d'autant plus le camp impérial que son groupe média, 1+1,
accueille parmi ses actionnaires Viktor Medvechuk, pro-russe notoire,
d'ailleurs sanctionné par le camp autoproclamé du Bien après l'annexion
de la Crimée. Il n'en fallait pas plus pour provoquer les cris d'orfraie
: Zelensky est un pion de Moscou, ma bonne dame !
En cette fatale dernière semaine de
juin, la junte maïdanite allait d'ailleurs boire le calice jusqu'à la
lie. Et on ne sera pas tout à fait surpris de savoir que c'est Micha
qui, de nouveau, a mis les pieds dans le plat. Nous annoncions son retour il y a trois mois :
S'il est
quelqu'un qui, en tant que pion impérial, a participé à toutes les
vicissitudes du Grand jeu dans le pourtour russe ces dernières années,
c'est bien Mikhaïl Saakachvili.
Géorgien arrivé
au pouvoir par la révolution sorosienne de 2003, déclencheur de la
désastreuse (pour lui) guerre de 2008 qui a torpillé la marche de son
pays vers l'OTAN, ses nombreux abus le poussent finalement à se sauver
du Caucase pour gagner des cieux plus cléments. En 2014, il revient sous
les projecteurs en Ukraine, suite au putsch organisé par Washington.
Mais là encore, la romance tourne court [...]
Après son
expulsion définitive d'Ukraine, on pouvait se dire que le multi-fugitif
avait enfin compris et profiterait d'une retraire dorée dans quelque fac
américaine. Détrompez-vous, Micha est de retour !
A la surprise générale, le néo-président ukrainien Zelensky vient en effet de lui offrir le poste
de vice-Premier ministre. "Surprise" n'est pas un faible mot, car le
retour de l'éléphant dans le magasin de porcelaine risque de faire des
vagues en tous sens.
Son antagonisme
avec Poutine est légendaire et l'on peut s'étonner du choix de Zelensky.
On sait que depuis son accession au pouvoir, celui-ci avait lentement
dégelé les relations
avec Moscou. Le mois dernier, le remaniement ministériel, voulu par
lui, avait entraîné un torrent de lamentations des officines impériales (ici ou ici)
: trop pro-russe, pas assez pro-occidental. La nomination du boutefeu
géorgien vient maintenant brouiller les pistes. A moins que ce soit un
moyen de désamorcer l'opposition qui ne manquera pas de pousser les
hauts cris quand un plan d'ouverture vis-à-vis du Donbass sera officialisé ? L'avenir nous le dira.
Le Kremlin est de
toute façon bien moins embêté par cette promotion que ne l'est le baby
Deep State ukrainien au service de Washington. Si ce dernier partage
avec Saakachvili une même détestation de la Russie, d'insurmontables
conflits d'égo rendent la situation explosive. Ainsi avec Arsen Avakov,
inamovible ministre de l'Intérieur de la junte depuis le putsch de 2014
et conservé à son poste par Zelensky. Une réunion officielle restée dans
toutes les mémoires avait vu Micha le qualifier ouvertement de "voleur" et Avakov lui répliquer en lui balançant un verre d'eau au visage.
Les prochains mois risquent d'être sportifs du côté de Kiev...
Bingo, ça n'a pas traîné. Dans une interview à la télé, l'éléphant du Caucase a médusé les russophobes, restés sans voix :
« La Russie est largement devant
l'Ukraine en terme de réformes. Les problèmes y sont réglés bien plus
vite et avec plus d'efficacité qu'ici (...) Les Russes nous battent sur
le front des réformes. »
Et, histoire de bien remuer le couteau dans la plaie :
« L'Etat
ukrainien n'existe pas. La société est divisée en groupes et en clans,
dirigés par des bureaucrates et leurs patrons. C'est comme si, ici, les
gens naissaient avec des puces électroniques leur assignant d'entrée tel
rôle au service de tel groupe. » Aux dernières nouvelles, Chocochenko en a fait une jaunisse.
Au-delà de l'anecdote, ces nouvelles
semblent indiquer du côté de Kiev un profond changement, presque
intellectuel. La russophobie primaire, sport national de la junte
déchue, paraît ne plus être de mise, même chez un agité du bocal comme
Saakachvili. A suivre...
Dans la mythologie grecque, Momos était
la déesse du sarcasme et de la moquerie. Il semble bien que la belle se
soit réveillée de son sommeil olympien pour jeter son dévolu sur
l'Europe de l'est. Alors que l'Ukraine s'apaise peu à peu, le flambeau
de la névrose a été reprise par sa voisine septentrionale. En mai, nous revenions sur la situation en Biélorussie :
Le trublion
Loukachenko n'en finit pas de faire des siennes, et nous ne parlons pas
ici de ses mesures quelques peu folkloriques pour lutter contre le
coronavirus, au premier rang desquelles la consommation apparemment
nécessaire et suffisante de vodka.
Si le président biélorusse est vu comme un allié de Moscou, les frictions entre ces deux-là ne sont pas nouvelles.
Elles surgissent régulièrement, souvent causées par une querelle sur le
prix du gaz ou du pétrole, dans un contexte plus général de
vraie-fausse intégration entre les deux pays. Tout rentre généralement
dans l'ordre quand le grand frère russe accepte de faire une ristourne.
Jusqu'à la prochaine crise...
Justement, le
Kremlin vient peut-être de se lasser définitivement de Loukachenko,
d'autant plus que le sémillant moustachu n'a pas désavoué les appels du pied de l'OTAN en février dernier, quelques jours après avoir reçu
en grande pompe le pompeux Pompeo à Minsk. Cette tactique habituelle
pour faire monter les enchères commence sans doute à exaspérer Moscou.
Ceci pourrait expliquer une petite nouvelle passée inaperçue mais
susceptible de peser lourd à l'avenir sur cette case importante de
l'échiquier eurasiatique.
Les prochaines
élections présidentielles auront lieu fin août et un nouveau candidat
est apparu. Le nom de Viktor Babariko ne vous dit sans doute rien mais,
tout récemment, il était encore président du conseil d'administration de
BelGazpromBank qui, comme son nom l'indique, est liée au géant gazier
russe. S'il se défend
d'être l'homme de Moscou, son parcours professionnel doit tout de même
instiller quelques doutes dans l'esprit de Pompeo & Co.
Peut-il gagner ?
Loukachenko, qui se présente pour la sixième (!) fois, avait l'habitude
de verrouiller l'appareil pour atteindre des scores soviétiques mais il
semble que ce ne sera plus le cas
cette année. L'économie s'écroule, la nomenklatura n'est plus avec lui
et il traverse une crise de légitimité sans précédent. Si l'ami Babariko
remporte l'élection, verra-t-on un rapprochement supplémentaire voire
une intégration avec la Russie ? Beaucoup de questions et peu de
réponses pour l'instant...
Là non plus, ça n'a pas traîné : Babariko a tout simplement été arrêté
! Les faits se sont déroulés le 18 juin, le jour même où il a annoncé
avoir les 100.000 signatures nécessaires pour participer à la
présidentielle, provoquant d'énormes manifestations à Minsk.
Sentant qu'il y était allé un peu fort,
mais préférant doubler la mise plutôt que revenir en arrière,
Loukachenko (qui est évidemment le seul à avoir ses 100.000 signatures) a
crié au complot. Et là, notre divine Momos a dû écrire le script de la
tragi-comédie : le liderissimo moustachu accuse
sans rire la Russie et la Pologne d'être derrière les tentatives de
déstabilisation. Ce serait bien la première fois que Moscou et Varsovie
se retrouvent dans le même camp !
Ironie de l'histoire, Loukachenko, qui a
tenté pendant des années de se présenter comme l'intermédiaire entre
Est et Ouest, risque maintenant de se mettre tout le monde à dos, Russie comme Occident. Pour sa population, c'est déjà fait, et deux hypothèses s'offrent à nous.
S'il "gagne" l'élection et parvient à
contenir la colère populaire en restant au pouvoir, il sera
vraisemblablement obligé de faire amende honorable et d'aller à son
Canossa moscovite. Le pays est profondément dépendant de la Russie,
notamment sur le plan énergétique, et toute tentative de diversifier son
approvisionnement (voir les récentes œillades à tonton Sam) n'est que
symbolique, comme le reconnaît lui-même un think tank impérial.
S'il est débordé par un soulèvement
populaire, il sera très intéressant de voir dans quel sens celui-ci ira :
pro-russe ou pro-occidental ? Nous avons vu
il y a quelques années que les inénarrables ONG américaines avaient une
présence non-négligeable en Biélorussie, même s'il ne faut sans doute
pas y exagérer leur importance. Dans le même temps, la population est
majoritairement russophone et russophile et un scénario à l'ukrainienne
semble difficilement envisageable.
Il reste un mois jour pour jour avant les élections. Il sera à suivre avec attention...
Source : Chroniques du Grand Jeu
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VOIR AUSSI :
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ON NE VOIT PAS ICI D' AVANTAGES POUR LA RUSSIE COMME TOUJOURS AVEC CE CHRONIQUEUR. POUTINE EST REELU COMME LUKAS ET SON PEUPLE EN BAVE AUSSI BCP; lisez laurence guillon qui vit en russie. ET SI LA BIELORUSSIE DEVIENT MEMBRE DE L'OTAN BRAVO. BREF LE BAVARDAGE POUR RIEN HABITUEL.
RépondreSupprimerCHINE ET INDE A DEUX DOIGTS DE LA GUERRE...VIVE LES BRICS.
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