« Ce fut plutôt un choc pour Winston de
découvrir, à propos d’une remarque faite par hasard, qu’elle ne se souvenait
pas que l’Océania, il y avait quatre ans, était en guerre contre l’Estasia et
en paix avec l’Eurasia. Il est vrai qu’elle considérait toute la guerre comme
une comédie. Mais elle n’avait apparemment même pas remarqué que le nom de
l’ennemi avait changé », 1984, Georges Orwell
Oceania, Estasia. Eurasia. Zone disputée entre les puissances prédatrices |
1984 est
sans doute le premier livre de politique que j’ai lu. Dans ce
roman, le pouvoir réécrit constamment l’histoire et change d’ennemi,
l’Océania affrontant tour à tour l’Estasia puis l’Eurasia, en effaçant toute
trace du précédent conflit. Un parallèle troublant avec l’actualité
internationale récente.
Des méchants et des gentils
Les dernières
années ont de quoi donner le tournis. Il y a deux ans, il était entendu que la
Russie, l’Iran et Bachar el-Assad étaient sans doute les pires méchants de la
planète. Vladimir
Poutine était coupable d’avoir envahi l’Ukraine, l’Iran, de préparer une
bombe atomique et
le régime Syrien, de massacrer son peuple. Et Cuba était toujours dans les
limbes du blocus imposé par les Etats-Unis. Mais en quelques mois, la situation
a complètement changé. Cuba
a été reconnu par les Etats-Unis. Un accord a été trouvé avec l’Iran, offrant
de juteuses perspectives d’affaires. Et le développement de Daech, qui
contrôle une large partie de l’Irak et de la Syrie semble
devoir imposer aux dirigeants de la planète de se rabibocher avec la Russie, et
même en partie avec Bachar el-Assad pour faire barrage aux islamistes.
Ces 180°
diplomatiques sont quelques peu perturbants. Même si le pragmatisme peut être
une vertu dans les relations internationales (après
tout, la Russie communiste a joué un rôle majeur pour battre les nazis),
les récentes fluctuations amènent tout de même à se poser des questions sur les
choix de nos dirigeants. On pourrait aussi questionner notre rapport à
certaines monarchies pétrolières, au premier rang desquelles l’Arabie Saoudite.
N’est-il pas inconfortable, a minima, pour ne pas dire très choquant
moralement, de voir que tant
de dirigeants des grandes démocraties de la planète sont allés à l’enterrement
de l’ancien roi d’un pays dont
les règles permettent de décapiter, puis crucifier pour un simple délit
d’opinion. Ne franchissons-nous pas la compromission avec des valeurs fondamentales ?
La guerre, enjeu de communication
En
outre, ce
qui est extrêmement troublant avec ce ballet des méchants et des
gentils planétaires c’est que la guerre est largement devenue un enjeu
de
communication. On peut se souvenir de l’instrumentalisation des frappes
aériennes dans l’Irak de Saddam Hussein par les Etats-Unis de Bill
Clinton, un
moyen de faire oublier les affaires personnelles qu’affrontait le
président.
Puis, frappée le 21 septembre 2001, Washington
était intervenue bien rapidement, et sans véritable justification en Afghanistan
et en Irak, au prix de centaines de milliers de mort pour des raisons qui
avaient plus à voir avec de la communication qu’avec une véritable raison
diplomatique. Avec l’Irak et l’Iran qui oscillent entre méchant et gentil
depuis quatre décennies, il est difficile de ne pas voir un effarant parallèle
avec le
roman d’Orwell.
Cela ne veut
pas dire qu’il y a un grand complot, que les Etats-Unis par exemple,
manipuleraient la planète avec leur trop souvent sinistre balet géopolitique.
Marc Rameaux, dans
plusieurs papiers très intéressants, a très bien expliqué les dynamiques
qui peuvent aboutir à croire à des complots quand il n’y a pourtant que des
jeux de circonstances. Des sociétés aussi complexes que les nôtres produisent
aussi une histoire de notre vie commune, des courants de fond d’opinion qui
peuvent pousser nos dirigeants à prendre de telles décisions, sans qu’un
grand dessein d’ensemble les ait motivées a priori. Mais cela amène à se
demander jusqu’où nos sociétés pourraient prendre la direction du roman de
Georges Orwell, aussi lentement soit-il. Certaines
lois liberticides n’en deviennent que plus inquiétantes.
En réalité, j’ai surtout l’impression que nos
dirigeants, à force de vouloir réagir, sans prendre le temps de réfléchir et
d’agir, finissent par être balottés par les évènements, sans prendre la moindre
perspective. D’où sans doute les revirements effarants de nos diplomaties
depuis deux ans…
Source : http://www.gaullistelibre.com/2015/09/de-larabie-saoudite-la-russie-liran-la.html