L’Europe, la guerre, le terrorisme, la crise migratoire, autant de questions auxquelles le philosophe a accepté de répondre.
RT France : Comment jugez-vous la façon qu’a l’Europe de traiter de cette crise migratoire ?
Michel Onfray (M.O.) : L’Europe n’existe pas, sauf
par sa monnaie unique. On voit bien dans cette affaire combien elle est
impuissante, nulle, désarticulée. Elle bricole, ne parle pas d’une seule
voix, elle improvise. C’est pitoyable.
RT France : Quand vous dites «BHL fait partie des gens qui
ont rendu possible cet enfant mort», que vouliez-vous dire par là ? Qui
sont «les autres gens» ?
M.O. : Que tous ceux qui ont justifié les guerres
contre l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, le Mali et autres pays musulmans
sont responsables et coupables. Ils ont légitimé le bombardement de
milliers de personnes sur place. Que la communauté musulmane soit en
colère contre l’Occident me paraît tout à fait légitime. L’Occident
attaque prétendument pour se protéger du terrorisme, mais il crée le
terrorisme en attaquant. Quel irakien menaçait la France en 1991 ?
Saddam Hussein finançait même la campagne d’un président.
RT France : Depuis la publication de la photo du petit
enfant, les opinions publiques européennes semblent opérer une
volte-face sur cette question, comment l’expliquez-vous ? Qu’est-ce que
cela dit de nos opinions publiques ?
M.O. : Les médias ont transformé le peuple qui
pensait en populace qui ne pense pas et ne réagit plus qu’à l’émotion,
au pathos, à la passion. L’image d’un enfant mort interdit de penser :
elle arrache immédiatement la pitié. La pitié empêche de penser. La
preuve : ceux qui ont rendu possible cette mort en détruisant les pays
bombardés vont répondre en bombardant plus encore.
RT France: Pourquoi cette crise migratoire semble-t-elle être
traitée politiquement et médiatiquement «hors-sol», comme si elle
n’avait pas de causes géopolitiques précises?
M.O. : Parce que le personnel politique est fait de
gens médiocres qui n’ont aucune vision d’avenir pour le pays, aucun sens
de l’histoire et qu’il n’écoute plus que les communicants qui leur
donnent des recettes pour être élus ou réélus. La question n’est plus :
«qu’est-ce qui est bon pour la France ?», mais «qu’est-ce qui va
permettre ma réélection ?». La guerre, on le sait, hélas, booste les
cotes de ceux qui les déclenchent. La testostérone fait plus en la
matière que la matière grise.
RT France : François Hollande a annoncé des frappes aériennes
sur la Syrie que vous avez aussitôt vivement condamnées. Pourquoi ?
M.O : Bombarder des combattants de l’Etat Islamique
suppose tuer des victimes civiles innocentes, les uns vivant chez les
autres, et que ça n’empêchera pas un islamiste radical vivant en France
de passer à l’acte. Au contraire !
RT France : Jacques Sapir a lancé l’idée d’un mouvement
rassemblant tous les souverainistes, allant même jusqu’à une alliance
avec le FN. Vous avez estimé que «l’idée est bonne (…) de fédérer les
souverainistes des deux bords». Pourquoi ?
M.O. : Les souverainistes sont majoritaires dans
l’opinion mais inexistants parce que répartis dans des partis très
hétérogènes qui comptent pour rien dans la représentation nationale.
Mais jamais un électeur de Mélenchon ne soutiendra une thèse de Marine
Le Pen et vice versa. Seul un tiers au-dessus des partis pourrait
fédérer ces souverainistes de droite et de gauche.
RT France : Cette proposition de Sapir ne traduit-elle pas
une recomposition des lignes politiques dont le pivot (ou l’axe) ne
serait plus l’économie mais le rapport à l’Europe ? Comment voyez-vous
cette recomposition politique du paysage français ?
M.O. : L’idée est juste, mais elle n’aboutira pas.
Les souverainistes sont représentés par des politiciens qui n’ont en
tête que leur ego, leur trajectoire personnelle, leur narcissisme. Aucun
ne sera capable de jouer la fédération sous la bannière d’un tiers en
s’effaçant. Entre la France et eux, ils ne choisiront pas la France.
Michel Onfray est docteur en philosophie. Il a publié une soixantaine
d’ouvrages dont Traité d’athéologie : Physique de la métaphysique, Le
Crépuscule d’une idole, Contre-histoire de la philosophie.
On ne présente plus Michel Onfray, philosophe que l’on dit
iconoclaste, grand pourfendeur devant l’Éternel (ou ce qui lui tient
d’éternité) des conformismes et autres tables de lois.
Source : Russia Today France, le 8 septembre 2015.
Commentaire
Alors que la
crise des migrants de l’Europe grossit et s’étend, de nombreux médias
arabes nous rappellent la dernière prophétie obscure du dirigeant libyen
Mouammar Kadhafi, faite plusieurs mois avant sa mort violente. Dans une
lettre ouverte obtenue par le quotidien russe Zavtra et publiée en mai 2011, plusieurs mois avant l’assassinat du leader libyen, ce dernier a déclaré :
«Maintenant, écoutez-moi, vous peuples de l’Otan. Vous êtes en train de bombarder un mur qui se trouve sur la route de la migration africaine vers l’Europe, et sur celle des terroristes d’al-Qaïda. Ce mur c’est la Libye. Vous êtes en train de le détruire. Vous êtes idiots, et vous brûlerez en enfer pour les milliers de migrants en provenance d’Afrique et pour avoir soutenu al-Qaïda. Il en sera ainsi. Je ne mens jamais. Et je ne mens pas maintenant.»