Le fidèle lecteur de nos Chroniques ne sera
certes pas surpris, mais ce que nous expliquons depuis des années sur le conflit syrien est
maintenant officiellement confirmé : l'alpha et l'oméga de la guerre tient
autour de deux mots - arc chiite - et
l'intervention de Washington visait à le détruire d'abord, le contenir ensuite.
Celui-ci, partiellement reconstitué, reste néanmoins enserré entre les zones
d'occupation américaines : les territoires kurdo-US et la poche d'Al-Tanf.
C'est ce qu'explique un tardif mais
agréablement objectif article d'Al Monitor suite à la sortie du livre
de John Bolton, dans lequel le moustachu néo-(vrai-)con se vante d'avoir
convaincu Trump de revenir sur sa décision de retirer les troupes de
Syrie. S'il a tendance à ramener la couverture à lui et oublie dans l'affaire
le CentCom, Israël et même la Jordanie qui poussaient eux aussi en ce
sens, son explication est claire comme de l'eau de roche et sonnera
familièrement aux oreilles de beaucoup :
« L'Iran
était ma principale préoccupation. Contrôler Al-Tanf neutralise le point de
passage clé sur la route entre Bagdad et Damas, ce qui oblige les Iraniens à
entrer par un point plus au nord. »
Vous l'avez deviné, ce poste est
évidemment d'Abou Kamal, dont nous avons maintes fois montré l'importance cruciale :
Depuis qu'Abou Kamal est revenue, fin 2017, dans le giron
loyaliste, les Iraniens y sont présents. Le nœud stratégique est en effet
fondamental pour la
marche de Téhéran vers le ponant :
L'arc chiite, en partie reconstitué après la victoire des
syro-russo-iraniens en Syrie, (re)devient le cauchemar stratégique de
Washington, Tel-Aviv et Riyad. Les Iraniens s'établissent sur la Méditerranée tandis que la construction d'une autoroute Iran-Irak-Syrie a commencé
(elle finira par relier Téhéran à Beyrouth) et qu'un projet de voies ferrées ressort du sable. Les futures
routes de la Soie chinoises doivent passer par là...

Or,
qu'apprend-on ? Les Iraniens ont entrepris des travaux pour ouvrir un nouveau passage près d'Abou Kamal (l'ancien étant
totalement détruit par la guerre). Il n'en fallait pas plus pour que le système
impérial entre en mode panique et imagine déjà les cargaisons d'armes à
destination du Hezbollah ou de pétrole pour alléger les sanctions US.
Et nous concluions par une mise en
garde qui fait étrangement écho aux paroles de Bolton :
Avec ténacité, Téhéran joue sa carte et avance ses pions
pour rejoindre la Méditerranée, profitant de la reconstitution partielle de
l'arc chiite. Un bémol toutefois, cette route doit serpenter entre les bases
américaines en Irak, puis les zones occupées par l'empire en Syrie (zone
"kurde" et Al-Tanf) :

Les
grandioses projets de créer un corridor sunnite Nord-Sud ont été balayés depuis
bien longtemps et la plupart des sbires impériaux ont quitté la danse : Saoudiens et Qataris ne feront
jamais passer leurs pipelines tandis que les Turcs ont vu s'envoler leurs rêves
de devenir la plaque-tournante énergétique du Moyen-Orient et d'avoir un
Etat-client frériste à son méridien (tout juste grignotent-ils quelques
portions syriennes près de leur frontière).
Restent Israël et son parrain
américain. Dans leur croisade contre l'Iran, ces deux-là s'accrochent
désespérément aux quelques gains a
minima retirés du conflit, à savoir les zones d'occupation
américaines qui ont tout de même l'avantage stratégique de forcer les Iraniens
à emprunter le goulot d'Abou Kamal. Là, l'aviation israélienne a plus de
possibilités de freiner (non arrêter) les transferts de Téhéran au Hezbollah
que sur des centaines de kilomètres. Comme le dit un officiel US : « Conserver Al-Tanf était le moyen le
plus simple de rendre la route des Gardiens de la révolution vers le Liban la
plus périlleuse possible. »
La poche sert d'ailleurs aux jets de
Tel-Aviv, qui empruntent les corridors aériens US pour semer la confusion dans la défense syrienne, incapable
de faire la différence entre avions américains et israéliens avant qu'il ne
soit trop tard. Notons au passage que le prudent Mattis, l'ancien
suprémo du Pentagone, refusait beaucoup plus souvent ce survol que son
successeur. Enfin, l'une des deux bases US d'Al-Tanf possède une station
d'écoute et l'on imagine aisément que toutes ses antennes sont tournées vers
l'Est syrien et Abou Kamal.
Est-ce suffisant pour arrêter
Téhéran ? Rien n'est moins sûr. L'installation de systèmes iraniens longue
portée en Syrie, ouvrant un troisième front contre Israël en sus du Liban et de
Gaza, se joue depuis des mois. Par contre, le Hezbollah semble bien avoir reçu
ses petits cadeaux de Noël si l'on en croit une menaçante vidéo dans laquelle le parti chiite menace de frapper avec
précision des cibles en Israël. Nasrallah y fait d'ailleurs un commentaire très
intéressant :
« Aujourd'hui, nous ne sommes pas uniquement capables de
frapper Tel-Aviv en tant que ville, nous sommes aussi capables de frapper des
cibles très
précises
à Tel-Aviv, ainsi qu'à n'importe quel autre endroit. Quoi que tu fasses pour tenter de bloquer le chemin, la
mission a déjà été accomplie. »
Contrairement à d'autres groupes de
la région, le Hezbollah n'a pas l'habitude de fanfaronner et ses déclarations
sont généralement à prendre au sérieux. La technologie des missiles de
précision, et le matériel stratégique qui va avec, semblent bien avoir été
transférés de Téhéran à Beyrouth via la fameuse route serpentant entre les
zones d'occupation impériales...
Source : Chroniques du Grand Jeu
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